Aurore (L’)

États-Unis (1927)

Genre : Comédie dramatique

Écriture cinématographique : Fiction

Enseignement obligatoire 2005-2006

Synopsis

Une élégante de la ville a tourné la tête d’un homme marié qui habite la campagne. Elle le convainc de noyer sa femme lors d’une sortie en bateau et de maquiller le meurtre en accident. Au dernier moment, l’homme renonce à ce funeste projet. Mais son épouse, qui a pris peur, s’enfuit en tramway. L’homme la suit, et le couple arrive en ville. Ils découvrent alors le monde fascinant de la grande cité et de ses mirages, et redécouvrent progressivement leur amour.

Générique

Titre original : Sunrise. A song of two humans
Réalisation : Friedrich Wilhelm Murnau
Scénario : Carl Mayer d’après Le Voyage à Tilsitt d’Hermann Sudermann
Image : Charles Rosher, Karl Struss
Montage : Harold Schuster
Musique : Hugo Riesenfeld
Décor : Rochus Gliese, avec Edgar G. Ulmer et Alfred Metscher
Effets spéciaux : Frank Williams
Assistant-réalisateur : Hermann Bing
Production : Fox Film Corporation
Durée : 1 h 30
Noir et Blanc
Muet
Interprétation
Le mari / George O’Brien
Son épouse / Janet Gaynor
La femme de la ville / Margaret Livingston
La servante / Bodil Rosing
Le photographe / J. Farrel MacDonald
Le coiffeur / Ralph Sipperly
La manucure / Jane Winton
Le monsieur effronté / Arthur Housemen
Le monsieur aimable / Eddie Boland

Autour du film

La mise en scène chez Murnau, et tout spécialement dans L’Aurore, se distingue avant tout par un soin exceptionnel accordé aux décors. Il fait construire en studio l’immense décor urbain, typique de la modernité américaine, avec son tramway et son Luna Park, tandis qu’il édifie un village rappelant la vieille Europe au bord du lac Arrowhead, à 150 km à l’est d’Hollywood. Entre ces deux espaces que tout oppose, les marais et le lac sont des lieux obscurs et dangereux livrés aux caprices du désir et des éléments.
Au demeurant, la maîtrise de l’espace doit autant au travail de la caméra qu’aux décors. La caméra, pour Murnau, « doit tournoyer et épier, et bouger d’un endroit à l’autre aussi vivement que la pensée elle-même, quand il est nécessaire d’exagérer pour le spectateur l’idée de l’émotion qui domine à ce moment-là ». Un tel parti pris, qu’on qualifiera globalement de métaphorique, a été remarquablement développé dans les analyses proposées par Jean Douchet, pour lequel le mouvement de caméra révèle dans L’Aurore le subconscient de l’espace.
Jacques Gerstenkorn

A l’origine, une nouvelle de Hermann Sudermann, Le Voyage à Tilsitt adaptée par Carl Mayer, ce scénariste qui marqua de son empreinte le cinéma allemand de l’entre deux-guerres. L’histoire originale -qui finit mal- est, dans L’Aurore, de partout et de nulle part. Le contingent devient l’absolu.
Sur une trame mélodramatique, du moins en apparence -un paysan, séduit par une femme de la ville, décide de tuer son épouse pure, douce et angélique, au cours de la traversée du lac qui sépare la campagne de la ville- Murnau écrit alors une tragédie, le chant de deux êtres vulnérables à l’extrême, livrés aux forces du mal. Trois actes -dans la brume des marais, l’envoûtement de l’homme séduit par la femme de la nuit et la traversée du lac ; dans l’ivresse de la ville, l’amour retrouvé ; sur le lac, l’orage, le naufrage et la lumière de l’aurore qui triomphe des ténèbres- au cours desquels s’accomplit le destin de l’Homme et de la Femme, dans un monde où combien fragiles sont les frontières qui les séparent de l’inconnu, de l’effrayant et du redoutable. Passé le pont, les fantômes vinrent à sa rencontre. ce film mythique d’un des plus grands mages du cinéma, point d’orgue d’une œuvre marquée par la hantise des arrière-mondes, l’envers mystérieux des choses, et dans laquelle, selon Alexandre Astruc, toute tranquillité est menacée par avance, sa destruction inscrite dans les lignes de ces cadrages si clairs faits pour le bonheur et l’apaisement.
Allemand plus qu’hollywoodien, L’Aurore diffère cependant des films allemands de Murnau. Il n’y a pas rupture mais passage. Dans une Amérique indifférente à la tentation métaphysique, Murnau inscrit les éléments fondateurs de son art -la lumière et l’ombre, le jour et la nuit, l’espace et le temps- dans une réalité quotidienne, matériellement présente et transfigurée à la fois.
Marc Vernet / Catalogue Repérages Autour de L’aurore, Valence 1999

