No man’s land

Belgique, France, Italie (2001)

Genre : Comédie dramatique

Écriture cinématographique : Fiction

Archives LAAC, Lycéens et apprentis au cinéma 2002-2003

Synopsis

1993. Guerre de Bosnie. En pleine nuit, à proximité de la ligne de front, une patrouille de soldats bosniaques se perd dans la brume. Au lever du jour, la troupe, prise sous le feu ennemi, est décimée. Un seul d’entre eux, Tchiki, survit en plongeant dans une tranchée providentielle creusée, entre les lignes de front serbe et bosniaque, dans le “no man’s land”.

Envoyés en reconnaissance, deux éclaireurs serbes arrivent à leur tour dans la tranchée qu’ils inspectent sans découvrir Tchiki caché au fond d’un abri. Se croyant en sécurité, ils piègent l’un des cadavres en le disposant sur une mine bondissante. Sur le point d’être découvert, Tchiki parvient à les surprendre, tue le plus âgé et fait la connaissance du second, Nino. Dans l’impossibilité de quitter la tranchée sans essuyer le feu nourri des belligérants, les voici face à face, armés tous les deux, obligés, le cœur empli de haine, de cohabiter. À la surprise générale, Tsera, le “cadavre” couché sur la mine, se réveille. Pour sortir de l’impasse, les deux camps font appel à la FORPRONU…

Exclusivement chargés de faciliter l’aide humanitaire, les Casques Bleus n’ont pas à intervenir dans ce type de situation comme ne cessent de le rappeler les gradés. Un sous-officier français décide d’enfreindre les ordres et se fait accompagner sur les lieux par la presse internationale. Les images commencent à envahir les écrans. Mis devant le fait accompli, le haut commandement fait appel à un démineur et se rend sur les lieux. Pendant que le démineur prend la mesure de son impuissance à sauver Tsera, Tchiki et Nino sont autorisés à sortir de la tranchée. Profitant d’un moment d’inattention des Casques Bleus, ils se tirent dessus et s’entretuent. Dans un ultime tour de passe-passe, le commandement fait croire à tous que l’opération de déminage est un succès, que Tsera vient d’être évacué d’urgence… Alors qu’il est purement et simplement abandonné à son sort.

Distribution

Tchiki
D’origine plus modeste, Tchiki se montre nettement plus aguerri comme en témoigne le sang-froid dont il fait preuve dans la tranchée pour renverser la situation qui – numériquement en tout cas – ne lui était pas favorable. Pendant l’affrontement avec Nino qui, désarmé, cherche à s’emparer d’un fusil, il lui donne un coup de tête, réflexe susceptible d’induire une certaine habitude des bagarres de rue entre voyous. Tchiki est un homme ordinaire – ni héros, ni boucher – que la guerre a cependant transformé en un bloc de ressentiment et qui ne saura jamais profiter des quelques moments que lui offre la situation pour sortir d’une pathétique logique de haine.

Nino
Il a tout du soldat fraîchement enrôlé. Probablement étudiant, il vient d’arriver au front comme l’indique son uniforme, impeccable, et son équipement auquel rien ne semble manquer. Il s’exprime correctement et aborde ses compagnons d’armes en suivant des règles de savoir-vivre et de bienséance qui appartiennent au civil (scène de présentation avec le vieux soldat). Persuadé de rester, malgré la guerre et la nécessité de tuer, du côté de la civilisation, il agira de la même façon avec Tchiki, son ennemi, avant de prendre conscience que la sauvagerie finira par avoir raison de ses principes.

Jane Livingstone
Comme nombre de journalistes, Jane Livingstone doit répondre aux exigences de sa hiérarchie, exigences plus que probablement indexées sur le taux d’audience de la chaîne. Dans l’obligation de dénicher le “scoop”, elle doit faire face aux autorités militaires qui se défient des médias et doit ruser sans cesse pour obtenir l’info. Consciente de l’absurdité de la situation, elle essaie cependant de se servir du pouvoir limité qui est le sien pour en démêler l’écheveau et obtenir simultanément, entre cynisme et désillusion, du temps d’antenne. Mystifiée par les autorités militaires, elle passera à côté du véritable “scoop” que représente l’abandon pur et simple de Tsera à son sort.

