Synopsis
Joe Wilson aimerait épouser Katherine, mais ils manquent d’argent, et elle doit aller travailler à Capitol City, une ville de l’Ouest. Un an plus tard, il a réussi à monter avec ses frères une station-service assez prospère. En chemin pour rejoindre Katherine, qu’il n’a pas revue depuis son départ, il est arrêté dans une bourgade par la police : il pourrait être l’auteur du kidnapping d’une jeune fille, car plusieurs indices sont relevés à sa charge. Malgré ses dénégations, il est emprisonné alors que la tension monte dans la petite localité, où la nouvelle s’est répandue que le coupable a été arrêté. Le shérif, qui ne veut rien affirmer de la culpabilité de Joe, ne peut contenir la propagation des calomnies ni l’assaut furieux d’une foule, conduite par de nombreux meneurs, qui réclament le coupable pour le lyncher. Le gouverneur, pour des raisons électorales, n’a finalement pas demandé l’intervention de la garde nationale. La meute hurlante enfonce la porte de la prison et incendie le bâtiment. Joe, affolé, apparaît à la fenêtre de la prison en flammes ; Katherine, qui est accourue, s’évanouit à la vue de son fiancé dans les flammes. Aux grands titres dans les journaux du lendemain succède l’arrestation de ceux qui ont incendié la prison, qui sont accusés d’avoir tué Joe.
En réalité, à l’insu de ses tortionnaires, Joe Wilson a échappé aux flammes. Avec la complicité de ses deux frères, il entreprend de se venger sans aucune pitié. Il refuse que l’on prévienne Katherine de sa survie, car il pense qu’elle pourrait gêner son plan. Au cours du procès des 22 lyncheurs, alors que personne dans la ville ne veut donner le moindre témoignage sur leur culpabilité, Joe lance de l’ombre quelques indices qui les accusent implacablement. La plus grande preuve trouvée par le procureur sera néanmoins une bande d’actualités qui démasque sans contestation les accusés. Parmi les indices de Joe, une faute lexicale révèle à Katherine qu’il est vivant. Toutefois, au moment du verdict, Joe, reconnu par Katherine qui le ramène à la raison, se présente devant le juge et renonce à sa vengeance, même s’il déclare avoir perdu toute illusion sur le genre humain et sur son pays. Le film s’achève par un baiser du couple retrouvé.
Distribution
Joe Wilson
Spencer Tracy incarne avec un très grand réalisme ce rôle d’Américain moyen qui traverse des situations opposées et accomplit ainsi un parcours symbolique : celui de l’homme qui perdra ses illusions, de l’homme désabusé. Le profil du personnage s’inscrit bien, au début du film, dans la typologie américaine. Il est attaché à certaines valeurs : l’honnêteté, qu’il défend pour l’exemple de son jeune frère ; l’amour loyal partagé avec Katherine, fait de tendresse, de passion, d’absolu dans l’engagement. Américaine aussi est sa volonté déterminée de s’en sortir, d’arriver, avec ses propres forces et son travail, à une situation lui permettant d’épouser celle qu’il aime. Accusé du kidnapping, il invoque l’image de cet Américain tranquille et honnête ; devant la montée terrible de l’émeute aux portes de la prison, Joe fait appel au témoignage de Katherine : “ elle vous dira qui je suis ! ”. “ C’est impossible, il n’a jamais fait de mal à une mouche ” dira-t-elle dans le bar où elle l’attendait en vain.
