Synopsis
Un dessin sur un mur. Un homme face à ce mur raconte qu’il a toujours porté des lunettes, même au camp.
L’action se transplante alors dans le camp : pluie, boue, groupe avançant sous la surveillance d’hommes armés de gourdins. Le travail des prisonniers est de transporter le plus vite possible des brouettes chargées de cailloux.Une nuit, un homme barbu est amené. Le lendemain un des leurs, le plus soucieux d’être rapide, meurt d’épuisement. Le narrateur et l’homme barbu sont désignés pour emmener le corps. L’homme barbu caresse le corps et dit, mystérieusement : « j’inscris la ligne dans ma main ». Cet homme les fascine, il dessine sans rel’che, donne un visage à leur vie.
La neige succède à la pluie. Un soir, un gardien, venu dans leur dortoir, se met à dessiner en silence avec l’homme barbu. Des gardes surgissent et emmènent les deux hommes. Au matin, ils découvrent le gardien pendu. Les bourreaux ont coupé les mains à l’homme barbu. Il prend une pierre et se met à dessiner sur un mur. Ils l’abattent.
On retourne au présent, au bout de mur où figure le dessin de l’homme barbu, dernière trace debout du camp au milieu d’une cité moderne. Le narrateur explique qu’ils avaient baptisé cet ultime dessin « ligne de vie ».
Générique
Programme : Six courts métrages Lycéens 2005-2006
Réalisation : Serge Avédikian
Scénario: Serge Avédikian,Raymond Delvax (d’après sa nouvelle et ses peintures)
Story-board : Serge Elissalde
Image : Frédéric Tribolet
Image vidéo : François Paillieux
Animation : Alain Amielet
Son : Christophe Bourreau
Mixage : Yves Servagent
Montage : Simon Pradinas
Musique : Michel Karsky
Producteur : Dora Benousilio
Production : Les Films de l’Arlequin avec la collaboration d’Arte France
35 mm – Couleur / Noir & blanc – 1:1,66
Durée : 12 mn 20
Peinture sur papier, ordinateur 2D/3D
Prix du jury Junior « Canal J / Annecy 2003 pour un court métrage
Autour du film
Avec justesse et élégance Ligne de vie s’immisce dans une réflexion sur les fonctions et les limites de l’art infiniment ressassée depuis la fin de la Seconde Guerre mondiale. On se souvient, ainsi, comment dès 1947, Robert Antelme, revenu de Buchenwald, exprimait dans l’avant-propos de L’espèce humaine, tout à la fois la nécessité de témoigner de l’expérience des camps et l’impossibilité de la dire : “À nous-mêmes, ce que nous avions à dire commençait alors à nous apparaître inimaginable.” On ne saurait résumer ici comment, sur ces prémisses, s’est bâti une sorte d’interdit qui voue aux gémonies quiconque prétend représenter ce qui est donné comme irreprésentable. Sur ces questions, Georges Didi-Huberman a, dans Images malgré tout, bien posé les impasses d’une posture finalement confuse et discutable (1). Il lui oppose, entre autres, Hannah Arendt, qui, dans Condition de l’homme moderne, défend la nécessité de la représentation. Les hommes de paroles et d’action, écrit-elle, “ont besoin de l’artiste, du poète et de l’historiographe, du bâtisseur de monuments ou de l’écrivain, car sans eux le seul produit de leur activité, l’histoire qu’ils jouent et qu’ils racontent, ne survivrait pas un instant.” (2)
Transmission et du rôle de l’expression artistique, Ligne de vie se donne justement comme une sorte d’apologue qui tourne autour de ces questions. Dès la séquence d’ouverture, une chaîne se met en place. Elle lie un tracé énigmatique sur un mur et un témoin narrateur qui fait émerger du noir de ses souvenirs sa vie de prisonnier pour remonter à la réalisation de ce dessin. Cet ultime geste d’un condamné, ce dernier pan de mur d’un camp détruit, un plan général à la fin du film le situera au milieu d’une cité d’immeubles populaires. On découvre alors un enfant que le conteur tient par la main, son petit-fils, chaînon suivant d’une transmission de l’événement.