Tsera
Couché sur la mine, Tsera incarne l’espoir. L’espoir de sortir de ce mauvais pas, d’échapper à l’absurde d’une situation où le voici condamné à mourir devant les yeux de la communauté des hommes, impuissante. Allongé au milieu du désastre, il est le triste symbole d’une faillite de l’humanité en proie à la folie guerrière et, outre sa dimension tragique, tire la situation vers une espèce de huis clos à ciel ouvert où le spectateur lui aussi se voit peu à peu enfermé.

Son interprète, Filip Soavagovic, est né en 1966 à Zagreb. Comédien expérimenté dont la filmographie comprend de nombreux titres parmi lesquels Nebo sateli de Lukas Nola, Treca zena de Zoran Tadic, Bogorodica de Neven Hitree, Transatlantik de Snjezana Tribuson et Pont Neuf de Zeljko Senecic…

Sergent Marchand
Lassé par la léthargie de son unité, le Sergent Marchand, jeune sous-officier de la FORPRONU, décide d’ignorer les ordres de non-intervention qui sont les siens. Avec l’aide de Jane Livingstone, il essaie d’amener le commandement militaire au pied du mur au point de pousser celui-ci à intervenir. Perçu comme un idéaliste par ses supérieurs, le Sergent Marchand n’en sera pas moins le dupe de ces gradés dont il espérait mettre à mal la coupable neutralité.

Son interprète, Georges Siatidis, est né à Bruxelles en 1963. Il a joué dans de nombreux films parmi lesquels Australia, de Jean-Jacques Andrien, Un Héros très discret, de Jacques Audiard, Train de vie, de Radu Mihaileanu, et plus récemment Petites Misères, de Philippe Boon et Laurent Brandenbourger.

Colonel Soft
Chargé de ne rien faire, sinon d’observer les forces en présence, le Colonel Soft feuillette des magazines, promène sa secrétaire et veille au statut quo. En un mot, il s’ennuie. Sans doute en va-t-il de la suite de sa carrière de haut fonctionnaire militaire. Aussi prend-il assez mal les initiatives du Sergent, qui l’obligent à abandonner un moment la doctrine de non-intervention qu’il a pour mission de mettre en œuvre. Doctrine dont l’épisode de la tranchée lui servira à montrer le bien fondé.

Son interprète, Simon Callow, est né à Londres en 1949. Il est un acteur expérimenté qui mène une belle carrière cinématographique et théâtrale. Parmi ses principaux films, citons, Amadeus de Milos Forman, Chambre avec vue de James Ivory, 4 Mariages et un enterrement de Mike Newell, Shakespeare in Love de John Madden…

Générique

Titre original : No man’s land
Production
: Frédérique Dumas-Zajdela, Marc Baschet, Cédomir Kolar, pour Noé Productions et Fabrica
Réalisation : Danis Tanovic
Scénario et dialogues : Danis Tanovic
Dir. Photo : Walther Vanden Ende
Décors : Dusko Milavec
Maquillage : Mirjam Kavcic
Costumes : Zvonka Makuc
Ingénieurs du son : Henri Morelle
Sound Designer : Michael Billingsley
Montage : Francesca Calvelli (amc)
Montage son : Emanuela Di Giunta (amc)
Musique : Danis Tanovic
Mixage : Angelo Raguseo (aifm)

Interprétation :
Tchiki / Branko Djuric
Nino / René Bitorajac
Tsera / Filip Sovagovic
Sergent Marchand / Georges Siatidis
Capitaine Dubois / Serge-Henri Valcke
Michel / Sacha Kremer
Pierre / Alain Eloy
Vieux soldat serbe / Mustafa Nadarevic
Officier serbe / Bogdan Diklic
Colonel Soft / Simon Callow
Jane Livingstone / Katrin Cartlidge
Martha / Tanja Ribic
Démineur / Branko Zavrsan
Guide bosniaque / Djuro Utjesanovic
Officier bosniaque / Mirza Tanovic
Miralem / Boris Cindric
Officier serbe 2 / Danijel Smon
Soldat serbe / Peter Prikratki
Cameraman / Primoz Ranik
Mark / Jure Plesec
John / Gordon Wilson
Olivia / Maëlys De Rudder
Bill Alan Fairairn
Soldats FORPRONU / Michel Obenga
Rok Strehovec
Journalistes / Zvone Hribar
Ales Valic
Fred M. Liss
Franc Jakob Rac
Rambo / Predrag Brestovac
Jeune soldat bosniaque/ Tadej Troha
Lieutenant serbe (barricade) / Primoz Petkovsek
Soldat serbe (barricade) / Janez Habic
Garçon accordéon / Matej Bizjak
Soldats bosniaques / Boro Stjepanovic
Almir Kurt
Ratko Ristic
Peter Sedmak
Aleksandar Petrovic
Soldats serbes / Marinko Prga
Darjan Gorela
Srecko Dzumber
Sergent serbe / Uros Tatomir
Officier bosniaque (barricade) / Matej Recer
Soldats bosniaques (barricade) / Matija Bulatovic, Uros Furst

