Petit paysan

Petit paysan

France (2017)

Genre : Drame

Écriture cinématographique : Fiction

Lycéens et apprentis au cinéma 2019-2020, Prix Jean Renoir des lycéens 2017-2018

Synopsis

Pierre, la trentaine, est éleveur de vaches laitières. Sa vie s’organise autour de sa ferme, sa sœur vétérinaire et ses parents dont il a repris l’exploitation. Alors que les premiers cas d’une épidémie se déclarent en France, Pierre découvre que l’une de ses bêtes est infectée. Il ne peut se résoudre à perdre ses vaches. Il n’a rien d’autre et ira jusqu’au bout pour les sauver.

Distribution

Swann Arlaud – Pierre
Sara Giraudeau – Pascale
Bouli Lanners – Jamy
Isabelle Candelier – La mère
Jean-Paul Charuel – Le père
Marc Barbé – Responsable DDPP
Valentin Lespinasse – Jean-Denis
Clément Bresson – Fabrice
Jean Charuel – Raymond
India Hair – Angélique

Générique

Réalisation – Hubert Charuel
Scénario – Claude Le Pape & Hubert Charuel
Image – Sébastien Goepfert
Montage – Julie Léna, Lilian Corbeille, Grégoire Pontécaille
Son – Marc Olivier Brullé, Emmanuel Augeard, Vincent Cosson
Décors – Clémence Pétiniaud
Musique – Myd
Production – Domino Films, Stéphanie Bermann & Alexis Dulguerian
Co-production – France 2 Cinéma
Avec le soutien de Canal+, France Télévisions, OCS, l’avance sur recettes du CNC, la Fondation Gan pour le Cinéma, la région Grand Est, Indéfilms 5
Distribution – Pyramide
Ventes – Pyramide International

Autour du film

Le cauchemar inaugural indique qu’un destin trop lourd pèse sur Pierre. Les matins ensoleillés des premières séquences laissent la place à des scènes de nuit de plus en plus baroques. Elles sont en phase avec un esprit qui a perdu son centre: sa ferme, ses vaches. Pierre tente de façon désespérée d’éloigner d’elles, sa famille, ses amis et ses voisins.

Un film noir, fantastique et expressionniste

Topaze brulée dans la nuit, la séquence de bowling, la vache trainée dans la nuit, le retour de la bétaillère dans la nuit, les vidéos Youtube regardées à la lumière d’un ordinateur dans la nuit, les messages perfides reçus dans la nuit; les lumières expressionnistes, la musique tour à tour inquiétante et nostalgique donnent au film une atmosphère de fantastique froid qui rappelle Grave ou Bullhead De Michael R. Roskam.

De plus en plus seul, se coupant de tous, Pierre prend tout sur son dos, la maladie dont ses vaches sont victimes et qui prend, chez lui, la forme d’un eczéma purulent. Il en partage la souffrance en s’aspergeant de produits désinfectants.

La lumière, Pierre la retrouve pour l’abattage des vaches traité sur le mode de l’acceptation et surtout de la séquence finale qui, après tous ces cauchemars nocturnes, apparait comme une délivrance.

Mystique d’une paysanerie en voix de disparition

L’interprétation très sobre de Swann Arlaud, la passion presque mystique pour les vaches de son personnage, font aussi parfois penser à Au hasard Balthazar. La séquence où Pierre lave le petit veau et l’installant près de lui sur le canapé du salon peut faire penser à la cérémonie nocturne où Marie couvre Balthazar de fleurs. Balthazar finissait par mourir d’une balle perdue paisiblement dans un champ. Pierre choisit aussi la lumière finale, l’acceptation du réel face au complotisme paranoïaque, mais il signifie aussi la fragilité d’un mode de vie paysan traditionnel face aux normes de plus en plus exigeantes et aux menaces des épidémies mondiales.

https://www.cineclubdecaen.com/realisat/charuel/petitpaysan.htm

Il y a dans le titre du premier long métrage de Hubert Charuel une forme d’ironie et une vraie tendresse. Un pied de nez, une fierté à reprendre à son propre compte une appellation qui pourrait tout aussi bien être affectueuse que condescendante, selon de qui elle vient. Derrière ce titre quasi programmatique, à la fois limpide et mystérieux, se cache un film qui refuse catégoriquement de se laisser enfermer dans un genre et déjoue habilement les attentes. De ce « petit paysan » si contemporain, Hubert Charuel ne fait pas le protagoniste d’une comédie de mœurs ou d’un drame rural ; du moins, pas seulement. Si le film ne fait pas l’impasse sur la représentation du quotidien d’une exploitation de vaches laitières en 2017, il s’affirme avant tout comme un objet cinématographique hybride, délaissant le territoire ultra-balisé du documentaire pour s’aventurer brillamment du côté du polar et du fantastique.

