Synopsis
Petit trafiquant des bords du Danube, Matko le Gitan projette de détourner un train transportant de l’essence entre Belgrade et la Turquie. Pour cela, il demande une mise de fonds à Grga, parrain de la mafia gitane, et s’associe à Dadan, un caïd cocaïnomane, amateur de filles et de techno. Roublard, ce dernier voit surtout là l’occasion de marier sa sœur cadette Coccinelle à Zare, le fils de Matko. Il s’empare alors du convoi et de l’argent et force Matko, naïvement piégé, à donner son fils pour solder sa dette. Lequel apprend bientôt par son amoureuse Ida l’odieux chantage dont il fait l’objet. L’ambiance est morose chez Matko où l’on prépare le banquet de mariage. C’est alors que Zarija, l’aïeul de Zare, a la généreuse idée de mourir pour contrer les magouilles de Matko. Hélas ! Dadan ne veut rien savoir quand Matko lui demande de surseoir à la noce pour cause de deuil. Résultat : celui-ci est obligé de cacher son propre père dans son grenier en attendant la fin des festivités. L’union forcée de Zare et Coccinelle est à peine célébrée que cette dernière s’enfuit de la fête. Alerté, Dadan mène la poursuite qui se prolonge dans une forêt où la minuscule Coccinelle fait la rencontre inopinée d’un Prince charmant en la personne du géant Grga Veliki, petit-fils du vieux parrain. Coup de foudre, coups de feu et Grga soi-même ordonne à Dadan d’offrir sa sœur à son petit-fils en souvenir d’une ancienne dette. Tout semble rentré dans l’ordre. La communauté gitane s’apprête à célébrer les deux mariages (Grga Veliki/Coccinelle et Zare/Ida) quand Grga décède brutalement d’une crise cardiaque. Bien résolu à ne pas différer le mariage de sa sœur, Dadan envoie alors Grga rejoindre son vieil ami défunt au grenier, lesquels ressuscitent à la surprise générale ! Les deux mariages sont enfin célébrés. Zare et Ida s’enfuient sur un yacht de passage en emportant avec eux l’argent que leur a légué Zarija. Floué, Matko reste seul et Dadan, victime d’un stratagème, est recouvert de sa propre infamie.
Distribution
Dadan Karambolo
Dadan est “un représentant typique de ces hommes machos, arrogants, friqués, agressifs qui pullulent dans mon pays.” Bagouses aux doigts et chaînes dorées autour du cou, cette copie édulcorée d’Eli Wallach (le truand) dans Le Bon, la Brute et le Truand de Sergio Leone (1966) a, en effet, tous les attributs du caïd tape-à-l’œil, retors et violent. Amateur de filles, de techno et de cocaïne qu’il cache dans une petite croix portée sur le torse, Dadan le frimeur est en constante représentation. Il roule en voiture de luxe et vit dans une prétentieuse villa en construction, signes de son enrichissement aussi rapide que malhonnête. Son entrée en scène tonitruante le désigne comme le gangster colérique à qui rien ne résiste. Toutefois, il est travaillé par l’ultime serment fait à son père : marier sa sœur cadette. Ce tendon d’Achille le pousse à ourdir un plan machiavélique qui, ajouté à sa vieille dette envers Grga, causera sa perte. L’humanisme particulier de Kusturica a réussi à faire de cet escroc, ancien criminel de guerre, et de son double naïf, deux personnages drôles et émouvants, voire attendrissant dans le cas (désespéré) de Matko.
Matko Destanov
Silhouette malingre, visage ahuri, dégaine ridicule, Matko le Gitan est un loser-né qui a néanmoins le goût du risque (comme l’annoncent ses parties de poker solitaires). Flibustier de pacotille amarré à son ponton, il traficote au petit bonheur dans les eaux troubles de la contrebande russe jusqu’à ce que sa tentative de ferrer le gros poisson le fasse sombrer dans le marasme du chantage. Menteur sans éthique, mû seulement par l’étiquette (l’appât du gain), Matko n’hésite pas à prétendre que son père est mort et à troquer son fils pour satisfaire ses viles combines. L’image finale du film (il a remplacé son fils aux jumelles) le condamne à demeurer seul sur son ponton comme espace de sa défaite.
