Certains l’aiment chaud

États-Unis (1959)

Genre : Comédie

Écriture cinématographique : Fiction

Lycéens et apprentis au cinéma 2014-2015

Synopsis

Chicago, 1929. Joe et Jerry, deux musiciens au chômage, obtiennent un contrat pour le bal de la Saint-Valentin. Ils sont malheureusement témoins d’un règlement de comptes entre deux bandes rivales. Le chef de l’une d’elles, Spats Colombo, les a repérés et veut les éliminer. Pour lui échapper, les deux compères se déguisent en femmes et se font engager dans un orchestre exclusivement féminin en partance pour la Floride. Joe a du mal à résister aux attraits de la belle Sugar Cane, reine de l’ukulélé et malheureuse en amour. Jerry n’est pas en reste, mais il excite quant à lui la convoitise d’un vieux milliardaire…

Générique

Titre original : Some like it hot
Réalisation : Billy Wilder
Scénario : Billy Wilder, I.A.L Diamond
Image : Charles Lang Jr
Musique : Adolph Deutsch
Son : Fred Lau
Production : Billy Wilder, Mirisch Corporation
Format : Noir et blanc
Durée : 2h
Interprétation
Marylin Monroe/ « Sugar Cane » Kowalski
Tony Curtis / Joe
Jack Lemmon / Jerry
George Raft / Spats Colombo
Joe E. Brown / Osgood Fielding III

Autour du film

1) Un rythme à couper le souffle

Fluidité et perfection du scénario
Une Cadillac noire roule sur le pavé humide et reluisant de Chicago. A son bord, quatre armoires à glace, armées jusqu’aux dents. La sirène de la police retentit…Le crépitement des mitraillettes ne devrait pas tarder à se faire entendre… Some like it hot débute comme un des films de gangster qui ont fleuris sur les écrans américains dans les années 30. Whisky frelaté, gangs organisés, fusillades nocturnes… Wilder reprendra même l’acteur Georges Raft qui incarnait le second de Tony Camonte dans l’emblématique Scarface de Howard Hawks en 1932. Et il intègre dans le scénario certains éléments de la vie du gangster Al Capone, comme cette exécution des traîtres à l’occasion d’un banquet. En faisant apparaître le carton : « Chicago, 1929 », Wilder finit de tendre la toile de fond d’un scénario implacable : tout va s’enchaîner avec une fluidité étonnante : la fusillade dans le bar clandestin précipite le départ de Jerry et Joe, compromet davantage leur situation financière (aggravée par un pari raté), les rend témoins d’une fusillade entre mafieux. Avec une telle menace à leurs trousses, Joe et Jerry, sans le sou, doivent fuir à tout prix. Et ils sont prêts à tout, question de survie… Some Like it hot se caractérise par l’efficacité imparable de sa mécanique scénaristique mais également par un rythme effréné non réédité depuis les films burlesques de l’époque du muet. Les actions se succèdent sans un seul temps mort. A la manière de Chaplin ou de Keaton, Wilder privilégie l’action à la psychologie et aux états d’âme. On ne doute pas une seule seconde dans Some like it hot, on agit.

Les dialogues : musicalité, débit, répliques
Le film tire une partie de son énergie pétillante de l’intelligence de ces dialogues. Incisifs et hilarants, ils désamorcent la gravité du film de gangster de la première séquence. Quelques exemples : Charlie, sur le point de quitter le commissaire : « – Allez je met les voiles. Car si Colombo me voit : goodbye Charlie ». Réponse du commissaire pour le saluer « – Goodbye Charlie ». Le commissaire non-initié, s’assied incognito dans le bar clandestin : « – Que prendrez vous ? – de l’alcool ! – Désolés, nous n’avons que du café… Scoth Coffee, canadian Coffee … ». Ou bien encore : un homme enivré, tenant à peine debout, redemande à tue-tête « – I want another cup of coffee ! ». Malgré les codes visuels, les dialogues donnent immédiatement le ton au film.
Allitérations, assonances, répétitions, jeux de mots : la musicalité des répliques révèle leur qualité d’écriture… Et exige d’écouter le film en version originale afin d’apprécier leur tempo. A Jerry, femme au milieu des femmes, qui confesse son impression de réaliser un fantasme de petit garçon : se retrouver enfermé dans une pâtisserie pendant toute une nuit, Joe réplique : « No butter, no pastry ! We are on a diet ! (pas de beurre ni de pâtisserie : nous sommes au régime) ». Et puis, suite à la rencontre de Jerry avec Sugar Cane, Joe avertit à nouveau : « No pastry, no butter …and no Sugar ! ».
Le montage peut aussi souligner le rythme d’une réplique. C’est par exemple le cas lorsque Jerry/Daphné tente de se contrôler en se répétant qu’il est une femme. Le lancinant « I’m a girl, i’m a girl, i’m a girl » est renforcé par le plan de coupe sur les roues de la locomotive : la cadence du mouvement circulaire, le bruit de la locomotive mais aussi un court morceau de musique renforcent ainsi l’obsession du personnage (voir à 35 minutes 15).
Enfin, le débit des dialogues participe au rythme soutenu du film. Sans une seconde de répit, les acteurs répliquent du tac au tac comme s’ils battaient tous ensemble la même mesure. Après avoir replacé la chaussure échappé par Daphné, Osgood le milliardaire se présente : « – I’m Osgood Fielding the third (je suis Osgood Fielding troisième du nom). – I’m cinderella the second ! » répond-elle sans attendre (je suis Cendrillon, deuxième du nom).
Pour dissiper le mensonge, les personnages sont régulièrement amenés à s’interrompre, à terminer les phrases de l’autre ou encore à les préciser : ainsi le rythme des dialogues est modulé. De même, un élément extérieur peut souvent stopper un dialogue et précipiter l’action : lorsque le couple Daphné-Joséphine suscite le doute de Sweet Sue sur le quai de la gare de Chicago, le conducteur du train y coupe court en annonçant le départ imminent du train. D’un bon, le scénario nous conduit à la séquence suivante.

