Y aura-t-il de la neige à Noël ?

France (1996)

Genre : Drame

Écriture cinématographique : Fiction

Archives LAAC, Lycéens et apprentis au cinéma 2022-2023

Synopsis

Dans une ferme provençale, une mère protectrice et dévouée élève ses sept enfants tout en se démenant au travail. Le père, véritable patriarche à l’ancienne, souvent absent, mène une double vie. Le quotidien difficile de l’exploitation agricole est rythmé au gré des saisons par de micro-évènements familiaux qui tendent à rapprocher les enfants de leur mère. Un jour, alors qu’il part chercher sa fille à l’arrêt de bus, le père est pris d’une tentation incestueuse…

Film précédé du court-métrage Le skate moderne d’Antoine Besse (6’43)

Distribution

Dominique Reymond : la mère
Daniel Duval : le père
Jessica Martinez : Jeanne, l’aînée
Alexandre Roger : Bruno
Xavier Colonna : Pierrot
Fanny Rochetin : Marie
Flavie Chimènes : Blandine
Jérémy Chaix : Paul
Guillaume Mathonnet : Rémi
Éric Huyard : Yvon
Loys Cappatti : Bernard
Marcel Guilloux-Delaunay : l’instituteur

Générique

Titre : Y aura-t-il de la neige à Noël ?
Réalisation : Sandrine Veysset
Scénario : Sandrine Veysset et Antoinette de Robien
Musique : Henri Ancilotti
Photographie : Hélène Louvart

Autour du film

Mère Noël

En 1996, c’est un premier film produit par Humbert Balsan qui remporte le prestigieux prix Louis Delluc. Réalisé par Sandrine Veysset, il a pour titre une question qui est tout aussi poétique que de saison : Y aura-t-il de la neige à Noël ? La jeune réalisatrice a donc bien fait de suivre le conseil de Leos Carax pour qui elle a travaillé sur les décors des Amants du Pont-Neuf en entreprenant un récit biographique centré sur son enfance familiale à la campagne, une vie faite de travaux et de jours harassants. Au centre de cette pastorale lumineuse, se tient un cœur névralgique, un couple en guerre fait d’une mère aimante et d’un père démissionnaire, marié autre part. Une attirance obscure pour cet homme séducteur empêche la femme de quitter les lieux, emmenant avec elle ses sept enfants de conte de fée. La ressortie en DVD et en Blu-Ray de l’œuvre nous donne l’occasion d’observer qu’au-delà du matériau intime qui pourrait sembler claustrophobe, on trouve dans ce fabuleux premier film une narration ne cessant de mettre en scène ouvertures et échappées et parvenant, dans une célébration presque spirituelle de la mère, à réconcilier clarté bucolique et noirceur des âmes.

L’idylle aux champs

Dans le bel entretien qu’on trouve en supplément du film dans la réédition DVD, la chef-opératrice, Hélène Louvart, explique que Sandrine Veysset n’avait pas indiqué de références picturales canoniques pour construire l’image des travaux des champs. Ses modèles étaient plutôt des photographies de famille d’enfance dont elle souhaitait exagérer la lumière ; elle rêvait d’une version de ces clichés encore plus surexposée et d’un estompement progressif des tons avec le passage des saisons. Si elle a renoncé au noir et blanc final initialement prévu, elle a pourtant tenté de blanchir les négatifs pour obtenir un effet décoloré. Néanmoins, l’échec de cette méthode a permis de faire apparaître une palette de couleurs sublimement impressionniste. Le film n’est pas explicitement référencé mais on trouve du Corot et du Millet dans les plans sur la terre en labour. Comme chez ces peintres, il est difficile de distinguer les contours des personnages tant ils semblent se fondre dans la nature environnante. Ceci est particulièrement évident pour la mère dont les multiples couches de tissu semblent toujours s’accorder aux plantes et aux légumes dont elle s’occupe. Dans la scène centrale de dispute avec le père, par exemple, le violet et le vert des navets sont repris par les teintes de sa robe. Les enfants participent de la même inclusion dans le paysage, qu’ils jouent à cache-cache dans un labyrinthe de foin dans la scène inaugurale où qu’ils dévorent du raisin à la dérobée derrière une haie. Leur semi-nudité permanente pendant la première moitié du film (l’été) illustre d’ailleurs bien cet état de nature presque originel auquel parvient la chronique : le dehors se substitue au dedans comme authentique lieu de vie. Cette sortie aux champs est aussi celle de la comédienne de théâtre Dominique Reymond, qui dans un rôle de composition totale, parvient à recréer avec fluidité les gestes habiles de la paysanne.

