Effrontée (L’)

France (1985)

Genre : Comédie dramatique

Écriture cinématographique : Fiction

Archives CAC, Collège au cinéma 2000-2001

Synopsis

Charlotte a 13 ans. Sa mère est morte à sa naissance et elle a été élevée par son père et une bonne, Léone. La famille habite près d’un lac. C’est la fin de l’année scolaire. Son frère aîné, Jacky, part en vacances avec des copains.

Le dernier jour d’école, l’adolescente se blesse légèrement en plongeant dans la piscine, puis va dans un amphithéâtre où est retransmis un concert de la jeune pianiste prodige : Clara Baumann. Charlotte est fascinée par la petite musicienne.

Lulu, la fille d’une voisine, vient dormir avec elle. Lulu a sept ans et voue à Charlotte une amitié un peu encombrante. D’autant plus que Charlotte, depuis qu’elle a quitté l’enfance, traverse une crise, se dispute avec son frère et son père, cherche à écrire des pièces de théâtre et se désintéresse de ses anciennes amies.

Le hasard fait que Clara Baumann doit donner un concert dans la ville. Charlotte la rencontre dans la voiture de Sam, son imprésario, et l’amène chez un tourneur à métaux pour réparer son tabouret de piano.

Charlotte décide de revoir à tout prix Clara et tourne autour du jeune Jean, l’ouvrier qui doit rapporter le tabouret à la villa. Jean est un garçon étrange, marin de son état, qui l’emmène donc à la villa louée par Clara. Impressionnée par l’entourage de Clara, Charlotte a une syncope et tombe dans la piscine. La pianiste l’emmène dans sa chambre, lui dit son bonheur de la voir et lui propose brusquement de devenir son imprésario. Charlotte la croit.

De son côté, Jean entame un flirt avec elle. Il l’emmène au cinéma, l’entraîne dans sa chambre et lui saute dessus. Charlotte prend peur, l’assomme avec une lampe en forme de mappemonde et s’enfuit.

Léone s’inquiète du comportement de Charlotte qui affirme qu’elle va partir avec Clara. Lulu est désespérée. Le jour du concert, Lulu perturbe la représentation en hurlant qu’elle ne veut pas que Charlotte parte avec la pianiste.

À la fin du concert, Charlotte va dans les coulisses. Clara est distante avec elle. Sam vient la consoler. Il apprend avec stupeur la promesse de Clara et va le lui reprocher discrètement.

Lulu constate que Charlotte ne part plus. Bouleversée, elle court vers elle et subit une attaque de son mal. Un peu plus tard, à l’hôpital, Charlotte tient compagnie à Lulu.

Distribution

Charlotte

Elle n’a jamais connu sa mère, autrement que par les photographies que son père conserve dans sa chambre. On devine que c’est Léone, la bonne, qui a partiellement pris cette place. Bien qu’ayant un frère aîné, Charlotte semble s’être toujours sentie seule, mais elle ressent beaucoup plus cruellement cet isolement depuis sa sortie de l’enfance. Au cours de sa dernière année scolaire, elle s’est désintéressée des activités collectives et s’est repliée sur elle-même au sein de sa classe.

Quand le film commence, elle se fait conspuer pour un saut raté dans la piscine et confie vaguement sa détresse à son ancienne monitrice de tennis. Nous apprenons bientôt qu’elle éprouve autant de nostalgie que de rejet pour son enfance. La manière dont elle regarde la balançoire du jardin et son comportement avec Lulu en sont les évidentes démonstrations. Comme beaucoup d’enfants de son âge, Charlotte rêve à une carrière artistique. Elle veut devenir comédienne et écrit des pièces de théâtre.

Si le monde des adultes ne l’attire pas encore, elle éprouve un sentiment confus pour celui de l’adolescence, qu’incarne en permanence son frère aîné Jacky. Elle s’entend d’ailleurs mal avec lui. Il se moque souvent d’elle et Charlotte ne sent pas la tendresse qu’il éprouve pourtant à son égard, comme le montre la scène où il vient lui dire au revoir avant son départ en vacances.

Charlotte entretient donc son isolement et s’enlise dans sa crise. Elle a des difficultés à communiquer avec son père, reste attachée (mais de façon conflictuelle) à Léone et ne se confie enfin qu’à Lulu. Tantôt extravagante, tantôt introvertie, elle se cherche à travers les autres et tombe amoureuse d’une image télévisée : celle de Clara Baumann. Cette enfant de son âge s’exhibe en public, connaît la notoriété, joue du piano et possède une beauté évidente. Charlotte l’admire et croit pouvoir devenir son amie. Elle est alors victime de son manque de lucidité face au monde où la musicienne évolue. Admise de manière superficielle dans son univers, elle pense avoir intégré cette image d’art et de luxe.

