Cérémonie (La)

France (1995)

Genre : Drame

Écriture cinématographique : Fiction

Lycéens et apprentis au cinéma 2014-2015

Synopsis

Le visage fermé, dur, avare de paroles et de sourires, Sophie s’installe comme femme de ménage dans la grande maison des Lelièvre, isolée dans la campagne bretonne. Malgré un comportement bizarre et un mutisme ponctué de « je sais pas » ou « j’ai compris », la jeune femme s’acquitte parfaitement de sa tâche, réussissant même à cacher son handicap : l’analphabétisme. Très vite, Sophie va se lier d’amitié avec Jeanne, la postière du village, une jeune femme exubérante, provocatrice qui ne cache pas sa haine envers les Lelièvre et notamment envers Georges dont elle ouvre le courrier. La complicité qui naît entre Sophie et Jeanne va les conduire à partager leurs secrets…

 

Générique

Réalisation : Claude Chabrol
Scénario : Claude Chabrol, Caroline Eliacheff d’après l’œuvre de Ruth Rendell
Image: Bernard Zitzermann
Son : Jean-Bernard Thomasson, Claude Villand
Musique : Matthieu Chabrol
Montage : Monique Fardoulis
Production : MK2 Productions, France 3 Cinéma, Prokino Filmproduktion Gmbh , Olga-Film GmbH (München)
Distribution : MKL
Sortie du film : 30 août 1995
Durée : 1h51
Format : 35 mm, couleur
Interprétation
Isabelle Huppert / Jeanne Marchal
Sandrine Bonnaire / Sophie Bonhomme
Jacqueline Bisset / Catherine Lelièvre
Jean-Pierre Cassel / Georges Lelièvre
Virginie Ledoyen / Mélinda Lelièvre
Valentin Merlet / Gilles Lelièvre
Julien Rochefort / Jérémie
Dominique Frot / Madame Lantier
Jean-François Perrier / L’abbé
Yves Verhoeven / Le livreur

Autour du film

La mise en scène d’un fait divers

Adapté du livre de la britannique Ruth Rendell intitulé L’analphabète, La cérémonie s’inspire aussi largement d’un fait divers sanglant qui a beaucoup fait parlé la France des années 30 : l’affaire des sœurs Papin. (cf Autour du film).

Dans La Cérémonie, tout se passe comme si Chabrol accordait sa mise en scène à la définition même du « fait divers », soit le surgissement d’un événement hors du commun dans la banalité quotidienne. En effet, à la fin du film, la violence éclate d’autant plus sèchement que rien ne nous avait, a priori, préparés au massacre. Pourtant, pendant le visionnage de La Cérémonie, une violence sourde, tapie sous la répétition des rituels quotidiens (repas, courses, ménage), se fait sentir. Car sous ses allures anodines, la mise en scène est à plusieurs reprises court-circuitée par ce que Chabrol appelle ses « hiatus de mise en scène ».

La brillante caractérisation des personnages, l’efficacité d’un montage qui enchaîne implacablement les séquences, les répliques à double sens, concourent aussi à détraquer imperceptiblement la banalité des événements et, sans crier gare, précipitent l’histoire vers sa fin inéluctable.

A) Le poids des mots

Fidèle à l’esprit de la nouvelle vague qu’il a contribué à installer (cf biographie), Chabrol aime le langage et les jeux de mots. En 1965, dans la série de film à sketches Paris vu par… dans laquelle six cinéastes réalisent un court-métrage sur un quartier de Paris, il choisit le quartier de La Muette pour y situer l’histoire d’un enfant qui, s’étant enfoncé des boules Quiès dans les oreilles, n’entend pas sa mère crier suite à sa chute dans les escaliers. Son dernier film, Bellamy (2009), s’ouvre sur un personnage cherchant à placer Bonheur dans une grille de mots croisés avant de rencontrer une jeune femme nommée Félicité. Dans La femme coupée en deux, (2007) il baptise son innocente et naïve héroïne Gabrielle Deneige… Clins d’oeil goguenards ou signes avant-coureurs du destin des personnages, les mots pèsent de tout leur poids dans le cinéma de Claude Chabrol.

Dans La Cérémonie, ils participent, au même titre que la mise en scène, à instaurer le trouble inquiétant qui nimbe le film. Le père ne réalise pas la portée prophétique de ses mots lorsque, apprenant le prénom de sa bonne, Sophie, il s’écrie blagueur « Malheur !» en référence au titre éponyme de la comtesse de Ségur. Le nom choisi pour la famille Lelièvre trouve un écho tragique dans la cuisine, territoire de Sophie, où une nature morte figure un lièvre suspendu par les pattes (notamment chap.25, 1’44) tandis que les expressions utilisées par Madame Lelièvre annoncent elles aussi leur destin funeste : « Vous êtes chargée comme le diable ma pauvre Sophie » (chap.11: 43min»), et à propos d’une valise « Elle pèse comme un âne mort » (chap. 5: 10’48).

