Synopsis
Synopsis
Krishna travaille dans un cirque. Le cirque s’en va et l’oublie. Krishna va à Bombay, et devient “ chaipau ”, livreur de thé (de chai – thé, en hindi), dans un quartier pauvre de la ville. Il dort dans un terrain vague, avec d’autres gamins de son âge, et se lie d’amitié pour Chillum, un jeune homme qui revend (et consomme) la drogue que lui fournit Baba, petit mafieux du quartier.
Krishna se prend d’affection pour une jeune adolescente fraîchement débarquée du Népal, achetée par la matrone d’un bordel pour un client particulier ; tandis que Baba est engagé pour la rendre plus docile. Tout en séduisant la pauvre jeune fille, Baba fréquente une prostituée, Rekha, qu’il berce d’illusions depuis la naissance de leur fille, Manju, six ans.
Krishna côtoie Rekha, Manju et les gens du quartier, rêve de repartir dans son village natal et travaille dur pour économiser les 500 roupies qu’il lui faut. De temps en temps, il passe la soirée avec Chillum qui, grand consommateur de cocaïne, l’initie au haschisch. Un jour, Baba décide de se passer des services de Chillum. C’est une catastrophe pour ce dernier, qui y perd sa dose quotidienne de drogue. En manque, il tombe rapidement malade, et harcèle Krishna. À force de s’occuper de son ami, Krishna n’a plus le temps de livrer son thé, et perd son travail. Un soir, Chillum vole les 300 roupies d’économie de Krishna et meurt d’une overdose.
Peu après, il se fait arrêter par la police et envoyer à la “ cabane ”, centre de rééducation pour orphelins. Il s’échappe et propose à la jeune adolescente de s’enfuir avec lui. Amoureuse de Baba, elle refuse. Presque froidement, Krishna tue Baba d’un coup de couteau, et s’enfuit avec Rekha, qu’il perd dans la foule.
Distribution
Ce n’est pas une métaphore que de voir dans Bombay le personnage central du film. Capitale financière du pays, symbole de la plus grosse industrie cinématographique du monde, lieu de toutes les stars, elle accueille, chaque jour, les rêves de milliers de jeunes Indiens, venus de l’Inde entière dans l’espoir de connaître gloire et richesse. Salaam Bombay ! c’est le cri enthousiaste de l’émigrant avant la désillusion, le salut universel du pauvre devant le symbole de tous les miracles, ce cri qu’Elia Kazan racontait dans America ! America ! et que Mira Nair s’approprie à travers le récit de Krishna.
Krishna
Il interprète pratiquement son propre rôle. Comme de nombreux immigrants, il tente de survivre dans Bombay. On ne sait presque rien de son passé, si ce n’est qu’il espère rassembler suffisamment d’argent pour retrouver sa mère. On suit cependant durant le film un parcours, une sorte d’initiation à la vie en société et une sorte d’éducation sentimentale, amicale avec Chillum, amoureuse avec Solasaal. Il apprendra à refuser certaines choses, certains actes, et à se forger une véritable morale personnelle.
Chillum
Plus âgé que lui, Chillum a sombré dans la drogue ce qui l’amène à commettre des actes parfaitement odoeux, d’autant plus qu’ils se faisaient au détriment du seul être qui avait pour de l’amitié et de la compréhension, le jeune Krishna. À l’inverse de Krishna, il n’est plus état ni en situation de refuser l’inacceptable, jusqu’à devenir le souffre-douleur du souteneur, Baba. Sa fin sera à la fois pathétique et marquée par la pudeur et le respect que la réalisatrice a su accorder à son personnage.
Baba
C’est le méchant, rôle que Nana Patekar a l’habitude de jouer dans les grands films commerciaux indiens. Souteneur (il prostitue sa compagne), homme de main de la mère maquerelle (c’est lui qui est chargé de “ l’éducation ” de la petite Solasaal) et trafiquant de drogue, il cumule les traits négatifs pour devenir une sorte de stéréotype. La scène de l’humiliation qu’il inflige à Chillum devant la journaliste occidentale révèle la véritable personnalité de ce personnage qui n’a aucune conscience de ce que peut être le respect de la personne humaine.
