Sommet des dieux (Le) / LAAC

France, Luxembourg (2021)

Genre : Aventure

Écriture cinématographique : Film d'animation

Lycéens et apprentis au cinéma 2024-2025

Synopsis

Au début des années 1980, Habu Jōji, orphelin sans attaches, a une passion obsessionnelle pour la haute montagne, et un don exceptionnel pour la grimpe. Il multiplie avec succès les défis dans les Alpes japonaises, mais, si les membres du club auquel il appartient admirent ses exploits, il n’est pas aimé, son caractère est trop entier. Lorsqu’un accident entraîne la mort de son jeune compagnon de cordée, Kishi, il est soupçonné de l’avoir laissé mourir. Il disparaît.

Des années plus tard Fukamachi Makoto, reporter pour un magazine de montagne, qui accompagnait une expédition japonaise dans l’Himalaya, prolonge son séjour à Katmandou. Un soir, un inconnu lui propose d’acheter un appareil photo qui ressemble fort à celui que portait l’alpiniste anglais George Mallory, disparu en juin 1924 sur la crête nord de l’Everest. Il n’y croit pas et ne veut pas l’acheter, mais ensuite il assiste par hasard à une querelle entre celui qui voulait lui vendre l’appareil et un homme en qui il croit reconnaître Habu. Entre Japon et Népal, il commence alors une véritable enquête quasi policière pour reconstituer — sous forme de nombreux flashbacks — le parcours de Habu et finalement arrive à avoir l’appareil photo en retrouvant Habu.

Distribution

Damien Boisseau : Fukamachi
Lazare Herson-Macarel : Habu jeune
Éric Herson-Macarel : Habu vieux
Kylian Trouillard : Kishi
Philippe Vincent : le rédacteur en chef
Gauthier Battoue : Inoué jeune
Jérôme Keen : Inoué vieux
Elisabeth Ventura : Ryoko
François Dunoyer : Ang Tsering
Luc Bernard : Ito
Marc Arnaud : Hase
Cédric Dumond : Nima

Générique

Réalisation : Patrick Imbert
Scénario : Patrick Imbert, Jean-Charles Ostoréro et Magali Pouzol
Direction artistique : David Coquard-Dassault
Montage : Benjamin Massoubre et Camillelvis Théry
Musique : Amine Bouhafa

Autour du film

Adapté du manga éponyme de Jirô Taniguchi, ce long métrage à l’animation très réaliste marque par sa capacité à transmettre les sensations de vide et de vertige. Le travail de montage est particulièrement réussi et confère au film un rythme tenu et prenant qui accompagne parfaitement l’enquête menée par son personnage principal. Les plans sur la montagne sont d’une grande beauté et allient parfaitement un réalisme à couper le souffle avec la poésie de l’animation.

Un sommet du manga

Entre 1994 et 1997, l’écrivain japonais Baku Yumemakura publie, sous forme de feuilleton, Le Sommet des Dieux. Un récit d’ascensions qui confronte deux destins : celui de Habu, alpiniste au passé tragique, et de Fukamachi, un journaliste désœuvré, dans leur quête de l’Everest. Jamais traduit en dehors du Japon, cette aventure en haute altitude a d’abord marqué les esprits au Japon et notamment celui du mangaka Jirô Taniguchi. Avec la complicité de Yumemakura, il a signé une adaptation fleuve en 5 tomes aux éditions Shueisha entre 2000 et 2003. Puis, les éditions Kana les ont publiés en France où le public a plébiscité l’expédition : 380 000 volumes se sont depuis écoulés et Taniguchi-san a notamment reçu le prix du meilleur dessin au Festival d’Angoulême en 2005. Sept ans plus tard, Jean- Charles Ostorero (Julianne films), a rejoint la cordée… « J’ai découvert les 5 tomes et, à la fin de ma lecture, j’ai eu immédiatement l’envie d’en faire un film. Mais quel film réaliser à partir de cette immense fresque ? J’ai laissé cette idée mûrir dans ma tête avant de contacter Corinne Quentin, une française Tokyoïte d’adoption, qui gérait les droits du Sommet des dieux et qui en a parlé à Jirô Taniguchi. Il s’est montré très heureux de ce projet d’adaptation en film d’animation alors qu’il avait mis toutes ses forces dans le dessin du manga. Un encouragement essentiel pour lancer la production. »

Adapter, c’est trahir

Dès les dessins préparatoires, Patrick Imbert trouve la forme qu’il veut donner aux personnages. Car si le manga reste une référence pour toute l’équipe, il ne s’agit pas de reproduire l’identité graphique de Jirô Taniguchi à l’identique. Patrick Imbert — « Je n’ai pas cherché à coller à son design car Taniguchi aimait placer beaucoup de détails. C’était impossible à reproduire en animation étant donné le nombre de dessins à exécuter. Mais en allégeant le trait, les animateurs ont pu se concentrer sur les visages, les expressions. Le fait de garder une ligne réaliste et de choisir la 2D nous a demandé une grande précision, par exemple sur le positionnement des yeux. Un oeil légèrement trop bas et cela crée une sensation de gêne pour le spectateur. » Un travail méticuleux qui a poussé à certains parallèles avec le sujet du film…

