Harvie Krumpet

Australie (2003)

Genre : Comédie dramatique

Écriture cinématographique : Film d'animation

Archives CAC, Collège au cinéma 2007-2008

Synopsis

Harvey Krumpet s’offre comme le résumé d’une vie, celle d’un certain Harvek Milos Krumpetzki, né dans la campagne Pologne en 1922, atteint du syndrome de la Tourette, orphelin assez jeune et émigrant en Australie après l’invasion de la Pologne par les Nazis.Le récit en voix off de cette existence est entrecoupé de cartons qui énoncent des faits entre le dérisoire et l’absurde, à l’image de l’enseignement de sa mère, illettrée, mais ayant inculqué à son fils un certain nombre de faits.

La vie de Harvey Krumpet est rythmée par des moments forts : sa maison brûlée, ses parents retrouvés glacés, nus dans la neige, son opération au cerveau, le moment où il est frappé par la foudre, sa découverte qu’à la suite de cet incident, sa tête est un aimant, sa révélation quand Horace, via une statue dans un parc s’adresse à lui, son cancer de la testicule, sa rencontre avec une infirmière, la fille handicapée victime de la thalidomide qu’ils adoptent et qui devient une grande avocate installée aux États Unis, la mort de sa femme, sa fin de vie dans une maison de retraite.

 

Générique

Programme : Six courts métrages Lycéens 2005-2006

Six courts métrages Collège au cinéma 2007-2008

Réalisation, scénario, animation  : Adam Benjamin Elliot
Assistants animateurs et réalisation des marionnettes : Sophie Raymond Michael Bazeley
Son  : Peter Walker, Tristan Meredith, Juliet Hill
Montage  : Bill Murphy
Montage son  : Tristan Meredith
Mixage  : Peter Walker
Musique  : « Canon en D Major » de Johann Pachelbel interprété par the English Chamber Orchestra dirigé par Raymond Leppard, Sony Masterworks.
“Dies Irae” extrait du Requiem de Guiseppe Verdi interprété par  le London Symphony Orchestra dirigé par Leonard Bernstein, Sony Masterworks.
« God is Better than Football » de Keith Binns, interprété par Julie Forsyth et the Elwood Primary School Choir, dirigé par Jane Smith.
« Anciens airs et danses” de Ottorino Respighi interprété par  le Australian Chamber Orchestra dirigé par Christopher Lyndon Lee
Producteur : Melanie Coombs
Production : Melodrama Pictures
Format : 35 mm, couleur, 1:1,85
Durée  : 22 mn
Interprétation  :
Narrateur / Geoffrey Rush
Statue of Horace / Kamahl
Harvie / John Flaus
Lilliana, Baby, Church singer / Julie Forsyth

Autour du film

Harvie Krumpet emprunte sa forme à la biographie, mais une biographie qu’un auteur facétieux aurait orchestré avec un bel arbitraire, la truffant d’événements surprenants au point d’en faire un récit picaresque, au sens où on l’entend communément soit un « récit de formation et de tribulations, conté avec alacrité », histoire d’un héros sympathique et malchanceux, qui change sans cesse de milieu, de ville, le plus souvent bien malgré lui. Le héros picaresque fait des rencontres inattendues, connaît des revers de fortune, se retrouve fréquemment démuni.

Le récit est pris en charge par la voix off. Les plans plus ou moins animés illustrent ce qu’énonce la voix dans une composition qui emprunte à la rhétorique photographique. Des cartons, énoncés de faits, interrompent le récit. Ils sont de deux sortes : illustrés de dessins naïfs, on les imagine extraits du carnet que porte toujours sur lui Harvie Krumpet ; numérotés et inscrits sur fond noir, on les lit comme des sélections de l’auteur du film en contrepoint des scènes.

Un des traits dominants du film est sans conteste l’humour et le décalage, éternel ressort du comique, son arme principale. Le premier des décalages est de consacrer une biographie, genre qui traite essentiellement des hommes célèbres, à un anonyme, un sans grade, qui plus est simple d’esprit. Le carton liminaire annonce la couleur en catégorisant différentes sortes de « grands hommes » pour arriver, après les points de suspension à nommer les « autres ». Le laconisme des énoncés, tant écrits que ceux émis par la voix off, en relation avec les événements contés, soit absurdes, soit tragiques, constitue un autre décalage. À deux reprises, après le plan d’une tombe, un carton fait rebondir notre esprit. Après la mort des parents retrouvés gelés, une réflexion avance que certaines grenouilles revivent quand on les décongèle, pas les humains (fait n°116). Après le décès du médecin qui a trop fumé le fait 142 est mentionné : « la cigarette est un substitut du sein maternel ». La mort clôt, mais le carton permet de réamorcer le film, et, par un trait d’humour, d’éviter de s’appesantir sur un drame. Nombreux sont ainsi les types de décalages (entre musique et action, entre situation des personnages et leur réaction…), on ne saurait tous les énumérer.

Rire du malheur des autres est souvent présenté comme répréhensible alors que cette attitude est au fondement même de l’effet comique. Un individu qui se cogne contre une vitre ou qui trébuche faire rire en ce qu’il est comme du mécanique plaqué sur du vivant comme le disait Bergson, mais aussi parce qu’il s’agit d’un accident. Le philosophe écrit dès les premières pages de son « Essai sur la signification du comique » que le comique exige « quelque chose comme une anesthésie momentanée du cœur », uns suspension du sentiment. Harvie Krumpet fait rire en racontant les mésaventures d’un individu qu’on dirait poursuivi par la guigne, moqué par ses camarades dès l’enfance et confronté à des situations dramatiques a priori peu drôles comme la démence d’une mère, la perte de proches, une opération du cerveau, un cancer, la maladie d’Alzheimer pour ne citer qu’eux.  Nous rions de l’accumulation de ses malheurs, du ton égal avec lequel cela est raconté et aussi d’une humeur qui se maintient chez ceux sur lequel le destin s’est acharné.