Nous n’avons pas le temps de voir ce que ces courbes juste esquissées représentent. Guère plus à la fin, trop pleins que nous sommes de l’horreur qui vient de nous être contée. Pourtant, il n’est pas difficile d’y voir les contours d’une femme, des seins, des poils pubiens. En même temps, qu’on y perçoive un dessin représentatif ou des lignes plus abstraites n’est pas l’essentiel. Ce dessin ne vaut pas tant pour ce qu’il figure que pour ce qu’il représente en terme de geste, de trace d’un événement tragique et plus encore trace d’une résistance héroïque à l’oppression.
En adaptant la nouvelle de Raymond Delvax, “Quelque part dans le nord de l’Allemagne”, Serge Avédikian en a gommé le contexte. Le quartier bâti à la place du camp n’est pas localisé, les nationalités des protagonistes ne sont pas précisées. Il y a les gardiens, les prisonniers et parmi ceux-ci, le narrateur avec ses lunettes, l’homme sans cheveu, l’homme barbu. Ces signes distinctifs clairement précisés permettent que nous identifiions aisément les personnages principaux au sein de cette communauté uniforme, voire informe. Mais ils ne sont pas nommés autrement. Cette volonté de donner au film une portée universelle ne peut empêcher que s’impose le souvenir prégnant des camps nazis : les corps décharnés, les baraquements, les cadavres nus jetés dans la fosse commune… Et au-delà de ces horreurs qui habitent nos consciences et ne devraient pas les quitter, le mode de représentation renvoie à des images, des peintures qui ont donné forme à cette page de l’inhumanité. Le trait de Raymond Delvax, à qui Serge Avédikian a demandé de peindre les éléments du film, n’est pas sans évoquer la peinture d’un Zoran Music et fait écho à bon nombre d’autres artistes témoins de l’univers concentrationnaire (3). La souffrance y est moins montrée qu’exprimée par les formes torturées et les couleurs sombres de Delvax que les stridences de la musique et le type d’animation choisi prolongent. Loin de la fluidité, vers laquelle tend l’essentiel du cinéma d’animation, Ligne de vie joue de gestes saccadés, de corps désarticulés à l’image d’une existence entravée. À l’opposée du rythme imposé aux prisonniers, sous la forme de la répétition d’un temps circulaire, chronométré, qui broie, souligné par les roues inlassables des brouettes chargées de pierres, les mouvements des hommes, leurs articulations sont comme grippées.
Dans cet univers absurde où l’activité principale n’a d’autre finalité que d’imposer une souffrance, d’occuper le temps de ces forçats, l’homme barbu est celui qui instaure une autre dimension. « Il dessinait notre vie et lui donnait un visage, dit le narrateur. Ses dessins au fil des jours étaient devenus pour nous essentiels. » On ne saurait mieux dire combien, en certaines circonstances, une expression artistique peut devenir précieuse. Elle redonne comme un sens à l’existence, fait office de trace et peut instaurer un lien avec un gardien au-delà de sa situation d’ennemi. Est-ce ce lien qui est la « Ligne de vie » ? L’expression est d’abord énoncée par l’homme barbu après qu’il ait caressé le corps qu’ils emmènent à la fosse commune. On peut penser qu’il tente ainsi de conserver la trace de ce corps avant qu’il soit jeté avec les autres. Son ultime dessin n’est d’ailleurs pas sans évoquer la pose du cadavre, précipité dans la fosse, à ceci près que la forme en est inversée et représente une femme. Mais au-delà de cette trace matérielle, la « Ligne de vie » représente ce qui ne peut être tu par une oppression, une force vitale qui fait que même amputé cet homme a encore la force de cet ultime pied de nez à ses bourreaux, une façon de vivre malgré tout, d’affirmer son existence une dernière fois.
Dans Condition de l’homme moderne, Hannah Arendt rappelle que : « même si l’origine de l’art était d’un caractère exclusivement religieux ou mythologique, le fait est que l’art a glorieusement résisté à sa séparation d’avec la religion, la magie ou le mythe. » (4) Et c’est comme si la force de cette esquisse suggestive tracée par l’homme barbu sur un mur avec des instruments rudimentaires, dans un geste originel qui fait lien avec les dessins du paléolithique, renouait et avec la religion, et avec la magie et avec le mythe.