Grga Pitic et Zarija Destanov
Préférant éluder le mystère de leur résurrection, les deux papys flingueurs de la mafia gitane sont les garants de la morale sinon de la cohésion de leur communauté mise à mal par les pères “pourris, empoisonnés par l’argent et par la manière dont ils le trafiquent.” L’étonnant et chaleureux personnage est à l’image de son véhicule, une créature improbable élaborée à partir de références cinématographiques dont il prolonge l’existence en visionnant en boucle la fin de Casablanca. Un acte d’identification qu’il pousse jusqu’à citer Humphrey Bogart dans le texte à l’adresse de son ami Zarija perplexe : “Louis, je crois que c’est le début d’une belle amitié”. Cette réplique-miroir reformule le pacte d’amitié indéfectible qui le lie à Zarija depuis que ce dernier lui a sauvé la vie à Gênes et à Marseille. Elle ponctue également leur come-back triomphal qui assure la victoire des petits-enfants sur les pères (pourris) et mères (absentes), génération sacrifiée pour excès de trafics.
Générique
Titre original : Crna macka, beli macor
Producteur : Karl Baumgartner, Marina Girard
Prod. exécutif : Maksa Catovic
Réalisateur : Emir Kusturica
Ass.-réalisateur : Zoran Andric
Scénario : Emir Kusturica et Gordan Mihic
Photo : Thierry Arbogast
Son : Nenad Vukadinovic
Costumes : Nebojsa Lipanovic
Montage : Svetolik Zajc
Mixage : François Groult
Musique : Vojislav Aralica, Dr Nele Karajlic, Dejean Sparavalo
Film : Couleurs
Format : 1/1,85
Durée : 2h03
Visa n° : 87 909
Distributeur : MK2
Sortie France : 1998
Interprétation :
Matko Destanov / Bajram Severdzan
Dadan Karambolo / Srdjan Todorovic
Ida / Branka Katic
Zare Destanov / Florijan Ajdini
Sujka / Ljubica Adzovic
Zarije Destanov / Zabit Memedov
Grga Pitic / Sabri Sulejman
Grga Veliki / Jasar Destani
Le prêtre / Predrag Lakovic
Autour du film
La mise en scène de Chat noir, chat blanc est complètement inféodée à son projet burlesque, à une mécanisation générale du décor et à une “instrumentalisation” des êtres vivants. Objets et personnages sont les rouages d’une grande machine à recycler les genres au rythme frénétique d’une musique qui prend littéralement corps à l’écran. Véritable marqueterie de références culturelles, le film doit également son effet patchwork à la fragmentation du récit et à la mise en spectacle d’un joyeux chaos relevant de l’artisanat, du rêve et de la culture rom. Pour autant, la cinématographie d’Emir Kusturica qui puise à la source du folklore tsigane n’est pas un cinéma folklorique. Ses personnages sont les histrions de leur propre mythologie ici dépouillée de ses clichés communautaires sous l’impact paradoxal de l’exagération des artifices de mise en scène.
Au service exclusif du registre burlesque du film, ce rafistolage d’objets kitsch donne des Gitans l’image d’un peuple sans âge qui a réussi à traverser les vicissitudes d’une longue histoire et su saisir au passage quelques éléments de modernité comme le suggère la métaphore du Danube. Le fleuve est avec le chemin de fer reliant Belgrade à la Turquie la seule ligne de partage entre l’espace isolé de la fiction et son hors champ lointain où s’écoule le temps des peuples tourmentés des Balkans. À l’opposé de cette temporalité, le temps des Gitans est celui, annoncé par le titre, contradictoire, comique et dérisoire, symbolisé par l’image récurrente du cochon dévorant (recyclant) une Trabant. Un temps communautaire non pas statique mais fondé sur la répétition des gestes traditionnels en opposition avec le souci d’efficacité du monde moderne. .