Le sens de l’ellipse
Ainsi, Billy Wilder, élimine les temps mort et va droit à l’essentiel, c’est-à-dire au moment signifiant de l’histoire. Fidèle à son maître Ernst Lubitsch, il évite tout encombrement du récit au nom de la légèreté du rythme et des dialogues. On appelle ce saut dans le temps de l’histoire une ellipse. Ce procédé, utilisé dans la grande majorité des films (à quelques exceptions près car faire un film sans ellipse équivaut à calquer la durée de l’histoire sur la durée de projection du film), est parfois un ressort comique de Some like it hot. Au début du film, un premier plan montre Joe proposant de jouer leurs manteaux aux courses (« Il est à 10 contre 1 ! Demain on aura 20 pardessus ! »). Le second montre les deux personnages frigorifiés dans la rue sans manteau. Plusieurs heures se sont écoulées entre les deux plans mais c’est l’imaginaire du spectateur qui, par déduction, comble ce manque d’information. Autre effet comique, à 22 minutes 37. Devenus des témoins gênants, Joe et Jerry appellent M.Poliakov pour lui proposer leur aide (« – On doit partir. Se faire pousser la barbe. – Non, nous devons nous raser ! »). Le plan suivant nous montre deux paires de jambes rasées perchées sur des talons hauts. En évitant de nous montrer la trivialité de l’opération, Wilder sauve la séquence de la vulgarité et ménage habilement un amusant effet de surprise.

2) Un film culotté

A- Marilyn, puissance érotique et force motrice du récit

Il fallait une certaine audace pour réaliser un film tel que Some like it hot en 1959. S’il s’est largement assoupli depuis sa création dans les années 30, le code de censure (Code Hays : voir onglet Autour du film) est encore en vigueur au moment de la sortie de ce film, sulfureux a plusieurs égards. Non seulement les sous-entendus sexuels abondent mais la mise en scène tire tout le potentiel sensuel de l’inégalable Marilyn Monroe. Conforme à son image publique, Marilyn joue avec intelligence le stéréotype de la blonde naïve et plantureuse qu’elle avait déjà interprété face à la caméra de Billy Wilder, quatre ans plus tôt dans Sept ans de réflexion : regard fragile et innocent, moue gourmande, battement de cils, voix sucrée… Le scénario de Some like it hot, efficace et direct, lui donne d’ailleurs un nom qui définit à lui seul son personnage : Sugar Cane…

Comme il se doit, Wilder exploite à fond la sensualité de l’actrice. Il retarde son apparition à l’écran en la faisant apparaître en chair et en os 24 minutes après l’annonce de son nom au générique. Sugar remplacera rapidement le rôle occupé par la mafia dans l’intrigue. Les personnages principaux fuient moins le gang des Guêtres qu’ils ne courent après Sugar Cane. C’est son pouvoir d’attraction qui sera désormais la force motrice du récit.

Pour bien fonctionner, la comédie doit emporter l’adhésion du spectateur. Et Wilder a les moyens de l’impliquer. Il livre le corps de la star dans des mises en scène qui s’accordent à la beauté de l’actrice dans trois séquences affriolantes :

1 – La séquence des couchettes (45 minutes10)
Sublimée par le noir et blanc (à une époque où la couleur est à la mode) et par l’éclairage velouté, Marilyn/Sugar se déshabille et sautille en déshabillé vaporeux entre les couchettes avant de se blottir contre un Jerry/ Daphné affolé. Ce trop plein de désir se manifeste plastiquement à la fin de la séquence par la saturation du cadre par les femmes de l’orchestre (Marilyn en est absente : la star possède son propre cadre et ne peut donc pas être une parmi les autres). La compression humaine au centre de laquelle se trouve Jerry/ Daphné est un moment de tension qui éclatera lorsqu’il tirera en dernier recours le frein d’arrêt d’urgence, provoquant un ébranlement général.