1. Georges Didi-Huberman, Images malgré tout, Les Éditions de Minuit, 2003. Voir aussi Jacques Rancière, “S’il y a de l’irreprésentable”, Genre humain, n°36, 2001, repris dans Le destin des images, La fabrique éditions, 2003.
2. Hannah Arendt, Condition de l’homme moderne, Calmann-Lévy, 1963, Pockett, 1994, p. 230.
3. C’est le détail d’un des tableaux de Zoran Music qui figure en couverture de l’édition en « Tel Gallimard » du livre de Robert Antelme, L’espèce humaine. Sur les dessins et peintures réalisées à propos des camps, on consultera : art et camps
4. Hannah Arendt, op. cité, p. 222.
La nouvelle de Raymond Delvax est éditée dans un dvd qui comprend les deux films courts d’animation de Serge Avédikian, Ligne de vie et Un beau matin, accompagnés des textes « Matin brun » de Franck Pavloff et « Quelque part dans le nord de l’Allemagne ». Édition Chalet pointu. Voir : chaletfilms.com
Technique d’animation
L’animation à l’œuvre s’apparente au papier découpé. Les personnages sont composés de différentes pièces (corps, tête, membres) qui sont animées comme des objets à trois dimensions. À ceci près qu’ici, les morceaux ont été peints par Raymond Delvax puis scannés et animés sur ordinateur avec After Effects, un des logiciels d’animation les plus courants. Il permet retouches d’images, flous, effets de morphing, superpositions de couches.
Certaines images et effets de matière (bout d’étoffe sur fil de fer barbelé, ampoule qui clignote, terre…) ont été filmés en prise de vue réelles (sur fon bleu le plus souvent) puis intégrés dans la matière peinte.
Fiche réalisée par Jacques Kermabon
Pistes de travail
Le traitement sonore contribue souvent à nourrir le film d’animation d’une matière réaliste. Dans Ligne de vie on peut décliner les façons dont le son joue avec ce qu’on voit : anticipation, explicitation, ouverture de séquence, clôture… Ces remarques concernent aussi bien les sons (pluie, marche lourde dans la boue, craquements divers, crissement de la roue sur la neige…) que la musique (douce, inquiétante, stridente…) et la voix off. Quelle distance cette dernière apporte-t-elle ? Quels effets de gommages ou quelles précisions elle permet ?
La nouvelle de Raymond Delvax adaptée, Quelque part dans le nord de l’Allemagne, a été éditée avec le dvd du film. Le changement du titre donne déjà la mesure de l’imprécision géographique délibérée de Serge Avédikian. On comparera le texte écrit et l’adaptation filmique. Nouvelle et film n’entretiennent pas le même rapport au temps et à l’espace. Que penser de la volonté de ne pas situer cette histoire dans un camp nazi ? Le film y parvient-t-il ? Si oui, avec quels éléments ou absence d’éléments ? Si non, pourquoi ? Un certain nombre d’effets, d’images, de plans sont récurrents. Que penser de ces répétitions (ouverture et fin du film, faisceaux des lampes, chronomètre…) ? Dans le jeu de répétitions et de variations se dessine un motif circulaire. Comment l’interpréter ? Figuration de l’univers concentrationnaire ? Représentation d’une temporalité imposée ? Dans quelle mesure le dessin qui subsiste du camp est ce qui s’oppose au circulaire, à la répétition ? Pas uniquement en termes de motif, mais surtout comme geste singulier dont on essaiera de déployer la portée. Quels sens donner à ce que ce dessin soit le seul pan de mur préservé ? Quel effet cela produit-il ?
Fiche réalisée par Jacques Kermabon
Fiche mise à jour le 2 octobre 2006
Outils
Vidéographie
Cour(t)s de cinéma 2
DVD. Programme comprenant les 5 films inscrits dans le dispositif Lycéens au cinéma 2005/2006, ainsi que des analyses, des interviews, des fiches pédagogiques téléchargeables, et des courts métrages complémentaires.
DVD disponible dans les boutiques des CRDP et sur le site : crdp.ac-lyon.fr.