Un Enfant de Calabre

France, Italie (1987)

Genre : Récit initiatique

Écriture cinématographique : Fiction

Archives CAC, Collège au cinéma 2000-2001

Synopsis

Le rêve d’un enfant de Calabre

En 1960, dans un village à moitié abandonné de Calabre, Mimi (12 ans) passe son temps à courir chaque fois qu’il peut échapper à la vigilance de son père Nicola. Ce dernier, paysan pauvre obligé de travailler comme homme de peine dans un asile d’aliéné, rêve d’un meilleur destin pour son aîné. Pour le convaincre que cela passe par les études, comme le lui a recommandé l’oncle “ maffioso ” Peppino, il n’hésite pas à la battre. Mais rien n’y fait. C’est en faisant la course avec le car censé le conduire à l’école que Mimi attire l’attention du chauffeur Felice. Se disant ancien champion, ce dernier le convainc de suivre son entraînement en faisant la course avec son car en se rendant à l’école. Avec la complicité de sa mère (Mariuccia) qui n’ose toutefois pas se révolter ouvertement contre son époux, Mimi voit, sur la télévision de riches voisins (parents de la belle Grisolinda), le triomphe d’Abeba Bikila au marathon des olympiades de Rome. Informé de ses projets par l’institutrice, son père le punit en l’enfermant toute une nuit dans une pièce de l’asile psychiatrique. Le lendemain matin Mimi lui fausse compagnie et participe à une course dans un village voisin. Après avoir mené au premier tour, il apprend à ses dépens qu’il faut doser ses efforts comme le lui répète Felice. Une terrible raclée de son père, qui le sépare de Felice en le conduisant lui-même à l’école en voiture, ne le fait pas renoncer : Felice l’entraîne la nuit. Nicola le place alors chez un cordier, comptant sur la fatigue pour briser son rêve. Mais avec l’aide de sa mère, Mimi finit par se qualifier pour la finale et vaincre l’hostilité de son père qui assiste avec Felice, devant la télévision, à son triomphe à Rome.

Distribution

Mimi
Tout s’organise évidemment autour de lui. Il est présent dans la majorité des séquences, les exceptions étant de faible importance. Dans un premier temps, il est avant tout question de son admiration pour “ là où il était né ” , de la beauté de son village. Un tel constat est plus statique que dynamique. À Grisolinda, il explique d’ailleurs qu’il ne court pas pour la récompense. Dans le même temps, il prend progressivement conscience que, même dans le domaine purement ludique où il voudrait évoluer, gommant les nécessités matérielles, il lui faut affronter le réel : apprendre à doser ses efforts, à respecter des règles d’inscription, que les “ riches ” conservent leurs privilèges, qu’il faut lutter jusqu’au bout… L’aveu de Felice transforme le désir de Mimi. Il courrait pour le plaisir, contre l’institution scolaire, contre l’injustice paternelle : désormais, il court “ pour ” venger Felice et, implicitement, pour son père.

Grisolinda

Elle est le plus beau et plus profond mobile de la course de Mimi. Elle est en fait presque toujours liée à l’image paternelle. Après sa première apparition, Mimi est giflé par Nicola. Lors de la course de Sabari, Mimi s’arrête en apercevant la voiture de Nicola. Plus apparition que jamais, Grisolinda intervient, cueillant des fleurs, reproche explicite…
C’est un personnage sans profondeur, pur fantasme, non sexualisé, mais représentant ce qui peut affleurer à la conscience d’un enfant de douze ans d’un désir sexuel encore informulé.

Nicola

Le père apparaît a priori comme le méchant de mélodrame, en pure opposition avec les projets du héros. Si tel était le cas, son revirement serait insupportable. Mais c’est est un personnage bourré de contradictions : il voudrait que son fils perpétue la tradition (garder les bêtes, battre le houblon) et réussisse à l’école, pour échapper à l’humiliation qu’il subit lui-même. Il se trouve aussi en butte à un conflit narcissique : non seulement Mimi lui résiste, mais il suit les conseils de Felice, qui devient un substitut du père castrateur. En fait, il renonce vite à ses ambitions premières : enfermer Mimi ou le faire travailler jusqu’à épuisement ne le pousse pas vers les études. Il passe en fait insensiblement dans le clan de la subversion en faisant alliance avec Felice.

