Synopsis
Frida, une petite fille de 6 ans dont les parents sont morts du Sida, quitte Barcelone et va vivre dans sa nouvelle famille, constituée de son oncle Esteve, de sa tante Marga, et de leur petite fille de 3 ans, Anna. Elle passe son premier été avec sa nouvelle famille. Éloignée de la famille qu’elle connait (ses grand-parents et ses tantes Angie et Lola), dans un mas dans la campagne, elle devra s’adapter à sa nouvelle vie. Durant cet été, Frida devra accepter sa peine, pendant que ses parents adoptifs feront preuve de beaucoup de patience et d’amour.
Distribution
Laia Artigas : Frida
Bruna Cusí : Marga, la tante de Frida
David Verdaguer : Esteve, l’oncle de Frida
Paula Robles : Anna, la fille de Marga et Esteve
Paula Blanco : Cesca
Etna Campillo : Irene
Jordi Figueras : Blai
Dolores Fortis : Carnissera
Titón Frauca : Cambrera
Cristina Matas : infirmière
Berta Pipó : Tieta Àngela
Quimet Pla : Gabriel
Fermí Reixach : Avi
Isabel Rocatti : Àvia
Montse Sanz : Lola
Générique
Titre original : Estiu 1993
Réalisation : Carla Simón
Scénario : Carla Simón
Durée : 1h37
Autour du film
Entretien avec la réalisatrice Carla Simon
L’histoire du film est inspirée de votre propre enfance. pensez‑vous que cela a rendu l’écriture et la réalisation plus faciles, ou au contraire plus difficiles ?
J’ai raconté mon histoire tant de fois qu’elle est devenue pour moi une sorte de légende. Ces événements me sont réellement arrivés, mais j’ai l’impression qu’ils sortent tout droit d’un conte. Mes souvenirs, mes histoires de famille, mon imaginaire… tout cela s’est mélangé dans mon esprit quand j’ai commencé à écrire le scénario. C’est sans doute pour cette raison que le premier jet m’est venu aussi facilement. Je n’ai eu qu’à coucher sur le papier toutes les images qui m’habitaient. Par contre, j’ai eu plus de mal à trouver la bonne structure pour les agencer. J’ai finalement choisi de conserver cette impression de « tranches de vie », ces petits moments qui, assemblés les uns aux autres, dressent un portrait assez juste de mon premier été avec ma nouvelle famille. Parfois, je me suis demandé ce qui pouvait bien me pousser à raconter des choses aussi personnelles, mais en terminant le scénario, j’ai compris que ce processus m’avait beaucoup appris sur ma propre famille, car l’écriture m’a forcée à considérer mon histoire du point de vue de chaque personnage. Durant le tournage, j’ai ressenti le besoin de prendre de la distance vis-à-vis de mon passé. Si je voulais des interprétations réalistes, je ne pouvais pas reproduire les événements exactement comme dans mes souvenirs ou dans les images que je m’étais fabriquées avec le temps. Dans un film, c’est la réalité qui prime, et je pense que le réel est toujours plus intéressant que tout ce qu’on peut imaginer. Mais ce compromis entre la réalité du tournage et mes images mentales a été difficile à trouver. De même, quand on réalise un film, il faut toujours privilégier des éléments de l’histoire au détriment de certains autres. Chaque souvenir avait une signification particulière liée à mon enfance, mais les acteurs m’ont aidée à faire la part des choses. J’ai appris à les écouter pour comprendre quand je m’accrochais trop à une image pour des raisons sentimentales.
Quel a été le plus grand défi à relever dans votre travail avec les enfants ?
