Homme sans passé (L’)

Finlande (2002)

Genre : Comédie dramatique

Écriture cinématographique : Fiction

Archives LAAC, Lycéens et apprentis au cinéma 2004-2005

Synopsis

Arrivé en train, un homme est violemment agressé par trois malfrats. A l’hôpital, on constate sa mort clinique, mais il ressuscite et va échouer dans une zone portuaire d’Helsinki, terrain vague peuplé de gens misérables. Il est recueilli quelques heures par une famille, puis installé dans un container transformé en logement. Il est surtout amnésique, privé non seulement de tout souvenir passé, mais aussi d’identité. Il rencontre alors, au sein de l’Armée du Salut, Irma ; ils vont tisser ensemble, tout au long du récit, une belle histoire d’amour. Elle l’aidera d’abord à se vêtir correctement, ce qui lui permettra de trouver du travail. Son goût pour le rock le conduit à faire évoluer un petit groupe de musiciens salutistes. Témoin d’un hold-up pour la bonne cause (un homme d’affaires ruiné veut simplement récupérer son argent à la banque), il est un instant soupçonné, et sa photo publiée dans de nombreux journaux permettra de retrouver son origine. Retournant dans son ancien domicile, en quête de son passé, il revoit sa femme, qui lui apprend qu’ils sont divorcés. Il peut donc librement retourner dans le port de la Baltique et retrouver Irma pour un happy end en musique, accompagné par le groupe qui chante les souvenirs du parc de Monrepos.

Distribution

M. : l’homme reconstruit
Il arrive dans le récit sa valise à la main. Il perdra tout, son bagage, ses bottes, son passé, son identité. Cliniquement, il perd même la vie, et, s’il ressuscite miraculeusement, c’est en homme nouveau. Cette renaissance s’opère avec un clin d’œil à la créature de Frankenstein, un autre à l’homme invisible (celui du film de James Whale). À quelques notables différences près : ce n’est pas la science qui engendre la créature, c’est lui-même qui, rageusement, rejette draps et bandelettes et prouve sa volonté de vivre. De plus, son habit de momie révélait l’homme invisible alors qu’il cache M.. Le corps révélé de M. sera massif, dressé dans la droiture, presque rigide. C’est son patrimoine mnésique qui est invisible. Il devra donc repartir de zéro, se trouver des vêtements qui lui redonneront la considération des autres, chercher un gîte, une gagne-pain. Pendant la plus grande partie du récit, il se construit, sans aucun repère par rapport au passé, amnésie oblige. On le découvre ainsi courageux, obstiné, travailleur, attentif aux autres. Surtout, malgré cette réserve propre à bien des personnages de Kaurismäki, il s’ouvre à l’amour. Les marques de sentiment sont toutes en retenue, en respect de l’autre. Il marque le même respect pour la femme avec laquelle il partageait sa vie antérieure. Une des clés du film apparaît dans cette scène : son ex-femme renvoie de lui une image qui n’est plus la sienne. S’étant entièrement reconstruit, il a choisi ses valeurs. Et M., l’homme nouveau, recèle d’incomparables qualités de cœur et d’honnêteté.

Irma : le premier amour de l’ange
Irma est “ soldate ” à l’armée du salut. De cette fonction, elle hérite les qualités de rigueur, d’altruisme. On la découvre servant la soupe populaire et c’est l’occasion du premier échange de regards avec M. Elle participe sans faille aux efforts de renaissance de l’homme sans passé. Son abnégation va jusqu’à rappeler à M. que les liens du mariage sont sacrés et qu’il doit retrouver l’épouse des temps oubliés. Le personnage est servi par Kati Outinen, actrice fétiche d’Aki Kaurismäki, qui joue les premiers rôles de ses films depuis La petite fille aux allumettes jusqu’à Juha, en passant par Au loin s’en vont les nuages. Son jeu, tout de réserve, de rétention de sentiments, participe du style singulier du réalisateur finlandais. Dans L’homme sans passé, le caractère angélique du personnage s’affirme. Mais l’ange, comme dans Les ailes du désir, aspire à une vie terrestre : tout en faisant (re)découvrir l’amour à M., elle connaît elle-même sa première histoire d’amour.

Nieminen : le digne compagnon de misère
Nieminen est un autre laissé pour compte de cette zone portuaire. Il vit d’un petit boulot : garder le tas de charbon pendant la nuit. Ce père de famille tranquille s’adonne à la boisson, comme nombre de personnages dans le cinéma de Kaurismäki, au risque de recevoir une raclée de sa femme en rentrant chez lui. Il confie à M. que son mariage l’a obligé à se tempérer. Il vit, avec ses deux enfants et sa femme, Kaisa, dans un des containers du port. Il espère, du moins sa femme le prétend, obtenir un HLM bientôt. Il aime s’habiller correctement, après le travail : veston chemise et cravate. De la dignité dans la misère. Il aide M. dans son travail de remémoration, et le conseille : “ Il faut garder courage, même sans mémoire. La vie ne recule pas, elle va de l’avant. ”.

