Vie est belle (La)

Italie (1998)

Genre : Comédie dramatique

Écriture cinématographique : Fiction

Archives CAC, Collège au cinéma 1999-2000

Synopsis

Dès le générique, une voix compare cette histoire à « un conte ». En 1938, Guido arrive à Arezzo avec Ferruccio, un ami poète. Guido rêve d’ouvrir une librairie. Mais il est d’abord serveur au Grand Hôtel, sur la recommandation de son oncle Eliseo, qui commence à subir des agressions antisémites. Il y rencontre un médecin allemand, Lessing, obsédé par les devinettes, et tombe amoureux d’une institutrice, Dora, qu’il charme en rendant magique chacune de leur rencontre. Quand sont annoncées ses fiançailles avec un dignitaire fasciste local, Guido enlève la jeune fille sur le cheval de son oncle, que des fascistes avaient couvert d’inscriptions antisémites. Cinq ans plus tard, Guido, son petit garçon, Giosué, ainsi qu’Eliseo sont arrêtés et dirigés vers un camp d’extermination nazi. Dora exige de monter dans le train avec eux. Au camp, Guido dépense toute son énergie à faire croire à Giosué que tout cela n’est qu’un jeu « à mourir de rire », dont le gagnant recevra un véritable char d’assaut. L’oncle Eliseo est assassiné dans les chambres à gaz mais Guido parvient à cacher Giosué et à tenir auprès de lui la fiction du jeu organisé. Il retrouve Lessing, officier-médecin du camp, qui lui permet de devenir serveur au mess du camp. Alors que les camps vont être libérés et que les Allemands déchaînent leur furie, Guido est tué en cherchant sa femme, non sans avoir mis à l’abri son fils qui retrouve sa mère après avoir vu arriver un char américain, apparition qui confirme l’invention de Guido.

Distribution

Guido, clown juif ?

Chez Benigni, comme chez tous les clowns, il est difficile de séparer l’interprète du personnage. Il possède cependant un attribut nouveau : il est juif. Benigni a dit qu’il ne l’était pas lui-même, mais que la Shoah lui appartenait comme à tout être humain. En tout cas, la façon dont la judéité de Guido est présentée montre la grande maturité morale de Benigni. Ce qui est essentiel chez Guido, c’est que le fait d’être juif n’est pas un problème pour lui. Quand il découvre le cheval souillé, il a un mot qui disqualifie l’absurdité congénitale du racisme : « Je ne savais pas que ce cheval était juif ». Et on apprend que Guido est juif quand il se rassure : « Au pire ils me déshabilleront et écriront : Achtung, serveur juif ». Cette annonce inopinée pour le spectateur correspond à l’état d’esprit du personnage mais aussi à l’horreur de la Shoah : s’il y a problème, c’est pour les assassins. Les victimes, même en songeant aux persécutions du passé ne pensaient pas, ne pouvaient pas penser qu’elles finiraient brûlées dans des fours. Guido pas plus qu’un autre. Le clown ne sait pas qu’on le brûlera dans un four, et c’est le sujet de ce film.

Dora

Personnage d’abord charmant et charmée par les tours de passe-passe de Guido, convaincue par sa force vitale que c’est lui qu’elle doit aimer et non une marionnette fasciste, Dora n’est pas exactement un personnage comique dans la première partie. Elle est ce que les Italiens appellent la spalla (l’épaule) du capocomico (chef comique). Pas un faire-valoir, mais un partenaire sur qui il peut compter en permanence pour faire rebondir ses pirouettes. Elle devient ensuite un personnage héroïque, puisque, non-juive, elle exige de suivre fils et mari dans leur voyage mortel. Elle ne peut, pas plus que Guido, envisager l’infini désastre qui leur est promis. Son héroïsme est tout à fait comparable à celui de Guido puisqu’il est motivé par la confiance dans la vie, le goût pour le bonheur.

Giosué

Giosué croit-il les mensonges de son père? En réalité, il doute sans cesse et revient sans cesse à la crédulité. Jusqu’à la pirouette finale, l’arrivée du char qui valide l’invention de Guido.

Lessing

Curieux personnage de cinéma qui annonce par ses devinettes (sur le silence notamment) la terreur à venir et disparaît quand le spectateur et Guido imaginent qu’il va être un sauveur. C’est un personnage d’oracle aveugle qui annonce le destin, mais qui est privé d’humanité, telle la Pythie qui ne peut participer à la vie et ne peut ressentir de compassion. Il est la figure de l’Indifférence, combien importante dans l’histoire de la Shoah.

Eliseo

Avant d’être gazé, Eliseo relève une gardienne qui a trébuché, lui demande courtoisement si elle s’est fait mal et croise un regard glacial. Eliseo est dans ce film la figure de la Culture face à la Barbarie.