Travailler avec des enfants n’est pas une mince affaire, mais c’était aussi l’un des aspects les plus enrichissants du tournage. Les enfants sont vrais : si on leur laisse assez de liberté, on voit tout de suite quand quelque chose fonctionne ou pas. Les enfants comprennent très bien ce qui se trame derrière chaque scène. Laia (Frida) et Paula (Anna) ont une créativité sans limites. Laia joue d’instinct, elle ressent le rythme, l’humeur d’une scène, et elle s’adapte très bien à l’interprétation des autres acteurs. Paula est très intelligente et elle a une excellente mémoire, elle peut donc rester elle-même pendant une prise et faire exactement ce que je lui demande au bon moment. Nous avons aussi eu la chance de travailler avec des acteurs adultes d’une grande générosité, comme David (Esteve) et Bruna (Marga), qui ont accepté de passer beaucoup de temps avec les filles avant le tournage. Nous avons fait de très longues improvisations, ils ont fait semblant d’être une famille pendant des jours, et cela a certainement rendu leur interprétation plus authentique à l’écran. Le plus grand défi pour moi a été de trouver un style visuel pour le film qui puisse s’adapter aux filles et leur laisser autant de liberté de jeu que possible. Nous avons choisi de laisser la caméra à un endroit précis et de tourner des plans-séquences très simples pour qu’elles puissent interpréter des scènes entières (ou presque) sans prêter attention à la caméra. Quand ça fonctionnait, c’était génial, parce qu’elles pouvaient vraiment entrer dans leur personnage et ressentir la scène dans son intégralité. Ce parti pris nous a aidés à ressentir l’instant présent, à côtoyer Frida (et sa famille) d’une façon plus intime, comme si nous regardions un album de photos ou un film de famille, ce qui me ramène d’une certaine façon aux photos de famille qui ont inspiré le film.
Comment avez-vous trouvé les fillettes pour les rôles de Frida et Anna ?
Pour Frida, nous avons vu plus de 1000 candidates. Nous avons cherché une petite fille de la ville, qui n’avait pas l’habitude de la campagne. Nous avons fait attention à l’histoire familiale des fillettes que nous rencontrions, afin d’en trouver une avec une structure familiale non conventionnelle. Même si je m’identifiais plus facilement aux jeunes actrices qui me ressemblaient physiquement, j’ai surtout cherché une interprète capable d’incarner l’ambiguïté, comme Laia, qui a bien des visages différents. Laia n’a pas eu une enfance facile, et je pense qu’on le voit dans ses yeux. Pour Anna, nous avons cherché une fillette de quatre ans à l’air encore un peu bébé. C’était essentiel pour moi qu’elle dégage une impression d’innocence. À un si jeune âge, il était aussi très important de trouver une fille intrépide, qui ne se fige pas quand on lui demande de faire quelque chose. Paula a une grande capacité
d’adaptation, elle s’est toujours montrée positive et prête à essayer tout ce que je lui suggérais. Elle n’avait peur de rien. Lors des dernières auditions, nous avons associé certaines filles deux par deux. Quand Paula et Laia se sont rencontrées, j’ai compris qu’elles seraient parfaites pour donner vie à la relation décrite dans le scénario, mais je me suis aussi rendu compte qu’elles étaient vraiment petites et j’ai réalisé dans quelle aventure nous nous embarquions.
Le film se passe en catalogne dans les années 1990, pourquoi avoir choisi ce contexte particulier ?
Filmer dans les lieux réels où j’avais été placée à l’âge de six ans s’est imposé à moi comme une évidence. J’avais l’impression que cette histoire n’aurait pu être racontée nulle part ailleurs. Le paysage de la Garrotxa est très particulier. Le territoire est entouré de montagnes, on ne voit quasiment jamais le soleil se lever ni se coucher. L’été, la végétation est luxuriante et s’épanouit dans de multiples nuances de verts. C’était magnifique de faire des repérages pour le film dans des lieux que je connais si bien. Quand j’étais petite, je jouais dans la maison où nous avons tourné. Adolescente, j’ai passé de longues heures avec mes amis sur les places de village où se déroulent certaines scènes, et mes parents adoptifs ont travaillé à la piscine que l’on voit dans le film. Les personnages du film sont aussi inspirés de membres de ma famille qui sont nés et ont grandi en Catalogne. Les grands-parents de Frida représentent les gens de leur génération issus de la haute bourgeoisie qui ont traversé la guerre civile espagnole en conservant leurs idéaux de droite jusqu’à aujourd’hui. Marga et Esteve représentent la génération qui s’est opposée à ces valeurs d’antan, y compris au catholicisme et aux anciennes traditions. Ce sont aussi des « néo-ruraux », pour qui le village est un mode de vie. Dans les années 1980, un nombre important de citadins sont venus s’installer en zone rurale, pour des raisons économiques, philosophiques ou idéologiques. Enfin, j’ai moi-même grandi dans les années 1990, et retrouver les jouets, les jeux et les vêtements de cette époque était très émouvant pour moi, comme pour la plupart des membres de l’équipe du film.