Rekha
Elle est l’un des personnages les plus émouvants du film. Si elle se conforme aux volontés de son compagnon et souteneur, Baba, elle trouve la force de réagir en tant que mère pour essayer de son sauver son enfant contre l’administration chargée de la protection de l’enfance. Elle prend alors une stature et une dignité emprunte d’une réelle noblesse.
Si la ville est si présente chez Mira Nair, comme personnage central et matrice du récit, c’est que les personnages sont définis en fonction de leur capacité à circuler, à faire circuler la ville, plus que d’après leur capacité à faire avancer dramatiquement le récit. Finalement, les personnages les plus importants de Salaam Bombay ! (Krishna, Chillum, Baba) sont ceux qui – d’une certaine façon – marchent le plus, et non ceux qui semblaient avoir le destin le plus dramatique (Solassal ou Rekha).
Générique
Titre original Salam Bombay !
Scénario Mira Nair et Sooni Taraporevala
Réalisation Mira Nair
Image Sandi Sissel
Son Juan Rodriguez
Décors Nitish Roy et Nitin Desai
Montage Barry Alexander Brown
Musique orginale L. Subramaniam
Atelier des enfants Barry John
Interprétation
Krishna/Chaipau/ Shafiq Syed
Koyla/ Sarfuddin Qurrassi
Keera/ Raju Barnad
Chillum/ Raghubir Yadav
Rekha / Aneeta Kanwar
Baba/ Nana Patekar
Manju/ Hansa Vithal
Salim / Mohanraj Babu
Chungal / Chandrashekhar Naidu
Solasaal / Chanda Sharma
Mère maquerelle / Shaukat Azmi
Production Mirabai Films (New York), NFDC (Bombay), Channel Four Television (Londres), Cadrage SA et SEPT (Paris).
Prod. exécutive Anil Tejani (Inde), Michael Nozik (USA), Gabriel Auer (France)
Film Couleurs (35mm)
Format Panoramique : 1/1,66
Durée 1h53
N° de visa 68 136
Distribution Films de l’Atalante
Sortie (France) Mai 1988 (Festival de Cannes)
Prix Caméra d’or au Festival de Cannes (1988)
Autour du film
Guide de Bombay pour “ non-voyants ”
On pourrait d’abord définir Salaam Bombay ! par des qualités négatives. Le film, en effet, échappe aux nombreux pièges du genre, à commencer par le misérabilisme. Certes, elle ne montre pas un Bombay idyllique et le film ne saurait servir de prétexte ou d’appât à la promotion du tourisme en Inde. La misère est vécue de l’intérieur, mais sans excès mélodramatique, sans ce qui pouvait faire et le charme et le côté un peu racoleur du Voleur de bicyclette, de Vittorio de Sica, par exemple. Pas de fin réconciliatrice ou consensuelle, par exemple. Ce n’est pas non plus un cri de révolte social et au-delà (surréaliste ?) à la façon de Los Olvidados, de Luis Buñuel. Le film conduit à s’indigner, mais après, par la réflexion.
Il évite aussi le piège de l’apitoiement par le recours à l’enfant, à ces regards d’enfants mouillés et suppliants… Krisna est un enfant presque comme les autres (du moins en Inde, à Bombay), qui vit une histoire somme toute, banale. Ce qui est important, pour le film comme pour la réalisatrice, c’est que Krishna ne soit pas le réceptacle quelque peu “ christique ” des misères du monde, qu’il assumerait pour sa rédemption ou celle du monde. Mira Nair ne peut d’ailleurs se formuler la situation en ces termes chrétiens et Krisna n’a d’autre ambition que survivre. Là encore, la protestation vient après, pour le spectateur, pas même pour l’enfant. C’est son énergie qui est en jeu, pas sa capacité supposée à souffrir et supporter.
D’ailleurs, si Krishna demeure la plaque tournante, celui sur lequel le film débute et sur lequel il s’achève, il n’est pas le seul personnage marquant du film. C’est moins un itinéraire – Krishna avance-t-il ? – qu’un réseau de personnages et de petits faits (vrais ou ressentis comme tels) que filme Mira Nair. Les histoires de Chillum, de Baba, Rekha, Solasaal, auraient pu être à leur manière placée au centre du film, ce qui aurait changé d’orientation, de cap, mais pas de sens général.
