Biographie
Né le 15 mars 1944 à Paris, Jacques Doillon occupe une place unique dans le paysage cinématographique français. Après une jeunesse passée dans le XXe arrondissement, il devient assistant-réalisateur puis chef-monteur avant de tourner lui-même quelques courts métrages documentaires. En 1973, il réalise avec le dessinateur Gébé un premier long métrage encore marqué par l’utopie soixante-huitarde : L’An 01 incluant deux séquences signées Alain Resnais et Jean Rouch.
La véritable entrée de Jacques Doillon en cinéma s’effectue avec Les Doigts dans la tête (1974) où il met en scène ce qui constituera la thématique récurrente de son œuvre : les corps, les mots, l’émotion des acteurs. Et qu’importe l’action, prise ici dans les plis du temps, comme il le déclare dans le portrait qu’Anne Brochet et Françoise Dumas lui consacrent en 1998 . Chronique d’une jeunesse aux prises avec l’amour et le monde du travail, Les Doigts dans la tête traite du passage douloureux à l’âge adulte. L’approche intimiste et chaleureuse des personnages tranche déjà avec un montage fluide et incisif. Léger et spontané, le ton n’est jamais gêné par le scénario très écrit et la mise en scène particulièrement soignée. Déjà présents également, les comédiens non-professionnels que le cinéaste emploiera indifféremment aux acteurs de profession. Seul l’aspect social dispara’eetra quasiment de sa filmographie à venir.
Après le succès d’Un sac de billes (1975), film de commande adapté du roman autobiographique de Joseph Joffo où il s’écarte de ses préoccupations intimes, Doillon tourne La Femme qui pleure (1979). Cherchant probablement à fuir les films à succès qu’on lui propose, il travaille presque en autarcie dans sa maison de campagne et met en scène une histoire d’amour psychologique dans laquelle il joue son propre personnage. Jeu d’approches et de rejets, le tout est filmé en longs plans-séquences pleins de mots et de larmes. Cet univers étouffant se prolonge avec La Drôlesse (1979) qui compte comme l’une de ses meilleures réalisations. Le film ancré en milieu rural possède une force naturelle qui doit sans doute aux deux courts métrages que l’auteur a réalisés quelques années plus tôt pour le compte du ministère de l’Agriculture (Laissés pour compte et Les Demi-jours). Inspiré d’un fait divers, il raconte la relation trouble d’une petite fille enlevée puis séquestrée par un jeune homme. Les deux personnages passent leur temps à incarner diverses figures dans une grande chorégraphie des sentiments où Mado est, tour à tour, la petite victime de François, sa confidente, sa petite amie, sa maman ou encore sa fille. En essayant et en réessayant les nombreuses combinaisons du couple, chacun trouve peu à peu une force qui le construit et le fait exister aux yeux de l’autre. Comme ce sera désormais le cas chez Doillon, chaque scène nécessite en moyenne une quinzaine de prises avec des sommets à 25 !
Clôturant cette sorte de triptyque de l’enfermement introspectif, La Fille prodigue (1981) marque la rencontre de Jacques Doillon avec des acteurs « en vue » comme Jane Birkin et l’immense Michel Piccoli. Solitude et espaces clos sont à nouveau les composantes de cette histoire qui, en plans-séquences rapprochés sur les visages, explore les sentiments incestueux d’un père et sa fille. Placé à la limite du hors-champ, Doillon le thaumaturge dicte pendant les prises des répliques aux acteurs qui deviennent parfois jusqu’à l’hystérie les porte-parole de ses questionnements intimes sur le mystère de la parenté et de la filiation.
La boulimie créatrice de Doillon n’est pas toujours du goût du public ni de la critique. Sifflé à Cannes, La Pirate (1984) se place à l’opposé des films précédents et souffre d’un travers souvent reproché par la suite au metteur en scène : un excès de gestes, de mots et de corps furieux que le filmage frontal rend encore plus abrupt. Dans ce récit de couple perturbé par une tierce personne (figure essentielle du cinéma de Doillon), les sentiments sont passés à la moulinette du langage. Le même principe avec moins d’exubérance dans le jeu théâtral des acteurs est repris dans La Tentation d’Isabelle (1985), radioscopie violente du couple.
Entre ces deux derniers opus, Jacques Doillon a réalisé La Vie de famille (1985) où Sami Frey interprète un père cabotin soucieux de l’image qu’il donne à sa jeune fille et à ses proches. Très vite, une caméra-vidéo, médium entre lui et le monde qui l’entoure, lui permet de saisir la réalité avec d’autres yeux. Cette « mise en abyme » souvent maniérée du regard-caméra constitue toutefois un bel hommage au rôle éclairant du cinéma. Dans La Puritaine (1986), c’est le temps d’une répétition de théâtre qui permet de déconstruire/reconstruire les rapports père-fille pour mieux les appréhender. Le film forme une réflexion sur le statut du personnage et les enjeux de son interprétation qui se creuse dans Comédie ! (1987) et L’Amoureuse (tourné avec les élèves du théâtre des Amandiers de Nanterre en 1987).
