Synopsis
Pour la première fois de sa vie, Daniel Blake, un menuisier anglais de 59 ans, est contraint de faire appel à l’aide sociale à la suite de problèmes cardiaques. Mais bien que son médecin lui ait interdit de travailler, il se voit signifier l’obligation d’une recherche d’emploi sous peine de sanction.
Distribution
Dave Johns : Daniel Blake
Hayley Squires : Katie Morgan
Natalie Ann Jamieson : l’employée du Jobcentre
Micky McGregor : Ivan
Colin Coombs : le facteur
Bryn Jones : le policier
Mick Laffey : le conseiller en avantages sociaux
Briana Shann : Daisy, fille de Katie
Dylan McKiernan : Dylan, fils de Katie
John Sumner : le responsable des CV
Générique
Titre original : I, Daniel Blake
Titre français : Moi, Daniel Blake
Réalisation : Ken Loach
Scénario : Paul Laverty
Photographie : Robbie Ryan
Décors : Linda Wilson
Casting : Kahleen Crawford
Costumes : Joanne Slater
Montage : Jonathan Morris
Direction artistique : Caroline Barton
Musique : George Fenton
Son : Ray Beckett
Production : Rebecca O’Brien
Sociétés de production : Sixteen Films, Why Not Productions et Wild Bunch ; Brithish Film Institute (coproducteur), BBC Films (coproducteur)
Société de distribution : Entertainment One (Royaume-Uni et Irlande), Le Pacte (France), Filmcoopi Zürich (Suisse, tous médias), Sundance Select (États-Unis, en salle), Wild Bunch (monde)
Durée : 1h40
Autour du film
Palme d’or à Cannes, «Moi, Daniel Blake» marque le retour du cinéaste britannique dans le registre du mélo alarmiste sur fond de chômeurs dans la dèche en proie aux pires injustices.
Katie (Hayley Squires) et Daniel Blake (Dave Johns). Photo Le Pacte
Encore en tournage de Moi, Daniel Blake en novembre 2015, Ken Loach raconte à un journaliste du Guardian pourquoi, alors qu’il avait annoncé sa retraite, il a décidé de remettre le couvert et de signer un nouveau film. Exaspéré qu’il était par ce qu’il nomme la «cruauté consciente» de la politique de David Cameron appliquant les solutions du marché à tous les problèmes sociaux : «Tout ceci consiste à opposer les gens en deux camps : les tire-au-flanc contre les bosseurs» («skivers and strivers»), à détruire des pans entiers d’activité tout en réclamant des chômeurs qu’ils se débrouillent pour «trouver un travail qui n’existe plus».
Transit intestinal
Moi, Daniel Blake, palme d’or surprise au Festival de Cannes, est un mélo social. Il ne s’embarrasse pas de nuances, Loach et son coscénariste Paul Laverty ont toujours tout misé sur les raccourcis et l’émotion, convaincus que c’était là le nerf de la guerre pour réveiller chez le spectateur une fibre charitable et un esprit frondeur. Parce que le néolibéralisme s’acharne systématiquement à simplifier les termes de tout débat et construit des représentations sociales binaires, Loach ne voit d’autre riposte qu’un jusqu’au-boutisme alarmiste, fictionné en trémolos narratifs où rien de ce qui est bon et juste ne sera épargné. Pour cela, il oppose en un conflit frontal et sans partage des individus déshérités, mais les poches pleines de bonté, à la froideur perverse d’une administration d’aide publique qui condamne ceux qu’elle est censée aider. Daniel Blake (Dave Johns, un comédien de stand-up), menuisier sexagénaire, a fait une crise cardiaque sur un chantier. Il pense naïvement que, lui qui a toujours travaillé et payé ses impôts, il pourra, suivant en cela les ordres du médecin, s’arrêter un peu et se reposer en touchant une pension maladie.
Mais d’entrée de jeu, au générique du début, on l’entend répondre à un questionnaire bête et méchant de l’inspectrice des prestations sociales qui l’oblige à dire s’il peut lever le bras gauche ou s’il a un bon transit intestinal. Finalement, la sanction post-évaluative tombe : il doit pointer au Pôle Emploi local et justifier de la recherche active d’un travail. Certes, il peut faire appel mais la procédure est opaque, elle nécessite inscription sur Internet, attente d’un hypothétique rendez-vous… Le cœur de Daniel est fragile mais évidemment, on a l’impression que tout le monde s’en fout et se ligue pour le stresser un maximum dans une sorte d’expérience de laboratoire sadique. Son calvaire est à la fois allégé et redoublé par sa rencontre avec Katie (Hayley Squires), une jeune mère de famille célibataire qui doit élever seule ses deux enfants. Elle aussi dans la dèche et en recherche de n’importe quel emploi qui puisse la maintenir à flot, y compris la prostitution.
Le film, dans son manichéisme, cristallise toute une microphysique des rapports de force entre un lumpenprolétariat hors jeu qui ne possède plus que son droit d’avoir honte d’être tombé si bas (et dont il semble écrit qu’il faut les filmer de manière ingrate) et les agents de surveillance sous-payés du pouvoir : figure détestable des vigiles ou les employés obtus d’une administration sourde et sûre de ses prérogatives (référents du job center, coachs en réinsertion). C’est l’un des sujets du film que Loach décrit mais dont il ne tire aucun bénéfice sinon de pointer au bas de l’échelle un ennemi de classe, un genre de «collabo» du libéralisme s’acharnant à mettre en musique des réglementations opaques édictées d’en haut et manifestement excluantes.
Posture favorable
C’est pourtant un vieux thème : dans cette société anglaise aux stratifications sociales rigides et écrasantes, existe, comme en Inde d’ailleurs où l’Angleterre impériale s’est tout de suite sentie à l’aise avec l’infernal empilement de castes hindoues, un manque de solidarité interclasses précisément par la valorisation de la petite différence qui permet à chacun de toujours espérer être sur une marche plus élevée que le voisin. On en trouve la trace dans le livre de souvenirs du sociologue, fondateur des «cultural studies», Richard Hoggard, 33 Newport Street, où il se souvient de son enfance dans un quartier ouvrier de Leeds dans les années 30 et de l’aversion des ouvriers pour les «petits fonctionnaires» : «Des « monsieur non-non », congénitalement soupçonneux envers le petit peuple…» L’injustice n’est plus ici le fait du patron exploiteur mais plus perversement de l’extension d’une bureaucratie impénétrable – encore renforcée par le numérique – qui a érigé ses nombreuses défaillances en preuves d’efficacité.
Aujourd’hui, Ken Loach roule pour le leader du Parti travailliste, Jeremy Corbyn, signant même un spot de pub pour le soutenir. Dans le même temps, Theresa May, Première ministre conservatrice, essaie d’accréditer une posture favorable à un Brexit implacable (donc une livre dévaluée) et une défense des «familles ordinaires des classes populaires». Le cinéma social anglais dont Loach fut le héros n’aura finalement pas même sauvé les meubles et à peine l’honneur. Moi, Daniel Blake est en route pour un gros succès public. Tout le monde va pleurer, c’est sûr. S’indigner, sans nul doute. On restera, hélas, circonspect sur les retombées concrètes dans la manière dont les gens pensent, agissent et perdurent dans leur habitus social respectif après cette catharsis collective.
Par Didier Peron, Libération
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