Synopsis
Un engin extraterrestre de forme discoïde fait sensation en atterrissant en plein centre de Washington. Il est immédiatement entouré d’un cordon militaire et d’une foule de badauds. Le pilote, Klaatu, sort et annonce qu’il vient en paix. Mais un soldat perd son sang-froid, tire et le blesse au bras. Apparaît alors le robot humanoïde Gort, qui émet un rayon désintégrateur annihilant les armes déployées tout autour…
Distribution
Michael Rennie : Klaatu/Carpenter
Patricia Neal : Helen Benson
Hugh Marlowe : Tom Stevens
Sam Jaffe : le professeur Jacob Barnhardt
Billy Gray : Bobby Benson
Générique
Titre original : The Day the Earth Stood Still
Réalisation : Robert Wise
Scénario : Edmund H. North
Photo : Leo Tover
Musique : Bernard Herrmann
Production : Julian Blaustein
Durée : 1h42
Autour du film
31 janvier 1950 : le président Harry Truman autorise la fabrication de la bombe à hydrogène. A compter de cette date, les tensions entre les deux pôles (menés par l’URSS et les USA) ne cessent de s’amplifier et un climat de peur s’instaure, tant sur l’échiquier politique que sur la scène artistique : alors que les frères Rosenberg sont condamnés à mort pour avoir livré des secrets nucléaires à l’ennemi, Hollywood lutte contre la menace soviétique en publiant sa fameuse « liste noire ». Au cœur de ces années troubles, les studios produisent un grand nombre de spectacles manifestement anti-communistes. Les films d’invasion « aliens » trustent alors les écrans et matraquent le public avec le même message : le danger vient de Mars, la planète Rouge (sic), continuez à surveiller le ciel !
Au cœur de ce maelström de méfiance, certains artistes tentent d’imposer une autre vision. Parmi ces hommes, le jeune Robert Wise, ancien collaborateur d’Orson Welles et réalisateur du très remarqué The Set-Up, est en attente d’un script à la thématique pacifique. Lorsqu’on lui propose l’adaptation du roman Farewell of the Master (Harry Bates), il imagine le premier film de science-fiction mettant en scène un alien non belliqueux. Disposant d’un budget assez limité (995 000 dollars), Wise ne peut élaborer des plans de foule impressionnants, ni espérer voir une pléiade de stars à l’affiche de son projet. Mais n’est-ce pas dans ces conditions que l’on reconnaît les hommes de talent ? Wise le prouve grâce à une réalisation ingénieuse et ultra efficace. Côté distribution, il évite la surenchère et propulse deux comédiens quasi inconnus en tête d’affiche. Il ne faut pas voir dans ce choix un désintérêt pour l’interprétation mais plutôt une approche intelligente des personnages. A la lecture du scénario, il est clair que la narration ne glorifie pas un héros salvateur mais plutôt un messie. Témoin de la vie terrienne, Klaatu porte un message d’amour. Dans leur ouvrage de référence, Coursodon et Tavernier remarquent avec justesse cette dimension christique lorsque l’extraterrestre dissimule son identité sous le nom symbolique de Carpenter. (1) Pour interpréter ce personnage, Wise pense à Claude Rains mais choisit finalement Michael Rennie, comédien au regard froid qui finira sa carrière dans des séries B de science-fiction italienne ! Quasiment dénué de sentiment, l’extraterrestre observe notre monde avec calme et détermination. Pour endosser ce rôle à la psychologie assez simple, inutile d’engager Cary Grant ou Humphrey Bogart ; Rennie fait parfaitement l’affaire et la sobriété de son jeu apporte une crédibilité évidente à Klaatu. A ses côtés, Patricia Neal interprète Helen Benson, la jeune femme qui le protège et l’aide à transmettre son message. Ici encore, sa performance ne laissera pas un grand souvenir dans les encyclopédies du septième art mais l’important n’est pas là : délaissant l’histoire d’amour que le réalisateur lambda aurait imposé au couple « extraterrestre / belle Terrienne », Wise s’appuie sur le script d’Edmund North et dirige ses comédiens avec rigidité vers le fameux climax du discours. En dehors de cet objectif, aucune autre histoire ne vient compliquer le récit, et le réalisateur tend vers un minimalisme narratif assez remarquable.