Générique

Titre original : Mies vailla menneisyttä
Réalisation, scénario et dialogues : Aki Kaurismäki
Image : Timo Salminen
Montage : Timo Linnasalo
Son : Jouko Lumme, Tero Malmberg
Costumes : Outi Harjupatana
Maquillage (et assistante du réalisateur) : Nadja Delcos
Décorateurs : Markku Pätilä, Jukka Salmi
Producteur : Aki Kaurismäki
Production : Sputnik Films
Co-production : Pandora Film (Allemagne), avec ZDF / ARTE et Networks, Pyramide Productions (France), avec Arte France Cinéma, Canal + et le Centre National de la Cinématographie
Distribution : Pyramide Productions
Durée : 1h37
Nombre de plans : 534
Sortie française : 6 novembre 2002
Interprétation : M / Markku Peltola
Irma / Kati Outinen
Nieminen / Juhani Niemelä
Kaisa Nieminen / Kaija Pakarinen
Anttila / Sakari Kuosmanen
Directrice de l’Atmée du Salut / Annikki Tähti
Auteur du hold-up / Esko Nikkari
Employée des chantiers navals / Elina Salo

Autour du film

Un mysticisme athée ?
Kaurismäki nous livre quelques clés sur ce qu’il qualifie lui-même de “ grand drame épique ”. De quoi s’agit-il ? Laissons-lui la parole : un “ film, ou, devrais-je dire rêve, où des cœurs solitaires aux poches vides errent sous la voûte céleste de Notre-Seigneur… ou devrais-je dire, la voûte céleste des oiseaux. ” La piste mystique, sinon spiritualiste, semble ainsi toute tracée. D’autant plus que le début du récit raconte une véritable résurrection : corps et visage recouverts de bandelettes, électroencéphalogramme plat, corps médical ayant constaté le décès. M. se dresse, nouveau Lazare, remet son nez cassé, et fuit l’hôpital pour se retrouver, à nouveau à demi-mort, au bord de la mer. Cette renaissance s’accompagne d’une rédemption : le passé est gommé, comme son identité ; il peut ainsi repartir de zéro. Vers la fin du récit, le dialogue avec son ex-épouse retrouvée révèle des traits de caractère dont l’homme nouveau n’a pas hérité : continuelles disputes conjugales (le nouveau compagnon de son ancienne femme s’apprêtait à un affrontement physique violent), et passion du jeu. Si M. s’est rédimé, c’est aussi grâce à l’aide de l’Armée du Salut, qui l’habille, le nourrit et le fait travailler au sein de l’association. Par ailleurs, Kaurismäki parsème son film de quelques indices intéressants :

  • pour parvenir à l’Agence pour l’emploi, il suffit de suivre l’ombre du clocher de l’église.
  • tout n’est que grâce divine”, dit Irma à M., qui a repris goût à la vie et en remercie la salutiste.
  • La même apparaît, dans un plan, avec un buste de madone derrière elle.
    Cependant le réalisateur finlandais, loin de s’affirmer en mystique, pose des jalons qui marquent sa distance. Ainsi Irma corrige son propos : “ la grâce divine fait des prodiges dans le ciel, mais ici-bas il faut s’aider soi-même si on veut progresser. ” ; quant à son apparition devant un buste de madone, elle s’opère sur une musique de rock’n’roll.
    Le propos de Kaurismäki n’est donc pas d’ordre spirituel, même s’il en adopte parfois les termes. Certes la reconstruction de M. et le couple qu’il forme avec Irma relèvent parfois de l’impossible et tiennent du miracle. Laurent Atkin (in L’Avant-scène cinéma n°516 de novembre 2002) conclut ainsi son article : “ L’homme sans passé se déroule comme une somme de victoires et de miracles quotidiens jusqu’à une sorte d’apothéose : régénéré, le couple s’efface littéralement de la surface de la terre. Plus que jamais, Kaurismäki croit en l’Homme. ”Mise en scène : un tournage en prise unique.
    Comme le dit Franck. Garbarz. dans Positif (juillet-août 2002), “ l’univers de Kaurismäki impose au récit une extraordinaire mise en aplat qui interdit l’identification immédiate –et facile- au protagoniste. ” Cette marque de fabrication s’élabore par différents choix de filmage, dont celui de la prise unique. Le rusé Finlandais affirme devant un parterre de journalistes, à Cannes, que le seul souci d’économie le guide. Quelques nuances s’imposent. Pour lui, “ le tournage est la répétition ”. Kaurismäki discute très peu avec les acteurs avant la prise de vues ; il préfère le faire après, et définir a posteriori les contours du personnage. La prise de vues est donc immédiate, et le plus souvent unique. Ses acteurs connaissent bien cette façon de travailler et ne discutent pas ces choix, qui permettent, outre une évidente économie, une spontanéité toute relative et une qualité naturelle du jeu et du dialogue, en même tant que cette distanciation propre à tous les films de Kaurismäki.