Générique

Titre original La Vita è bella (La Vie est belle)
Réalisation Roberto Benigni
Scénario Vincenzo Cerami et Roberto Benigni
Photo Tonino Delli Colli
Son Tullio Morganti
Décors Danilo Donati
Montage Simona Paggi
Musique Nicola Piovani
Interprétation
Guido / Roberto Benigni
Dora / Nicoletta Braschi
Giosuè / Giorgio Cantarini
L’oncle / Giustino Durano
Ferruccio / Sergio Bustric
Laura, la mère de Dora / Marisa Paredes
Dr Lessing / Horst Buchholz
Guicciardini / Lydia Alfonsi
Directrice de l’école / Giuliana Lojodice
Rodolfo / Amerigo Fontani
Production Melampo Cinematografica (Mario et Vittorio Cecchi Gori)
Film Couleurs 35 mm
Format 1/1.85
Durée 1h57′
N° de visa n° 95 707
Distributeur Bac Films
Sortie France 21 octobre 1998
Prix Grand Prix du Jury Cannes 1998
Oscars du Meilleur film étranger et du Meilleur acteur à Hollywood en 1999

Autour du film

Comment faire avec l’horreur du monde ?
Le film annonce sa grande complexité dès le titre : en effet, l’acrobatie intellectuelle qui consiste à intituler ainsi un film sur les camps d’extermination est difficile à comprendre au premier abord. Elle a permis à Jean-Luc Godard de dire, avant d’avoir vu le film ! que Benigni aurait dû avoir l’honnêteté de l’appeler « La vie est belle à Auschwitz ». Même si Godard a modéré ensuite sa position, la difficulté logique de ce titre demeure.
Et dans la dernière scène, lorsque Giosué crie à sa mère : « Nous avons gagné ! », qui ne voit là l’ironie amère et la subtilité des dialoguistes, qui rappellent le mot de Totò: « Victoire, victoire, j’ai perdu ! » ? On est cependant obligé de reprocher à Benigni d’introduire à ce moment-là cette étrange voix off qui indique : « C’est mon histoire », comme par la voix d’un Giosué adulte. C’est le seul moment de confusion d’un film par ailleurs très cohérent. Confusion peut-être explicable par le fait que le père de Roberto Benigni fut effectivement déporté en Allemagne.
Benigni a répété que son camp n’est pas plus réel que la caverne de Platon. C’est une figure platonicienne, une représentation, pas un documentaire (comment cela serait-il possible ?). Et dès que l’on accepte l’on accepte ce parti pris — que le film est un film abstrait, un film de réflexion —, on peut affirmer que cette réflexion porte non pas sur l’expérience des camps mais sur notre confrontation, à nous qui ne les avons pas connus, et plus particulièrement sur la confrontation de l’enfant qui est en chacun de nous, à cette expression diabolique du réel que furent les camps de la mort. Comment, face à cette existence réelle du Diable, sommes-nous en mesure de vivre, de penser, de rire, d’être heureux peut-être ? Comment, simplement, pouvons-nous passer de l’enfance qui nous permet de se faire peur à bon compte avec l’histoire du petit Chaperon rouge, à un autre âge, l’âge adulte, où nous savons que ce que c’est que la Gueule du Loup, la Gueule du Loup réelle ? Tout en préservant, tout de même, la force de l’enfant dans nos corps et nos têtes d’adultes ?

Si l’on considère ce film comme une question : « Comment faire avec l’horreur de notre monde ? », une question philosophique fondamentale, il devient un moment de la pensée contemporaine tout à fait exceptionnel. En reposant, de surcroît, et de façon saisissante, la question récurrente de la fiction au cinéma.
Enfin, pour aller dans le sens de Roberto Benigni, si ce masque cesse de faire rire au moment de l’arrivée au camp, il ne cesse jamais d’être un masque de clown. Ainsi, cette pirouette tragique, cette acrobatie mentale qu’est La Vie est belle, vient prouver ce dont on s’était déjà douté, notamment avec les quelques milliers de pages que comptent le Talmud : le Rire pense. (René Marx)

Autres points de vue

Un enfant qui regarde

« Ce film-événement est beau, utile et profondément humain. Il ne se situe pas sur le plan de la reconstitution exacte du moment le plus honteux de l’histoire humaine. Il ne prétend pas au réalisme, à la didactique des faits, à l’enseignement du passé. Ce film est un songe, retrouvant l’intuition ancienne de Calderon, l’auteur de la Vie est un songe. Et retrouvant aussi à sa manière, ce qui constitue l’essence des pièces de Shakespeare, où la pitrerie n’est que le masque annonciateur du tragique. […] La bêtise au front de taureau, la brutalité méthodique de la haine, la lâcheté qui constitua le bruit de fond de l’extermination, comme elle autorise tous les crimes, restent tapies au cœur de l’homme. Il est bon de savoir qu’il y aura toujours, entre le mal et l’espérance, un enfant qui regarde, songeur. »
Bruno Frappat, La Croix, 21 octobre 1998