Le décor fait de bric et de broc semble souvent en équilibre précaire et fait craindre l’imminence d’un effondrement général. Le pied de Zare passe à travers les planches du ponton, un plafond humide accouche du corps de Matko, l’engin de Grga est éjecté du camion qui le transporte, Coccinelle disparaît par une trappe, Dadan choit dans une fosse d’aisance, et c’est toute la question de l’étanchéité de l’espace qui est soulevée. Parce qu’ici, outre le Danube et la voie ferrée qui bordent l’espace, toutes les frontières volent en éclats. Chaque plan laisse pénétrer dans son cadre une somme d’éléments composites et encombrants (sans réelle incidence sur l’intrigue d’ailleurs). .
Le rythme d’un film est autant affaire de montage que de mise en scène. C’est-à-dire que la durée de chaque plan est aussi déterminante que la circulation des acteurs et objets dans le champ. Burlesque oblige ici, les personnages cyclothymiques comme échappés d’une pièce de Molière se donnent des coups, s’agitent et se jouent des tours pendables au rythme de la musique endiablée. Pour accentuer le dynamisme de l’image, Kusturica multiplie à l’envi les objets en mouvement (manège, ventilateur, barrière), les animaux (oies, chats, cheval) et les moyens de transport (engin de Grga, embarcations, voiture, scooter). Le débit de paroles des acteurs, un ton au-dessus de la normale selon la méthode éprouvée par Frank Capra, achève de composer le rythme alerte et crescendo du film. D’autre part, cette fébrilité de la mise en scène est rehaussée par un découpage alternant actions nerveuses et scènes calmes comme durant la séquence du premier mariage où la tranquille errance du camion des Pitic casse le rythme de la poursuite pour mieux le relancer ensuite. .
Outre sa valeur plastique, le point de vue au cinéma est une affaire morale, idéologique et politique. Aussi la “faune humaine” de Chat noir, chat blanc (belle galerie de trognes comme autre signe de perte d’humanité) fait-elle l’objet de cadrages insolites soulignant l’enjeu parodique et le regard porté sur l’action. Les deux plans aux jumelles en ouverture et en fermeture du film sont à ce propos particulièrement signifiants. Zare admire au début ce que son père, définitivement floué, regarde partir avec impuissance à la fin. Entre ces deux plans-écho, Zare a reçu un discret apprentissage lui permettant d’embarquer sur le Danube. De simple spectateur, il est devenu acteur de sa vie en se projetant au fond de l’écran et, bientôt, dans l’espace imaginaire du hors-champ. Entre ces deux plans, le metteur en scène a fait circuler un regard qui, sans “focaliser” sur le jeune Zare, le rend dépositaire in fine de ses propres espoirs. Un regard toujours à bonne distance (symbolisé ici par les jumelles) dont la variété des angles et des cadres dénote la confusion d’un monde délicat à appréhender et à jauger. (Philippe Leclercq)
Une farce de dingues
“Ce retour joyeux à un cinéma sans doute moins ambitieux qu’Underground, mais beaucoup plus joyeux, comme en écho, mais en mineur, au très beau Temps des Gitans, Chat noir, chat blanc, que son auteur dit avoir été inspiré par les contes d’Isaac Babel, est une farce délirante, un hénaurme ballet de doux ou violents dingues qui passent leur temps à rire, à pleurer, à chanter, à tuer ou à aimer au son, bien sûr, de la musique gitane, à laquelle on ne peut résister.” Annie Coppermann, Les Échos, 1er octobre 1998.