Mais le personnage s’inscrit surtout dans une double caractérisation d’une violente opposition. A partir du moment où il censé mourir, brûlé dans les flammes d’une injuste punition, le personnage subit une véritable métamorphose au point que l’on a quelque mal à reconnaître en lui l’Américain moyen du début. Il renaît de ses cendres, tel le phénix, mais la noirceur des fumées a atteint son âme, et il n’abdiquera qu’à la fin sa volonté obsessionnelle de vengeance. Mais avant qu’il ne se résigne, quelle cruauté dans ce personnage ! ainsi, quand Katherine, venue le débusquer chez lui, le supplie de revenir à de bons sentiments, il lui jette : il ne manque que les violons !. La jeune femme lui renvoie ce reflet d’homme qui n’a échappé à la mort que pour sombrer dans une autre mort, celle du cœur : je pense à toi, au chic type que tu étais avant, quand tu étais vivant. Que penser de l’ultime volte-face ? Joe est-il soudain confronté à sa conscience sociale, comme on peut le penser ? Lang est moins optimiste sur la nature humaine : c’est une explication trop simple que de dire que la conscience sociale forcerait quelqu’un à faire quelque chose. On agit à cause d’émotions, d’émotions personnelles. Les derniers propos de Joe l’illustrent bien, il est revenu de toute illusion sur la loi de son pays : la loi ignore un tas de faits qui sont très importants pour moi, … faits stupides, par exemple, que de croire en la Justice…, et en l’idée que les hommes sont civilisés, ou à ce sentiment de fierté parce que ce pays, le mien, était différent de tous les autres… Il ne justifie sa décision que par des arguments personnels : pour continuer à vivre, il fallait que je vienne ici aujourd’hui…
Katherine Grant
Au début du film, ce personnage s’inscrit dans la typologie des jeunes filles amoureuses, vertueuses, fidèles et simples. Deux désirs déterminent ses actions : réussir sa vie professionnelle (enseigner), ce qui lui fera chercher un travail au loin, mais, surtout, accomplir sa vie conjugale avec Joe Wilson. Ces deux vœux vont de pair : travailler permettra à Joe de réaliser également un parcours professionnel suffisant pour parvenir, “économiquement”, à construire un couple (image de la chambre à coucher). Katherine scénarise son existence dans ce but. Certains aspects maternels affleurent également, comme la correction bienveillante de la faute : “memento” et non “mementum”, ou encore l’insistance à recoudre la poche déchirée de l’imperméable. Elle met véritablement en scène la réception projetée de son fiancé. Comme tout son projet de vie s’organise ainsi, tout s’écroule à la mort vécue en direct de Joe. Son évanouissement annonce d’autres états quasi-cataleptiques. Et il faudra un réveil déchirant pour qu’elle reconstruise un autre personnage : celui de la femme déterminée, mais aussi lucide, qui percevra d’ailleurs avant les autres la (terrible) vérité. Enfin le personnage s’enrichit d’une dernière dimension : elle permet à Joe de se libérer de sa fureur vengeresse et de retrouver, non une réinsertion au sein de la société, puisqu’il ne retrouvera jamais la paix avec ses semblables, mais une survie possible dans le couple. Durant les scènes de la fin, elle présente avec beaucoup d’émotion le caractère de sensibilité que lui confère la comédienne Sylvia Sidney. Âgée de 26 ans lors du tournage, elle a déjà une longue carrière derrière elle et est l’une des stars de la Paramount depuis quelques années. La même année que Fury, elle incarne le personnage principal de Agent secret, d’Hitchcock. Elle retrouvera Lang dans ses deux films suivants : J’ai le droit de vivre et Casier judiciaire.
Le shérif
Le shérif Hummel incarne dès sa première apparition l’ordre public et le respect de la loi. Jusqu’à l’incendie de la prison, il défend farouchement les valeurs fondamentales de la justice, en cherchant d’abord tous les indices de la culpabilité de Joe Wilson, puis, dès qu’il comprend qu’il n’y a aucune certitude, en défendant le présumé innocent contre la vindicte populaire. Il n’hésite donc pas à affronter la foule, droit sur les marches de la prison, puis, agressé par un jet de tomate, il ordonnera le repli dans le bâtiment où il luttera jusqu’à être assommé. C’est pourtant un autre homme qui témoigne à la barre de la Cour : il refuse de reconnaître quiconque, ni parmi ceux qui ont brûlé la prison, ni même parmi les émeutiers. Ils ne devaient pas être de la ville, répond-il lâchement.
Le personnage suit ainsi la défaite de la Loi ; son attitude irréprochable lors des événements ne résiste pas à l’effondrement des valeurs démocratiques. Le personnage, qui était humainement incarné dans la première partie du récit, devient emblématique de cet abandon et perd tout crédit, comme on le dirait de l’institution. Sa caractérisation finale est au service du discours langien, et l’homme droit et honnête a été dévoré par la machine mise en marche par la “mob rule”. Edward Ellis, comédien de second plan, incarne ce personnage secondaire intéressant.
