Synopsis
Quelque part au temps jadis, il était une fois un brave homme veuf et père de quatre jeunes gens. Une fille prénommée Belle, qui était aussi bonne et dévouée à son père que ses deux aînées étaient ingrates et chipies. Le fils, un sympathique bon à rien allait toujours flanqué de son ami Avenant, épris de Belle qui se refusait au mariage.
Un soir qu’il revenait à son foyer, le père s’égara et trouva refuge dans une demeure enchantée qui lui offrit dîner et repos. Alors qu’il repartait, il cueillit une rose pour Belle, déchaînant le courroux du seigneur des lieux resté jusqu’alors invisible. Un être fabuleux mi-homme mi-bête, qui le condamna soit à mourir soit à lui livrer une de ses filles.
Ainsi commence le conte qui mettra la Belle en présence de la Bête, lui révélant du même coup l’irrésistible et mystérieuse puissance de l’amour.
Distribution
Le film met en scène deux univers.
Celui du monde réel nous présente une petite comédie humaine dont les personnages pourraient venir de Molière. Comme ces deux soeurs « précieuses ridicules » de province, avec leurs » petits laquais » et leurs volontés de se pousser dans l’aristocratie. Un monde qui évoque celui de la peinture hollandaise représentant l’univers domestique d’une bourgeoisie misant sa fortune dans le négoce (comme ici).
A côté de ce tableau de l’époque classique s’étend l’autre monde. Celui là ne connaît aucune limite dans le temps, dans l’espace, ni dans l’être. Incarné par la Bête, bien plus qu’hybride humain-animal, cet être est d’essence divine, païenne, panthéiste, il anime de son âme, de son souffle chaque élément de son univers (miroir, décors, cheval, fumées.) qui apparaissent comme les prolongements vivants, les » actants » polymorphes de sa puissance. Son amour pour Belle est aussi multiple : passant des formes les plus sauvages aux plus » courtoises « .
La Belle répond à cet amour qui ignore les limites humaines et abolit tout autre » règne » que le sien. » Ma Bête » crie-t-elle éperdue marquant la possession réciproque (fusion idéale) qui l’unit à la Bête, symbole du » grand tout « .
Générique
Scénario, dialogues, mise en scène : Jean Cocteau, d’après le conte de Madame Leprince de Beaumont.
Conseiller technique : René Clément.
Direction artistique (décors et costumes): Christian Bérard, René Moulaert et Carré, Escofier et Castillo, réalisés par la maison Paquin.
Directeur de la photographie : Henri Alekan.
Opérateur de prises de vue : Henri Tiquet.
Photographe : Aldo.
Montage : Claude Ibéria.
Musique : Georges Auric. Orchestre sous la direction de : Roger Desormières.
Son : Jacques Lebreton et Jacques Carr�re.
Production : André Paulvé. Directeur de production : Emile Darbon.
Tournage : Août 1945-Janvier 1946, à Rochecorbon (Indre et Loire), Raray (Oise), et aux studios d’Epinay et de Saint Maurice, en banlieue parisienne.
Première : cinémas Colisée et Madeleine, Paris 29 octobre 1946.
Interprétation:
Avenant, la Bête, le Prince / Jean Marais
La Belle / Josette Day
Adélaïde / Mila Parély
Félicie / Nane Germon
le père / Marcel André
Ludovic / Michel Auclair
l’usurier, voix de Cocteau / Raoul Marco
Gilles Watteaux
Noë Blin
Prix Louis Delluc, 1946
Distribution : Tetra films
Durée : 95 minutes
Noir et Blanc
Autour du film
La Belle et la Bête reste l’un des films qui illustrent le mieux la » magie » du cinéma. Ce qu’un autre grand poête du 7ème art (Jean Epstein) nommait si justement » l’animisme du cinéma « .
Le film réalise admirablement l’envoûtement poétique, onirique, dans lequel fusionnent réel et irréel, monde imaginaire ou fabuleux et monde concret. A travers ses images, comme celles du Magnifique, par exemple, qui nous font simultanément admirer l’élégance racée, le dressage parfait d’un beau coursier, et vivre le transport de Belle par ce nouveau Pégase, dans un univers ou démons et merveilles se confondent comme dans les rêves ou les croyances enfantines. Ce retour au » bain lustral de l’enfance » auquel fait appel le cinéaste pour se et nous replonger dans l’univers d’une poésie spontanée, immédiate, intuitive dont les secrets ou les mystères deviennent familiers, limpides, irrigue tout le film. Nous croyons au miroir qui » réfléchit pour nous » si on » réfléchit pour lui « , aux statues muettes mais vivantes qui accompagnent du regard les hôtes du château. Nous ressentons enfin l’attraction magnétique (cf. son regard) qu’exerce la Bête sur Belle. Parce qu’elle est à l’image des désirs les plus secrets, archaïques, enfouis dans un inconscient qui se révèle ici sous une forme faussement naïve et mythologique. Désirs qu’un Georges Bataille éclaire aussi d’une autre façon dans L’Erotisme, ceux d’une fusion totale qui abolit la finitude de l’être.
France Demarcy.