La naïveté de l’enfance lui fait prendre pour argent comptant les propositions irresponsables de la petite prodige. Simple figurante occasionnelle dans la vie de Clara, elle croit s’y être imposée comme un personnage central et s’enferre aveuglément dans cette idée fixe.

Sa rencontre avec Clara s’est doublée de celle avec Jean. Charlotte découvre un autre monde, tout aussi romanesque en apparence, car Jean est marin. Elle joue alors à se vieillir, avance imprudemment en terre inconnue et ne comprend pas tout de suite le sordide de la situation où elle s’expose par la dangereuse instabilité mentale de son soupirant. Sa première expérience amoureuse avorte donc dans une tragédie grotesque, tout comme avortera ce qu’elle imagine être sa nouvelle vie auprès de Clara.

La vérité profonde de Charlotte s’exprime seulement auprès de Lulu et de Léone. Mais elle vit mal cette réalité. Pourtant, Lulu a besoin de Charlotte autant que Charlotte a besoin de Léone. Cependant, Charlotte est trop enfoncée dans sa crise pour comprendre qu’elle a besoin de Lulu et que Léone a besoin d’elle. Charlotte refuse de comprendre cette preuve qu’elle n’est pas aussi seule que cela. Car Léone remplace au mieux la mère qu’elle n’a pas connue, tout comme Lulu remplace la petite sœur qu’elle n’a pas eue.

Au cours de son passage de l’enfance à l’adolescence, Charlotte oublie l’affection et la tendresse que Lulu et Léone lui donnent. Elle cherche autre chose, et elle le cherche ailleurs : une sœur de son âge, mais de milieu différent (Clara), une vie comme celle de son frère (flirt avec Jean) et souhaite la rupture avec le lien familial. Dans cette quête, elle accumule les blessures sans comprendre qu’elles ne sont que de petits bobos d’enfants (comme son égratignure à la piscine).

Le rappel de la grave maladie de Lulu va remettre les choses en place. Elle qui attend toujours de recevoir des autres (l’amitié de Clara, la robe de Léone), elle donne un baume de toilette à Lulu. C’est ainsi qu’elle s’accepte telle qu’elle est.

Léone

Elle est d’abord un femme épanouie et contente de son sort. Dévouée, directe et psychologue, elle est bonne à tous les sens du terme. Elle aide et sert les autres. Ayant pris une part de la place de la mère de Charlotte sans s’inscrire dans la famille (elle n’est pas la maîtresse de Castang), elle limite toujours ses observations, son soutien et ses reproches sur un terrain d’éducation sociale et morale.

Profondément réaliste, elle comprend tout et cherche à corriger la trajectoire en dérives de Charlotte sans trop la brimer. Elle est le seul vrai pôle d’équilibre dans la cellule familiale. C’est le passeur entre les différents univers qui infiltrent ce lieu. Elle sert aussi de seconde mère à Lulu, enfant délaissée par une mère que nous ne voyons pas et qui envoie tout le temps son enfant chez les autres.

La bonté de Léone ne l’aveugle pas. Elle critique les actes de méchanceté des autres, tente d’ouvrir les yeux de Charlotte sur la réalité, sait être sévère quand il le faut et freine avec intelligence son évident amour pour la gamine, au point où l’on se demande si cette femme exemplaire, qui se dit heureuse dans son mariage, n’est pas aussi une femme qui souffre de n’avoir pas d’enfants et qui transfère sa tendresse sur les enfants des autres.

Clara Baumann

Protégée de tout et de tous, enfermée dans la pratique de son art, choyée par son équipe et auréolée de son statut d’enfant prodige, Clara Baumann n’en est pas moins une petite fille aux portes de l’adolescence. Belle et talentueuse, douée autant pour le piano que pour les courses en canot à moteur, elle est aussi l’otage de sa propre gloire.

Contrainte à s’exercer sans cesse à son art et coupée par cela du monde de l’enfance, elle vit un conte de fées dont elle la cheville ouvrière. Tout lui réussit parce qu’elle a du talent et du charisme. Ce qui ne l’empêche d’être totalement irresponsable vis-à-vis de Charlotte.

Il apparaît qu’en dehors de son métier, Clara Baumann n’est qu’une enfant gâtée, incapable de réaliser le mal qu’elle peut faire par son inconscience. En proposant à Charlotte de devenir son imprésario, elle agit comme une gosse capricieuse et égoïste.