Le refus de l’image d’Epinal
“Chat noir, chat blanc repose sur une véritable utopie, celle d’une communauté divisée, menacée d’éparpillement, qui, après maints efforts, réussit toujours à préserver sa cohésion. L’histoire en est simple, elle montre des gens qui se cherchent, ne se trouvent pas puis se retrouvent. Tous sont exubérants mais sans aucun folklore, car Kusturica efface finement les repères qui pourraient permettre de réduire ses personnages à des images d’Epinal. Kusturica est l’un des derniers cinéastes à fonder le ressort de son cinéma sur le gag. Sauf que le gag vise en permanence à atteindre la poésie, – comme il le dit dans le dossier de presse du film – à “cet instant intermédiaire dans l’action, celui où il va se passer quelque chose, mais qui n’est pas encore arrivé”. Samuel Blumenfeld, Le Monde, 1er octobre 1998
Le film de la maturité
“Cette manière distanciée de flirter avec le surnaturel, le souci aussi de désamorcer dans la farce les flambées de violence (la grenade lancée sur les invités de la noce) amènent le cinéaste à renoncer à ses habituelles envolées oniriques. Il en retrouve néanmoins le charme et la poésie dans l’intermède bucolique du champ de tournesols. Simplement, les amants de cette tonitruante comédie humaine gorgée de soleil et de tendresse, dont le happy end ne fait aucun doute, n’ont pas besoin de se réfugier dans le rêve pour goûter aux plaisirs charnels et communier avec la nature. Kusturica, qui a su se débarrasser de ses vieux démons en préservant à son cinéma tout son éclat, signe sans doute ici son premier film de la maturité.” Philippe Rouyer, Positif, octobre 1998
Entre Shakespeare et Tex Avery
“À la limite de l’exaspération, on craint parfois que Chat noir, chat blanc ne vire au drame et au monstrueux, et il manque souvent de peu se s’y laisser entraîner par le tourbillon des blagues lourdingues et du plus mauvais goût qu’il a lui-même créé. Mais après tout, pour citer de grands exemples, on trouve ce même mauvais goût chez Shakespeare et Tex Avery, et le scénario, très costaud (tout est annoncé et préparé à coup de serpe), joue toujours, au moment où il le faut et de façon salutaire, un rôle de garde-fou pour la mise en scène, ramène le film sur le droit chemin, le long des rails rigides du récit, le sauve de sa perte, le calme aussi.” Jean-Baptiste Morain, Les Inrockuptibles, 30 septembre 1998
Pistes de travail
Chat noir, chat blanc est un mélange explosif de références cinématographiques que l’on identifiera et que l’on analysera après un travail préliminaire sous forme de questionnaire (par petits groupes) permettant leur repérage. Repérage des caractéristiques des personnages et de leurs référents, de l’omniprésence et de la variété des animaux, de la géographie des lieux et de la composition des décors, de la diversité confuse des indices temporels. Repérage de la structure séquentielle en fonction des brusques changements de rythme, de ton et d’univers (souligner l’alternance jour/nuit). Repérage des principes de mise en scène permettant d’inscrire une séquence dans un registre particulier afin d’esquisser la définition du genre narratif auquel elle emprunte. Repérage enfin (à l’intuition si le bagage culturel fait défaut) des allusions cinématographiques internes à la mise en scène ou véhiculées par les personnages eux-mêmes : la distillerie clandestine (le film noir des années 30), la diva monstrueuse (Fellini), l’engin à gadgets de Grga (James Bond), Grga lui-même (le « parrain » de Coppola), l’assassinat du douanier par les sbires de Dadan (western-spaghetti et/ou l’atmosphère poisseuse de La soif du mal de Welles), Dadan (les gangsters mafieux de Scorsese/le « truand » du Bon, la brute et le truand), les petits-fils de Grga (Laurel et Hardy), etc. Autant de clins d’œil aux cinématographies européennes et hollywoodiennes auxquelles on adjoindra le cinéma russe (Dovjenko, Paradjanov).
Faire raconter le film aux élèves révélera l’écueil d’une histoire sans intrigue fédératrice. Expliquer en quoi la narration s’inscrit en rupture des règles de la dramaturgie classique. Démontrer comment ce patchwork de genres narratifs ou balkanisation du récit trouve sa cohérence (à la fois grâce à la constance du registre comique et à la présence des scènes-écho). – Analyser la structure dramaturgique. Montrer que le film progresse par à-coups (juxtaposition de scènes de genre), procédé du collage qui facilite l’intrusion des genres. Commenter ces variations de registres et montrer combien il participe du rythme cyclothymique du film. – Etudier un des genres narratifs du film tel que le conte de fée. Insister sur le rôle du bestiaire et du décor (la souche comme élément actif du merveilleux). Mettre en évidence les schémas narratif et actanciel en croisant le destin des deux couples (Grga Veliki/Coccinelle et Zare/Ida), étant donné que les personnages, en retrait de l’action, présentent quelques lacunes propres au genre. Dire que cette minceur d’existence à l’écran ajoutée à la légèreté de la romance Zare/Ida, simple outil du projet burlesque, pose le problème du statut du personnage. Réfléchir, par conséquent, à la notion de personnage au sein d’une fiction.