Par cette structure éclatée mais plutôt habilement maîtrisée, surtout pour un premier film, ce n’est plus un destin individuel, ni même plusieurs destins individuels, qui sont présentés, mais un ensemble, la ville de Bombay dans ce qu’elle révèle de l’Inde d’aujourd’hui. Les personnages ne constituent pas un habile échantillon de la SOFRES, représentatif de la société indienne. Il est au contraire limité. Mais c’est par le décor et les relations que chacun entretient avec ce décor, que passe cette mise en contact avec la société. Impossible de ne pas saisir, même fugitivement, l’éjection, la marginalisation de ces personnages par rapport à une ville grouillante de vie, mais aussi de rêves déçus, que symbolise le terme qui la désigne parfois, “ Bollywood ”. L’énorme production cinématographique populaire de Bombay suscite des rêves de stars, rapidement déçus, ne serait-ce que pour des raisons statistiques. Reste alors à survivre…
Ce n’est pas pour rien que le film est essentiellement vu par Krishna, qui est, un peu à la façon des films du Néoréalisme italien, le témoin de faits incompréhensibles. Sa naïveté paisible nous fait, nous, spectateurs, voir, saisir, comprendre peut-être, ces événements, ces aberrations de la société, du monde. J’ai parlé de tourisme, au début. Salaam Bombay ! est bel et bien un film touristique à l’envers qui, en douceur, nous montre ce que les touristes viennent chercher mais se cachent. Mira Nair cache aussi certaines choses : la mort de Chillum, par exemple. Cette ellipse, cette lacune, est peut-être pudeur, mais nous ne pouvons pas ne pas la ressentir comme un manque, une trahison d’un certain réalisme du récit, qui nous renverrait à notre propre statut de riche Occidental. Dans ce sens, nous ne sommes pas aveugles – cela n’existe plus – mais “ non-voyants ”…
Joël Magny
Dédié aux enfants des rues de Bombay
“ Ce premier long métrage de fiction a fait sensation à Cannes en 1988 où il obtint la Caméra d’or. On y suit, dans une ville grouillante de couleurs et de misère, un petit garçon de dix ans lâché seul dans la ville, naviguant d’asiles en bordels, gagnant sa maigre pitance en devenant “ Chaipau ”, celui porte le thé et le pain dans la rue. Saisissante plongée dans un univers où l’enfance n’a plus droit à l’innocence, elle sait éviter le mélo tout en empoignant le cœur. ”
Annie Coppermann, Les Échos
Un film qui s’intéresse enfin à autre chose qu’à lui-même
“ Mira Nair a tourné dans les rues de Bombay, le bordel où est située une partie de l’action est un vrai, la prison est la plus célèbre maison de redressement de la ville, les enfants sont réellement des gamins illettrés, qui survivent dans les rues des quartiers les plus déshérités. Salaam Bombay ! est un beau film, plein de violence et de sentiments. Il parle de son temps. Il nettoie les yeux et la tête. ”
Pascal Mérigeau, Le Nouvel Observateur
Un refus de la surenchère
“ Mira Nair a pratiquement réussi à passer à travers tout misérabilisme et toute exploitation sordide. Le parti pris choisi est celui du refus de la surenchère et de l’honnêteté vis-à-vis du matériau de départ. Elle se démarque à la fois de l’ascèse et de la pureté d’un Satyajit Ray, et des codes très contraignants du cinéma populaire indien. Salaam Bombay ! est surtout construit par petites touches, mini-séquences qui décrivent assez minutieusement les relations qui se tissent entre les membres de cette communauté sans règles formalisées, celle de la rue ”.
Thierry Jousse, Les Cahiers du Cinéma.
Une leçon d’optimisme
“ Tant d’énergie passe à l’écran. Et si certaines séquences bouleversent par leur réalisme, le film ne sombre jamais dans le désespoir, comme soulevé par la force vitale de ses personnages, à la fois cri de douleur et formidable leçon d’optimisme. ”
Bernard Genin, Télérama.
Pistes de travail
Pour l’analyse du film
Pour la création
– Krishna réussit à retourner à son village.
– Krishna se fait arrêter pour meurtre.
– Krishna se rend à la police.
– Krishna reste à Bombay et la vie continue.
– Krishna retrouve Solasaal et s’enfuit avec elle.
Justifiez votre choix, puis décrivez l’action et les dialogues correspondants.
Pour une connaissace générale (voir Bibliographie)
Mise à jour : 16-06-04
Expériences
Cinéma de l’enfance et de la pauvreté.