Toutefois, c’est ce manque de maturité psychologique qui lui donne un caractère humain. En improvisant sa proposition d’association avec Charlotte, elle redevient une enfant et n’a plus rien à voir avec son image exceptionnelle, en couverture du « Monde de la musique ». Car la Clara vue à la télévision, se produisant sur la scène du théâtre ou signant des autographes en coulisses est bien la même que celle qui s’entretient avec Charlotte dans sa chambre : une gamine solitaire. Beaucoup plus seule que Charlotte. On ne voit d’ailleurs jamais sa famille. Son imprésario lui sert de père virtuel. Elle n’existe que par son art et ignore tout de la vie et des autres. C’est juste un oiseau prisonnier de jolies cages, et inconsciente de son manque de liberté.

Lulu

Malade, seule et débordante d’amour, Lulu ne croit qu’en Charlotte. Pour elle, c’est une grande sœur, une amie et un modèle. Ensemble, elles ont partagé des moments d’enfance et elle comprend mal que ce temps semble terminé. Lulu a sept ans et son univers entier se limite à l’admiration qu’elle éprouve pour Charlotte. Leur amitié lui semble indéfectible. Quand son amie la rejette, elle en souffre, mais revient toujours vers elle. Comme un chien fidèle en quête de tendresse.

Désarmée, malheureuse, elle n’imagine pas devoir la perdre et combat avec ses seules armes : la colère et la protestation. À l’idée de voir Charlotte partir avec Clara Baumann, elle panique et hurle dans la salle de concert. Lulu n’est qu’émotion. Ayant peur d’être abandonnée par son amie, elle a une violente crise après avoir tenté d’empêcher ce départ. Sincère et fragile, Lulu est la pureté même.

Le père

Castang est veuf depuis 13 ans. C’est un homme qui travaille de ses mains. Un homme simple et responsable. Il élève correctement ses deux enfants, ne parvient pas à oublier sa femme et ne sait pas comment s’y prendre avec Charlotte. Son comportement le dépasse. Il la gronde, mais se retient de la punir. Il la critique, mais il lui cède. Même s’il lui en veut peut-être d’être responsable de la mort de sa femme, il l’aime de tout son cœur et s’efforce de ne pas la brimer. Son fils devient indépendant (il part avec vacances avec des copains) et Charlotte devient femme. Castang est conscient que tous deux vont bientôt lui échapper et qu’il va se retrouver seul avec le fantôme de la femme qu’il aimait. Une certaine tristesse en découle. Mais c’est un être pudique. Il subit cela sans geindre et s’efforce de montrer une image de père compréhensif.

Sam

Sam vient du milieu de la variété. Il en a conservé bien des aspects superficiels. Derrière son masque de snob, il est pourtant un homme lucide et intelligent. De toute la bande qui entoure Clara, c’est le seul à éprouver une affection sincère pour elle. Plus qu’un imprésario, il est une sorte de père sympathique qui veille sur elle et connaît ses défauts comme ses qualités. Il observe son jeu, juge avec une justesse ceux qui la font travailler et veut lui laisser profiter un peu de son enfance. Loin de ce que son apparence de dilettante jouisseur pourrait laisser croire, il analyse parfaitement le comportement de sa protégée et comprend celui de Charlotte. En apprenant la promesse irresponsable que Clara a faite à Charlotte, il prend les choses en mains pour les dédramatiser.

Jean

Décalé de la réalité, Jean est resté un enfant. Il en a les défauts. Immature, inconscient, amoral, il s’est fabriqué un monde où l’exotisme se mêle au refus de toutes règles. Lui aussi est quelqu’un de seul et d’irresponsable. Il embrasse Charlotte et veut abuser d’elle, non pas par vice, mais par besoin de retrouver l’enfance. Il en est plus pathétique qu’odieux.

Générique

Titre original L’Effrontée
Scénario Claude Miller, Luc Béraud, Bernard Stora et Annie Miller
Réalisation Claude Miller
Ass. Réalisation Valérie Othnin-Girard
Scripte Annie Miller
Image Dominique Chapuis, Thierry Jault et Guillaume Shiffman
Son Paul Laine, Gérard Lamps ; Claudine Nougaret et Gérard Manneveau ; Jean-Pierre Lelong
Costumes Jacqueline Bouchard
Maquillage Joël Lavau
Décors Jean-Pierre Kohut-Svelko, Vincent Matheu-Ferrer
Montage Albert Jurgenson
Musique orgin. Alain Jomy
Musiques Mendelssohn (2e Concerto), Beethoven (Concerto), Mozart (11e Concerto)
Chanson Sar’ perché’ ti amo (D. Farina, E. Ghinazzi, D. Paye) parRicchi et Poveri
Casting Dominique Besnehard
Photo plateau Martine Peccoux
Interprétation
Charlotte Castang/ Charlotte Gainsbourg
Léone/ Bernadette Lafont
Sam “ Fruit of the loom ”/ Jean-Claude Brialy
Clara Baumann/ Clothilde Baudon
Lulu/ Julie Glenn
Jean/ Jean-Philippe Ecoffey
Antoine Castang, le père/ Raoul Billerey
Jacky Castang/ Simon de la Brosse
Professeur de piano/ Richard Guerry
camarade de classe/ Cédric Liddell
la serveuse de bar/ Chantal Banlier
l’entraîneuse de tennis/ Louisa Shafa
le maître-nageur/ Philippe Baronnet