Kirbie Dawson
Incarné par Bruce Cabot, Dawson représente un type conventionnel du cinéma hollywoodien : le malfrat en costard, l’homme malhonnête qui profite de la naïveté des gens pour imposer sa prestance, sa jactance, pour son seul profit. Il rassemble dans ce film les traits les plus vils : mensonge, incitation à la haine et à la violence, sans-gêne, irrespect total du droit et de ses représentants. L’influence qu’il a sur les autres s’inscrit dans le pessimisme profond de Lang sur la nature humaine et la propension des masses à suivre aveuglément des individus aussi peu recommandables.
La très longue carrière de Bruce Cabot, acteur d’origine française, conjugue aussi bien des rôles sympathiques de héros courageux que des rôles de méchant. Il est bien connu pour avoir joué le héros masculin positif (John Driscoll) dans le King-Kong de Cooper et Schoedsack.
Générique
Titre original : Fury
Réalisation : Fritz Lang
Scénario : Fritz Lang et Bartlett Cormack, d’après une histoire de Milton Krasna
Image : Joseph Ruttenberg
Montage : Frank Sullivan
Directeur artistique : Cedric Gibbons
Assistant-réalisateur : Horace Hough
Son : Douglas Shearer
Musique : Franz Waxman
Costumes : Dolly Tree
Producteur : Joseph Mankiewicz. M.G.M
Distribution : M.G.M.
Film : Noir et blanc
Format : 1 x 1,33
Durée : 1 h 34
Interprétation
Jœ Wilson / Spencer Tracy
Katherine Grant / Sylvia Sidney
Kirby Dawson / Bruce Cabot
Le shériff / Edward Ellis
Bugs Meyers / Walter Brennan
Le district attorney / Walter Abel
Tom / George Walcott
Charlie / Frank Albertson
Durkin / Arthur Stone
Fred Garrett / Morgan Wallace
Milton Jackson / George Chandler
Autour du film
Joe Wilson metteur en scène
Initialement, le scénario faisait de l’avocat de Joe le personnage principal, d’abord victime du lynchage, puis très crédible instigateur de la mise en scène qui doit confondre les lyncheurs. Cet avocat, par sa prestance, sa culture, son intelligence du prétoire, se posait comme un héros démiurge en même qu’il se situait dans la lignée des héros de Lang. Le cinéaste explique : Je pensais qu’un avocat serait plus à même d’exprimer ses sentiments et ses pensées qu’un ouvrier. C’est le producteur qui refuse ce choix. Lang précise : Il m’a expliqué que, dans un film américain, le héros devait être Joe Doe, l’Américain moyen. Et j’ai pensé que c’était la marque d’un système démocratique […] Le héros allemand était toujours un surhomme […] Dans un état totalitaire, ou dans un état gouverné par un dictateur, un empereur ou un roi, le leader est, en soi, un surhomme ; il ne peut pas se tromper – en tout cas, en ce temps-là, c’était impossible. Donc, là-bas, le héros devait être un surhomme, alors qu’en démocratie, il devait être Joe Doe. C’est ici que j’ai appris cela, et je crois que c’est absolument juste. (in Fritz Lang en Amérique, entretien avec Peter Bogdanovitch, 1965).
Joe Wilson ressuscité annonce son plan à ses frères, mais il le justifie surtout par un long regard à la caméra (voir analyse suivante), par lequel il indique directement au spectateur ses intentions.
La véritable mise en scène que Joe va développer se fait à distance, notamment par le truchement de la radio. Lors d’un discours important du district attorney, on voit différents auditeurs (des employés, une femme dans sa chambre), tandis que Wilson suit d’une oreille attentive les résultats du processus qu’il a mis en œuvre.