Film : Couleurs, 1/2,35 (CinémaScope)
Durée : 1h38
N° de visa : 99 969
Sortie : 19 septembre 2001

Autour du film

L’humour, politesse du désespoir

No man’s land est né d’un désir : aider les populations occidentales à mieux comprendre la nature et les enjeux du conflit en Bosnie-Herzégovine. Tournant résolument le dos aux films de guerre partisans, Danis Tanovic choisit d’adapter son propos à l’économie modeste du film.

No man’s land sera donc une tragédie en trois actes, opposant deux hommes ordinaires hâtivement transformés en soldats, le Bosniaque Tchiki et le Serbe Nino. Deux personnages à valeur allégorique dont l’évolution des rapports permettent de lire, en filigrane, l’histoire du conflit dans les Balkans.

Face à la folie meurtrière des hommes, Danis Tanovic s’interroge sur le comportement à adopter. Alors que, dans Underground, Emir Kusturica optait pour une représentation baroque du monde, lui choisit résolument l’humour. Un humour souvent noir, qui jaillit au cœur du malheur, irradiant les dialogues et les situations de son film. “On était dans un tel pétrin que l’humour nous aidait à rester normal, explique Danovic. Quand la mort rôde autour de toi, tu as besoin de laisser ta mauvaise énergie, de décompresser”
(extrait d’un entretien avec Michaël Melinard, in « L’Humanité », 19 septembre 2001).

Révéler le dispositif

De facture très réaliste, No man’s land n’en a pas moins été tourné en Slovénie, en extérieur, dans des décors reconstitués immédiatement après l’accord de Dayton – c’est-à-dire à la fin du conflit –, alors que l’action est censée se dérouler en pleine guerre et avoir pour cadre une bande de terrain entre deux lignes de front, l’une serbe et l’autre bosniaque. Danis Tanovic et son équipe parviennent à faire croire à l’existence de ces deux lignes grâce à un dispositif minimum : un drapeau, une casemate, quelques sentinelles, une tourelle de char. Ce décor, aussi factice soit-il, permet de mettre en évidence la puissance du cinéma et de ses moyens : en passer par l’illusion, et de petits arrangements avec la réalité, pour atteindre une vérité supérieure.

Pris au piège, verrouillés dans la tranchée, les personnages vont s’employer à en arpenter le périmètre et explorer méthodiquement les issues que semble leur ouvrir la caméra pour découvrir aussitôt que chaque nouvel espoir de s’échapper se mue en impasse. Coupés d’un monde devenu tout d’un coup hors d’atteinte, ils continuent néanmoins d’en percevoir les manifestations (cris, agitation, explosions…) tout en restant le point de convergence de tous les regards.

Ce dispositif, et l’enfermement dont il est synonyme pour les protagonistes, se traduisent par un rétrécissement du champ de la caméra. Les plans larges n’existent pratiquement pas, au bénéfice de nombreux plans rapprochés, voire d’inserts et de gros plans. Ces choix de mise en scène donnent au spectateur un sentiment de fatalité et d’étouffement parfaitement approprié à la situation. Cela ne va pas sans risques ; il en résulte un huis clos à ciel ouvert, dont le caractère profondément théâtral repose sur la règle des trois unités : unité de lieu (le boyau de terre sèche), de temps (quelques heures) et d’action (sortir Tsera de son enfer). Pour briser cette structure très contraignante, Danis Tanovic va, dès lors, démultiplier les lieux de l’action et construire sa mise en scène sur de nombreux allers et retours, d’incessants changements de points de vue, et la parachever par un montage alterné de plans très découpés et toujours assez brefs. Ce changement de régime profite pleinement au film ; il permet de dynamiser l’action, de renforcer la tension dramatique et d’offrir au public la dimension spectaculaire dont on le dit habituellement si friand.