La dérision bénignienne

« Quand le père […] lui demande avec un rire moqueur, comment il peut croire que des êtres humains peuvent être transformés en savons ou en boutons, la scène est si saisissante et déconcertante que la dérision bénignienne désagrège la déraison nazie. »
Henri Hadjenberg, Président du Conseil représentatif des institutions juives en France, L’Humanité, 21 octobre 1998

Les falsificateurs ont gagné

« On se dit un peu dépité que Godard et Lanzmann ont perdu la bataille, que le triomphe annoncé de La Vie est belle est dans le cours des choses et que les falsificateurs ont gagné un bout de leur douteux combat. »
Serge Kaganski, Les Inrockuptibles, 21 octobre 1998

Les symptômes de l’amnésie

« Les gestes alambiqués de Benigni-acteur adressés à sa femme, puis à son fils — on pense à ceux d’un hypnotiseur — relèvent d’un entreprise de l’ordre de la fable qui vise à charmer, puis à endormir. Bien sûr, Benigni ne dit pas d’oublier, au contraire, mais son culte du souvenir porte déjà les symptômes de l’amnésie. »
Samuel Blumenfeld, Le Monde, 22 octobre 1998

Nous avons été cet enfant…

« Il faut croire que cinquante ans après, malgré les repentances, les exorcismes, les oublis, le « ressassement » intempestif qui donne l’aversion du passé, ou à cause de tout ce qui ôte l’envie d’en reparler – comme si le passé devait être forclos – l’Europe a encore besoin qu’on lui raconte, comme à ce petit de cinq ans, la « version » enfantine de son passé, en attendant qu’elle puisse en faire autre chose qu’un point phobique. Car, ne l’oublions pas, pour la plupart nous avons été cet enfant que ses parents ont cru protéger en lui mentant… jusqu’à se mentir à eux-mêmes, tant la peur était grande, et tant la plupart manquaient de jeu. L’avenir dira si de jouer avec un point phobique, ça fait moins peur. »
Yaëlle et Daniel Sibony, Le Figaro, 5 novembre 1998

Pistes de travail

  • Dire la vérité

    À l’intérieur de cette « fable », le mensonge est salvateur. Mais les enseignants ne doivent pas « protéger » leurs élèves. Leur rôle est de leur dire la vérité. Et en l’occurrence de leur montrer la fonction très particulière du mensonge, du travestissement, de l’édulcoration dans le comportement de Guido. Ce rôle des enseignants est rendu complexe par le fait que la situation du film est en fait totalement invraisemblable, même s’il se conclut, selon nous de façon regrettable, par la voix d’un Giosué adulte annonçant « Ceci est mon histoire ».
    La première invraisemblance est la survie de Giosué. Les enfants, s’ils n’étaient pas morts pendant le voyage en train, étaient gazés à leur arrivée. Il était impossible de cacher un enfant dans un camp d’extermination. D’autre part, il n’y avait que quelques centaines de SS à Auschwitz pour des dizaines de milliers de prisonniers. La chiourme du camp, impitoyable et criminelle, était formée par les kapos, déportés privilégiés à qui la perversité nazie confiait la surveillance de leurs codétenus. Ce ne sont pas les Américains qui ont libéré Auschwitz mais les Soviétiques. La scène finale où Dora, apparemment en bonne santé se roule dans l’herbe avec son fils retrouvé est également absurde. Le camp avait transformé les déportés ; les survivants, affaiblis et traumatisés, ne ressemblaient pas à des prisonniers joyeux d’être libérés. D’innombrables déportés moururent après leur libération, à la suite du traitement inhumain qu’ils y avaient subi (comme le poète Robert Desnos que les enfants connaissent bien).

    Il y a aussi le parti pris de ne pas montrer la violence, de la suggérer. Un spectateur attentif comprend très bien ce qui se passe dans ce camp. Mais un peu de distraction pourrait laisser croire que ce n’est qu’un lieu de détention un peu dur, où les brutalités n’empêchent pas de plaisanter avec un petit enfant. Il s’agit de préciser aux élèves, de façon circonstanciée, quel était l’horrible sort des détenus, en quoi ces camps étaient littéralement des enfers.