Le démiurge que Joe Wilson campe ira jusqu’à bouleverser l’ordre établi du tribunal, puisque le juge quittera sa place pour aller témoigner, à la barre, sur une lettre et la bague qu’il a reçues. Mais Joe Wilson démiurge est en proie à une obsession de la vengeance, c’est-à-dire à une pathologie mortifère, qui justifie toute le mise en scène, mais désincarne le personnage de la première partie. Il faudra toute l’influence de Katherine pour rendre à Wilson des éléments d’humanité. Encore devra-t-il passer par des moments terribles (scènes dans la rue, dans un bar), où il sera mis en face de la vacuité que sa mise en scène a donnée à sa vie. La rue est déserte, uniquement peuplée des fantômes des lyncheurs, le bar est vide ; le calendrier lui-même a fait disparaître une journée entière (une page collée), pour mieux faire apparaître le fatidique chiffre “22”.
Le démiurge devra donc révéler sa mise en scène dans la séquence finale, pour mieux recréer, à plus ou moins long terme, le personnage sensible qu’il était : Peut-être qu’un jour, quand j’aurai payé pour ce que j’ai fait, il y aura une chance de recommencer.
Face au spectateur : Nous sommes tous des assassins
Lorsque Joe “ressuscité” se présente devant ses frères, il apparaît d’abord de face, dans l’embrasure de la porte. Puis ses frères, de dos, l’encadrent, ce qui présente Joe face au spectateur, dans un double soulignement de l’homme qui vient de loin et pénètre, par des seuils marqués, dans le monde des vivants. En quelques plans, Joe raconte sa journée au cinéma, la façon dont il a pu s’échapper de la prison en flammes. Puis il prend à témoin ses frères, leur enjoignant d’oublier tous les conseils d’honnêteté qu’il avait prodigués auparavant. Enfin, après leur avoir dit : j’ai été brûlé à mort par une horde d’animaux ! , il se tourne vers le spectateur. Il est en gros plan, et restera ainsi en regard caméra pendant 30 secondes, avant de se tourner à nouveau vers ses frères.
Que dit-il dans ce face-à-face avec le spectateur ? Je suis légalement mort et ils sont légalement des meurtriers. Si je suis vivant, ce n’est plus de leur faute. Mais je les connais. J’en connais des tas. Et ils seront pendus pour ça, selon la loi qui dit : “ si on tue quelqu’un, on doit être tué soi-même ”. Mais je vais leur donner une chance qu’ils ne m’ont même pas donnée. Ils auront droit à un procès légal, dans un tribunal légal… et un juge légal ; une sentence légale et une mort légale.
C’est lorsqu’il enchaîne avec Mais je ne peux pas m’en occuper moi-même qu’il se détourne de la caméra pour regarder ses frères. Les regards à la caméra – au spectateur, aussi marqués, sont exceptionnels dans le cinéma classique. La plupart du temps, ils s’adressent à quelqu’un ou à un groupe auquel se substitue la caméra, dans une dimension subjective. C’est le cas lorsque le shérif se place devant la porte de la prison, face à la foule qui s’avance. La caméra opère un long travelling avant, comme si le spectateur se mettait à la place de la foule. D’autres plans du même type, s’apparentant alors à un champ contrechamp à 180°, apparaissent dans le film.
Mais ce qui est exceptionnel dans le plan qui nous intéresse, c’est que la caméra ne peut être à la place de personne, qu’elle est ainsi une autre instance dans le dispositif d’énonciation, et que le spectateur se trouve ainsi brutalement immergé dans la diégèse. Pourquoi ? parce que Joe Wilson, miraculeusement échappé d’un abominable lynchage, s’adresse au public, à la foule, et que nous sommes assimilés à cette populace. Fritz Lang montre ici son pessimisme le plus profond sur la nature humaine. “Nous” sommes cette foule qui doit être condamnée, comme “nous” sommes ces peuples qui ont accompagné des dictateurs vers les forfaits les plus horribles.
Symbolique au cinéma, ou les traces du passé
Lang, dans ses œuvres allemandes, aimait utiliser les symboles. C’est donc naturellement qu’il en place dans Fury. Aux plans montrant les femmes qui propagent la rumeur par leurs cancans, succède le fondu enchaîné sur des poules qui caquètent. Lang raconte que le producteur jugeait ce plan inutile, et il lui donne raison : on comprend parfaitement que ces femmes jacassent et montrer les poules est superfétatoire. Pourtant, dans M. le maudit, le plan qui montre le ballon de baudruche dans les fils électriques ne souffre aucune contestation dans sa représentation d’une vie qui s’en va. Citons Jacques Gerstenkorn (in La métaphore au cinéma, Méridiens Klingsieck, 1995) : Commentaire ironique sur le commérage, le montage métaphorique de Fury présente le double inconvénient, au regard des normes hollywoodiennes, de retarder l’action et de manifester ostensiblement le jugement du narrateur. Plus généralement, il est certain que les normes du cinéma classique américain ne favorisaient guère le recours aux métaphores extradiégétiques.