Roland Hélié

Entre la comédie et le drameNo man’s land, qui creuse une tranchée anecdotique au milieu de l’histoire récente, est d’abord du cinéma à l’état pur. Dans son écriture, sa construction, sa progression, son suspense qui navigue sans fausses notes entre la comédie et le drame. Même si les Casques bleus n’échappent pas à la caricature et si les médias se passionnent d’abord pour l’événement sensationnel avant d’en découvrir l’humanisme déchiré. Il y a là une grimace lucide enveloppant assez justement des vérités qui gênent et font mal.”
Dominique Borde, « Le Figaro », 20 septembre 2001.

Un parti pris satirique
“Par petites notations, Tanovic dézingue sèchement les faux-semblants. Il lui arrive de frôler la caricature quand il tire les ficelles de ses marionnettes galonnées. Mais cette caricature vise juste quand il fait dire à un militaire que ses supérieurs sont réunis à Genève pour un séminaire sur les relations avec les médias… Il force le trait ? C’est un parti pris satirique fort, où l’on sent l’envie d’en découdre, de mettre les points sur les ‘ i ’. Sans pêcher. Sans renoncer à l’humour, indispensable contrepoint au drame qui se dessine.”
Jean-Claude Loiseau, in « Télérama », 19 septembre 2001.

Roublardise et énergie

No man’s land est loin d’être un film parfait. Sans doute affolé à l’idée de ne pas pouvoir tout caser dans son film, Danis Tanovic peine à articuler absurdité et souffrance. Tenaillé par la nécessité d’expliquer la genèse du conflit bosniaque, il se résout à recourir à des collages de bandes d’actualités qui entravent le film plus qu’elles ne l’éclairent. Mais ces maladresses, tout comme une certaine tendance à la roublardise, pèsent assez peu face à l’énergie, à la colère et à l’intelligence qui parcourent No man’s land. Loin de la propagande et du film de divertissement écervelé, on y trouve le mélange de compassion pour les hommes combattants et de répulsion pour l’humanité guerrière qui font les vrais films de guerre.”
Thomas Sotinel, in « Le Monde », 19 septembre 2001.

Vidéos

Musique diégétique

Catégorie :

Analyse et montage : Cécile Paturel

Musique de fosse/musique d’écran – Musique diégétique/extra diégétique : quand tout bascule.
Pour faciliter l’analyse d’une séquence de film et de sa bande-son en particulier, on peut s’intéresser à la source du son, c’est à dire à l’endroit d’où il est émis. Dans le cas de la musique, la situation de la source permet de distinguer deux catégories. Si la musique provient de l’univers du film – si elle est émise par un poste de radio par exemple – on l’appellera « musique diégétique » (de « diégèse », pseudo-monde de l’histoire qui nous est racontée) ou « «musique d’écran » selon Michel Chion, spécialiste de l’analyse du son au cinéma. Au contraire, on qualifiera d’extra-diégétique ou de « musique de fosse » une musique dont la source est extérieure au monde de l’histoire, que les personnages ne pourraient entendre en aucun cas. Dans les extraits choisis ici, la musique passe d’un statut à l’autre. Ce point de bascule est porteur de sens. En voici quelques exemples :

A Serious Man, Joel et Ethan Coen
Cet extrait est l’ouverture du film. On découvre que la musique du générique provenait de l’oreille interne du personnage principal en en suivant le trajet jusqu’à sa source, un walkman. Ce tube rock de Jefferson Airplane « don’t you need somebody to love » est bien sûr là pour contraster avec l’atmosphère soporifique du cours d’hébreux et pour qualifier le personnage de Danny Kopnik, un adolescent rebelle dont le walkman jouera un rôle important dans l’intrigue. Ici, la bascule de la musique d’un univers à l’autre est un effet de surprise ludique et détonnant en ouverture du film mais elle est aussi une marque du style virtuose et maîtrisée de la mise en scène des frères Coen.