Dans le vrai…

Hubert Charuel sait de quoi il parle : fils de paysans, il a tourné son film dans la ferme de ses parents, eux-mêmes éleveurs (ils jouent dans le film, ainsi que son grand-père). Petit paysan transpire l’authenticité, mais le point de vue du cinéaste s’affranchit allègrement d’un quelconque souci de « rendre hommage », piège tendu à tous ceux qui, caméra au poing, s’en vont filmer un monde trop proche d’eux, trop chargé d’affects. Le récit du quotidien de Pierre (Swann Arlaud, formidable révélation, d’une belle justesse dans tous les registres, du naturalisme pur à la psychose déréalisée) s’inscrit dans la droite lignée du geste documentaire de Raymond Depardon, dont les Profils paysans forment une sorte de matrice incontournable de la représentation cinématographique du monde paysan en France. Mais si le souci de crédibilité vise à inscrire le personnage de Pierre dans une représentation concrète et charnelle de ce monde trop souvent lissé et simplifié à l’écran, c’est pour mieux s’en éloigner plus tard. Pierre est éleveur, mais c’est un garçon de son époque. Il vit encore avec ses parents, sa mère essaie de le caser avec la boulangère (pas la partie la plus réussie du film, mais si anecdotique qu’on l’oublie assez vite), mais ce n’est pas un empoté déconnecté de la réalité. Il sort avec ses potes, mate des vidéos sur YouTube, s’exprime et bouge comme un trentenaire d’aujourd’hui. Hubert Charuel balaie sans effort des stéréotypes tenaces (qui a déjà jeté un œil à L’amour est dans le pré, consternant dating game télévisé mettant en scène des paysans à la recherche de l’âme-sœur, comprendra à quel point le flot d’images véhiculées par les médias sur le monde paysan réduit celui-ci à une affligeante caricature) sans pour autant en faire le centre névralgique de son film. Pierre est un personnage réel, concret, auquel on peut aisément s’identifier, et sa bascule progressive dans la psychose et la folie n’en est que plus vertigineuse.

… vers le flou

En ouvrant son film par une séquence onirique aussi courte que marquante, Hubert Charuel donne le ton. Pierre, entièrement absorbé par son métier et ses bêtes, est obsédé par une maladie venue de Belgique, qui décime des élevages entiers, et qui se caractérise par des saignements du dos : formidable idée de rendre visuelle, et donc concrète, une épidémie qui aurait pu n’être qu’une abstraction pour le spectateur, et une simple manifestation psychologique du déséquilibre de Pierre. Quand une de ses vaches présente les symptômes de la maladie, Pierre prend une décision radicale pour sauver son troupeau. Progressivement, Petit paysan quitte le territoire de la chronique sociale pour explorer des univers moins balisés. En opposant à la descente aux enfers de Pierre un point de vue raisonné et scientifique, celui de sa sœur vétérinaire (Sara Giraudeau, parfait mélange de rigueur bornée et de compassion), le film gagne en tension et permet surtout à Hubert Charuel de ne pas déborder des limites, parfois floues, que le mélange des genres franchit parfois un peu trop vite. La peur de Pierre le conduit à faire des choix absurdes, à aller toujours plus loin, mais elle trouve sa source dans une préoccupation réaliste : perdre son troupeau, c’est perdre non seulement sa source de revenus, mais également une partie de sa vie, des êtres vivants que l’on aime profondément malgré le paradoxe qui consiste à les exploiter pour survivre. Le film navigue ainsi constamment sur une ligne tendue entre le réel et l’abstrait, cette frontière indéfinissable entre ce que l’on connaît du monde et ce que celui-ci, par sa violence et son caractère arbitraire, nous pousse à faire, nous entraînant ainsi de l’autre côté.

Le film est aussi fascinant par son dosage de genres a priori antinomiques que par les choix esthétiques qui en découlent, culminant lors d’une scène ubuesque où Pierre, contraint de sortir avec ses amis mais obligé de se débarrasser d’une de ses bêtes, tente d’être sur tous les fronts à la fois. Hubert Charuel mêle à la fois le burlesque, le tragique, le suspense pur et une forme d’abstraction visuelle (la nuit, le feu, le sang) que viennent contrebalancer, par un montage redoutablement efficace, les scènes où Pierre est confronté au réel. Un peu moins réussie, la partie qui le pousse à partir à la rencontre d’un paysan paranoïaque et conspirationniste (Bouli Lanners) alourdit un peu le film, mais qu’importe : à la faveur d’une fin faussement apaisée, où la fièvre retombe pour mieux mettre à nu la tragédie qui frappe Pierre et, par là-même, tout le monde paysan, le film révèle un cinéaste au regard singulier et attachant, que l’on espère retrouver très, très vite.

http://www.critikat.com/actualite-cine/critique/petit-paysan/

Vidéos

Contamination (extrait non commenté) / début du film

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