Alors que la symbolique des volailles est illustrative, celle du fil bleu dont se sert Katherine pour coudre la poche de Joe sert de moteur à l’action, puisqu’il permettra à la fiancée, en quelque sorte, de remonter la piste et de découvrir que Joe est toujours vivant.
Pistes de travail
- Analyse de l’incipit (scènes d’ouverture)
Petits indices pour grandes conséquences : repérer les indices qui apparaissent au début du récit, jusqu’au départ en train de Katherine, et qui trouveront par la suite un sort narratif important (la chambre à coucher, les peanuts, la confusion entre mementum et memento, la déchirure de l’imperméable, la bague, etc.). N’y a-t-il pas, parmi ces indices, des signes de fragilité, de difficultés possibles dans l’avenir du couple ? La météo est-elle favorable ? La pluie commence à tomber juste après le petit couplet des peanuts, décliné par Katherine, acquise par amour aux cacahuètes : Je t’aime, tu aimes les cacahuètes, alors j’aime les cacahuètes. Que penser du gros plan sur les roues de la locomotive, qui succède au baiser des fiancés ? - Innocent et coupable
La victime de la barbarie choisit à son tour de devenir bourreau : le faux coupable crée pour se venger les conditions qui le rendront réellement coupable. Rappelons ce que dit le barbier : Croiriez-vous que, depuis vingt que je manie ce rasoir sur des tas de gorges, ici même…, souvent, j’ai eu comme une envie de couper leur pomme d’Adam.[…] Une impulsion est une impulsion. C’est comme une démangeaison qu’on ne peut pas s’empêcher de gratter.<
Dans un exposé liminaire, l’avocat de la défense ne renverse-t-il pas complètement les données, en mettant en cause l’État, qui pour se couvrir de sa propre négligence criminelle de n’avoir pas su protéger cet homme innocent, tente, sauvagement, de prendre comme boucs émissaires ces 22 âmes égarées.
Tous coupables ? tous innocents ? - John Doe
Qu’est-ce qu’un John Doe ? Ce patronyme apparaît une fois dans les dialogues du film, lorsque le sénateur Vickery tente de dissuader le district attorney de poursuivre les lyncheurs : vous ne pouvez pas juger une pleine ville de John Doe rien que pour vous assurer le ciel par ce coup d’éclat ! – Ce n’est pas John Doe qui va être jugé, répond le district attorney, mais 22 citoyens de Strand, qui, je peux le prouver, sont coupables !.
Par ailleurs, lorsque Fritz Lang et son scénariste proposèrent un avocat comme héros du film, la production les contraignit à camper un John Doe, un personnage ordinaire.
Chercher sur le web les innombrables titres de séries ou noms de personnages ainsi appelés. En quoi Spencer Tracy incarne-t-il vraiment un John Doe ? Justifier ce choix, assumé complètement par Fritz Lang, par rapport à la société américaine. Est-ce que le désir d’identification du spectateur au héros est typiquement américain ? - Le montage alterné
Définition : procédé narratif qui fait se suivre au montage deux séquences montrant alternativement des faits simultanés. Repérer, dans la première partie, les séquences qui alternent suivant ce dispositif. Comparer cette construction avec celle qui prévaut lors du procès. - Avec ou sans musique
Un des caractères principaux de la musique de Franz Waxman est la recherche d’une parfaite fusion entre les éléments narratifs et l’émotion qu’on veut suggérer. C’est le propre du cinéma classique hollywoodien. Cependant, dans ce film, la musique se fait très discrète. Repérer son rôle dans la scène d’ouverture (clin d’œil à la marche nuptiale de Mendelsohnn). La grande majorité des scènes dialoguées sont dépourvues du support émotionnel de la musique. Quel effet cela produit-il, notamment sur la fin de l’émeute, la scène de l’incendie ? Aurait-on pu adjoindre un fonds musical sur les nombreuses séquences de procès ? Analyser la musique à la fin du film : musique diégétique au restaurant, puis dans le bar ; valeur émotionnelle ajoutée quand Joe se croit poursuivi par des fantômes ; enfin, ponctuation musicale conclusive sur le baiser final. - De mementum à memento : souvenez-vous !