Moonrise Kingdom, Wes Anderson
Le mouvement est inverse ici puisque le musique débute à l’intérieur de l’histoire – lorsque le garçonnet enclenche un vinyle – pour embrasser ensuite la totalité du film et lancer l’histoire sur ses rails. La bascule a lieu à la faveur d’un changement brutal de plan, de l’intérieur à l’extérieur d’où l’on voit Suzy ouvrir les rideaux de la chambre, véritable « lever de rideau » qui laisse apparaître le titre du film. Un zoom arrière recontextualise la maison et traduit visuellement la distance qu’instaure le changement de régime de la musique. Ce morceau The Young Person’s Guide to the Orchestra écrite par Benjamin Britten pour expliquer la musique aux enfants prend une valeur programmatique. En effet, l’ouverture du film qui présente chaque personnage un à un se calque sur la présentation du disque : les familles d’instruments, les une après les autres. Entre autres équivalences, la voix didactique du disque rappellera le rôle du narrateur du film qui s’adresse à nous face caméra.

A Beautiful Mind, Ron Howard
Le chœur de musique sacrée que l’on entend au début de l’extrait sonne comme une musique d’écran : elle contribue à installer le décor, celui d’une histoire qui débute dans l’enceinte de la prestigieuse et séculaire université de Princetown. Mais le deuxième plan nous fait réviser notre jugement : nous étions seulement en avance sur le plan à venir, celui de la chambre de John Nash, étudiant et personnage principal du film, où tourne le disque. Ce mouvement de remise en contexte par le spectateur annonce le statut des images dans ce film, construit sur la notion d’arbitraire du point de vue. Le spectateur sera rapidement amené à reconsidérer ses certitudes et ce basculement lui en donne un premier indice.

No Man’s Land, Danis Tanovic
Dans ce film, Danis Tanovic raconte la guerre de Bosnie à hauteur d’homme et démontre le mécanisme de la surenchère médiatique. La musique électronique exaltante qui semble provenir hors de l’univers du film, construit un instant une séquence digne d’un film d’action : les démineurs passent à l’attaque comme des pros de la guerre n’ayant pas froid aux yeux. Mais tout redevient platement ordinaire lorsqu’on réalise que la musique provenait du walkman d’un soldat. La guerre n’a rien de sexy. Voilà ce que raconte le réalisateur grâce à cette culbute sonore.

Prénom Carmen, Jean-Luc Godard
Plusieurs séquences de ce film dévoilent soudainement la source d’une musique qui, par sa netteté, sa clarté et sa nature (de la musique classique) serait d’ordinaire, extra diégétique. Godard, maître dans l’art d’exhiber les conventions et les arrangement du cinéma avec le réel se plaît à surprendre ainsi le spectateur. Mais son geste a quelque chose de paradoxal. En effet, il n’y pas de continuité mais bien deux plans distincts, tournés à deux endroits ou à deux moments différents. Godard utilise donc lui aussi une convention du cinéma, celle du raccord lumière pour donner l’illusion que la source de la musique que l’on entendait se trouvait vraiment dans la chambre d’hôpital.

Journal intime, Nanni Moretti
Dans ce film au nom évocateur, Moretti-réalisateur se confond avec Moretti-acteur et Moretti narrateur : il est à l’écran, met sa propre vie en scène et la commente en voix off. La notion de diégèse en est chamboulée puisque le monde du film revendique son appartenance au réel. L’acte de réalisation est inclus dans le film lui même : c’est l’histoire d’un réalisateur qui réalise un film sur sa vie. Pour autant, la musique populaire « Visa para un Sueño » que l’on entend lorsque le personnage déambule sur son scooter rompt avec le réalisme de la situation. On la perçoit donc comme « ajoutée au montage » jusqu’à ce que l’on voit sa source, un bal en plein air, que le réalisateur-personnage rejoint tout naturellement. Moretti construit ainsi le comique et la singularité de son film en nous montrant un monde qui, aussi réel qu’il paraisse, s’accorde à son désir.

Amour, Michael Haneke
Cet extrait est un intrus parmi la sélection car la musique que l’on entend provient vraiment de l’univers du film. Il n’y a pas véritablement ici de basculement diégétique/extradiégétique. Nous avons l’impression que Anne, ex pianiste stoppée par la maladie, s’est remise à jouer. Mais la source n’est pas celle que l’on croyait. Lorsque son mari arrête net le CD, la « réalité » tombe comme un couperet, reproduisant l’effet des retournements vus dans les extraits précédents, mais de l’intérieur du film. À son habitude, Haneke coupe tout élan lyrique pour ramener son spectateur dans la froideur clinique du réel de ses personnages.