Autres points de vue
[Le miroir] fait plus que donner l’image des pensées de la Belle : il les interprète. Mais ce n’est pas tout, et la logique du merveilleux selon Cocteau est plus complexe, et plus subtile. Le miroir est cette prothèse du regard qui est capable de voir là où je ne suis pas �et aussi, de voir le sens de ce qui est vu (on voit le père malade, la Belle furtive et dissimulée, la Bête désespérée). Il est donc lié, souterrainement mais explicitement, à la gamme extraordinairement riche et significative du jeu des regards entre les deux protagonistes: l’interdit du regard dans les yeux, deux fois proféré par la Bête (pour ne pas laisser lire son désir ? pour ne pas être ébloui par la beauté ?); ses regards féroces et comme hallucinés à d’autres moments; inversement, les expressions, plus pauvrement humaines, mais parfois teintées d’une sensualité véritablement animale, des yeux de la jeune fille; et leur concrétisation visible sous forme de larmes de diamants, pure émotion devenue matérielle et précieuse. Le regard est tout aussi merveilleux que le miroir: à la fois documentaire-crédible et irréel-symbolique.
Jacques Aumont Cahier de notes sur… La Belle et la Bête, école et cinéma, les enfants de cinéma.
Vidéos
La plongée dans le merveilleux : la Belle se rend chez (à) la Bête
Catégorie : Extraits
par Jacques Aumont
Pistes de travail
A travers La Belle et la Bête, Cocteau réalise une délicate alchimie entre les deux extrêmes du réalisme et du poétique.
- Comme on l’a vu brièvement pour les Rôles, la référence à l’univers du conte passe ici par la reconstitution fidèle d’une époque dont le langage, le ton, le style, les costumes, les décors, les » caractères » nous ont été transmis par son théâtre, sa littérature, sa peinture, son architecture, auxquels le film puise ses sources et redonne vie.
- Dans l’univers fabuleux de la Bête tout devient crédible grâce à l’utilisation de décors naturels dont l’atmosphère se prête magnifiquement à la fusion entre réel et irréel, animé et inanimé, et grâce aux inventions magiques qu’insuffle le cinéma : effets spéciaux, artifices décoratifs, composition des acteurs : Tels le masque félin de la Bête, terrifiant et beau derrière lequel on devine son interprète (Jean Marais), ou la course de Belle dans les couloirs du château à laquelle l’usage du ralenti et de la » tirette » donne cette sorte d’apesanteur, de vol immobile.
Le cinéma devient bien ici ce miroir qui révèle le » réalisme de l’irréel » comme le voulait Cocteau.Mise à jour: 16-06-04Pistes pédagogiques ailleurs sur le web:
(liste non exhaustive)Cinéma(s) Le France
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Arts et culture en Haute-Garonne
Entrez chez Jean Cocteau
Films à la fiche
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Utopia : académie d’Orléans ToursMise à jour le 10 mars 2008
Expériences
Réalisé quinze ans après Le Sang d’un Poëte, auquel son caractère expérimental conférait une audience limitée, La Belle et la Bête témoigne à la fois du » métier » acquis par Cocteau dans ses collaborations à d’autres films, de sa maîtrise des moyens d’expression purement cinématographique, et de l’utilisation très personnelle qu’il fait de ces moyens à des fins poétiques. De tous ses films il reste sans doute celui dont la poésie – qui prend souvent chez Cocteau une forme raffinée à l’extrême pouvant aller jusqu’à l’ésotérisme – trouve auprès du public les moyens d’un accès direct, immédiat, sensible qui en font une œuvre populaire. Avec La Belle et la Bête Cocteau aura donné au 7ème art (la » 10ème muse » selon lui) l’une des plus belles et envoûtantes versions cinématographiques du conte merveilleux. Il y révèle la » poésie du cinématographe » à l’instar de la » poésie de roman » ou de la » poésie de théâtre » dont il s’est fait le chantre à travers ses créations artistiques.
Outils
Bibliographie
Jean Cocteur (L'exposition) - Ed. Centre Pompidou
Collection : Catalogues DU M.N.A.M , 30/09/2003 ISBN : 2844262228
La Belle et la Bête - Ed. Le Rocher, 18/09/2003 ISBN : 2268047555
"La Belle et la Bête". Journal d'un film, Jean Cocteau, Ed. du Rocher/Jean-Paul Bertrand, 1989.
La Belle et la Bête, album de photographies du film, préface de Georges Auric, Ed. Balland, 1975.
Le larcin magique, Francis Ramirez et Christian Rolot, Cinémathèque nïuméro 11, 1997.
L'Avant-scène Cinéma numéro 138, découpage plan par plan du film, 1973.
Jean Cocteau cinéaste René Gilson, Ed. des Quatre Vents, 1988.
Films
dans le catalogue Images de la culture
Jean Cocteau sur le théâtre de l'amour de Claude-Jean Philippe
Cocteau ou la Traversée du miroir de Claude-Jean Philippe
Jean Cocteau - Autoportrait d'un inconnu de Edgardo Cozarinsky
Projection au Majestic de Yves Kovacs
Jean Cocteau cinéaste de François Chayé