Relever tout ce qui appartient au genre : caractérisation (spatiale) des personnages, décors composites avec toit percé et plafond qui s’effondre, comportement absurde (le poteau téléphonique arrosé pour une meilleure communication), situations improbables (les prétendus morts au grenier), chutes et poursuites « commentées » par une musique festive. Outre l’effet-cascade des gags de la première séquence que l’on analysera afin de mettre en évidence son fonctionnement et ses effets visuels, dire que le rythme de l’action évoque précisément les scènes du cinéma burlesque tournées en accéléré. Genre qui a fait florès : voir les Marx Brothers, Jacques Tati, Jerry Lewis, Louis de Funès, les Monty Python…
Le film emprunte au domaine des arts du spectacle comme le cirque, la farce, la pantomime et le music-hall dont on relèvera les indices. Concernant le music-hall, outre la bien nommée « Obélisque noir » (la paronymie avec Obélix nous fait dire que le menhir n’est pas loin), remarquer que nombre de protagonistes sont en constante représentation. Analyser le personnage de Dadan : se demander en quoi ce personnage hâbleur avec ses attributs clinquants s’inscrit dans une dénonciation de notre société du spectacle et du paraître. Au-delà, réfléchir à la notion de représentation cinématographique comme illusion de la réalité et, a fortiori, au mode de représentation du cinéma contemporain.
Fiche mise à jour le 15 septembre 200
Fiche réalisée par Philippe Leclercq
Expériences
Officiellement reconnu par le Conseil de l’Europe pour désigner les minorités tsiganes d’Europe centrale et orientale, le mot “Rom” est préféré depuis 1971 par les intéressés eux-mêmes. Estimés à 8-9 millions en Europe, les Roms (“hommes” en romani) comprennent encore les Manouches regroupés en Italie et en Allemagne dont le dialecte (sinto) et la culture sont nourris d’influences germaniques et d’apports latins plus récents ainsi que les Gitans, installés dans la péninsule ibérique depuis la fin du XVe siècle et dans le sud de la France (notamment aux Saintes-Maries de la mer où vit une communauté d’une dizaine de milliers d’âmes). Leur nombre s’élèverait à 12 millions pour l’ensemble du monde.
Une première migration s’établit en Grèce et en Europe orientale vers la fin du XIIIe siècle et se répand ensuite jusqu’à la fin du XIVe en Europe occidentale (France, Allemagne, Espagne). Au XIXe siècle, une nouvelle vague migratoire s’étend de la Roumanie vers les Balkans, le nord, le centre et l’est de l’Europe puis le continent américain. Mouvements et regroupements qui engendrent une nouvelle peur du “Bohémien”. La persécution vire à l’ostracisme quand est créé en France (1912) un carnet anthropométrique fichant les Roms comme “nomades” et obligeant le chef de famille à se présenter aux autorités au moindre déplacement. Infamie qui devient génocide en Allemagne avec les lois de contrôle de la “plaie tsigane” (1926), de stérilisation eugénique (1933) et d’interdiction des mariages mixtes (1934-1935), lois qui conduisent à la création de l’Institut de biologie raciale et aux premiers internements à Dachau en 1936. Le processus d’extermination s’étend ensuite aux pays alliés des nazis. Les stérilisations et les déportations vers les camps de la mort s’intensifient en 1939 tant et si bien qu’on estime actuellement à environ 500 000 sur les 700 000 que comptait la communauté le nombre de Roms qui périrent au cours du génocide hithlérien. Génocide auquel participa la France de Vichy en plaçant les “Tsiganes”, dès octobre 1940, dans des camps d’internement, et ce, jusqu’en 1946 !