Felice

Comencini le dit marqué par la pensée de Gramsci, théoricien et homme politique italien (1891-1937) qui avait une vision concrète du marxisme, incarné dans la matière et les êtres, et a beaucoup réfléchi sur la “ question méridionale ” (le mezziogiorno ”). Pour lui, le communisme ne se réduisait pas à un calcul mais comportait sa part d’utopie et de poésie. Felice, une fois décelé les capacités de Mimi, n’a de cesse de lui apprendre les règles élémentaires du sport (ménager son effort), mais aussi à renoncer à certaines règles sociales et familiales : tant pis si Mimi arrive en retard à l’école (15) ou s’il faut mentir sur sa jambe. Plus qu’une revanche personnelle, il vise à répandre, non sans quelque perversité, un esprit d’utopie, de rêve et de subversion douce et contagieuse contre l’ordre établi, école, travail, famille, parrainage maffieux. Il est le pendant concret du rêve que propose Grisolinda.

Mariuccia

Personnage effacé, complice de Mimi, elle est immédiatement en accord avec Felice, qui propose d’apporter à son fils la vie le rêve dont elle est frustrée. Mais elle n’a rien de passif, puisqu’à la dernière seconde, elle reprend les arguments violents de Nicola : si Mimi renonce, elle le tuera. Excès verbal qui exprime la force de son désir : Mimi doit réussir au nom de Felice, Nicola, de tous les enfants de Calabre.

Générique

Titre original Un Ragazzo di Calabria
Scénario Luigi Comencini, Ugo Pirro, Francesca Comencini, d’après Demetrio Casile.
Image Franco Di Giacomo.
Décors Ranieri Cochetti.
Maquillage Emmanuelle Fèvre
Son Gérard Lecas.
Montage Nino Baragli.
Musique Antonio Vivaldi (par “ I Splisti Veneti ”, dir. Par Claidio Scimone).

Interprétation
Felice/ Gian Maria Volonte
Nicola/ Diego Abatantuono
Mariuccia/ Thérèse Liotard
Domenico Sileca, dit Mimi / Santo Polimeno
Crisolinda/ Giada Faggioli
Le barman/ Jacques Peyrac
le chauffeur de la Fiat 600 Enzo Ruoti
Le Proviseur/ Jean Masrevery
Pasqualino/ Alessandro Casile
Oncle Peppino/ Nicola Domenico Lagana
Le médecin/ Rosario Costantino
Vincenzion/ Bruno Crisafio
Giacomino/ Antonio Gangemi
Giosué/ Giuseppe Gangemi
Le père de Giosué/ Umberto Francesco Lagana
Une jeune femme/ Rosa-Maria Giuffrida
Production Fulvio Licisano, pour Italian International Film, U.P. Schermo Video, RAI Uno (Roma), Cartago Films, Canal Plus Productions, Générale d’Images (Paris). Producteur associé : Tarak Ben Amar.
Film Couleurs, 35 mm
Format Panoramique :1/1,66
Durée 1h46
N° de visa 66 316
Distributeur Carlotta Films
Sortie en France 10 février 1988

Autour du film

Le rêve comme moteur d’une révolution…

Tout naturellement, Un enfant de Calabre apparaît d’abord comme un “ film d’apprentissage ”, une sorte de “ Bildungsfilm ”. Le jeune Mimi, qui ne rêve que de course et de réussite sportive, apprend que la réalisation de son rêve dépend d’un véritable travail sur lui-même pour doser ses efforts (Palzi) et affronter des situations inconnues (Rome), pour convaincre aussi son père de sa capacité à devenir un champion. Seule cette réussite pourra (peut-être) faire admettre à celui-ci qu’il n’est pas absurde pour Mimi de mettre l’entraînement sportif au moins à égalité avec des études, apparemment mal engagées. Le film pouvait également développer une idéologie inquiétante, reprenant la thématique fasciste de l’homme supérieur capable de s’élever au-dessus des autres. Comencini n’exalte jamais la puissance ou la victoire de Mimi, dont les saignements de nez n’ont rien d’héroïque. Course perdue, épuisement, qualification de justesse… À Rome, où sa victoire est filmée d’une façon qui laisse quelques instants le spectateur dans l’incertitude : s’est-il effondré avant la ligne d’arrivée ou après la victoire ? Ce n’est même pas son nom qui est exalté par le speaker, mais “ un enfant de Calabre ”…