Production Marie-Laure Reyre pour Oliane Productions, Films A2, Telema et Monthyon Films
Film Couleurs (35mm)
Format Panoramique (1/1,66)
Durée 1h36
N° de visa 60 733
Distribution Accacias/Connaissance du cinéma
Sortie (France) 11 décembre 1985
Prix Prix Louis Delluc en 1985

Autour du film

Du rêve à la réalité

Dès le générique de son film, Claude Miller place deux ouvertures inscrites vers l’idée de vacances et de mouvement. D’abord, c’est le mécanisme d’un juke-box qui se met à jouer “ un tube de l’été ”. Nous entendons une chanson d’amour en italien avec une musique sur laquelle on danse, et qui deviendra un leitmotiv dans le film. Ensuite, sur cette musique, des bateaux à moteur font la course. Ces images annoncent la course gagnée par Clara et nous montre le lac autour duquel se situe l’action du film. Dans les deux cas, ce sont des objets ou des endroits marqués par leur immobilité de base : un juke-box et un lac, lieux que l’on met en mouvement et qu’on utilise ainsi pour avoir un plaisir et une sensation de liberté.

Les trois éléments introductifs

Après ces deux éléments, un autre lieu de plaisir survient dans une fonction inverse : la contrainte. C’est une piscine où un moniteur donne des coups de sifflet afin de discipliner les élèves et les faire plonger les uns après les autres dans une eau aussi stagnante que celle du lac. Nous découvrons Charlotte. Elle a peur de se jeter à l’eau, mais le fait quand même et se blesse. Ce premier acte quelle nous donne à voir résume ce qui va lui arriver par la suite, puisque l’Effrontée raconte l’histoire d’une adolescente qui n’ose pas agir et qui s’y essaie pourtant. Jusqu’à se blesser. Ces trois séquences sont indicatrices de la fable à venir. Elles préparent le public à suivre l’itinéraire de Charlotte, cette gamine perdue entre deux mondes : celui du mouvement et celui de la clôture rassurante, mais étouffante. Chaque fois que Charlotte essaie de passer d’un lieu ou d’un état à l’autre, elle se fera mal et s’isolera encore un peu plus.

C’est d’ailleurs ce qu’elle fait d’emblée, allant bouder dans les vestiaires avant de se raconter un peu à une monitrice qui jaillit de son passé d’enfant. Cette jeune femme la regarde et lui parle toujours comme à une enfant, sans sentir qu’elle représente un modèle inaccessible pour elle. Car Claude Miller montre cette jeune femme nue et couverte d’eau. Elle apparaît comme sportive, belle et épanouie. Elle se trouve en face d’une gamine non formée et se croyant laide. Cette naïade est l’image de ce que Charlotte n’est pas et n’imagine pas devenir un jour : une belle femme bien dans sa peau.
Ensuite, sortant de l’infirmerie, elle est attirée par une image tout aussi inaccessible : celle d’une princesse de conte de fées. Mais entre l’image réelle et sensuelle de la jeune femme des vestiaires et celle télévisée de la musicienne, Charlotte envie celle de la pianiste parce qu’elle est proche de son enfance à peine révolue et représente l’iconographie même de l’exception, donc du rêve.

La solitude de Charlotte

Sans amie de son âge, avec un frère qui la rejette, un père qui ne la comprend pas et une bonne qui la juge avec justesse et sévérité, Charlotte se sent seule. Son unique confidente est la fille d’une voisine : Lulu. Elle vient souvent dormir avec elle, mais leur différence d’âge provoque des tensions.

La mise en scène souligne habilement combien Lulu peut être une présence gênante pour Charlotte. Car elle perdure son enfance. Avant de la découvrir dans le jardin sous la lune, Charlotte regarde la balançoire et la pancarte qui témoignent de ses jeux de petite fille. Pourtant, Lulu lui permet aussi de se sentir responsable comme une grande sœur. Mais elle n’a plus envie de cette responsabilité. Elle oublie à quel point l’enfant l’admire et s’en sert juste comme confidente passive avec un évident décalage.