Si, de nos jours, les Roms continuent de susciter la méfiance des populations, un certain effort pour l’intégration est toutefois entrepris par les pouvoirs publics. De fait, les Roms s’orientent de plus en plus vers les pays riches dans le but de se sédentariser en paix. Mais, là encore, méfiance de la part des Roms intégrés qui voient dans ce nouveau flux une menace pour leur stabilité. Pour faire face à cette situation, un pays comme l’Allemagne a entrepris de renvoyer régulièrement un certain nombre de Roms dans leur pays d’origine en octroyant des subventions à ces mêmes pays…
Le syncrétisme religieux des Roms est le résultat des persécutions et de leurs conditions de vie difficiles. Très souvent, ils ont fini par adopter la religion en vigueur dans les pays d’accueil soit par mimétisme, soit par instinct de conservation. À cette religion (mélange de catholicisme, d’islamisme et de judaïsme comme en témoigne la superposition de médailles religieuses sur le torse de Grga) s’ajoutent la crainte des revenants, quelques pratiques magiques et une croyance superstitieuse en une justice de la chance.
Les Roms qu’une gêne pudique pousse à appeler “gens du voyage” – périphrase aujourd’hui fausse puisqu’ils sont sédentarisés à plus de 95 % – se constituent de plus en plus souvent en association (dès 1960 à l’Ouest et en 1990 à l’Est). La plus importante est l’U.R.I. (l’Union Romani Internationale) dont les différents congrès s’attachent depuis 1971 à définir et à renforcer l’identité rom. Elle a notamment contribué à l’élaboration d’un hymne (Gelem, gelem) et d’un drapeau (une roue rouge avec un chakra à seize branches pour les origines indiennes sur fond vert et bleu). L’U.R.I. reconnaît l’égale valeur des dialectes roms tout en souhaitant le développement d’une langue commune (choix d’un alphabet unique). Rejetant toute revendication territoriale, l’association souligne l’aspect ethno-culturel, insiste sur le rôle actif des Roms dans la société et revient depuis 1990 sur la question des réparations pour les préjudices subis pendant la guerre. Les organismes internationaux comme l’O.N.U. reconnaissent désormais les difficultés de vie des Roms et appellent au respect et à la reconnaissance de leur culture par tous les Etats. L’U.E. et l’U.N.E.S.C.O. développent des programmes garantissant l’éducation des Roms.
Outils
Bibliographie
Le Petit livre d'Emir Kusturica, Jean-Marc Bouineau, Éd. Spartorange, 1993.
Il était une fois... Underground , Emir Kusturica et Serge Grunberg, Éd. Cahiers du cinéma/Ciby 2000, 1995.
Le roi du rire, Mack Sennett, Éd. Seuil, coll. Point-virgule, 1994.
Le Burlesque ou morale de la tarte à la crème, Petr Král, Éd. Stock, coll. Cinéma, 1984.
Musiques tsiganes et flamenco, Bernard Leblon, Éd. L'harmattan, 1990.
Latcho Drom, Marie Costa, Dossier "Collège au cinéma", éd. Films de l’Estran/CNC, 2003.
La musique de cinéma, Gilles Mouëllic, Éd. Cahiers du cinéma, Coll. Les petits cahiers, 2003.
La musique au cinéma, Michel Chion, Éd. Fayard, 1995.
Récits d'Odessa et autres récits, Isaac Babel, Éd. Actes sud, coll. Babel, 1996.
Vidéographie
Le Temps des Gitans, Emir Kusturica
Papa est en voyage d'affaires, Emir Kusturica
Underground, Emir Kusturica
Arizona dream, Emir Kusturica
J'ai même rencontré des Tsiganes heureux, Alexandre Petrovic, 1967, Yougoslavie
L'Ange gardien, Goran Paskaljevic, 1967, Yougoslavie
Les Princes, Tony Gatlif, 1982, France
Latcho drom, Tony Gatlif, 1993, France
Gadjo dilo, Tony Gatlif, 1998, France
Vengo, Tony Gatlif, 2000, France
Swing, Tony Gatlif, 2002, France
Les Diables, les diables, Dorota Kedzierzawska, 1991, Pologne
Alma Gitana, Chus Gutiérez, 1996, Espagne
Discographie
Le Temps des Gitans, Arizona dream, Underground (Mercury)
Chat noir, chat blanc (Polygram/Barclay)
Oeuvres de Goran Bregovic (auteur de la B.O. d'Underground) et de Zoran
Simjanovic (auteur de la B.O. de Papa est en voyage d'affaires)
Pour plus de renseignements sur les Roms et leur culture, consulter la revue Etudes tsiganes ou le site :
www.etudestsiganes.asso.fr