B) Un film de personnages

De la Cérémonie à Violette Nozière (1978), de Landru (1963) à La fille coupée en deux (2006) Chabrol a plusieurs fois adapté des faits divers dans ses films. S’il se plait autant à ce type de réalisation c’est parce que le cinéaste aime avant toute chose explorer les profondeurs de l’âme humaine. Plutôt psychologue que détective privé – trouver le coupable importe peu dans ses films – Chabrol s’évertue à percer la personnalité du meurtrier. Ainsi, nous pouvons avoir l’impression qu’il ne se passe rien dans La cérémonie (les personnages mangent, font les courses, cuisinent…). Car au travail de l’intrigue, Chabrol préfère la caractérisation de ses personnages.

Jeanne et Sophie

Jeanne et Sophie sont la transposition du couple Christine et Léa Papin, dans lequel les psychiatres ont vu un cas exemplaire de folie à deux, soit un « mécanisme où un sujet délirant actif exerce un pouvoir suggestif sur un sujet passif, en tout cas plus faible » (source : encyclopédie Universalis). Chabrol et sa co-scénariste Caroline Eliacheff appliquent ce schéma à ces deux personnages en les construisant tout en opposition. Silencieuse et renfermée, Sophie se distingue par son mutisme : ses phrases sont courtes et répétitives : (« j’ai compris », « je ‘ sais pas ») tandis que Jeanne, qui s’exprime avec facilité, est extravertie et curieuse. L’une est analphabète, l’autre lit même au travail. Ying et yang, leurs différences scellent aussi une complémentarité qui ne tarde pas à basculer en complicité fusionnelle. Cette fusion s’opère sur des points communs comme leur isolement mutuel et leur passé trouble, mais pas seulement.
Les jeunes femmes entretiennent aussi des ressemblances visuelles. Chabrol les rapproche par des postures communes : avec ses nattes et sa jupette, sa façon de sautiller, Jeanne fait penser à une fillette. Sophie s’installe devant la télé assise au sol en tailleur comme une enfant et, lorsqu’elle ne regarde pas les Minikeums, elle mange compulsivement du chocolat, la friandise de l’enfance par excellence. Chabrol insiste sur cet élément à de nombreuses reprises. Il place une tablette dans son sac à main dès la première séquence (ce qui justifie le gros plan sur son sac lorsqu’elle sort la lettre de référence pendant l’entretien avec madame Lelièvre) mais c’est aussi ce qu’il lui fait acheter à trois reprises lors de ses sorties en ville.

Si l’insouciance et l’impulsivité inhérente à cet âge sont une des clés du film, elles servent aussi la mise en scène en offrant la possibilité visuelle de traduire l’influence de Jeanne sur Sophie. En effet, juste après la révélation réciproque de leur passé (chapitre 13, à la moitié du film) qui scelle leur « couple », Sophie tressera elle aussi ses cheveux à la manière de Jeanne. Cette contamination d’un personnage à un autre s’effectue aussi par le langage : Sophie reprendra plusieurs fois à son compte la phrase de Jeanne « Ils ‘ pourront rien prouver » et elles se renverront le refrain (chapitre 21: 01’25) à leur retour du secours catholique.

Les Lelièvre

Bourgeois modernes (famille recomposée dans laquelle les tabous comme la sexualité ou la cigarette sont abolis), les Lelièvre n’en sont pas moins conscients de leur classe. Ils maîtrisent le langage et n’hésitent pas à jouer sur les mots, qu’ils choisissent (bonne ou gouvernante?) et avec lesquels ils jouent (« Bonne à tout faire, qui peut s’en vanter?! »). Cette aisance à s’exprimer les éloigne à jamais de leur domestique et de son analphabétisme camouflé.