Himalaya-Japon : aller-retour

À mesure que l’on progresse entre le passé et le présent de Habu et Fukamachi, on passe des pentes enneigées de l’Everest au quotidien animé des rues tokyoïtes. Entre une nature sauvage et une nature dominée dans un paysage urbain. Dans un souci de véracité, l’équipe a fait appel à une amie japonaise qui fera office de consultante, Mizuho Sato-Zanovello. À elle notamment de vérifier que toutes les écritures sur les panneaux étaient corrects. Mais l’interrogation de Patrick Imbert s’est aussi portée sur comment représenter des Japonais. Patrick Imbert — « On met en scène des Japonais, ils doivent agir comme tel. À un moment, je me suis posé la question d’installer des occidentaux parce que je n’avais pas envie d’usurper une culture ou de la tordre. On n’a pas exactement le même rapport aux choses : à la mort, à la hiérarchie, à la convention sociale… Je les ai donc dessinés comme des Japonais tout en les faisant bouger plutôt comme des occidentaux car le jeu japonais est différent. »

Un manga qui bouge

Graphiquement, Patrick Imbert a tiré parti de toutes les possibilités offertes par la 2D. Avec son trait, la montagne esquissée par Taniguchi devient presque un décor photographique. Il joue avec les pleins, les vides, les échelles… Patrick Imbert — « Taniguchi était très fort en composition, mais j’ai utilisé d’autres cadres. Faute de réelle profondeur comme peut l’offrir la 3D, on a utilisé tout ce que la 2D mettait à notre disposition pour recréer le sentiment d’immersion : contre-jour, richesses des compositions. On a essayé plein d’idées. Et si ça ne marchait pas, on recommençait. »

Au registre des inspirations, l’équipe cite spontanément des documentaires comme The Dawn Wall, mais surtout des artistes japonais comme Satoshi Kon, Hayao Miyazaki, Katsushika Hokusai, Isao Takahata ou Yasujiro Ozu. Un panorama exigeant.

Voix d’escalade

L’immersion dans l’ascension passe bien sûr par le son. Dans le film, les paroles se raréfient comme l’oxygène à mesure que l’on monte. Les craquements de la neige, le vent assourdissant, le souffle des forçats… composent un théâtre sonore alors que les personnages sont toisés par le sommet. Un questionnement intérieur qui passe par la voix off de Fukamachi et dont rêvait Patrick Imbert. « J’ai toujours aimé les voix off. Dans Persépolis ou Les Affranchis, elles sont remarquables et ne servent pas de béquilles, mais bien au récit. J’avais aussi été très marqué par la voix de Damien Boisseau dans Fight club. J’ai été ravi qu’il rejoigne Le Sommet des Dieux. »

Pistes de travail

Analyse thématique

Ce film d’animation raconte la détermination acharnée d’un alpiniste à faire l’ascension du mont Everest et celle, des années plus tard, d’un journaliste à enquêter sur cette expédition. L’imbrication de ces trames narratives permet de s’interroger sur la notion de héros et d’acte héroïque.

Une fascination intacte

Car l’Everest est un triomphe récent. Il a fallu attendre 1953 et l’expédition victorieuse de Edmund Hillary et Tensing Norgay pour gravir les 8 848 m du toit du monde. « L’Everest, c’est la grande aventure de la première moitié du 20e siècle, rappelle Jean-Charles Ostorero. Jusqu’en 1953, tout le monde n’attendait que ça. » Depuis, près de 5 800 alpinistes ont réussi l’ascension, mais 300 candidats y ont trouvé la mort, leurs dépouilles jonchant parfois les abords du tracé vers le sommet. Une fascination liée également à de grandes figures parmi lesquelles George Mallory qui avait influencé le roman de Baku Yumemakura. Déjà.

L’énigme Mallory

La communauté des gens de montagnes sait qu’une expédition grimpe toujours sur les épaules des précédentes. Et celle de Mallory est fondatrice. Cet alpiniste britannique est resté célèbre pour avoir péri en 1924, à 37 ans, avec son partenaire Andrew Irvine, alors qu’ils étaient proches du sommet (leurs corps ont été retrouvés à 8 390 m d’altitude). Depuis, les alpinistes ont toujours dans l’idée de récupérer l’appareil photo emporté par le duo et qui pourrait prouver si oui on non ils ont pu atteindre le sommet. Un appareil au cœur du roman, du manga et désormais du film d’animation Le Sommet des Dieux. Stéphan Roelants — « Mallory, j’y pense depuis que je suis jeune. Il y a d’ailleurs eu un débat avec Jean-Charles (rires). Moi, je pense qu’il y est arrivé. »

Pourquoi monter ?