Les parents de Frida sont morts du sida. Était-ce un problème répandu à cette époque en Espagne ?
La transition démocratique a été une période heureuse en Espagne, synonyme d’ouverture, de liberté et de renouveau. Mais cette soudaine liberté s’est accompagnée d’une grande consommation de drogues. Au milieu des années 1980, les médias ont commencé à parler d’une « crise de l’héroïne », qui a entraîné une hausse des contaminations par le VIH. Les médicaments antirétroviraux ne sont arrivés qu’en 1994, il était déjà trop tard pour la plupart des gens de cette génération, y compris mes parents. Au début des années 1990, près
de 21 000 personnes sont mortes du sida en Espagne, qui était alors le pays d’Europe le plus durement frappé par l’épidémie. À travers ce contexte, je montre qu’il ne s’agit pas
seulement de mon histoire, mais aussi de celle de la génération de mes parents, qui a vécu la transition, et de celle de ma propre génération, qui en a subi les conséquences.
Frida a une façon très personnelle de faire face à la mort de sa mère
Perdre ses parents est probablement la pire chose qui puisse arriver à un enfant, mais de par ma propre expérience, je sais que les enfants sont capables de comprendre et de s’adapter aux situations les plus complexes. Frida vient de perdre sa mère et quand elle découvre son nouveau foyer, elle se met d’une certaine façon en « mode survie ». D’abord elle observe et se comporte correctement, puis peu à peu elle commence à s’opposer à sa nouvelle famille, à tester les limites pour voir jusqu’où elle peut aller. En réalité, elle est comme anesthésiée
d’un point de vue émotionnel. Il faut qu’elle apprenne à faire face à ses propres émotions et à faire confiance à sa nouvelle famille pour pouvoir à nouveau aimer et être aimée. Frida doit aussi accepter qu’aucune magie en ce monde ne pourra lui rendre sa maman. Au début du film, elle s’accroche encore à cet espoir, mais peu à peu elle finit par tourner le dos à la religion de sa grand-mère et à ses propres croyances, et elle accepte ce que la mort signifie réellement.
Diriez-vous que le film invite le spectateur à réfléchir à ses propres relations familiales ?
Je l’espère. Une famille est une famille. Un père est un père, une mère est une mère, un fils est un fils, une fille est une fille et une soeur est une soeur. On ne se pose pas de questions sur ces relations, elles vont de soi, puisque nous les comprenons et nous les vivons comme telles. Cependant, pour Frida et sa nouvelle famille, les choses ne sont pas si simples… Eté 93 est une réflexion sur l’évidence des relations familiales à travers l’observation d’une famille qui doit se reconstruire. Soudain, un oncle, une tante et une cousine doivent devenir un père, une mère et une soeur. Du jour au lendemain, ces personnes doivent former une nouvelle famille et créer, ou transformer, leurs relations existantes. Frida doit trouver sa place dans la famille, Marga et Esteve doivent apprendre à l’aimer comme si elle était leur enfant, et Anna doit accepter d’avoir une grande soeur. J’espère que le film aidera les spectateurs à se rappeler l’importance de ces relations fondamentales, et à les apprécier davantage.