2- “I wanna be loved by you” (1h06)
Moment d’apparition divine où la star, comme elle le fera pour John Fitzgerald Kennedy, danse et chante pour le spectateur. Le plan d’ensemble qui ouvre la séquence englobe la salle et son public. Pourtant, on ne voit qu’elle. Sous trois arches de lumière, Marilyn scintille comme une étoile. Le plan suivant obéit à l’envie de se rapprocher du personnage : un plan moyen nous la révèle dans toute sa splendeur, moulée dans une robe très sexy dont l’effet de transparence semble révéler ses seins nus. Mais très rapidement, le faisceau lumineux se resserre pour redessiner une tenue plus vertueuse tandis que les mouvements de la chanteuse font fluctuer cette limite interdite. Dans le quatrième plan, la caméra (donc le spectateur) n’a jamais été aussi proche : Marilyn est filmée en gros plan et envoie de la main une adresse au spectateur (« By You ! ») avant qu’en un regard hors champ, elle réintègre à l’univers de l’histoire. Un instant, Marilyn la star, chanteuse glamour a percé la fiction.

3 – La soirée sur le yacht (1h16)
Vêtue de la même robe, la star est redescendue de son piédestal pour retrouver Shell Junior sur son yacht. Le génie de cette séquence vient de l’inversion des rôles. Non content de se retrouver en tête à tête avec l’Idéal féminin, Joe, prétendant être impuissant, va parvenir à se faire séduire passivement par Sugar, toute entière engagée à relever le défi. Ainsi, Billy Wilder déplace les tabous et les conventions et créé une scène d’une intelligence jubilatoire.
La durée de la scène, celle des baisers ainsi que les allusions grivoises (à 1h20, l’angle de prise de vue montre la jambe de Tony Curtis qui se dresse au second plan pendant le baiser torride de Sugar) la rendent particulièrement érotique. Marilyn, lascive et déshabillée exécute avec talent les indications données par le metteur en scène.

B – Travestis et homosexuels

La légèreté fantasque du déguisement qui sert de base au scénario permet à Billy Wilder d’évoquer librement certains interdits sexuels de l’époque comme l’homosexualité ou le travestissement.
Au cours du film, Jerry change d’identité sous nos yeux. Lorsque Joe rentre de sa soirée avec Sugar, il découvre un Jerry transformé : « – Je suis fiancé ! » « Joe – Félicitations ! Qui est l’heureuse élue ? » « Jerry – C’est moi ! ». Malgré le rappelle à l’ordre de Joe (« ça ne se fait pas. »), Jerry semble avoir intégré son changement de genre. La permutation d’identité touche aussi Joe qui, après s’être travesti en femme, adopte l’accent puis les manières d’un milliardaire. Plusieurs plans nous le montrent comme un être hybride : au retour de la plage lorsque, visage maquillé, il cache son corps masculin sous la mousse du bain ; c’est homme portant boucles d’oreilles au moment de retrouver Sugar sur le hors-bord, et enfin un corps de femme et une tête d’homme lorsque, révélant sa vraie nature à Sugar, il arrache sa perruque à la fin du film avant de l’embrasser. A l’écran, ce sont deux femmes qui s’enlacent.
Enfin, le dialogue final qui est resté fameux, cautionne avec une grande liberté l’amour entre personnes du même sexe : – Jerry : « But, I’m a man ! » – Osgood : « Well, nobody’s perfect ! ». L’œil malicieux et l’esprit ouvert, Osgood ne désapprouve pas – bien au contraire : il semble ne pas avoir été dupe – la nature de son compagnon.

Pistes de travail

Filmer la durée.
En vous appuyant sur la définition et les exemples de la partie Mise en scène, repérer d’autres ellipses temporelles dans le film. Comment le passage du temps est il signifié ? Le fondu au noir est un point de raccord classique qui donne le sentiment du temps qui s’écoule à l’écran. Un plan sur un objet peut parfois suffire (un plan fixe sur les roues de la locomotive permet de comprendre que du temps s’est écoulé depuis que les filles se sont couchées) ou encore un carton noir indiquant la durée en toute lettres.
Imaginer d’autres procédés exprimant : le passage de l’enfance à l’âge adulte, le passage de plusieurs jours, de plusieurs heures, d’une saison à l’autre etc…