Entraîneur d’occasion, Felice n’inculque pas à son poulain le sens du dépassement de l’humanité ordinaire, mais la domination de soi, la connaissance de ses limites, des moyens d’améliorer ses performances et, par là, ses conditions de vie. Dans son modeste appartement trône un portrait de Gramsci*. Ce dernier développait, surtout dans sa jeunesse, un marxisme éloigné des dogmes staliniens, joignant aux principes de Marx et de Lénine une part d’idéalisme et un rejet de toute pensée déterministe. Pour lui, le marxisme est une philosophie de la praxis, où pensée et action sont une seule et même chose. Pour lui, le socialisme est action éducative dans la classe ouvrière : non plus des intellectuels vers les ouvriers, mais “ démarche socratique ” dans laquelle ils sont “ en même temps maîtres et disciples ”. Tous ces éléments sont mis en œuvre concrètement, sans discours théorique, par Felice. Il saisit très vite les dons de Mimi et que l’école – telle qu’on la voit pratiquée ici, dans un cadre marqué par la religion (crucifix) – n’est pas la meilleure voie pour s’en sortir. Il met en œuvre les moyens concrets nécessaires, ment à ce dernier, ne combat pas de front la famille, se fait un allié de Mariuccia, insinue dans l’esprit de Nicola l’idée d’une victoire et de ce qu’elle implique. Felice n’est pas un militant doctrinaire, mais tente de faire agir et réagir en insufflant une dose de rêve avec les moyens de le concrétiser…

Un enfant de Calabre ne décrit pas de façon réaliste un “ cas ” exceptionnel, pas plus qu’il n’est un document sur la Calabre en 1960. C’est une fable. Dans une Calabre en marge du boom économique des années 60 un rêve nouveau va s’emparer de la société. Abandonnant le battage du houblon, Mimi va voir la télévision ches les riches voisins. On vient de dresser sur le toit une antenne comme on dressait autrefois des crucifix. Lors de l’enterrement, mais ce n’est déjà plus le curé (absent du reste du film) qui règne, mais le “ parrain ”, l’oncle Peppino. Le rêve de Mimi peut commencer à s’accomplir grâce à la télévision : il y voit son idole Abebe Bikila, retransmise en “ Eurovision ”, c’est grâce à elle que son père devient complice de Felice et de l’exploit de son rejeton… Que le “ retour du père ” annoncé par l’extrait du film de Matarazzo passe dans le réel. Qu’un simple enfant de Calabre, d’une région ignorée du reste de l’Europe, devient un instant un héros. Pour le meilleur ? Comencini veut l’espérer, mais le pire est possible aussi : n’y a-t-il pas qu’un pas à franchir du pouvoir de Peppino à celui de Berlusconi ?
Joël Magny

* Antonio Gramsci (1891-1937) est né dans une famille de la petite bourgeoisie sarde en 1891. Journaliste au journal socialiste Avanti ! en 1916, participe aux “ conseils ouvriers ” de Turin de 1920 et fonde avec Palmiro Togliatti en 1921 le Parti communiste italien (PCI). En 1924, il est député et s’oppose à la dictature de Mussolini. Arrêté en 1926, il est bientôt condamné à vingt ans de prison. Il meurt dans l’hôpital d’une prison romaine en 1937. Ses Lettres de prison seront publiées en 1948 et 1951.