À la question d’un journaliste du New York Times qui lui demandait pourquoi il s’entêtait à vouloir gravir l’Everest, Mallory avait répondu pour la postérité « parce qu’il est là ». Patrick Imbert et son équipe ont travaillé à restituer, par-delà le récit d’aventure et les vues incroyables sur l’Himalaya, ce qui faisait grimper les héros, ce qui les poussait à s’élever physiquement et spirituellement. « Il fallait rendre compréhensible le questionnement de Habu et Fukamachi pendant la montée. Finalement, c’est proche de la démarche artistique. Toutes choses égales par ailleurs, quand on me demande pourquoi je dessine, je ne sais pas répondre autre chose que “parce que, ce que j’aime, c’est dessiner”. Comme nos deux héros, il y a aussi un grand sentiment de solitude quand on crée. » Les deux héros du film partent avec leurs mystères. La montée leur apportera-t-elle des réponses ? Loin de n’être qu’un exploit sportif, défier l’Everest est aussi une occasion d’explorer son humanité, même s’il faut sentir son corps en souffrance pour cela. Initié en 2012, Le Sommet des Dieux a connu une lente et patiente ascension. Où les défis n’ont pas manqué.

Expériences

S’adapter à la montagne

Rejoint par Didier et Damien Brunner et Stéphan Roelants, la production du film cherche alors comment transformer les 1 500 pages du manga en un scénario pour un long-métrage de 90 minutes. Tout en conservant de hautes ambitions. Didier Brunner — « Le manga nous offrait de nombreuses pistes où l’on pouvait détailler l’engagement humain à la conquête de l’intouchable. On a beaucoup réfléchi sur les limites entre la raison et la passion des deux héros. L’enthousiasme de Jean-Charles nous offrait un bon exemple. (rires) » Stéphan Roelants — « C’est aussi notre estime commune pour le travail de Jirô Taniguchi qui nous a obligé. On ne voulait pas le décevoir. »

Quatre ans de travail sur le scénario auront été nécessaires pour aboutir à l’essentiel : suivre Habu dans sa quête et Fukamachi dans son enquête en délaissant les intrigues secondaires. Gardée également, l’idée d’entremêler passé et présent comme dans l’œuvre originale, entre le présent du photographe qui cherche l’alpiniste et le passé dramatique de Habu. Un procédé qu’on retrouve dans Souvenirs goutte à goutte, immense film de Isao Takahata et inspiration pour Patrick Imbert. Pour le dessin, l’équipe se met d’accord sur une volonté réaliste en accord avec la méticulosité de Taniguchi, mais en la poussant encore un peu plus pour la forme des personnages. Dider Brunner — « Habu a un côté Capitaine Achab dans Moby Dick, il a quelque chose à régler avec la montagne. L’Everest le motive individuellement mais est socialement destructeur. Habu est un taiseux qui n’arrive pas à partager avec les autres. Notre envie était de conduire le film vers une tension philosophique à travers une histoire mentale et intérieure. » Le scénario et des dessins préparatoires purent être montrés à Maître Taniguchi peu avant sa mort, en 2019. Un souvenir émouvant pour Jean-Charles Ostorero : « il nous avait fait un retour très favorable. Il était très respectueux des œuvres adaptés, puisque son manga était déjà une adaptation ». Face à Habu et Fukamachi se dresse le troisième personnage du film : l’Everest. La plus haute montagne du monde obsède les alpinistes du Japon, de France et de partout ailleurs. Un décor fabuleux, mais aussi ombre oppressante tout au long du film…

Le vertige dans une case

Le Sommet des Dieux version manga avait fait sensation pour la capacité de Taniguchi à reproduire fidèlement le milieu alpin et a déployé des vues vertigineuses de l’Everest dans des petites cases. À la lecture, nul doute que le mangaka savait faire appel à autre chose qu’à l’oeil dans ses cases. Le temps y semble parfois comme suspendu et le cerveau recrée des panoramas. Ainsi, les sensations de grandeur, voire de vertige saisissent le lecteur. Un guide utile pour Patrick Imbert, même s’il a fallu s’en détacher : « le manga de Taniguchi donne beaucoup d’informations, mais ce n’est pas un storyboard pour autant. Nous avons fait énormément de recherches sur l’Everest. Et pour être le plus précis possible, nous avons sollicité des alpinistes ». Ainsi Charlie Van Der Elst du Club Alpin Français et Vincent Vachette, l’un des summiters (ceux qui ont réussi l’ascension) de l’Everest vinrent rencontrer l’équipe pour donner des conseils, évoquer les sensations de froid, le bruit assourdissant du vent quand on dort sous la toile de tente, comment se forment les noeuds, comment le souffle devient court… De précieux renseignements pour Patrick Imbert afin de distinguer « ce qui était réaliste et ce qui ne l’était pas ». Même si ce n’est que pour un film, s’attaquer au toit du monde n’est pas anodin. D’autant que de célèbres fantômes veillent.