L’autorité et l’emprise de Catherine Lelièvre sur Sophie s’affirme dès le premier plan du film : c’est à travers son regard derrière la vitre du café que l’on découvre Sophie de l’autre côté de la rue. Malgré le refus de cette dernière, elle lui commande un thé, plutôt par souci de bienséance que par réelle sympathie. Elle utilise l’impératif lorsqu’elle s’adresse à sa bonne et lui lance un « vous êtes forte, hein? » lorsqu’elle la voit porter sa lourde valise. Cette réplique est révélatrice de l’appropriation du corps de l’autre par la classe sociale supérieure. Lorsque le fils s’inquiète du physique de la future bonne, son père répond qu’ « Il a raison de se préoccuper des belles choses » avant que sa mère rajoute « vous allez pouvoir la juger sur pièce, elle arrive demain ». Aussi, leur proposition de lui offrir des lunettes et des leçons de conduite est vécue comme une ingérence de ses « maîtres » dans sa vie plutôt que comme une preuve de générosité. Enfin, les Lelièvre l’appellent par son prénom tandis qu’elle leur donne du « Madame » ou « Monsieur ». Les efforts de Mélinda pour gommer leur différence sociale sont à la mesure du fossé qui les sépare. Dans une analyse de son propre film auquel il se livre dans le complément dvd, Chabrol expose son choix de ne jamais réunir très longtemps ces deux personnages dans le même plan. Leur profonde incompréhension se manifeste par des chassés-croisés au gré des recadrages et des entrées et sorties de champ.

C) Hiatus de mise en scène

Chabrol a parsemé sa mise en scène de petits détails qui, tel des anicroches, la font vaciller momentanément et trouble sa fluidité parfaite. Cette logique de mise en scène rappelle celle du fait divers lui même. Dissimulés entre la souplesse des nombreux mouvements de caméra, ces imperceptibles éléments contribuent pourtant à intoxiquer l’ordre des choses. Il peut s’agir d’une béance dans la composition du cadre, déséquilibrant furtivement la représentation comme dans la séquence du premier repas servi par Sophie, à la fin du 6e plan (cf. chap. 6 : 00′ 14’58). Ou bien d’une rupture de point de vue comme lors de la découverte de la bibliothèque par Sophie (cf. analyse détaillée : vidéo dans l’onglet Analyse de séquence). Ou encore de l’ajout d’un plan inutile au déroulement du récit. Le cas se présente à 17 minutes (chap. 7) de film lorsque M.Lelièvre, attablé dans la cuisine tandis que Sophie fait la vaisselle, propose à sa domestique de lui payer des leçons de conduite. Alors qu’elle lui oppose ses problèmes de vue, il s’étonne de la connaître sans lunettes. A ce moment précis un gros plan objet surgit dans le dialogue rigoureusement filmé jusqu’ici en une alternance de plans sur chacun des personnages. Il montre le couteau que vient de laver Sophie. Anodin a priori – d’autant que le couteau n’a pas le tranchant d’un couteau de boucher – ce plan pourrait passer pour un simple plan de coupe. Or, il n’en est rien. Redoublé par le son qu’il produit en tombant dans le rangement métallique, ce plan, incisif par sa durée, fait l’effet d’une décharge électrique. Avec sa question, M.Lelièvre entaille la vie privée de Sophie et met son secret en péril. Ce travail de dérèglement de la mise en scène pose les jalons du malaise chronique né de la friction des classes sociales, qui enflera insoupçonnablement tout au long du film jusqu’à l’éclatement.

Vidéos

Pistes de travail

L’implacable enchaînement des séquences : rapidité et clarté dramatique

Malgré la description du quotidien des personnages, tout s’enchaîne très rapidement jusqu’au massacre. Le passage d’une séquence à une autre ne laisse pas le temps de réfléchir, elles semblent solidement soudées entre elles et la fluidité de leur enchaînement donne une dimension inéluctable au final sanglant. Il n’y a aucune échappatoire pour les Lelièvre, oppresseurs malgré eux d’une classe sociale survoltée.
En classe, s’intéresser au passage d’une séquence à l’autre: y a t il des transitions ? De quelle sorte ? Marquent elles des ruptures (utilisation de fondus par exemple) ou bien, au contraire, créent elles de la fluidité ? Regarder notamment le passage de la séquence du repas des Lelièvre dans la cuisine à celle de l’arrivée de Sophie ou bien celle qui précède le massacre (chap 22, 1’26).

Construction du film

Analyser la structure du film en essayant de dégager une séquence charnière. Le film est construit autour d’une séquence centrale à partir de laquelle les choses se dégradent, celle de la révélation mutuelle de leur passé par les deux jeunes femmes. Autour de ce point de symétrie, les séquences se font écho sur le mode du avant/après. Noter les time code de cette séquence, mettre en relation les séquences les unes avec les autres, notamment les trajets en voitures, la première et la seconde visite de Jeanne à travers les différentes pièces de la maison, etc… Cette structure en miroir permet de ressentir la dégradation progressive des rapports entre les personnages : les gestes se font plus brusques, les actions plus violentes, le vocabulaire plus cru (l’employée de maison devient « la boniche ». Mélinda, jeune femme moderne et tolérante devient une chipie pédante et prétentieuse à la fin du film. « …C’est la postière, elle a une vieille caisse toute pourrie… Oh, c’est le trio, c’est ce que je préfère. »)

Le personnage de Jeanne

La rencontre avec Jeanne va jouer le rôle de catalyseur chez Sophie l’introvertie. Repérer comment la mise en scène présente Jeanne faisant littéralement irruption dans la vie de Sophie en analysant ses apparitions à l’écran.