Pistes de travail

Problématique de la représentation

  • S’interroger sur les raisons de montrer la guerre au cinéma :
    désir d’informer ? de prendre parti ? de condamner ? d’exorciser ?
  • Réfléchir sur les problèmes idéologiques, éthiques et esthétiques que pose la représentation de la guerre au cinéma. Un cinéaste ne court-il pas toujours le risque d’esthétiser ou de magnifier la violence et la mort ?
  • S’interroger sur les raisons qui ont poussé un réalisateur d’images d’actualités et de films documentaires à avoir recours à la fiction pour livrer sa propre vision de la guerre en Bosnie.
  • Commenter les différents genres cinématographiques auxquels le film emprunte successivement ou simultanément ses codes : film de guerre, drame, film à suspense, comédie, western.
  • Étudier la tranchée comme espace matriciel (le lieu d’une rencontre) et espace de représentation (le théâtre d’un conflit).
  • Étudier, dans les scènes de tranchée, l’alternance des moments de calme et de tension. Comment cette alternance se traduit-elle au niveau de la mise en scène, du découpage et du jeu des comédiens ?
  • Analyser la façon dont le réalisateur utilise, à des fins dramatiques ou comiques, la variété des langues parlées par les différents protagonistes du conflit.
  • Étudier la façon dont la journaliste Jane Livingtone collecte, sélectionne et commente les différents épisodes de ce micro conflit. Comparer son travail avec celui d’autres personnages de reporters de guerre au cinéma, par exemple dans la Déchirure, de Roland Joffé (1984), Underfire, de Roger Spottiswoode (1983) et Harrison’s Flowers, d’Eli Chouraqui (2000).
  • Commenter la forme et la fonction du reportage télévisé retraçant l’historique du conflit en Bosnie.
  • Étudier la transmission des informations et des ordres entre les trois niveaux hiérarchiques de la FORPRONU représentés dans le film : le haut quartier général à Zagreb, le quartier général à Sarajevpo et les soldats du poste d’observation.

    Les à-côtés d’un conflit

  • Procéder à une étude comparative avec d’autres films mettant également en scène les à-côtés d’un conflit.
  • Étudier comment ces à-côtés peuvent influer sur le déroulement du conflit lui-même.
  • Analyser comment, dans un contexte de guerre, les évocations d’une relation affective (photo de l’épouse de Tsera, ancienne petite amie commune de Tchiki et Nino) sont un puissant moteur d’énergie vitale.

    Du documentaire à la fiction

  • Après avoir défini la distinction entre documentaire et fiction, rechercher, dans le film, les situations qui vous semblent d’inspiration purement documentaire et les commenter.
  • Recenser les informations factuelles que nous donne le film sur le rôle joué par la FORPRONU et les médias occidentaux lors du conflit en Bosnie.
  • Au vu de ce que l’on découvre dans le film sur les coulisses des reportages télévisés, la mise en scène fictionnelle n’est-elle pas plus appropriée pour rendre compte du réel ?

    Mise à jour : 17-06-04

Expériences

Petite chronologie du cinéma yougoslave

1944-1950
Le 13 décembre 1944, le haut état-major de l’Armée de libération nationale crée une section du film qui marque la naissance de l’industrie cinématographique yougoslave. Peu à peu, des sociétés de production naissent à Zagreb (Jadran Film), Ljubljana (Triglav Film) et Belgrade (Avala Film, Zvezda Film). Les films documentaires, de court et moyen métrage, dominent le marché avec plus de 270 titres pour la période. Premier long métrage de fiction de l’après-guerre, Slavica, de Vjekoslav Afric, sort en 1947.

Les années 50
La décentralisation et l’autogestion de la production ouvrent de nouveaux horizons, favorisant les accords de coproduction et l’exportation des films yougoslaves, souvent primés dans des festivals internationaux. Le cinéma d’animation yougoslave connaît alors son âge d’or grâce à l’École de Zagreb, un ensemble de réalisateurs regroupés autour de Dusan Vukotic qui se caractérisent par un rejet de l’anthropomorphisme à la Disney.