Il est incontestable que la matière des personnages, figures en pâte à modeler, permet plus facilement qu’on s’autorise à rire de ces malheurs. L’apparence des personnages est d’emblée drôle, les yeux globuleux, souvent le seul élément animé de l’image, le particulier tremblement de la bouche dont Harvie a hérité de sa mère… La prouesse du film n’est-elle pas d’ailleurs de nous toucher à travers le destin d’un improbable simple d’esprit, vulgaire être de plastiline. C’est d’abord que nous avons besoin de croire et que cette croyance passe finalement plus par le talent du conteur, la mise en scène que par le réalisme ontologique de l’image cinématographique. On le sait, combien de films dits réalistes, mettant en scène des acteurs en chair et en os dans des décors naturels, n’atteignent pas ce degré d’émotion, cette capacité qu’a le film d’Adam Elliot de nous toucher jusqu’à interroger notre propre existence et notre rapport au monde.

Le principe de donner le sentiment que les personnages posent devant l’objectif, avec ce mélange de spontanéité, de maladresse et de naïveté contribue à nous les attacher. Et peu à peu nous partageons leur existence. D’autant que le film, tout en restituant la trajectoire de vie comme une succession de hasards, nourrit l’arbitraire de cet apparent désordre d’échos sur lesquels le commentaire ne s’appesantit pas. À la mort du médecin, l’enchaînement tombe/fait (« la cigarette est un substitut du sein maternel »), renvoie au moment de la mort des parents et donc à la perte de la mère. On ne saura pas pourquoi ses parents se sont retrouvés nus en plein hiver sur un vélo. Mais quand Harvie a la révélation des paroles d’Horace – popularisées par un compatriote d’Adam Elliot dans le film à succès le Cercle des poètes disparus – il décide de se livrer au naturisme. Dans la maison de retraite, en écoutant la chanson « God is Better than Football », il se met à rêver à un ballet de chaises roulantes, imaginaire puisé dans les premières images découvertes dans son téléviseur, une chorégraphie hollywoodienne de Busby Berkeley. Au-delà de la monotonie et du désordre apparent d’une vie sans éclat particulier, un univers personnel se constitue. Finalement, nous nous attachons à Harvie et quand la une du journal parle de « simple d’esprit », cette vérité extérieure, qui soudain bouscule notre perspective, nous apparaît comme décalée, très limitative, presque injuste.

Si le film nous fait rire des malheurs d’Harvie, personnage étrange, autre, il arrive en même temps à nous le percevoir comme un autre nous-même, un frère humain. Rien n’est plus éloigné que les grands mots ou les bons sentiments dans le comique ici à l’œuvre. Il n’en demeure pas moins que Harvie Krumpet s’affirme comme une ode à la tolérance et une leçon d’humanisme.

Technique d’animation

animation de marionnettes en plastiline, une pâte à modeler spéciale qui résiste mieux que la pâte à modeler des enfants, en particulier à la chaleur des projecteurs. Les marionnettes sont constituées de squelettes (généralement métalliques), situés dans un corps (fabriqué en latex, bois, ou autres matières souples ou dures) et recouvert d’habits. Les personnages et objets en pâte à modeler (plasticine , ou plastiline) sont parfois fabriqués autour d’un squelette, mais souvent, l’absence de squelette leur permet de subir les transformations les plus fantaisistes.

Nick Park créateur de Wallace et Gromit déclarait à propos de cette technique : « Ma fascination pour la plasticine – la pâte à modeler utilisée pour les films d’animation – a beaucoup à voir avec le modelage, le pétrissage. Vous pouvez manipuler ce matériau de manière quasi organique. Vous pouvez saisir avec une infinie précision tout un éventail d’expressions, de regards, d’attitudes. C’est une immense satisfaction que de voir votre création prendre vie. La plasticine a aussi l’avantage d’apporter une activité concrète à un travail d’imagination : les créatures de pâte à modeler ont toujours les pieds sur terre, elles ont un côté un peu lourd. Mais dans le même temps, vous pouvez bâtir avec elles un monde complètement détaché, léger, farfelu. »

(www.chez.com/pithecland/wallace/inter2.htm)

Pistes de travail

Notez tous les faits mentionnés et décrivez la diversité des rapports qu’ils entretiennent avec les plans qui leur sont contigus.

Harvie Krumpet nous fait croiser une bonne dose de manières d’être malade ou de mourir. On peut les inventorier. Qu’est-ce qui fait que ce qui pourrait être uniquement dramatique nous laisse sur un fil entre rire et émotion ? Comment interviennent les maladies et les morts ?

Un des effets du film tient à la confrontation, à la distorsion de plusieurs points de vue sur un événement ou une personne. Cela joue entre la voix off et l’image, entre ce qui arrive et le ton avec lequel cela est raconté par la voix off ou évoqué par les journaux. Donnez quelques exemples de ces nuances dans les points de vue et analysez l’effet produit. Mais, il arrive aussi que notre rire naisse de la proximité entre ce qui est dit et ce qui advient. L’information apparaît comme redoublée. Donnez là aussi des exemples et expliquez ce que cela provoque.

Jacques Kermabon, le 2 octobre 2006

Outils

Vidéographie

Cour(t)s de cinéma 2
DVD. Programme comprenant les 5 films inscrits dans le dispositif Lycéens au cinéma 2005/2006, ainsi que des analyses, des interviews, des fiches pédagogiques téléchargeables, et des courts métrages complémentaires.
DVD disponible dans les boutiques des CRDP et sur le site : crdp.ac-lyon.fr.