Filmé à hauteur d’homme

“ La qualité essentielle de cet “ Enfant de Calabre ”, c’est sa simplicité. Filmé à hauteur d’homme avec une nette prédilection pour la région du cœur, ce mélo un peu anachronique s’articule sur des situations qui ont le mérite d’avoir déjà fait leurs preuves dans quelques-uns des plus beaux livres de la littérature populiste, de Hugo à Dickens. ”
Jean-Philippe Guérand, Première, n° 131, février 1988.

Tout juste un enfant pur, très “ animal ”, à l’idéal secret

“ Comencini filme avec un réel plaisir ces échappées du jeune coureur à travers les champs et la route en zigzag, qui descend du village haut perché jusqu’à l’école située dans la vallée… Sur une trame assez simple, fruste, Comencini greffe une mini symbolique de classe, trop appuyée et qui jure parfois avec la justesse et le naturel de la description que donne le film du monde paysan calabrais… “ Un enfant de Calabre ”, dans la lignée des films de Comencini sur l’enfance, retrouve les qualités anciennes d’un cinéma de terroir, rétro, naturaliste. Comencini, on peut s’en douter, n’a qu’une idée : coller à son jeune personnage, par ailleurs excellent, dont il n’essaie pas trop de faire un porte-drapeau ou un symbole. Tout juste un enfant pur, très “ animal ”, à l’idéal secret. Un petit homme collé à sa terre, un élément presque organique de cette Calabre d’avant le boom économique des années 60. ”
Serge Toubiana, Cahiers du cinéma, n° 404, février 1988.

Une leçon non conformiste, de celles qui incitent à courir par les chemins

“ Édifiant, pas tout à fait, car La Ragazza di Bube de Comencini sait être non conformiste comme on savait l’être au cinéma il y a vingt ans et plus, c’est-à-dire avec mesure et sans exagérer. Il enseigne, entre autres saints préceptes, qu’il est toujours bon de suivre ses rêves et qu’il n’y a aucune raison pour qu’ils ne se réalisent pas si l’in y croit vraiment. Il montre aussi qu’il n’est pas toujours indispensable d’écouter les conseils de ses parents et qu’il est quelquefois plus urgent de s’écouter soi-même. Bref, la leçon, si elle fait la louange de l’obstination travailleuse, n’est pas de celles qui prêchent la patience et la résignation. Elle est, et résolument, de la nature de celles qui vous incitent à courir par les chemins. ”
Michel Pérez, Le Nouvel Observateur, 5 février 1988.

Une caméra d’une légèreté saisissante, entre émotion et dépouillement

“ On voit ce qui a pu séduire Comencini dans cette histoire : la volonté d’un enfant d’affirmer son autonomie face aux adultes, de se faire reconnaître dans son identité longtemps offusquée par des millénaires d’assujettissement des enfants aux choix que les parents font à leur place, d’échapper à la condition de bête de somme à laquelle on aurait voulu le réduire… Pour suivre l’affirmation de l’enfant, la caméra de Comencini se fait d’une légèreté saisissante : elle suit les longues courses de Mimi dans la campagne ou sur les routes sinueuses, puis dans les compétitions dans les villes… La course décisive… est un grand moment de cinéma, avec le vieil homme – étonnamment interprété par Gian Maria Volonte – qui intervient de temps en temps pour refreiner l’ardeur de Mimi… Une émotion contenue envahit l’écran, comme le sera le finale avec la victoire à Rome et le dépouillement d’un récit qui se clôt d’un coup. ”
Jean A. Gili, Positif, n° 325, mars 1988.

Pistes de travail

1. Au début, Mimi perd, puis il gagne, se qualifie, puis gagne la course des Jeux olympiques de Rome. Chercher dans le film les éléments précis qui permettent de comprendre les raisons des défaites et des victoires.

2. Le film s’appelle Un enfant de Calabre. À la fin, le commentateur de la course annonce non la victoire de Mimi mais celle d’un “ enfant de Calabre ” ? Est-ce seulement parce que le commentateur ne savait pas son nom ou le réalisateur a-t-il voulu donner un sens à cette appellation anonyme et lequel.