Claude Miller le montre d’abord avec les commentaires qu’elles échangent sur le “ Roule Roule ” et sur le parfum de Charlotte. Puis il pointe les écueils de cette relation au cours de la promenade qui les conduit toutes deux chez le tourneur : c’est Lulu qui donne des coups de pied au camarade de classe de Charlotte. C’est encore elle qui reproche à son amie de s’arrêter devant une vitrine de brocante. Mais c’est avec elle aussi que le rêve devient réalité, parce que Clara apparaît en vrai.

À partir de là, Charlotte considère Lulu comme un poids mort et se dispute avec elle en fin de journée. Ses reproches sont injustes et méchants. Quand elle veut revenir vers elle, Lulu la refuse. Alors, Charlotte redevient une petite enfant qui veut faire dodo avec son papa. L’absence momentanée de Lulu favorise les décisions de Charlotte. Elle se jette à l’eau en se laissant draguer par Jean afin de pouvoir pénétrer chez Clara Baumann. Parvenue à ses fins, elle veut rester en retrait, mais tombe inanimée dans l’eau de la piscine et se retrouve dans la chambre de la pianiste. Là, c’est le reflet métamorphosé de la situation qu’elle vit chaque soir avec Lulu dans sa chambre, car ici, c’est Clara qui est la part décisionnaire. C’est elle qui lui prête ses affaires, l’invite à sa soirée et lui propose de venir travailler avec elle.

Le rêve, le luxe et l’exotisme se marient alors dans un spectacle dont Charlotte n’est pas encore devenue une des actrices, comme le prouve la manière dont elle se tient à distance du concert privé ; puis sa fuite discrète en abandonnant la robe rouge. (La couleur rouge est d’importance dans le film. Elle revient attachée à un autre plaisir d’enfant : la confiture).

Son euphorie la rend perméable au charme du salut de Jean en bas de ses fenêtres. Puis elle enlace Lulu avant de s’endormir, un geste de bonheur d’un total égoïsme autant que vérité flagrante de son besoin d’affection. Qui enlace-t-elle alors ? Clara, Jean ou la petite fille qu’elle pense ne plus être ? Claude Miller laisse volontairement cela dans un flou raisonnable. Car Charlotte n’est pas du tout consciente des raisons exactes de son geste de tendresse. Ces moments de béance sont souvent filmés avec distance, comme si nous ne pouvions pas juger de leur causalité chez Charlotte. Mais quand la caméra s’approche des personnages, c’est le moment de leur vérité qui s’impose. La confusion disparaît. Le sublime du rêve est alors chassé par le sordide du réel, ce que montre toutes les scènes avec Jean (dans la voiture, dans le café, au cinéma et dans sa chambre d’hôtel).

Le retour de chez Clara

À ce stade du film, la mise en scène est ainsi restée dans des zones de flou, des moments d’attente, des instants de silence. On a bien senti l’oppression, la chaleur, les vertiges et les craintes, sauf chez Clara où le rêve triomphe par le décor et la lumière. Là, nous sommes dans un film hollywoodien. Ailleurs, nous frôlons les marges du néoralisme. Les teintes et les codes du conte de fées ne sont plus présents à l’image et la mise en scène revient au réalisme jusqu’à privilégier le sordide autour du personnage de Jean. Enivré par son rêve, Charlotte perd conscience du ridicule ou du danger. La robe qu’elle achète en fait une caricature de Clara.

Miller ouvre la séquence sur Lulu dansant sur le tube de l’été. Charlotte apparaît avec sa robe rouge que Lulu va trouver belle, car elle a un regard d’enfant. Mais Léone exprime la raison. La colère de Charlotte a une double cause : la désapprobation de Léone et la prise de conscience qu’elle a encore agi comme une enfant en achetant cette robe rouge. Après la rage, elle redevient une petite fille que Léone va consoler. Si Claude Miller met en scène cette longue séquence en jouant sur la permanence de l’enfance comme étant attachée à ce jardin, il y met rapidement en insert la seule séquence où Clara joue aussi comme un enfant avec son chien.

Par contraste, les scènes qui suivent sont franchement marquées par le sordide. Et même si Jean montre soudain un visage de gosse en exhibant une mappemonde dont il colore en rouge les endroits où il a été, il agit ensuite comme une brute et Charlotte se défend en brisant le signe même de son rêve (la mappemonde). Affolée par son acte, Charlotte revient chez elle et ne pense plus qu’au départ. À la fuite dans le rêve insensé promis par Clara.

