Synopsis
8 ans. 12 ans. 15 ans. Un corps qui grandit devant la caméra, s’imprègne de sensations, d’émotions, se confronte à ses limites, à ses zones d’ombre. Un corps qui au fil des années s’abandonne au personnage, transformant ce qui pouvait paraître un simple jeu (d’enfant) en un véritable travail d’acteur. Le portrait d’un adolescent qui s’est construit avec la caméra.
Générique
Réalisation : Ursula Meier
D’après une idée de Antoine Jaccoud & Ursula Meier
Montage image et son : Julie Brenta
Image : Agnès Godard afc Ursula Meier, Jeanne Rektorik
Musique : John Parish, Catherine Graindorge
Son : Ursula Meier, Dimitri Haulet
Mixage : Franco Piscopo
Production : Milos-Films, La Lanterne Magique Vincent Adatte, Francine Pickel, Isabelle Zampiero
Coproduction : RTS Radio Télévision Suisse Françoise Mayor, Sophie Sallin
Durée : 15 min.
Autour du film
La note d’intention d’Ursula Meier
Lorsque l’on me demande ce qu’est pour moi le cinéma ou plutôt où se situe mon désir de cinéma, je réponds sans hésiter: filmer des corps. Peut-être que ce n’est que ça le cinéma: des corps en mouvement. Je pense souvent à la chronophotographie d’Etienne-Jules Marey, précurseur du cinéma : un homme qui marche. Juste ça et pourtant c’est déjà du cinéma. J’ai commencé à filmer Kacey Mottet Klein lors de la préparation de mon premier film de cinéma Home. Il n’avait pas encore huit ans et c’était sa première expérience avec la caméra. J’ai souvent l’impression que lorsqu’un réalisateur tourne avec un enfant, il se contente de lui «voler» quelque chose qui correspond au personnage du film, l’enfant choisi au casting dégageant les mêmes traits de caractère. Avec Kacey, j’ai eu au contraire le désir inverse: lui faire prendre conscience de ce qu’est, à mes yeux, le travail de l’acteur. Il n’avait aucune base sur laquelle je pouvais m’appuyer, aucun acquis, aucun apprentissage quelconque du jeu. Je suis donc partie de zéro : un regard caméra sans aucune expression, juste une présence neutre comme une page blanche sur laquelle on va ajouter des couleurs, des traits, des formes, des mouvements, des sons, des mots. On expérimente en court-circuitant toutes les méthodes dites de «direction d’acteur». On cherche pendant des mois de façon totalement intuitive et empirique, sans méthode aucune.Et, peu à peu, on finit par filmer au delà du corps : ce qui se cache sous la peau, les zones d’ombre et de lumière, en espérant atteindre in fine sur le tournage, une lueur, un moment de grâce.
Pistes de travail
Dans La direction d’acteur par Jean Renoir (1968), Gisèle Braunberger, ancienne comédienne, s’offrait comme cobaye au grand maître pour un exercice de jeu. À la table, tous deux se livrent “pour de faux” à une répétition qui a pour seul objet le film en train de se faire. L’unique vérité de la situation est celle en train de se jouer entre le réalisateur et son actrice – qui sont en fait la réalisatrice et son acteur. À travers ce pur exercice de style se dévoile la méthode du grand maître pour aller du texte vers son incarnation : “Ce qu’il faut que nous trouvions, c’est le mystérieux mariage entre vous, Gisèle, et l’Émilie qui est dans les lignes de la scène”. C’est aussi à l’exploration de ce “mystérieux mariage” qu’est la fusion du corps de l’acteur et du rôle de papier qu’il incarne que se consacre Ursula Meier dans Kacey Mottet Klein, naissance d’un acteur. Premier film d’une collection initiée par l’association suisse d’éducation à l’image La Lanterne magique, cette “petite leçon de cinéma” s’attache à faire ressentir au jeune spectateur – mais pas uniquement – un aspect de la mise en scène de cinéma.
Découvert à huit ans pour son premier rôle dans Home (2008), Kacey Mottet Klein a éclos comme acteur et comme jeune homme devant la caméra d’Ursula Meier, qu’il a retrouvée quatre ans plus tard pour L’enfant d’en haut, aux côtés de Léa Seydoux. En trois étapes entremêlées (huit, douze et quinze ans), la cinéaste retrace la déjà longue carrière de l’acteur en devenir. Elle monte en vis-à-vis des répétitions, des scènes extraites de leurs deux films en commun avec des plans de lui à quinze ans, face à la caméra. Émancipé de son “pygmalion”, le jeune homme est déjà un acteur confirmé qui s’est illustré depuis dans un premier rôle émouvant (Keeper de Guillaume Senez, en 2016) et face à de grands cinéastes (André Téchiné pour Quand on a 17 ans, également en 2016). Son monologue dit, en offsur ce montage souvenir de ses débuts, comment il intellectualise aujourd’hui ce qui est devenu un métier, son rapport la caméra, au personnage, à ses partenaires. Comme dans le film de Gisèle Braunberger, l’acteur semble en apparence prendre le pouvoir sur le film.
En apparence seulement, car ce qui fascine, c’est bien moins ce discours sur les intentions de jeu que l’énergie dégagée par l’enfant sur les images du passé. On pense à la grâce du jeune Jean-Pierre Léaud qui transperce les mythiques essais pour les Quatre cents coups. Ursula Meier semble fidèle à l’héritage du cinéaste qui préférait que ses jeunes acteurs soient absorbés par des situations de jeu, plutôt que de les faire singer des émotions factices. Devant la caméra, le petit Kacey cabriole, se rue dans la neige, grimace, crie, court. Ce que capte Ursula Meier par la dissynchroniede son dispositif, c’est combien le jeu d’acteur tient de la magie quand il atteint le sérieux d’un jeu d’enfant. Apparaît alors ce mariage mystérieux dont parlait Jean Renoir entre un corps et des actions qu’on lui commande ; entre un corps animé par la grâce du mouvement et un œil qui comprend comment le regarder.
Raphaëlle Pireyre / Bref