Habemus Papam

France, Italie (2011)

Genre : Comédie dramatique

Écriture cinématographique : Fiction

Prix Jean Renoir des lycéens 2011-2012

Synopsis

Après la mort du Pape, le Conclave se réunit afin d’élire son successeur. Plusieurs votes sont nécessaires avant que ne s’élève la fumée blanche. Enfin, un cardinal est élu !
Mais les fidèles massés sur la place Saint-Pierre attendent en vain l’apparition au balcon du nouveau souverain pontife. Ce dernier ne semble pas prêt à supporter le poids d’une telle responsabilité.
Angoisse ? Dépression ? Peur de ne pas se sentir à la hauteur ?
Le monde entier est bientôt en proie à l’inquiétude tandis qu’au Vatican, on cherche des solutions pour surmonter la crise…

Distribution

Michel Piccoli : Le Pape
Nanni Moretti : Le psychanalyste
Jerzy Stuhr : Le porte-parole
Renato Scarpa : Cardinal Gregori
Franco Graziosi : Cardinal Bollati
Margherita Buy : La psychanalyste
Dario Cantarelli : L’acteur fou

Générique

Durée 104 min
Langue : Italien

Réalisation : Nanni Moretti
Scénario : Nanni Moretti, Francesco Piccolo, Federica Pontremoli
Directeur de la photographie : Alessandro Pesci
Montage : Esmeralda Calabria
Costumes : Lina Nerli Taviani
Musique : Franco Piersanti

Autour du film

Critique de Télérama, par Jacques Morice

C’est un événement médiatique, une cérémonie suivie par le monde entier, mais qui dérape. Un cardinal vient d’être élu pape par le conclave du Vatican, il doit faire son apparition au balcon de la place Saint-Pierre, à Rome. Michel Piccoli l’interprète. Beau comme un pape doit l’être, il est assis dans l’ombre, derrière un rideau rouge. Il a rendez-vous avec l’Histoire. Il est appelé. Et… rien. Paniqué, il reste accroché à sa chaise. Avant de lâcher un terrible cri qui déchire le silence.

Cette séquence – inoubliable – est un formidable cataclysme. Une béance, un non-sens qui révèle cette alliance de farce grinçante et de confession touchante propre au cinéma de Nanni Moretti. Le cri irrépressible, apparu dès ses débuts en 1978 avec Je suis un autarcique, est sa griffe. Il exprime une colère (contre la télévision débilitante, le dogmatisme de gauche, Berlusconi…) mais aussi une angoisse, un besoin viscéral des autres en même temps qu’un rejet. La contradiction est donc reine chez lui et rime avec (auto)dérision. Avant cette élection manquée, il y a déjà de quoi rire. Au Vatican, c’est la pagaille : une panne de courant provoque la chute d’un cardinal et le conclave tient de la classe d’écoliers, avec le chouchou, le cancre qui copie sur son voisin, etc. Surtout, lors de l’élection à bulletin secret, chacun prie intérieurement pour ne pas aller au tableau, pardon, pour ne pas être élu pape ! Le pouvoir, en crise, est devenu un fardeau dont plus personne ne veut. Habemus papam est l’histoire de cette crise collective et intime. La religion n’est ici qu’un paravent. Moretti n’a aucunement l’intention de moquer l’Eglise : il aurait aussi bien pu choisir le monde politique ou financier. Mais le Vatican, c’est mieux, c’est la scène suprême du pouvoir, avec son oraison au balcon, ses rituels, son théâtre d’ombres. On cache donc ce qui vient de se passer, un plan com s’organise pour faire patienter les fidèles. Et en attendant, on fait venir en secret un psychanalyste fort réputé.