Le rêve brisé

C’est Léone qui la conduit au concert avec Lulu. Le père reste à la maison. Charlotte est tendue : elle entre dans un “ vrai ” théâtre… La mise en scène de Claude Miller s’articule alors sur un principe de suspense à la Hitchcock. Le rouge a repris sa place de départ : la robe de Clara. Les images du concert à la télévision sont remplacées par celle d’un concert où l’on voit la pianiste en chair et en os. Charlotte est ici noyée dans la masse des admirateurs. Nous attendons que la crise éclate en ressentant le malaise de cette situation. Mais Miller déplace le suspense vers Lulu qui, en tant qu’enfant, ne connaît pas les frontières entre le rêve et la vie. L’idée de perdre Charlotte lui est insupportable et son cri marque l’intrusion violente du réel dans le dernier rêve de Charlotte, tout comme le bris de la mappemonde l’avait déjà été vis-à-vis de Jean. Le rêve de Charlotte éclate en morceaux.

Et quand la petite pianiste en robe rouge disparaît en voiture, cette couleur insistante revient avec un réalisme impressionnant. Lulu saigne et s’écroule. Après avoir ainsi couru tout au long du film (la robe de Clara, la confiture de fraises, la mappemonde, la robe de Charlotte), le rouge “ couleur sang ” a pris sa véritable place.

Charlotte quitte alors définitivement son enfance. L’instant n’est plus au rêve. Elle est là pour soutenir Lulu, et Miller achève le film par une image plus grave qu’il n’y paraît. Lulu et Charlotte, immobiles, se tiennent la main en regardant le lac aux eaux stagnantes. (Noël Simsolo)

Autres points de vue

Le jeu de la réalité

“ Entourée et surprotégée, Clara retrouve en compagnie de Charlotte quelques bribes d’une enfance qu’elle n’a sans doute jamais vraiment eue. Charlotte, au contraire, croit auprès d’elle accéder à l’âge adulte. Et lorsque Carla lui dit qu’elle aimerait bien l’avoir pour imprésario, elle ne comprend pas que la petite virtuose fait seulement semblant de croire possible ce qu’elle imagine, ainsi que le font les enfants dans leurs jeux. Lui prêter sa plus belle robe relève du même type de comportement, alors que Charlotte voit dans le geste le signe qu’elle accède vraiment à un univers dont elle rêve, dans lequel le glamour règne en maître. Le physique même de Clara, sa façon d’être trahissent le glamour aussi bien que le mode sur lequel est traité la musique : lorsque Clara jour Mozart au bord de la piscine, Miller donne à entendre un orchestre manifestement absent. Charlotte ne distingue pas vraiment le jeu de la réalité, alors que Clara a trop l’habitude de se trouver en représentation (voir la scène du concert) pour ne pas savoir faire la part de choses. ”
Pascal Mérigeau, La Revue du cinéma, n° 412

Une façon intimiste

“ Le film est traité de façon intimiste, par petites touches, sans éclats, reposant sur la présence remarquable de Charlotte Gainsbourg (mais il faut signaler la remarquable prestation de Julie Glenn, fille de l’opérateur Pierre-William Glenn, en Lulu). L’ensemble est de qualité honnête, mais se traîne souvent dans un suivi fastidieux de personnages occupés à des actions futiles et vides ”. Olivier Serre, Cinéma 85, n° 333

Laisser percer le réel

“ Il y a dans l’Effrontée une très belle scène, celle où Lulu court à la poursuite de Charlotte et se met à saigner du nez. Lulu nous a, depuis le début du film, été donnée comme pantin. Elle est affublée d’un grand bob, de lunettes en forme de hublots, d’une liquette qui pend de partout. On l’a fait cabotiner et patauger dans le stéréotype jusqu’au cou : elle est aussi improbable qu’un kid dans un film de Spielberg, au point qu’on en vient à douter de tout, la concernant, y compris de sa supposée maladie. Et là, d’un seul coup, le réel fait retour, la poupée Barbie qu’on nous a exposée depuis le début devient soudain une petite fille malade et terrassée par l’émotion, elle se fait choir, elle laisse échapper un filet de sang. Cette scène, tard, très tard, fait regretter le film qu’aurait pu être l’Effrontée si son vernis un peu brillant avait bien voulu laisser percer un peu plus de réel. ”
Hervé Le Roux, Cahiers du cinéma, n° 379