3. Comme son idole Abebe Bikila, Mimi court pieds nus. Est-ce seulement pour l’imiter ? Pourquoi prend-t-il alors les chaussures abandonnée par les autres coureurs au stade de Mendolar ? En choisissant un héros qui court pieds nus, le réalisateur a-t-il voulu signifier autre chose qu’un goût et un sens de l’imitation ?

4. Mimi prend plaisir à courir. À la fin du film, est-il toujours un simple enfant qui court pour le plaisir ? Voyez-vous une différence l’idée que Mimi se fait du sport au début et à la fin ?

5. Analyser les rapports de Mimi avec son père, sa mère et son entraîneur Felice.

6. Analyser les relations entre Nicola, le père, et Mariuccia, la mère.

7. Quelles sont les raisons qui poussent Nicola, le père, à être aussi sévère ? Les chercher avec précision dans le film. Qui l’y pousse ? Est-il aussi dur qu’il le paraît dans la première partie du film ? Qu’est-ce qui le fait changer ?

8. Relever les objets précis qui sont associés au personnage du père. (fusil, chapeau, bâton, scooter, voiture…).

9. Relevez les moyens de communication (transports, télévision) qui sont utilisés par les personnages. Qui les possède ? Qui les utilise ? Qu’apportent-ils à chacun de ces utilisateurs ?

10. La télévision occupe une place importante dans le film. Quand ? À quoi sert-elle, au début, à la fin ? Quel rôle joue-t-elle dans l’histoire de Mimi ? Comparez une “ séance ” de télévision en Calabre en 1960 et une soirée de télévision aujourd’hui. (Contenu, assistance, réactions).

11. Chercher les passages, les plans, où les idées et les sentiments sont exprimés uniquement ou surtout avec les images (et leurs enchaînements), avec très peu de mots. (Voir et ).

12. Supprimez une courte séquence du film. Cherchez ce que produit sa suppression dans l’enchaînement du film et des images ou dans le sens général du film.

13. La musique (Vivaldi) joue un rôle important, mais elle n’intervient qu’à certains moments précis du film. Chercher à quels moments elle accompagne les images, quels sentiments elle provoque et quelle idée en découle. Comparez les moments qui se ressemblent dont certains sont accompagnés de musique, d’autres pas. Pourquoi ? (Courses de Mimi).

14. Comment est organisée la société dans ce village de Calabre tel que le montre le film. Qui travaille, qui dirige, qui obéit, quels sont les droits et les devoirs de chacun ?

15. D’après le film, après avoir situé la Calabre sur une carte, décrivez son relief, sa végétation, ses activités économiques en 1960.

Mise à jour : 16-06-04

Expériences

Le cinéma italien des années 70-80 et après…

Si Un enfant de Calabre demeure un film de grande qualité, sous-estimé à sa sortie, c’est aussi un film moins assuré, moins puissant que certaines des grandes œuvres d’antan de son auteur. C’est que le contexte qui a porté le cinéma italien en de nombreuses périodes a fondamentalement changé.

Le cinéma italien a connu plusieurs périodes fastes. Les historiens citent volontiers l’âge d’or du muet avec, entre autres, l’éclosion du film historique et du peplum, puis la formidablement révolution esthétique et idéologique que fut le néoréalisme au lendemain de la Seconde Guerre mondiale. C’est négliger un peu à tort une troisième période, celle de la comédie italienne, telle qu’elle s’est déployée, à partir d’un genre constant dans toutes les périodes du cinéma italien, à partir du Pigeon, de Mario Monicelli (1958), jusqu’aux années 70. Elle pratique la critique sociale, voire politique, parfois avec férocité, ce qui lui permet de garder sa force et son utilité dans la politisation de l’après 68, avec les films d’Elio Petri ou de Francesco Rosi.