Moretti lui-même endosse ce rôle, déjà joué dans La Chambre du fils. Professeur (Bianca), prêtre (La messe est finie) ou psychanalyste : ces professions de la parole lui donnent l’occasion d’écouter le malheur des autres, mais aussi de faire la leçon avec une mauvaise foi délirante et souvent tordante. La rencontre de la psychanalyse et de l’Eglise, il fallait oser. Fatalement, ça coince – entre les notions d’âme et d’inconscient, il y a un fossé infranchissable. Le tête-à-tête entre le psychanalyste et son patient est cocasse en diable, car il n’est pas privé ; la curie entière écoute ! Le psychanalyste se retrouve enfermé, au sens propre, à l’intérieur du Vatican (il est devenu l’homme qui en sait trop), et au figuré (il est incapable de soigner !). Sa seule échappatoire sera d’organiser un tournoi de volley-ball avec les cardinaux, bambins dociles et amusés…

Moretti décrit un monde piégé et régressif, où les individus sont prisonniers de discours creux, où l’on peut dire tout et son contraire, où la notion même de responsabilité s’est dissoute dans l’égocentrisme. Face à cela, le silence du nouveau pape, le cardinal Melville, est une énigme – il ne porte pas pour rien le nom de l’écrivain américain, auteur de Bartleby, roman métaphysico-absurde fameux pour la devise de son personnage, « je préférerais ne pas ». Dans le film, Melville ne dit pas grand-chose, il marmonne tout seul, l’air un peu ahuri, répétant maladroitement ce qu’il entend ici ou là. On dirait un fou ou un acteur qui ne saurait plus son texte. Comme il est incapable de jouer le rôle qu’on attend de lui, il n’a plus sa place dans ce théâtre qu’est le Vatican, où tout paraît figé, faux, trompeur, et surtout coupé de la réalité, coupé du peuple. Alors il fugue comme un adolescent. A lui la liberté.

Sauf que le monde extérieur n’est pas aussi réel et clair que cela. Il est même un peu mort, flou, gris. Déboussolé, Melville erre dans Rome, croise une troupe de comédiens de théâtre. C’est un étrange vagabondage, une vacance parfois inquiétante. Où les autres ont tendance à se dérober derrière des paroles séduisantes mais mécaniques. De là cette séquence troublante dans une trattoria, où la conversation des comédiens n’est qu’une accumulation frénétique de répliques tirées de Tchekhov. Exactement comme à la télé, où l’on voit un expert, emporté dans son analyse, finir par avouer, tout contrit, qu’il improvise et qu’il ne sait, en fait, rien…

C’est ce blanc à l’antenne, ce grand vide qu’affronte le souverain pontife en fuite. Une épreuve de vérité qu’on nommera quête de soi, dépression, mal du siècle ou, pourquoi pas, performance. Il est tentant, bien sûr, d’y lire l’autoportrait à peine déguisé du cinéaste, sorte de conscience morale en Italie, pape d’une certaine contestation, citoyenne comme artistique (Le Caïman, modèle de satire politique), et qui choisirait avec courage une forme de désengagement. Mais on aime aussi y voir un hommage à Piccoli, au firmament d’une carrière magistrale, et qui est resté un monument d’humilité et d’honnêteté. Grâce à ce Saint Père des acteurs, qui réussit à disparaître, à effacer tout repère de jeu, Moretti parvient en tout cas à créer quelque chose d’inédit : de l’art en creux.

Pistes de travail

Histoire des pontifes qui ont craqué … ou presque

par Olivier Tosseri
Article paru dans La Vie, jeudi 14 avril 2011

« Priez pour moi afin que je ne me dérobe pas devant les loups. » C’est la demande qu’avait faite Benoît XVI lors de la messe inaugurale de son pontificat. Dans son livre, la Lumière du monde, il confiait avoir pensé à son élection comme à une guillotine placée au-dessus de sa tête. Il n’est pas le seul. Le trône de Saint Pierre, par l’ampleur de la tâche et des responsabilités qu’il induit, a souvent été plus redouté que désiré. Jean-Paul Ier, à peine élu en août 1978, prononça ces mots en latin : « Tempesta magna est super me » (une grande tempête est sur moi). De santé fragile, il succomba au bout de 33 jours.

Tout pape prend conscience du lourd fardeau dès son élection par les cardinaux. Pendant que la fumée blanche s’évapore dans le ciel romain au son des cloches et que les fidèles accourent vers la place Saint-Pierre pour découvrir leur nouveau pape, ce dernier s’isole dans la Camera lacrimatoria (chambre des larmes).

Dans cette pièce de 9m2, attenante à la chapelle Sixtine, où s’est tenu le conclave, il revêt l’une des trois soutanes blanches préparées par le tailleur attitré du Vatican.