Le cri de Lulu

“ La trouvaille la plus importante est le personnage de Lulu, espèce de « demi-sœur par adoption » de Charlotte. Geignarde, ça et là, critique spontanée, cette envahissante cadette rend incolores tant les confidentes raciniennes que les « copines » monotones d’un certain cinéma français. De Charlotte, elle est la double parodique et révélateur : malade « imaginaire », elle incarne ce qui reste de puéril chez l’héroïne sous son double aspect, fuite en arrière face à l’inconnu et rémanence douillette. De sorte que la péripétie finale repose sur un cri de Lulu jailli de la moitié de l’inconscient de Charlotte, cri poussé selon toute les lois du suspense, au point d’évoquer (le cadre aidant) Hitchcock et L’Homme qui en savait trop. Les arrière mondes sociaux ne sont qu’indiqués : la solitude de Charlotte, qui me manque d’ailleurs pas ça et là de réflexion alternant avec ses mystérieux « vertiges », les traverse ou même les vide de toutes insistances. Les comparses (les invités chez Clara Baumann, même les ouvriers du bistrot) ne font l’objet d’aucune investigation réaliste. Les avancées, les reculs, les fuites de Charlotte déterminent pratiquement tous les changements d’échelle de notre regard, Sans qu’il soit bien entendu question d’identification (Sur ce point encore, Hitchcock…). ”
Gérard Legrand, Positif, n° 299

Pistes de travail

Le film est composé de touches successives, de suggestions plus que de “monstrations”. C’est un film “en creux”. une grande partie du travail pédagogique consistera donc à faire prendre conscience de ce type d’approche, et des moyens que le réalisateur a utilisés pour y parvenir.

  • Les costumes

    Suivre la tenue vestimentaire de Charlotte et observer ses variantes selon son évolution et les situations qu’elle traverse. Comparer aussi les différentes façons dont les gens sont vêtus selon les situations. Quels sont les personnages qui portent toujours la même chose ? Et en retirer les significations.

    Ces choix structurent grandement l’organisation des films et des personnages, distinguant ceux qui bougent, ceux qui restent immobiles, ceux qui veulent changer…

  • Fonction de l’eau

    Étudier les différentes apparitions de l’eau dans le film (lac, piscine, etc.) et chercher le sens qu’elles produisent selon les séquences.

    Dans chacune de ces séquences, réfléchir sur la manière avec laquelle ces éléments liquides sont filmés. Quelles en sont les apparences ? Quels rôles jouent-ils par rapport aux personnages ? Eau/miroir ; eau dominée ; eau fascinante ; gouttelettes sur la peau ; etc. Puis en repérer les récurrences pour en tirer les correspondances qui tissent le “ discours filmique ”.

  • Fonction des couleurs

    De même, étudier le jeu des couleurs au cours du film, jeu dans lequel le rouge est une couleur constamment récurrente, avec des significations et des évolutions différentes et complexes.

  • Évolution psychologique

    Définir les attitudes de Charlotte selon les situations qu’elle vit : larmes, cris, petite voix, sourire, vertiges. Et les mettre en relation avec les autres personnages.

  • L’opposition de deux mondes

    Comparer le monde de Clara et celui de Charlotte : décors, lumière, acteurs et accessoires. Trouver les instants où ils semblent entrer en harmonie.

  • Une affaire de morale

    Attirer l’attention sur la manière avec laquelle Claude Miller filme ses personnages, sur la “ distance ” qu’il prend par rapport à eux. Comment il les laisse vivre dans le cadre (s’y perdre, parfois), ou au contraire les y enserre. Jean-Luc Godard disait que le “ travelling est une affaire de morale ”. Trouver la “ bonne distance ” est en effet au moins autant un problème d’éthique que d’esthétique. Claude Miller a su, dans ce film, créer cet “ espace respectueux ” dans lequel le secret des êtres peut s’entrapercevoir.

    Mise à jour: 17-06-04

  • Expériences

    Situation internationale en 1985

    En 1985, les gouvernements de l’Europe de l’ouest s’efforcent de hâter la construction européenne. La gauche est au pouvoir en Espagne, en France, en Grèce, en Italie et au Portugal. Les Verts entrent au parlement allemand sous le gouvernement de Helmut Kohl. En Grande Bretagne, le gouvernement de droite, mené par madame Thatcher, entame un dialogue pour tenter de régler la question irlandaise, mais réprime les luttes ouvrières et subit de graves crises internes, dont celle de l’hooliganisme dans les stades de football. La tragédie du Heysel en est la dramatique illustration: 38 morts et de nombreux blessés.

    Si la Pologne reste sous le joug d’un régime totalitaire, l’arrivée au pouvoir de Gorbatchev en URSS permet la reprise d’un dialogue avec la Chine et avec les États-Unis, où Ronald Reagan a été réélu l’année précédente.