Le début des années 70 demeure faste. L’Italie produit en moyenne plus de 200 films jusqu’en 1976. En 1975, 513 millions de spectateurs fréquentent les salles, pour environ 50 % de films italiens. Dès 1977, la production tombe à 142 films et la fréquentation à 373 millions de spectateurs. Outre la disparition des “ grands ” qui firent la réputation du cinéma italien, (Pietro Germi, Vittorio De Sica, Luchino Visconti, Roberto Rossellini…), la mort de Pasolini, la décomposition de la vie sociale et politique italienne est évidente. Les mouvements de 68 ont paralysé la Démocratie chrétienne, la lutte politique (Brigades rouges, assassinat d’Aldo Moro) fait rage à partir de 1975. Peut-on encore en rire ? Les titres des comédies sont significatifs : Les Nouveaux monstres, de Mario Moniccelli, Dino Risi et Ettore Scola (1976), Affreux, sales et méchants, de Scola (1975), Le Grand embouteillage, de Comencini (1978)… Un bourgeois tout petit, petit, de Mario Monicelli (1977) peut être qualifié de comédie triste qui fait (à peine) rire jaune.

Mais la cause la plus profonde réside dans l’irruption de la télévision privée et l’absence de régulation qui l’accompagne. Silvio Berlusconi, bientôt surnommé “ sua emittenza ” (“ son éminence émettrice ”), crée en 1974 Milano 2, télévision par câble, possède en 1980 cinq chaînes et en contrôle une quinzaine sur l’ensemble de l’Italie. En 1976, la Cour constitutionnelle “ libéralise ” totalement le système de radiotélévision. Dans un premier temps, la multiplication sauvage des films diffusés à la télévision – 250 par semaine pour 5 milliards de téléspectateurs – vide les salles. La fréquentation tombe à 195 millions de spectateurs en 1981, 125 en 1987, 95 en 1989 !

La destruction du cinéma italien par la télévision – sujet de Ginger et Fred (1985) et Intervista (1987), de Federico Fellini (qui meurt en 1993) – fait dire au critique Gioivanni Spagnoletti : “ Une fois Fellini mort, il n’y a plus de raison d’aller au cinéma, sinon une fois par an ”*. Entre-temps, le produit cinématographique s’est transformé : impossible, au milieu des années 80, de produire un film en Italie sans l’argent de la télévision. Mais, “ étant donné que les coûts de production sont aussitôt couverts par les reventes télévisuelles, les producteurs ne cherchent pas à améliorer la qualité de leurs produits. Au contraire. La télévision privée, , malgré l’effort bénéfique de liquidité, est pendant deux ans un élément d’affaiblissement créatif et ouvre la voie à la rapide transformation du produit cinématographique en un produit équivalent, mais avec des caractéristiques télévisuelles marquées. Les films produits sont près d’une centaine, mais leur qualité moyenne est basse et bien peu sont projetés dans les salles ”, explique Gian Piero Brunetta (Storia del cinema italiano, vol. IV, éd. Riuniti, Rome, 1993).

Années 80 : errances et rêves d’enfants

L’enfant, et son corollaire la famille, demeurent des motifs privilégiés du cinéma italien. On songe évidemment à celui du Voleur de bicyclette, de Vittorio De Sica (1948), réalisateur auquel Luigi Comencini porte une affection particulière. Mais ils sont innombrables dans le cinéma néoréaliste : ceux du pré-néoréaliste Les Enfants nous regardent (1943) ou de Sciuscià (1946), du même réalisateur, de Rome ville ouverte (1945), du sketch du policier militaire noir de Paisà (1946), d’Allemagne année zéro (1948), du début d’Europe 51 1952), de Roberto Rossellini, de Vivre en paix, de Luigi Zampa (1946), ceux, plus marginaux, de Dimanche d’août, de Luciano Emmer (1950) et bien d’autres. Cette importance de l’enfant dans le cinéma italien d’après-guerre – il n’est pas absent du muet ou du temps des téléphones blancs, mais n’y est pas central – tient évidemment au rôle de la famille dans la société latine, en Italie particulièrement, dans l’Italie méridionale plus encore. Quelques-uns des grands films-phares de l’histoire du cinéma italien en témoignent. Avant d’être (ou parce qu’il est) un grand peintre d’histoire sociale et politique de l’Italie, Luchino Visconti est le portraitiste des familles : La Terre tremble (1948), Rocco et ses frères (1960), Le Guépard (1963), Sandra (1965), Les Damnés (1969), Violence et passion (1975), au titre original plus significatif : Gruppo di famiglia in un interno [Groupe de famille dans un intérieur], ou encore L’Innocent (1976).
“ L’image de l’enfant des années 80 au cinéma, écrit François Valet (voir “ Bibliographie ”), est celle d’une perpétuelle quête, d’une oscillation constante. Sans assises, sans repère, sans repos, entre famille désintégrée et cité sans âme, l’enfant est en quête de lui-même ”. Certains exemples pris dans le cinéma mondial ne manquent pas de pertinence : Momo dans La Vie est un long fleuve tranquille (Étienne Chatillez, 1987), Brian dans Laisse béton (Serge Le Péron, 1984), Bruno dans De bruit et de fureur (Jean-Claude Brisseau, 1988), Hunter dans Paris, Texas (Wim Wenders, 1984), ou encore Krishna dans Salaam Bombay ! (1988)… L’exemple type de l’enfance sans repères, en quête de racines comme d’identité, en proie à un rêve immense et tragique, de ces années 80, est évidemment le sublime et émouvant couple constitué par Voula et son jeune frère Alexandre, seuls à la recherche de leur père mythique à travers la Grèce dans le magnifique Paysage dans le brouillard, de Theo Angélopoulos (1988).