Salaam Bombay ! s’inscrit dans une certaine tradition du cinéma réaliste pour laquelle l’enfance, la pauvreté, le groupe et la ville sont les points cardinaux du récit. On pourrait aussi dire, presque par opposition systématique, que les quatre horizons du film sont : le conflit avec les adultes, l’exploitation par le travail, la solitude et le désir d’un retour au village. Replacer le film dans l’histoire du cinéma, le comparer aux films qui ont pris le même chemin, et essayer de mettre en scène des thèmes similaires permettent de souligner quelques aspects spécifiques du film de Mira Nair.
La filiation (et la “ typologie ” des différences) pourrait se faire avec les films suivants : Allemagne, année zéro de Roberto Rosselini (Italie 1947) ; Los Olvidados de Luis Buñuel (Mexique, 1950) ; Les 400 coups de François Truffaut (France, 1959) ; Pixote, la loi du plus faible de Hector Babenco (Brésil, 1980) ; Halfaouine, l’enfant des terrasses de Ferid Boughedir (Tunisie, 1990, voir dossier pédagogique “ Collège au cinéma ”, n°40)) ; Marian de Pietr Vaclav (République Tchèque, 1996) ; Kardiogramma de Darejan Ormibaev (Kazakhstan, 1996). Tous ces films parlent de l’enfance et de la pauvreté, de la ville et de l’inscription du sujet dans le groupe, du travail, de la solitude, de la solidarité ou de l’intolérance. Certes, tandis que l’Italien Rosselini fait de l’enfance le lieu même de la tragédie (son héros se suicide dans un Berlin détruit par les bombes), le Tunisien Ferid Boughedir en fait un paradis perdu, où – comme chez Proust – l’ampleur du drame n’a pas d’autre objectivité que celle qu’impose la sensibilité du narrateur.
Si un film comme Pixote (l’enfer vécu par les gamins de Sao Paulo, entre maison de redressement et trafic de drogue) est certainement le pendant brésilien de Salaam Bombay !, le film qu’il est le plus pertinent de (re)voir (et le plus disponible sur le marché) – dans la perspective d’une étude comparative – est sans aucun doute Los Olvidados. Il y a en effet dans ce chef-d’œuvre de Luis Buñuel quelque chose que Mira Nair n’a pas voulu mettre en scène, et qui fait cependant toute la force et l’intensité du film mexicain : l’aller-retour entre la cruauté du monde et la cruauté des enfants. Mira Nair refuse de sortir ses personnages de la situation de victime dans laquelle la société les a mis.
Krishna, Chillum, la jeune prostituée népalaise, sont autant de façons pour la réalisatrice de décliner (et de répéter) ce postulat de départ : les enfants pâtissent de l’injustice du monde. Or limiter son propos à dire – fort justement, avec un grand souci de vérité, voire avec talent – que les enfants pauvres souffrent, c’est en quelque sorte enfermer son récit dans une tautologie, de la forme : “ Ceux qui souffrent souffrent ”. L’intelligence de Bunuel est de montrer que la perversion du système social réside dans la nécessité, pour ces enfants des rues, de produire – par réflexe de survie – de la souffrance, autrement dit de faire souffrir les autres pour s’en sortir… Autrement dit : “ Ceux qui souffrent font souffrir ”.
Dans Salaam Bombay ! le seul acte “ méchant ” qu’un enfant commette contre un autre enfant (en l’occurrence Krishna) est de prendre une tasse de thé sans la payer, ou (dans la scène d’ouverture) de lui voler les commissions qu’il avait achetées pour le directeur du cirque. Il n’y a pas de violence morale, comme si, au fond, la pauvreté n’était que la question de la possession et de la justice… et jamais celle de la perversion individuelle comme échappatoire à la perversion sociale.
Outils
Bibliographie
Les cinémas de l'Inde, Yves Thoraval, Ed. L'Harmattan, 1998.
Le cinéma indien, Jean-Loup Passek, Ed. Centre Georges Pompidou, 1983.
La civilisation indienne et nous, Louis Dumont, Ed. Armand Colin, 1997.
Vidéographie
Salaam Bombay!, Mira Nair. Distribution ADAV n° 22 779
Kama Sutra, Mira Nair. Distribution ADAV n° 21 101
Caste criminelle, Yolande Zauberman. Distribution "Images de la culture" CNC (droits réservés au cadre familial)