    C’est aussi l’époque où se répand l’épidémie du SIDA.

    La création cinématographique est dominée par le cinéma américain. C’est l’année où débutent Tim Burton et John Mc Tierman. Ses grandes stars s’appellent Meryl Streep, Woody Allen, Clint Eastwood, Gene Hackman, Jack Nicholson, Robert de Niro, Al Pacino, Arnold Schwarzenegger et Sylvester Stallone. Ses grands réalisateurs se nomment Michael Cimino, Francis Ford Coppola, Martin Scorcese. Hollywood produit de spectaculaires films d’action et des œuvres de prestige qui triomphent dans le monde entier.

    Si la France et la Grande-Bretagne parviennent à résister à cette invasion, l’Italie, la Suède, le Japon et l’ Allemagne connaissent une crise très grave. Mais partout, de nouveaux auteurs apparaissent, tel le Yougoslave Emir Kusturica qui rafle la Palme d’or au festival de Cannes ou l’Argentin Luis Puenzo qui obtient l’oscar du meilleur film étranger. À Venise, la Française Agnès Varda obtient le lion d’or avec Sans toit ni loi et le Polonais Jerzy Skolimowski reçoit celui d’argent : Le Bateau-phare.

    C’est l’année où disparaissent les comédiennes : Dawn Adams, Anne Baxter, Marie Bell, Francesca Bertini, Louise Brooks, Dominique Laffin et Simone Signoret, les comédiens: Yul Brynner, Jean-Roger Caussimon, Louis Hayward, Rock Hudson, Lloyd Nolan, Edmond O’Brien et Michael Redgrave, les cinéastes Renato Castellani, John Gilling, Henry Hathaway, André Hunebelle, Ado Kirou, Roger Leenhardt, Orson Welles et Serge Youkévitch

    En France

    En 1985, François Mitterand est président de la république. Les socialistes ont la majorité à l’assemblée nationale. Laurent Fabius est Premier ministre et il oriente sa politique vers un certain libéralisme pour effectuer une modernisation du pays. Ce choix lui vaut de sévères critiques sur sa gauche.

    On assiste aussi à un spectaculaire retour en force de l’extrême droite. La bourse se porte très bien et la spéculation règne, alors qu’une fracture sociale s’installe dans le pays et provoque de nombreuses exclusions.

    Le comique Coluche fait rire la France entière et la chaîne de télévision à péage Canal+ s’impose. En novembre, l’État autorise la création d’une cinquième chaîne. Elle sera privée. L’Italien Silvio Berlusconi la dirigera. C’est la fin du monopole d’état sur la télévision.

    La santé du cinéma français n’est pas mauvaise. C’est l’année de nombreux succès populaires et l’on continue à produire beaucoup de films d’auteurs. Avec Rendez-vous, André Téchiné obtient le prix de la mise en cène au festival de Cannes, Agnès Varda gagne le Lion d’or au festival de Venise, où Gérard Depardieu reçoit le prix d’interprétation. L’Effrontée vaut le prix Louis Delluc à Claude Miller. De nouveaux cinéastes français apparaissent, parmi lesquels on peut citer Josiane Balasko (Sac de noeuds), Danièle Dubroux (Les Amants terribles), Mehdi Charef (prix Jean Vigo pour Le Thé au harem d’Archimède) et Laurent Perrin (Passage secret).

    Outils

    Bibliographie

    L'Accompagnatrice, Claude Miller, Ed. Actes Sud, 1992.
    La petite voleuse, Claude Miller, Ed. Christian Bourgeois.
    Le roman de ma vie, Bernadette Lafont, Ed. Flammarion, 1997.
    The members of the wedding, Carson McCullers, Ed. Bantam.

    Revue du cinéma n°n 445, François Chevassu, 1989.

    Cinquante ans de Cinéma Français, Ed. Nathan, 1996.

    Le temps de l'adolescence, G. Avanzini, Ed. Universitaires, 1965.
    Le moi et les mécanismes de défense, A. Freud, Ed. PUF, 1975.
    Les adolescents, P. Bloch, Ed. Stock, 1968.
    La cause des adolescents, F. Dolto, 1988.

    Vidéographie

    L'effrontée, Claude Miller. Distribution ADAV n° 1250
    La meilleur façon de marcher, Claude Miller. Distribution ADAV n° 8115
    La petite voleuse, Claude Miller. Distribution ADAV n° 1974
    Le sourire, Claude Miller. Distribution ADAV n° 26802
    La classe de neige, Claude Miller. Distribution ADAV n° 24649
    La cause des enfants, Gérard Chouchan. Distribution Images de la Culture(CNC)