Tout à la fois significatifs de ce commun dénominateur tout en étant l’héritier direct du néoréalisme de Vittorio De Sica et Cezare Zavattini serait Gianni Amelio. Ce réalisateur calabrais né en 1945, encore trop peu connu en France, a réalisé en 1970 pour la télévision La Fine del gioco [la Fin du jeu], confrontant un adolescent à un réalisateur voulant tourner un reportage sur les prisons pour mineurs. Cette première réalisation sera la matrice d’un film qui obtint le Grand prix spécial du jury en 1992 à Cannes. Les Enfants volés (Il Ladro di bambini, 1991) raconte l’histoire d’un jeune carabinier inexpérimenté qui doit convoyer, de Milan vers un institut spécialisé en Sicile, une fillette de onze ans retiré à la garde de sa mère qui la prostituait et son jeune frère. L’hostilité entre enfants et adultes se transforme en confiance, complicité, affection… Mais les règles sociales règlent le happy-end plus que les clichés hollywoodiens ou ceux du téléfilm TF1/France Télévision…L’émotion, le sensibilité, l’honnêteté de Gianni Amelio rejoignent celle de Luigi Comencini dansUn enfant de Calabre : des deux côtés, il s’agit d’une éducation affective des enfants par les adultes et tout autant l’inverse. Felice et Nicola (voire Mariuccia) n’apprennent-ils pas autant de Mimi que l’inverse ? Chacun fait un pas vers l’autre tel que Gramsci, théoricien et homme politique voyait la démarche des intellectuels et des ouvriers dans un socialisme authentique.

Outils

Bibliographie

Luigi Comencini, Jean A. Gili, Ed. Edilig, 1981.

Les années Moretti, dictionnaire des cinéastes italiens, 1975-1979, Alain Bichon, Adranan Distribution/Annecy Cinéma italien, 1999.
Le cinéma italien (1945-1990), Freddy Buache, Ed. L'Age d'homme, 1992.
Le cinéma italien, Jean A. Gili, coll. 10/18, UGE, 1982.
La comédie italienne, Jean A. Gili, Ed. Henri Veyrier, 1993.
Trente ans au cinéma, Alberto Moravia, Ed. Flammarion, 1990.
Le cinéma italien (1945-1995), crise et création, Laurence Schifano, coll. 128, Ed. Nathan Université, 1995.
Le cinéma italien parle, Aldo Tassone, Ed. Edilig, 1982.
Un'altra Italia, pour une histoire du cinéma italien, Sergio Toffeti, Ed. Cinémathèque française/Musée du cinéma/Mazotta, 1998.

L'Italie, George Pierre, coll. "Que sais-je?", Ed. PUF.

L'Image de l'enfant au cinéma, François Valet, coll. "Septième art", Ed. du Cerf, 1991.

Vidéographie

L'incompris, Luigi Comencini. Distribution ADAV n° 2 270