L’ellipse visuelle
A 49 minutes 30, lorsque Osgood s’engage dans l’ascenseur avec Daphné, Wilder ellipse pudiquement l’action. Il ne filme par l’intérieur de l’ascenseur mais se contente d’en suggérer le mouvement par un mouvement de caméra. Le panoramique vertical comble donc une action qui n’a jamais eu lieu (la cabine dans laquelle les acteurs s’engagent n’est pas mobile). Repérer d’autres ellipses visuelles. Le langage cinématographique permet de faire comprendre ce que l’on ne peut pas montrer pour des raisons de coût (manque de moyens) ou pour des raisons morales. Imaginer une façon de suggérer un meurtre, un rapport sexuel, une chute mortelle …

Le code de censure
Jouez au censeur et repérer dans Some like it hot les entraves à la moralité de l’époque en vous appuyant sur les préceptes du code Hays (voir onglet Autour du film).

Cécile Paturel, le 22 août 2008

Expériences

Le titre du film

Il est contenu dans une des répliques. Sur la plage, Shell Junior demande à Sugar « Do you play that very fast music … Jazz? (Jouez vous cette musique rapide… le jazz ?) Elle répond : “– Yeah, real hot !” Shell : “- Oh I guess some like it hot, I prefer classical music.” La traduction littérale de Some like it hot en Certains l’aiment chaud ne rend pas le jeu de mot du titre original. Si le titre français insiste sur le côté brûlant du film, il élude sa référence à la musique et au jazz qui accompagne les images de Wilder. Le Hot jazz s’est répandu aux Etats-unis dans les années 30. Ce style se caractérise par un crescendo mélodique qui aboutit à un « climax », c’est-à-dire à une sorte d’extase musical.

Le code de censure

Le Code Hays est un texte qui a régit la production des films américains de 1934 à 1966. Il s’agit d’un code d’autocensure établit à l’initiative des grands studios eux-mêmes afin de ne pas blesser la sensibilité du public et de préserver une bonne image de l’industrie cinématographique. Pour sortir en salles, un film devait avoir obtenu l’approbation du bureau de censure au risque d’être boycotté par des lobby conservateurs. Les contrôles étaient exercés à plusieurs étapes du film : le scénario était d’abord scrupuleusement analysé puis, une fois réalisé, le film était vérifié à nouveau. En cas de non-respect du code en vigueur, le bureau de censure signalait certaines scènes qui pouvaient ensuite être supprimées à la demande de la production. Ce code a orienté le travail de nombreux cinéastes américains qui, pour éviter la censure, ont travaillé une mise en scène de suggestion, d’ellipse et de sous-entendus. Ces subtilités de mise en scène sont devenues la marque de fabrique de certains grands cinéastes comme Ernst Lubitsch.

Voici quelques articles extraits du code de censure :

II. Sexe

L’institution du mariage et l’importance de la famille sont primordiales.

1. L’adultère, parfois nécessaire dans le contexte narratif d’un film, ne doit pas être présenté explicitement, ou justifié, ou présenté d’une manière attrayante.

2. Les scènes de passion :

a. Elles ne doivent pas être présentées sauf si elles sont essentielles au scénario
b. Des baisers excessifs ou lascifs, des caresses sensuelles, des positions et des gestes suggestifs ne doivent pas être montrés.

3. Séduction et viol :

a. La suggestion est permise (rien de plus) et seulement lorsqu’il s’agit d’un élément essentiel du scénario.
b. Ils ne sont jamais un sujet approprié pour la comédie.

4. Toute référence à la perversion sexuelle est formellement interdite.

VI. Costume

1. La nudité (réelle ou suggérée) est interdite ainsi que les commentaires d’un personnage à ce sujet (allusions à…).

2. Les scènes de déshabillage sont à éviter sauf lorsqu’il s’agit d’un élément essentiel du scénario.

3. L’indécence est interdite.

4. Les danses lascives et les costumes trop révélateurs sont interdits.

VII. Danses

1. Les danses qui suggèrent ou représentent des relations sexuelles sont interdites.

2. Les danses qui comportent des mouvements indécents doivent être considérées comme obscènes.

Outils

Livres

Edgar Morin, Les stars, Ed. Le Seuil, 1985
Noel Simsolo, Billy Wilder, collection les Grands cinéastes, Le monde, 2008
Cameron Crowe, Conversations avec Billy Wilder, Institut Lumière-Actes Sud, 2004

Site internet

http://www.cndp.fr/tice/teledoc/dossiers/dossier_marilyn.htm
Une analyse du film sur le site du scéren

Films

Il était une fois... Certains l'aiment chaud, documentaire de Auberi Edler
Billy Wilder, Portrait d’un homme à 60% parfait, documentaire de Annie Tresgot, 1980