Synopsis
D’un bol en plastique aux origines du pétrole et du charbon, un itinéraire à rebours sur les traces d’une matière singulière qui a transformé à partir des années cinquante le paysage domestique et public.
Générique
Programme Mémoire en courts
Réalisation : Alain Resnais
Texte : Raymond Queneau, Dit par Pierre Dux
Photographie : Sacha Vierny
Son : Marignan
Musique : Pierre Barbaud
Direction de l’orchestre : Georges Delerue
Montage : Alain Resnais
Production : Les Films de la Pléïade pour Péchiney
Film : 35 mm 2,35
Couleur : Eastman Color/Dyaliscope
Durée : 14 mn
Sortie en salle : première partie de Moi, un noir de Jean Rouch 1959
Autour du film
- Dernier court métrage d’Alain Resnais avant Hiroshima mon amour, Le chant du styrène confirme à la fois une œuvre cinématographique remarquable et remarquée (c’est le huitième film de Resnais) et une manière, un style d’approche singulière dont Resnais ne se départira pas dans les films à venir et ce jusqu’à aujourd’hui. Cette approche, pour ne pas dire la méthode Resnais, c’est une relation féconde avec chaque collaborateur du film (écrivain, scénariste, chef opérateur, compositeur, décorateur, monteur…), faite de tension, d’invention, de remise en question, de proximité et de distance, de préparation et d’improvisation. Cela paraît aller de soi, mais les commentaires des collaborateurs témoignent au contraire d’une méticulosité hors norme (Pierre Barbaud le compositeur du Chant du styrène : « Travailler avec lui, c’est passionnant, mais on ne s’amuse pas toujours. Il a un malin génie qui le pousse à changer la veille de l’enregistrement deux secondes quelque part dans le minutage. Cela fait trois semaines qu’il y pensait. Mais il dit toujours : « Je prendrai une décision bientôt ». Et finalement, il la prend la veille. », Raymond Queneau l’auteur des soixante dix-huit alexandrins en rimes suivies : « (…) le commentaire devait être une cantate. Je réussis à convaincre Resnais de se contenter d’alexandrins. Mais il regrette toujours sa cantate ! »).
Cette approche entraîne le film vers une création à part entière où Resnais tout en gardant le cap, sait se laisser surprendre par le cours de la fabrication. Le chant du styrène qui narre la transformation de la matière devient lui-même une matière en mouvement et métamorphose. La force du film, c’est d’être à la fois un document sur le travail du plastique (c’est la commande originelle), mais aussi sur le travail d’écriture en alexandrins et sur l’écriture cinématographique (cadres, mouvements, couleurs, rythmes, montage…). Comme le plastique, le poème et le film sont le fruit d’un travail, d’un agencement, d’un assemblage. Le chant du styrène est l’histoire de leur rencontre. Resnais y ménage un suspense, des montées dramatiques, des relâchements, des clins d’œil (au milieu du film gros plan sur le visage de Sacha Vierny le chef opérateur), il crée par ses cadrages, ses mouvements de caméra, le rythme de son montage une amplitude de temps qui déjoue la brièveté du film. Ce travail du temps est sans doute l’un des paradigmes du cinéma de Resnais et du cinéma tout court : « Le cinéma, c’est l’art de jouer avec le temps » dira-t-il quelques années plus tard. - C’est qu’au chant nostalgique des sirènes du passé, il préfère celui du styrène, mis en alexandrins par Raymond Queneau, écrivain avec lequel il partage un même esprit ludique et fantaisiste, nourri d’inspirations surréalistes. Le chant du styrène film commandé par les usines Péchiney sur le polystyrène, est un joyeux détournement du film industriel. Déjouant l’ennuyeux didactique d’usage, la langue de Queneau fait tout un poème potache de la transformation du plastique. Resnais, fidèle à lui-même, balaye les usines à coups de somptueux travellings, filmés en couleur et en scope. Du grand spectacle, dont le cinéaste de La vie est un roman et d’On connaît la chanson prévoyait au départ de faire chanter le commentaire.
Claire Vassé, Bref n°48, page 53
Pistes de travail
- « Je sentais confusément qu’il existait un rapport entre l’alexandrin et le cinémascope » : comment ce rapport s’instaure dans le film ? Outre que le cinémascope s’accorde avec les tuyaux, les joncs de polystyrène et permet une confrontation entre l’horizontalité et la verticalité, n’y a-t-il pas comme une rythmique cinématographique (mouvement et montage) qui rencontre la rythmique du vers ?
- La musique que Resnais voulait « à l’américaine » participe du suspense que distillent la mise en scène de Resnais et le poème de Queneau.
- Comment Resnais tout en répondant à la commande d’un industriel (un film sur la matière plastique) parvient-il à entraîner le film ailleurs (« à faire un pas de plus que les autres » comme disait Jean-Luc Godard), vers ce jeu avec le temps dont nous parlions plus haut ?
Fiche mise à jour le 15 septembre 2004
Fiche réalisée par Yann Goupil
Expériences
Les films de commandes industrielles : nombreux sont les grands groupes industriels (Péchiney, Saint Gobain) qui dans les années cinquante sollicitent le cinéma. Cette rencontre entre le cinéma et la technique industrielle a donné quelquefois à l’instar du Le chant du styrène des œuvres troublantes, musicales, picturales, chorégraphiques. Après le plastique de Queneau / Resnais, il faudrait découvrir les Fleurs de feu de Francis Bouchet (1960) où il s’agit du verre et de ses métamorphoses ou le spectacle inouï des tubes d’acier avec Philippe Condroyer et son Diamètres (1961).
Par ailleurs, Alain Resnais n’en est pas à sa première commande : Toute la mémoire du monde (1956), Le mystère de l’atelier quinze (1957) sont des commandes d’État (chaque Ministère est pourvu d’un service cinématographique) et Nuit et brouillard émane d’une demande du Comité d’Histoire de la seconde guerre mondiale. Finalement, chaque film de Resnais se fait toujours en état de commande.
Outils
Bibliographie
Après l’harmonie, Daniel Payot, Éditions Circé, 2000.
Vidéographie
Le chant du styrène est disponible sur le DVD Hiroshima mon amour, Argos Films / Arte France, 2004.
À parcourir :
Le Kinetoscope, le portail du court métrage