Pistes de travail

Dialogue : 10 questions autour du film qui ouvrent sur différents débats à effectuer en classe.

1. M., l’homme sans passé
Faire apparaître les différentes étapes du récit qui vont de l’effacement initial du personnage à sa reconstruction finale. Quels sont les différents personnages ou situations qui permettent cette reconstruction ?

2. Le happy end
Le monde en soi et l’existence sont déjà bien très tristes ”, dit Aki Kaurismäki. Alors il a décidé de gratifier son public d’un happy end. Dans Au loin s’en vont les nuages, (1996), le récit voyait la situation des protagonistes se dégrader progressivement, jusqu’à une fin annoncée désastreuse. Par un “ deus ex machina ” inattendu, tous les problèmes se résolvaient d’un coup dans la dernière séquence. Préciser comment le happy end de L’homme sans passé se construit. À la mesure de cette construction narrative, que peut-on dire du pessimisme de Kaurismäki ?

3. Un conte de fées ?
Certains événements de ce film paraissent improbables : résurrection miraculeuse de M. Intervention quasi-angélique d’Irma. Relever d’autres marques semblables, et commenter la dimension merveilleuse, à la manière d’un conte de fées, que prend parfois ce récit.

4. La solidarité dans la misère
M. demande combien il doit à l’homme qui vient raccorder l’installation électrique. Celui-ci répond : “ si je tombe dans le caniveau, ramasse-moi ! ”. (25’50’’) Relever d’autres exemples de cette solidarité, notamment ceux qui ne relèvent pas de l’action sociale de l’Armée du salut. Commenter ce propos du réalisateur : “ Le film montre les choses telles qu’elles sont dans la réalité, sauf que la solidarité entre les gens n’est pas aussi forte que dans l’histoire de L’Homme sans passé ”.

5. Les petits riens du quotidien
Nieminen prend sa douche, humble dispositif (les enfants versent l’eau d’un arrosoir par un bout de canalisation, vers 12’29’’). Irma range ses affaires avant de se livrer au rituel du coucher et de mettre la radio (vers 19’50’’). Observer comment s’opère le raccordement électrique, comment M. plante les patates. Relever d’autres exemples de ces petits riens et analyser le regard du cinéaste sur les petites gens qui vivent au jour le jour.

6. Humour, comique et burlesque
Quand Nieminen mime de frapper M. d’une grande planche, pour lui faire recouvrer la mémoire, il fait le même geste que les malfrats qui l’ont frappé et provoqué son amnésie (vers 18’). Observer le geste que fait M., recouvert de bandelettes, pour redresser son nez. Chercher et commenter d’autres exemples qui relèvent de l’humour, parfois aussi du comique, voire du burlesque. Parmi les cinéastes auxquels Kaurismäki voue une admiration particulière figurent Charlie Chaplin et Jacques Tati.

7. Décalage et retenue
Observer en quoi le jeu des comédiens est retenu, en deçà des formes expressives habituelles ? Atonie du jeu, voix contenues. Analyser l’effet rendu par cette distanciation.

8. Contrastes et contrepoint
Dans les dialogues, observez le contraste entre la retenue, le ton atonal, et la surprenante force de certaines images (“ j’étais sur la lune. – comment c’était ? – il n’y avait personne, je suis reparti. – c’était dimanche. ”). La fanfare salutiste devient un groupe rock. Observez et commentez les différentes occurrences musicales dans leur fonction de contrepoint tragi-comique.

9. Mélange des temps
Repérer les indices marquant des temporalités très différentes. Observer particulièrement les objets, les différents lieux, les vêtements, les styles musicaux.

10. Regard-caméra
Étude d’un plan (plan 65, de 11’12’’ à 11’24’’), dans lequel M. quitte Mme Nieminen pour venir devant la caméra. Voici le descriptif qu’en donne le découpage intégral paru dans L’avant-scène cinéma : “ Raccord mouvement en plan large et travelling avant sur lui qui se lève, dos caméra, vu à travers l’entrebâillement de l’entrée du container. Léger travelling sur lui qui se place au premier plan et vient fumer sur le pas de la porte, tandis qu’hors champ, la sirène d’un bateau résonne sur le port. ” Observer le photogramme extrait de cette séquence et mentionner ce qui a été oublié dans le descriptif. Le regard à la caméra (au spectateur) dure de longues secondes. Faire toutes remarques utiles sur l’implication du spectateur que provoque ce regard-caméra et les effets de distanciation observés tout au long du film.