Jachère

Mais, si la mère ne fait plus qu’un avec sa progéniture solaire, le rapport qu’elle entretient avec le père est clairement conflictuel. Si les enfants incarnent la liberté, il est, quant à lui, le pilier qui l’arrime à la terre, celui qui la retient de force dans l’obscurité. Le sombre Daniel Duval incarne cet homme qui ne cesse de vouloir éteindre la lumière pour ne pas payer davantage d’électricité et les diverses matérialisations des caisses et des cageots figurent l’emprisonnement dont il est le nom. Sandrine Veysset compare elle-même son film à un entonnoir. Les forces de vie et les désirs de fuite s’amenuisent nécessairement face aux divers visages de l’indicible : famille légitime à Cavaillon, adultères à répétition derrière des portes closes, honte de la bâtardise, attirance sexuelle plus puissante que l’honneur. La possibilité de l’inceste figure le dernier de ces tabous matérialisé à l’écran par une très belle fermeture à l’iris, effet de montage légèrement désuet. Celui-ci semble indiquer que la mère ne sera plus jamais la même car elle a compris ce qui n’apparaît que sous la forme de l’ellipse dans l’intrigue : le père s’est approché un peu trop près de la fille. Le labeur ardu des champs dont les enfants paient le prix en entrant trop rapidement dans la sphère des adultes forme donc l’autre face de ce film hanté par le clair-obscur.

Dieu dans le flocon

Mais, si Millet ainsi que d’autres peintres de l’école de Barbizon faisaient le choix de la représentation du quotidien contre les « nobles sujets », ils conservaient tout de même dans leur peinture de paysage la structure sacrée de certaines compositions de Poussin. C’est ce que l’on observe dans l’œuvre de Sandrine Veysset où la mère courage naturaliste tient aussi le rôle de Piéta glorieuse bien que sacrifiée. En elle, se réconcilient le noir et la lumière : la scène ultime du dîner de Noël est une veillée à la bougie qui fait luire, dans l’obscurité, des teintes incandescentes tout comme les feux d’artifice que l’on observe à la fenêtre le soir du 14 juillet. Les connotations de son instinct maternel exacerbé sont clairement spirituelles. Presque trop mère, elle est celle à qui l’on ne cesse de demander : «Ils sont à vous, tous ces enfants ?» A priori, cette marmaille indifférenciée peut tout à fait être vue comme un châtiment divin. D’ailleurs, pour une fois abandonnée au confort de la parole intime le soir de Noël car le père est parti, la mère confesse un rêve étrange. Elle a vu Dieu dans une grotte et il l’a mise au défi de battre à la course une énorme femme. Contre tout attente, elle se voit perdre et condamner à donner naissance à sept reprises. Néanmoins, ce sort n’est pas accueilli comme une malédiction qu’il faudrait combattre mais il est transfiguré par le travail de transmission qu’elle effectue. Contre le père qui a «une pierre à la place du cœur», elle impose la force d’un autre élément, et apprend à ses enfants à ne pas craindre la placidité de l’eau. Cela donne lieu aux plus belles scènes du film : on les voit, par exemple, défier gaiement la pluie en défilant sous une bâche en plastique transparente qu’elle a improvisée, ou transformer les sillons de la terre en canaux pour bateaux de fortune et en voies d’évasion. Cet apprentissage ne peut se terminer qu’en affrontant le liquide solidifié par excellence, «ce soyeux cortège tout en larmes blanches» qu’est la neige.

Gabrielle Adjerad / Critikat

Pistes de travail

Analyse thématique

Dans ce premier film de Sandrine Veysset, l’esthétique naturaliste s’inspire de la peinture pastorale pour offrir un récit proche du conte. L’analyse esthétique et narrative proposée met justement en avant tous les contrastes – tels que la dimension documentaire et l’univers fantastique apporté par le point de vue des enfants – qui parcourent cette œuvre intemporelle.

Expériences

Elle a fait ses premières armes au cinéma auprès de Leos Carax. La cinéaste Sandrine Veysset (Martha…Martha, La Vie devant toi…) décrypte son travail sur l’image, l’art de la suggestion qui lui est cher, ou encore la manière dont elle a appréhendé son premier long métrage Y aura-t-il de la neige à Noël ? (1996).