Là, en présence du camerlingue et du maître des célébrations liturgiques, il peut s’abandonner à quelques furtifs instants d’émotion, juste avant de paraître pour la première fois au balcon de la loggia de la basilique Saint-Pierre.

Intrigues politiques, recherche du salut, inexpérience…les raisons d’abdiquer sont nombreuses

Dans les annales de la papauté, il n’existe qu’un cas de refus de porter la tiare : celui du cardinal Hugues Roger (1293-1363), frère du pape Clément VI et évêque de Tulle. Camerlingue du Sacré Collège, il est élu à sa grande surprise à la mort d’Innocent VI en 1362. Pourquoi refuse-t-il son élection ? Pour des raisons bassement économiques. Propriétaire d’un immense patrimoine, il préfère poursuivre ses achats somptuaires pour enrichir ses domaines plutôt que de connaître les affres de la sauvegarde de la chrétienté !

Des papes – très peu nombreux – ont, en revanche, démissionné durant leur pontificat.

A cela, deux raisons principales. D’abord, il y a les démissions résultant d’intrigues politiques : c’est le cas du duc Amédée VIII de Savoie. Souverain pieux et éclairé, il fonde le prieuré de Ripaille près du Lac Leman, en 1410. Il est élu pape en 1440 sous le nom de Félix V. Il accepte sa nouvelle fonction après moult hésitations. Mais, vite désabusé, par les intrigues de la Curie, et soucieux de son salut, il abdique en 1449. Intrigues et abdications successives marquent le « drôle » de règne de Benoît IX (1012-1056) : il sera pape à trois reprises entre 1044 et 1048, après avoir perdu puis reconquis son titre à la suite de soulèvements populaires et de rivalités entre de grandes familles aristocratiques romaines.

Ensuite, il y a l’abdication motivée par l’inexpérience et …l’attrait d’une vie plus spirituelle. Le cas le plus célèbre, et là encore unique dans l’histoire, est celui de Célestin V. Pietro del Morrone (1215-1296) est le moine bénédictin qui fonda l’ordre des Célestins. En 1294, après deux ans de vacance du siège papal, les cardinaux vont chercher cet ermite de 84 ans qui vivait dans une grotte isolée. Sa réputation de sainteté ne lui fut d’aucune utilité pour gérer les affaires de ce monde.

Aussi, conscient de son inexpérience politique, il abdiqua cinq mois après.

Son successeur, Boniface VIII, de peur que son aura soit instrumentalisée par ses ennemis, l’incarcéra au château de Fumone, en Campanie, où le vieux moine mourut deux ans plus tard avant d’être canonisé en 1313.

Intrigues politiques, inexpérience, recherche du salut : l’inventaire des raisons qui poussèrent des papes à démissionner ou à y penser ne serait pas complet sans citer la maladie. Le postulateur de la cause de béatification de Jean-Paul II, Slawomir Oder révèle dans un livre (le Vrai Jean Paul II, Presses de la Renaissance) que Karol Wojtyla, diminué par la maladie, avait envisagé de démissionner. En 1989, il avait écrit en ce sens, une lettre où il prévoyait de « renoncer » à ses fonctions « en cas de maladie, qui (l’) empêche d’exercer suffisamment les fonctions de (son) ministère apostolique ».

Cette disposition ne fut jamais appliquée grâce à la volonté du pape polonais qui mourut à la tâche, avec la dignité et le courage qu’on sait.

Jean-Paul II aurait-il crée une jurisprudence destinée à ses successeurs ?

En 1996, il promulgua la constitution apostolique Universi dominici gregis pour moderniser le rituel de l’élection. Mais l’article 86 délivre un véritable code de conduite au cardinal élu qui serait tenté de refuser le choix de ses pairs : « Je prie celui qui sera élu de ne pas se dérober à la charge à laquelle il est appelé, par crainte de son poids, mais de se soumettre humblement au dessein de la volonté divine. Car Dieu qui lui impose la charge le soutient par sa main, pour que l’élu ne soit pas incapable de la porter ; Dieu qui donne cette lourde charge est aussi Celui qui l’aide à l’accomplir, et Celui qui confère la dignité, donne la force, afin que l’élu ne succombe pas sous le poids de la mission. » Un poids sous lequel, tel le roseau de la fable, le pape peut plier mais ne jamais se rompre

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