Malgré ce récit somme toute assez simple, Wise captive son public en créant une ambiance fascinante grâce à un réel talent de mise en scène et au sublime score de Bernard Herrmann. Elève de Welles, auprès duquel il officia en tant que monteur (Citizen Kane, La Splendeur des Amberson), Wise est un formidable technicien. Sa science du montage, qu’il avait exprimée avec virtuosité dans The Set-Up, lui permet ici encore d’imposer un rythme parfait. Ni trop rapide, ni traînant en longueur, l’histoire de Klaatu accélère lentement et mène le spectateur vers le final en conservant son attention tout du long. Pour cela, le réalisateur monteur ne s’embarrasse pas de dialogues et combine ses images avec brio pour imposer des ambiances lourdes de sens : ainsi lorsque les médias relayent l’évasion de Klaatu, une succession de plans silencieux (familles se cachant, commerces fermant leur portes) se succèdent et révèlent la panique qui s’empare de la population. Ce procédé est d’ailleurs réutilisé lorsque la panne d’électricité arrête le monde. Wise imprime ainsi sur sa pellicule une ambiance pesante et réussit l’exploit d’exprimer un sentiment d’effroi mondial avec seulement quelques figurants…
A ses côtés, le cinéaste choisit d’imposer Bernard Herrmann qui n’a pas encore acquis la renommée que lui offrira Hitchcock lors de leur collaboration. A l’aide de sonorisations propres au genre de la science-fiction (utilisation du theremin), le compositeur signe un score où l’étrange se mêle au classique avec une belle virtuosité. De nombreuses séquences dépourvues de dialogues (comme celle de l’atterrissage) mettent en avant cette alchimie qui naquit entre les images de Wise et les notes du génial Herrmann. Sur la forme, le film de Robert Wise est une incontestable réussite. Les résultats du box office suffisent à le prouver : doté d’un budget de 995 000 dollars, le film en rapportera le double sur le seul territoire américain. Mais sur le fond, le jeune réalisateur, que nombre de critiques considèrent comme un simple technicien de talent, développe-t-il une thématique intéressante dans son œuvre ?
Si l’on compare The Day the Earth Stood Still aux autres productions de l’époque, Wise fait preuve d’un solide caractère. La science-fiction des années 50 fortement marquée par le maccartysme avait tendance à tourner en rond et à ce titre le classique The Thing frim Another World de Christian Nyby et Howard Hawks (sorti la même année) est l’archétype du film anti-communiste. Face à ce manque d’originalité, le choix de Wise est remarquable. Non seulement il met en scène un extraterrestre pacifique mais il livre un message profondément humaniste. Lors du final, Klaatu s’adresse aux terriens pour les exhorter à abandonner leur escalade guerrière. Son discours ne privilégie pas plus un camp qu’un autre. Si on limite notre analyse à ce monologue, on peut voir en Wise un apôtre de la paix. Mais Klaatu ne se contente pas de ces belles paroles. Après avoir mis en avant ses idées, il menace les Terriens et leur promet une destruction de la Terre si la réaction ne va pas dans son sens ! Il faut avouer que cette attitude quelque peu brutale n’est pas d’une grande finesse. Ici Wise (Klaatu) cherche à imposer une vision pacifique par la violence et refuse toute discussion. Il prône ainsi une position unilatérale contre le mal et sans concertation avec les différentes composantes terriennes. Ceci est d’autant plus étonnant qu’en janvier 1951 les locaux des Nations Unies sont inaugurés à New York. Pourquoi Wise n’y a-t-il pas vu là une issue à son histoire ?Il sera difficile d’apporter une réponse à cette question, mais quelques années plus tard Robert Wise prouvera à nouveau son attachement à ces valeurs de paix et de tolérance en réalisant le fabuleux West Side Story. Aujourd’hui The Day the Earth Stood Still reste aussi efficace et son message n’a malheureusement pas vieilli. Démontée par la politique des auteurs, il faudra attendre la fin des années 70 pour que cette œuvre soit enfin reconnue à sa juste valeur. En 1977, George Lucas lui rend hommage en nommant trois des personnages de sa célèbre trilogie Klaatu, Barada et Nikto. En 1982, le jeune Steven Spielberg, visiblement influencé par Wise, met en scène un E.T. aux idées bienveillantes. Et en 1993, c’est au tour de Sam Raimi d’utiliser la fameuse tirade « Klaatu barada nikto » dans le script de The Army of Darkness. Cette reconnaissance de la profession suffirait à inscrire Le Jour où la Terre s’arrêta au panthéon des grandes œuvres de la science-fiction et à faire taire la critique de bas étage.
(1) Dans 50 ans de cinéma américain (Tavernier et Coursodon aux éditions Omnibus)