C’est dès le début du récit que se situe cette erreur : Joe ne prononce pas convenablement “memento” ; on n’entend d’ailleurs pas bien ce qu’il dit et on pourrait comprendre “momentum”, ce qui désignerait alors, en terme de physique, le moment donné d’un mouvement de translation. Ce mot aurait alors quelque chose à voir avec l’élan, l’impulsion. La suite du récit ne laisse aucun doute : la faute est sur “mementum”. Cette faute est d’ailleurs assez bénigne, puisque le mot est attesté parfois en anglais, avec le même sens que “memento”. Le dictionnaire “The Oxford concise dictionary” indique pour memento : object serving as reminder or warning, or kept as memorial of person or event. En quoi cette définition s’applique-t-elle bien aux emplois dans le film, lorsque Joe offre un flacon de parfum à Katherine, puis lorsqu’il écrit sa lettre anonyme au juge ?
Commenter l’importance de cette faute, ainsi que le choix du mot sur lequel elle porte. Se rappeler que Fritz Lang avait été mis en cause par la justice allemande lors du décès de sa première femme, parce qu’il ne se souvenait pas précisément de certains faits, et que, par la suite, il a tenu un journal où il notait ce qu’il faisait de ses journées. - La Furie des Médias (le cinéma, la radio et la presse)Le cinéma dans le récit
Repérer les différentes incursions du cinéma dans ce récit : personne qui filme, Joe qui raconte une séance de cinéma, projection cinéma lors du procès, etc.
Que penser de ce propos de l’opérateur en train de filmer l’émeute : quelles images, nom d’un chien ! on va casser la baraque ! zut, je n’ai plus de pellicule !
Rapprocher cette présence du cinéma dans le film de la frontalité du spectateur face à l’écran, qui est une des caractéristiques du cinéma de Lang.La radio dans le récit
Noter les différentes occurrences de la radio. Distinguer ce qui appartient à l’émission, et ce qui est le fait de la réception. Commenter le rôle narratif de la radio. En quoi sert-elle toute la mise en scène échafaudée par Joe Wilson ?La presse écrite dans le récit
Repérer les informations transmises par les journaux. Commenter leurs représentations (les “ unes ” ? les grands titres ? les rotatives en action ? etc.). Quelle place est laissée à la presse écrite dans le récit, en regard de celle prise par la radio ou le cinéma ? - De l’Allemagne nazie aux USA en dépression (économique)
La description de l’hystérie collective – extrêmement dérangeante aujourd’hui encore – prend probablement sa source dans le souvenir qu’avait Lang d’autres foules aveugles et exaltées dans le pays qu’il venait à peine de quitter. Chercher dans l’histoire de l’Allemagne (années trente) des événements propres à inspirer Fritz Lang. Les États-Unis ont-ils vu se développer des scènes de foules exaltées pendant les années 20 et années 30 ?Fiche mise à jour le 12 octobre 2004
Fiche réalisée par Jacques Joubert
Expériences
Genèse et tournage du film
Lang raconte comment, en France, en 1934, l’année où il a tourné Liliom, il a vu une foule qui riait d’abord de voir un homme jouer, avec sa canne, à faire du bruit sur une palissade en tôle ondulée, puis, lorsque le même homme se prit à jouer avec une vitrine, jusqu’à la casser, il a vu cette foule provoquer une émeute réprimée par la police. Conclusion de Lang : les masses perdent conscience lorsqu’elles sont rassemblées ; elles se transforment en populace qui n’a plus de conscience individuelle. Ce qui arrive durant une émeute est l’expression d’un sentiment de masse, ce n’est plus le sentiment d’un individu.
Mais l’idée qui a inspiré le scénariste Norman Krasna provient d’un fait divers : une foule avait pénétré dans une prison de Californie et avait lynché deux suspects, accusés de kidnapping, que les habitants de la ville ne voulurent pas identifier ensuite. Le titre de ce premier scénario était Mob Rule (la loi de la populace).