Fiche mise à jour le 15 septembre 2004
Fiche réalisée par Jacques Joubert.

Expériences

Les images de la Finlande.
Un ambassadeur finlandais en Allemagne avait protesté à la projection de Shadows in paradise (1986) : “ M. Kaurismäki ruine la réputation de notre pays ! Comment osez-vous montrer un tel film à l’étranger ? ”. L’Homme sans passé, tout comme Au loin s’en vont les nuages en 1996, montre un petit peuple qui souffre dans un contexte économique impitoyable. De ce fait, l’alcoolisme règne, mais aussi la corruption, l’indifférence des banques, la stupidité administrative, les vexations policières, etc. En réalité, l’image que renvoient ces décors de misère et ces situations pitoyables est plutôt positive, car l’entraide permet aux pauvres de (sur)vivre. Kaurismäki explique bien ses choix scénaristiques : “ Dans ce film, j’essaie de donner un rôle important à la solidarité entre les gens, car si la solidarité entre les pauvres disparaît, il n’y en aura plus nulle part. elle n’existe pas chez les riches, ils ne peuvent pas se le permettre. Je me considère comme un cinéaste qui a une conscience sociale, même si c’est dangereux d’être étiqueté ainsi. Mais je sais qu’aucun cinéaste ne se pencherait sur de tels sujets, car faire un film sur les exclus en Finlande est considéré comme un suicide commercial. ”.
Kaurismäki peut pourtant se permettre ces audaces, car il a gagné ses galons de maître es cinéma, et il est un personnage aussi connu dans ce fin fond de la terre (Finlande) que Häkkinen ou Salonen, pilotes de course. Les choix de “ happy end ”, outre un bel hommage au cinéaste Frank Capra, sont comme une réaction qui se voudrait salutaire au profond désenchantement que revendique le cinéaste.

La soupe, le savon, et l’âme
Les trois “ s ”, soup, soap and soul, telle est la devise de L’Armée du salut. Fondée en 1878 à Londres, cette véritable institution est d’abord une organisation religieuse, d’origine méthodiste. Elle conjugue le prosélytisme à l’action charitable et sociale. Sa structure se réfère à l’organisation militaire, avec soldats et toute une hiérarchie d’officiers, uniformes, discipline. Son œuvre sociale s’appuie sur de nombreux services et actions diverses : œuvres pour le relèvement des ivrognes, des prostituées, des libérés ; centres d’accueil ; bureaux de placement ; distribution de repas, soupes populaires ; arbres de Noël ; etc. Kati Outinen, qui incarne Irma, souligne qu’ “ en Finlande, c’est même la seule organisation qui aide les gens pauvres. C’est une institution chrétienne, mais on y est accueilli quelle que soit sa religion. ” Reprenant la devise salutiste, elle explique : “ D’abord on vous assure le manger, ensuite la propreté, et après on s’occupe du salut de votre esprit. C’est un programme minimum, mais le gouvernement finlandais n’arrive même pas à l’assurer.

Mélange des époques
Le responsable des décors, Markku Pattila, regrette que son travail soit passé au second plan, comme si les lieux où se passe l’action avaient été filmés tels quels, dans un souci quasi-documentaire. Il n’en est rien. “ Nous avons travaillé sur les moindres détails pour que ce soit beau ”. En réalité, les lieux sont recréés dans une Finlande composite qui tient autant des années 60 que des décennies suivantes et d’aujourd’hui. Kati Outinen propose d’appeler ce pays où les temps se mélangent : Akiland.

Outils

Bibliographie

L’homme sans passé, un film d’Aki Kaurismäki, L’Avant-scène Cinéma, n° 530, 2004
Dossier et découpage intégral du film (après montage). Excellent outil de travail par le découpage plan par plan (par Annelise Landureau), qui permet de travailler sur les dialogues, mais aussi les choix filmiques essentiels (valeurs de cadre, mouvements d’appareil, etc.). Le dossier réunit des articles de Laurent Aknin, qui retrace et analyse le parcours cinématographique de Kaurismäki, de Daniel Sauvaget, sur le cinéma finlandais, ainsi qu’une revue de presse, une filmographie et la fiche technique du film.

Vidéographie

L’homme sans passé, Aki Kaurismäki, Editions ADAV. Format DVD et VHS

Films

Aki Kaurismäki de Guy Girard