La fin du film

Magistrale de froideur et de justesse, la fin du film mêle subtilement les strates temporelles en superposant le son de l’opéra retransmit à la télévision, le meurtre, le présent de l’accident de voiture et l’image d’une Sophie cruellement seule et sans issue. Que vous évoque le gros plan sur le visage de Sophie éclairé par le spectacle de l’accident ?

Cécile Paturel le 22 juillet 2009

Expériences

L’affaire des sœurs Papin

Le 2 février 1933 au Mans, deux domestiques, Christine et Léa Papin, assassinent sauvagement leur patronne et sa fille. Retrouvées blotties l’une contre l’autre au fond de leur lit, les meurtrières sont incapables de justifier leur geste. Cette affaire provoqua un important retentissement dans la presse, chez les magistrats, les psychiatres et dans le monde intellectuel. Jacques Lacan, alors jeune psychanalyste s’intéresse à leur cas tandis que les surréalistes, Paul Eluard, Benjamin Péret et Man Ray, notamment, se montrèrent bien vite fascinés par cet étrange couple de meurtrières. Les fantasmes de ce duo fusionnel semblent avoir inspiré Jean Genet quand, plus tard, il composa sa pièce de théâtre intitulée Les Bonnes (1947).

Les motifs de leur crime abominable ( ) restèrent incompris. Les psychiatres reconnurent dans leur cas clinique les traits d’une anomalie mentale connue depuis longtemps sous le nom de « folie à deux », pouvant se décrire comme un mécanisme où un sujet délirant actif exerce un pouvoir suggestif sur un sujet passif, en tout cas plus faible (le lien entre Christine et Léa, en effet, n’a jamais cessé d’être dissymétrique, la cadette se bornant à suivre sans discuter les consignes délirantes de l’aînée). Lacan ajoute : « Vraies âmes siamoises, elles forment un monde à jamais clos […]. Avec les seuls moyens de leur îlot, elles doivent résoudre leur énigme, l’énigme humaine du sexe. » Car cette cohabitation exclusive et passionnelle, dont la pathologie culmine avec le « rapprochement peureux » de Christine et Léa dans le même lit après le crime, repose à la fois sur une homosexualité larvée et sur un intense besoin d’auto-punition.

Outils

DVD

La Cérémonie, DVD libre de droits pour une utilisation en classe, ADAV, référence: 101062
Ce DVD ne comporte que le film

Films

dans le catalogue Images de la culture
Claude Chabrol l'entomologiste de André S. Labarthe
Naissance de la Nouvelle Vague ou l'Evidence retrouvée de Claude-Jean Philippe
Isabelle Huppert, une vie pour jouer de Serge Toubiana
Hitchcock et la Nouvelle Vague de Jean-Jacques Bernard

Web

La violence des rêveuses, Les bonnes femmes de Claude Chabrol - Article sur la figure de la femme dans les films de Claude Chabrol
Critique du film parue dans Télérama

Ouvrages

La cérémonie : un film de Claude Chabrol, sous la dir. de Jacques Gerstenkorn, Grenoble, Lyon, AkrirA, Université Lumière-Lyon 2, 2002
Conversations avec Claude Chabrol, par François Guerif, Denoël, 1999
Et pourtant je tourne ... , par Claude Chabrol en collab. avec R. Marchand), Paris, Robert Laffont, 1976
Hitchcock, Claude Chabrol, (avec Éric Rohmer), Éd. universitaires, Paris, 1957 ; Ramsay, Paris, 1986 ;
Claude Chabrol, C. Blanchet, Rivages, Paris, 1989
Claude Chabrol, Guy Braucourt, Seghers, Paris, 1971
Claude Chabrol, Joël Magny, Cahiers du cinéma, Paris, 1987

Revues

Cahiers du cinéma n° 494, septembre 1995 (Entretien avec Claude Chabrol sur le film)
Cahiers du Cinéma, numéro spécial Claude Chabrol, Octobre 1997
Positif n° 415, p. 6 (critique et entretien)

Lycéens et apprentis au cinéma

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