  • Une réflexion morale

    C’est avec ces explications préalables, que les élèves pourront comprendre le sens de ce film : non pas raconter une histoire vraie, mais méditer sur la façon dont nos consciences acceptent ou pas l’événement incroyable et réel de la Shoah. Rappelons ces mots de Primo Levi : « Aujourd’hui encore, à l’heure où j’écris, assis à ma table, j’hésite à croire que ces événements ont réellement eu lieu ». L’esprit humain est naturellement tendu vers le bonheur, le plaisir, la réussite de sa propre vie. C’est cette révolte devant l’insupportable réalité de la Shoah que Benigni met en scène. Certains déportés, presque nus dans la neige, subissant l’Appel pendant des heures avec des milliers de leurs compagnons, pensaient : « C’est trop d’horreur, tout cela ne peut être qu’une blague ». Cette abstraction du film, plus réflexion morale qu’histoire racontée, est difficile à concevoir pour des adolescents. C’est le rôle de leurs professeurs de les aider à percevoir la complexité de La Vie est belle.

    Mise à jour: 20-06-04

  • Expériences

    Dès l’invention du cinéma, le rire est là, comme il fut toujours présent dans le théâtre et les spectacles en général (marionnettes, pantomime, cirque). Il exprime d’abord une posture particulière de l’être humain face au monde réel auquel il est confronté, sa capacité à subvertir les obstacles et les difficultés, à prendre ses distances par l’ironie ou la moquerie vis-à-vis de sa propre existence, une affirmation joyeuse de sa présence et de sa vitalité.
    Parmi les plus grands génies du cinéma, on compte au moins deux comiques : Charles Chaplin et Buster Keaton, tous deux formés à la très exigeante école du music-hall, du cirque et du théâtre. De Mack Sennett à Harry Langdon, de Laurel et Hardy à Harold Lloyd, de Leo Mc Carey à Frank Capra, des Marx Brothers à Jerry Lewis et Woody Allen, les États-Unis sont le véritable creuset du comique cinématographique. Mais il ne faudrait pas oublier que les précurseurs furent français : Georges Méliès et Max Linder sont les plus connus, et les derniers grands représentants de cette tradition sont Jacques Tati et Pierre Étaix.

    L’héritier du théâtre napolitain et de la commedia dell’arte
    L’Italie a dans cette histoire une tradition comique particulière, assez tardive, et qui est fondée d’abord sur la confrontation de l’homme à la société. C’est ce qui fera à partir de la fin des années cinquante le triomphe de la « commedia all’italiana » (Mario Monicelli, Dino Risi, Luigi Comencini, Ettore Scola notamment). Les deux « comiques » italiens connus internationalement aujourd’hui sont des individualités très originales, qu’il est difficile de replacer dans une filiation réductrice. Nanni Moretti ne ressemble à peu près qu’à lui-même (même si de lointains rapports peuvent le faire comparer à Woody Allen). Quant à Roberto Benigni, il n’est comparable, qu’à celui qui fut sans doute le plus grand comédien de toute l’histoire du cinéma italien, en dépit de l’ignorance totale de son génie à l’étranger : Antonio De Curtis, dit Totò (1898-1967), lui-même héritier de la séculaire tradition du théâtre napolitain et de la commedia dell’arte. C’est en se souvenant que Benigni se situe dans cette tradition-là qu’on comprendra mieux les gags de la première partie de La Vie est belle. Par exemple, les échanges de chapeaux, l’irruption subite et inespérée d’objets nécessaires à la poursuite de l’action (les clés qui tombent de la fenêtre). C’est avec les armes de Polichinelle que Guido défie les Fascistes et conquiert le cœur de sa « princesse ». De façon moins apparente, et sans plus déclencher le rire, il continue à utilises ces armes-là au camp, alors même qu’elles sont devenues bien faibles. Mais peut-être pas dérisoires. Toute la question étant, bien sûr, que ces armes-là n’empêchent pas le clown de mourir.

    Outils

    Bibliographie

    Le Cinéma italien, Jean A. Gili, Ed. La Martinière, 1998.
    Le Cinéma italien, Laurence Schifano, coll. 128, Ed. Nathan, 1995.
    La Comédie italienne, Jean A. Gili, Ed. Veyrier.
    La Comédie italienne, ouvrage collectif, Revue CinémAction.
    Toto, le rire de Naples, René Marx, Ed. Henri Bergern 1996.
    La Shoah, Anne Grynberg, Ed. Gallimard.
    La Destruction des Juifs d'Europe, Raoul Hillberg, Ed. Gallimard.
    Si c'est un homme, Primo Levi, Ed. Julliard, 1987.

    Vidéographie

    La Shoah, Claude Lanzmann. Distribution ADAV n° 975
    De Nüremberg à Nüremberg, Frédéric Rossif. Distribution ADAV n° 9198
    Nuit et brouillard, Alain Resnais. Distribution ADAV n° 3236