Le tournage voit Lang se confronter aux méthodes hollywoodiennes, avec des horaires de travail à respecter à la lettre. Il doit également se conformer aux desiderata de la production, Joseph Mankiewicz en tête. Plusieurs scènes seront coupées au montage, cette opération échappant, selon le dispositif en vigueur, au réalisateur. Peu de gens, à la M.G.M., croient à la réussite de ce film : un des directeurs de la firme aurait dit à un journaliste : c’est un film nul ! Quand on lui demande qui est le réalisateur, il répond : oh, vous savez, cette ordure de boche, Fritz Lang !. L’avenir cinéphilique de ce film a su ridiculiser les imbéciles de la MGM. À la sortie publique du film, si les spectateurs ne se sont pas rués, la critique a été très bonne.
La face cachée de l’homme
Peu de temps avant le tournage de Fury, Lang avait écrit une version modernisée de Dr Jekyll and Mr Hyde, qu’il avait sous-titrée : “the man behind you”. Les pulsions criminelles cachées sont au cœur de la thématique de Lang, et aussi bien Joe Wilson que les lyncheurs illustrent ce leit motiv du cinéaste.
Par ailleurs, on sait que Spencer Tracy incarnera en 1941 le double protagoniste du Dr Jekyll and Mr Hyde< de Victor Fleming.
Le lynchage
Le district attorney cite, devant la Cour, quelques chiffres éloquents : durant ces dernières 49 années, 4176 êtres humains ont été lynchés par pendaison, brûlures ou autres sévices dans ce fier pays qui est le nôtre…c’est-à-dire un cas de lynchage tous les 4 jours environ.
À l’origine de cette pratique odieuse et pourtant courante, un certain Charles Lynch (d’où l’expression “ loi de Lynch ”), propriétaire de plantations et aussi juge de paix, ce qui lui permettait une justice pour le moins expéditive. Le lynchage est en violation complète de la Constitution (5ème et 6ème amendements) qui accorde à tout citoyen le droit d’être jugé par un jury. Outre Fury, de nombreux films ont traité cette question : L’Intrus (Intruder the dust, Clarence Brown, 1949), Le soleil brille pour tout le monde (The Sun Shines Bright, John Ford, 1953), L’Etrange Incident (The Ox-Bow Incident, William Wellman, 1943), Vers sa destinée (Young Mr Lincoln, John Ford, 1939), Johnny Guitar (Nicholas Ray, 1954), L’Evadée (The Chase, Arthur Ripley, 1946), pour n’en citer que quelques-uns.
Outils
Bibliographie
Furie, Fritz Lang, L’Avant-Scène Cinéma n°78, février 1968. Tout le découpage du film, avec continuité dialoguée, ainsi que description de l’image. Figurent également les parties qui ont été coupées au montage. Outil essentiel pour qui veut travailler avec précision sur ce film.
Furie de Fritz Lang, Jean Douchet, Antoine Thirion (rédacteurs du dossier), Thierry Méranger (rédacteur pédagogique), édité par l’APCVL et le CNC, 2004. Cet excellent dossier accompagne l’opération “Lycéens au cinéma” au niveau national. Outil de travail fondamental, il contient, outre la part très riche de Jean Douchet, des propositions pédagogiques précises et pertinentes.
Dix sept plans, Jean Douchet, in Le cinéma américain, analyse de films, Tome 1, Raymond Bellour, Flammarion, 1981. Jean Douchet analyse longuement, plan par plan, la scène de tribunal dans laquelle le dispositif cinématographique est déployé.
Fritz Lang - la mise en scène, Paolo Bertetto, Bernard Eisenschitz, La Cinémathèque Française, 1998.
Cet ouvrage contient notamment 12 pages signées Vicente Sanchez-Biosca, sur Fury ou comment est né John Doe.
Films
Cinéma, une histoire de plans (Le) de Alain Bergala
Allemagne 1925-1932 : objectifs d'avant la nuit de Noël Burch
M de Fritz Lang de Radha-Rajen Jaganathen,Makiko Suzuki
Fritz Lang, le cercle du destin de Jorge Dana