Les années 60
Le cinéma yougoslave augmente sensiblement sa production de longs métrages (31 en 1961) qui se divise alors en deux grands courants : des films d’expression moderne, souvent inspirés de la Nouvelle Vague, et des œuvres commerciales sans grande ambition artistique. Durant cette décennie, quelques réalisateurs vont bénéficier d’une reconnaissance internationale, notamment Aleksandar Petrovic (J’ai même rencontré des tziganes heureux, 1967) et Dusan Makavejev (Une Affaire de cœur, 1967).

Les années 70
Le maintien d’une production nationale élevée (28 longs métrages en 1971), dominée par un cinéma d’auteur exigeant, se solde par un échec : le public des salles boude les films nationaux (6 millions d’entrée sur un total de 81 millions en 1971), provoquant un épuisement des aides à la production. Dopés par la publicité, les documentaires et les courts métrages atteignent en revanche des records jamais égalés (352 en 1974) avant de chuter à la fin de la décennie en raison de la concurrence de la télévision.

Les années 80
Mélodrame, suspens, comédie légère : afin de permettre à son public de retrouver le chemin des salles, le cinéma yougoslave élargit sa palette de genres et maintient sa production autour de trente longs métrages de fiction annuels. Très présent dans les manifestations internationales, le cinéma yougoslave va attirer l’attention par deux prix décernés au réalisateur Emir Kusturica : Te souviens-tu de Dolly Bell ? , Lion d’or de la première œuvre au Festival de Venise en 1981 et surtout Papa est en voyage d’affaires, Palme d’or surprise au Festival de Cannes 1985.

1990-2001
L’éclatement du conflit et le morcellement des républiques qui s’ensuit relègue au second plan la production cinématographique. Les rares œuvres qui émergent alors vont témoigner du traumatisme lié au drame yougoslave, notamment Underground, d’Emir Kusturica, Palme d’or à Cannes 1995 et Baril de poudre, de Goran Paskaljevic, grand succès de l’année 1998 dans la nouvelle république de Yougoslavie (Serbie et Monténégro). Aujourd’hui, celle-ci produit cinq à huit long métrages annuels, tournés le plus souvent à Budapest. Pour doper ce secteur, le ministère de la culture serbe a décidé, en 2001, de la création d’un fonds de soutien à la production de films.

Outils

Bibliographie

La question yougoslave, Stefanno Bianchini, Casterman, 1996.
Bosnie, anatomie d'un conflit, Xavier Bougarel, La Découverte, 1996.
L'Europe balkanique de 1945 à nos jours, Bernard Lory, Ellipses, 1996.
Guerre dans les Balkans, Le monde diplomatique n° 542, 1999.
Vie et mort de la Yougoslavie, Paul Garde, Ed. Cahiers du cinéma, 1991.
Balkans transit, François Maspero, Ed. du Seuil, 1997.

Guerre et cinéma, Paul Virilio, Ed. Cahiers du cinéma, 1991.
Le cinéma de guerre. Les grands classiques du cinéma américain : des "Coeurs du monde" à "Platoon", Patrick Brion, Ed. La Martinière, 1996.

Le cinéma yougoslave, Zoran Tasic et Jean-Loup Passek (dir.), Ed. Centre Georges Pompidou, 1986.

Le rire. Essai sur la signification du comique, Henri Bergson, Félix Alcan, 1911.
Le comique de guerre, Pierre Sorlin, in Le genre comique, Francis Ramirez et Christian Rolot, 1997.

Le petit livre de Emir Kusturica, Jean-Marc Bouineau, Spartorange, 1993.

Vidéographie

No man's land, Danis Tanovic. Distribution ADAV n° 37 090
Welcome to Sarajevo, Michael Winterbottom. Distribution ADAV n° 21 124
Underground, Emir Kusturica. Distribution ADAV n° 25 907
Le cercle parfait, Ademir Kenovic. Distribution ADAV n° 20 987
Qu'avez-vous vu de Sarajevo?, Patrice Barrat (documentaire). Distribution "Images de la culture" CNC (droits réservés au cadre familial)
Les Vivants et les morts de Sarajevo, Rodovan Tadic (documentaire). Distribution "Images de la culture" CNC (droits réservés au cadre familial)
Le voyage exploratoire, François Gahier et Catherine de Grissac (documentaire). Distribution "Images de la culture" CNC (droits réservés au cadre familial)