Comme La Fille de quinze ans (quatrième réalisation avec Jane Birkin, 1989), La Vengeance d’une femme (1990) est une nouvelle variation sur le trio où Isabelle Huppert et Béatrice Dalle se disputent les souvenirs amoureux de leur défunt mari/amant. L’opus démonte minutieusement à travers de longs face-à-face les mécanismes d’une perversité conduisant à la mort.
Le Petit Criminel (1990) est le film ancré dans le social de la banlieue. Après la prise en otage d’un policier, un frère et une soeur qui ne se connaissent pas se lancent dans une quête identitaire et réinventent les figures de l’adoption qui leur donneront sens et goût de la vie.
Loin de ces préoccupations thématiques, Le Jeune Werther (1993) travaille cependant la même question du langage à travers un petit groupe d’adolescents perturbés par le suicide de l’un d’entre eux. L’œuvre met en évidence le rôle mimétique du langage employé par des élèves de quatrième encore trop jeunes pour éprouver les sentiments auxquels ils prétendent.
En 1997, le Festival de Venise crée la surprise en décernant son Prix d’interprétation féminine à Victoire Thivisol pour son rôle dans Ponette. Sans discuter la pertinence d’une telle récompense, force est de reconna’eetre qu’il est un peu monstrueux d’entendre mots et raisonnements d’adultes dans la bouche d’une gamine-marionnette de 4 ans !
à force de traiter des mêmes thèmes, les films de Doillon deviennent parfois la caricature de son propre cinéma. Le très autobiographique Trop (peu) d’amour (1998) nous enferme à nouveau dans les murs de ses obsessions : trois jeunes femmes (l’amante, la fille et une étrangère) se disputent l’attention du metteur en scène tout au long d’un jeu affecté de la séduction. Carrément à l’ouest (2001) est un marivaudage sans fin dans une chambre d’hôtel à l’écoute, comme Petits Frères, du parler-jeune, vocabulaire et rythme hystérique de la phrase compris.
Enfin, Raja, l’Africaine (2003) interroge la difficulté de communication entre un Français et une Marocaine mis à distance par la barrière de la langue et de la culture.
Philippe Leclercq
Filmographie
Réalisation
- 1970 Trial (cm)
- 1971 Vitesse oblige (cm)
- 1971 La Voiture électronique (cm)
- 1971 Bol d'or (cm)
- 1971 Tous risques (cm)
- 1973 On ne se dit pas tout entre époux (cm)
- 1973 Autour des filets (cm)
- 1973 Laissés pour compte (cm)
- 1973 Les Demi-jours (cm)
- 1973 L'An 01
- 1974 Les Doigts dans la tête
- 1975 Un sac de billes
- 1979 La Femme qui pleure
- 1979 La Drôlesse
- 1981 La Fille prodigue
- 1984 La Pirate
- 1985 La Vie de famille
- 1985 La Tentation d'Isabelle
- 1986 La Puritaine
- 1987 Comédie !
- 1989 La Fille de quinze ans
- 1990 La Vengeance d'une femme
- 1990 Le Petit Criminel
- 1993 Le Jeune Werther
- 1994 Du fond du cœur
- 1996 Ponette
- 1998 Trop (peu) d'amour
- 1999 Petits Frères
- 2001 Carrément à l'ouest
- 2003 Raja l'Africaine
- 2007 Le premier venu
- 2009 Le mariage à trois
- 2012 Un enfant de toi
- 2013 Mes séances de lutte
- 2017 Rodin
Télévision
- 1982 L'Arbre (diffusé en 1984)
- 1983 Monsieur Abel
- 1985 Mangui, onze ans peut-être (diffusé en 1986)
- 1987 L'Amoureuse (diffusé en 1989)
- 1988 Pour un oui pour un non (diffusé en 1989)
- 1993 Un homme à la mer
- 1995 Un siècle d'écrivains : Nathalie Sarraute
Acteur
- 1978 La femme qui pleure de Jacques Doillon
- 1984 Elle a passé tant d'heures sous les sunlights de Philippe Garrel
- 1988 Les Ministères de l'art de Philippe Garrel
- 1989 La Fille de quinze de Jacques Doillon
- 2005 Un Couple parfait de Nobuhiro Suwa
Mise à jour le 24 octobre 2014