Pistes de travail

A la recherche du « gestus social »

Parmi les pistes d’analyse, il est intéressant de suivre celle du « gestus social », notion brechtienne reformulée ainsi par Roland Barthes :
« Qu’est-ce qu’un gestus social (…) ? C’est un geste, ou un ensemble de gestes (mais jamais une gesticulation), où peut se lire toute une situation sociale. Tous les gestus ne sont pas sociaux : rien de social dans les mouvements que fait un homme pour se débarrasser d’une mouche ; mais si cet homme, mal vêtu, se débat contre des chiens de garde, le gestus devient social ; le geste par lequel la cantinière vérifie la monnaie qu’on lui tend est un gestus social ; le graphisme excessif dont le bureaucrate de la Ligne générale signe ses paperasses est un gestus social. »
Roland Barthes (Diderot, Brecht, Eisenstein)

Il peut être intéressant de demander aux élèves de repérer des exemples de gestus sociaux dans le récit filmique et de les analyser.
En voici un exemple : la scène du cirage des chaussures. Le script de Carl Mayer proposait la description suivante :

Un paysan âgé.
Une femme âgée.
C’est le souper.
Du lard et du pain.
Chiche. Silencieux .
Puis :
Dans l’embrasure de la porte qui s’ouvre :
La femme.
Dans un costume de ville, provoquant.
La cigarette à la bouche.
Elle entre ainsi en riant,, nullement embarrassée,
Pose le pied sur un banc,
Pour qu’on le lui essuie, de toute évidence.
La paysanne se lève alors.
Avec répugnance.
Car, alors que le paysan continue de manger, sans mot dire,
Plan rapproché : elle essuie à contrecœur les chaussures de la femme avec un torchon.
Elle effleure d’un regard presque méprisant ses jambes et sa robe.
Pendant quelques secondes.
L’Avant Scène du Cinéma
, p. 20)

La mise en scène de Murnau est fidèle au script. A un détail près, rajouté dans les dernières secondes du deuxième plan : la femme de la ville laisse échapper de sa bouche une bouffée de fumée pendant que la paysanne, à genoux et à ses pieds, dans la posture d’une esclave, s’emploie à lui cirer les chaussures !
Le sens de cette scène ne se réduit donc pas à la situation qui nous est décrite. Il s’agit bien d’un ensemble de gestes emblématiques de toute une confrontation de classe, amplifiée par l’expression du mépris, le temps d’une bouffée de cigarette. Il convient de noter au passage l’inversion des signes opérée par le cinéaste du dernier des Hommes (et qui ajoute à la charge d’humiliation) puisque dans le script de Mayer, l’expression du mépris était lisible… dans le regard de la paysanne !

Le motif des chaussures en tant que gestus social réapparaît à plusieurs reprises dans la suite du film, à chaque fois pour rendre l’écart entre le monde de la ville et de la campagne : à travers les empreintes des chaussures à talons de la femme de la ville, dans la boue des marais, ou encore dans le salon de coiffure, lorsque Ansass bloque le pied de l’homme qui drague Indre, enfin au Luna Park avec le petit cochon qui court sous les jambes des jeunes femmes.

Fiche réalisée par Jacques Gerstenkorn
15 mars 2006

Expériences

Il convient pour commencer de souligner l’importance de l’émigration européenne à Hollywood dans les années 20. Lors de la manifestation « Repérages », proposée par Françoise Calvez au CRAC à Valence en 1999, Marc Vernet a publié une étude intitulée « L’Émigration, entre pangermanisme et impérialisme américain, autour de 1920 » (cf. référence du catalogue, dans la rubrique « outils »), étude à laquelle on pourra utilement se reporter. Il insiste sur la volonté des grands studios hollywoodiens « de conquérir et retenir un public américain et étranger plus cultivé que dans les années 10 », tout en se tournant vers le public européen. Et comment mieux atteindre cet objectif qu’en débauchant les meilleurs professionnels et les plus grands talents européens de l’époque ?

Dans le cas de Murnau, le plus célèbre des cinéastes européens aux Etats-Unis depuis Le Dernier des hommes, il faut ajouter la volonté de William Fox, jusqu’alors producteurs de films plutôt populaires (par exemple avec la série des « Rintintins »), de recruter un artiste de grand talent susceptible de hisser le studio au niveau de First National, de la Paramount et de la MGM en rehaussant le prestige de son catalogue. Parallèlement à l’engagement de Murnau, William Fox lançait un plan de développement de son studio extrêmement ambitieux. Il ne faut pas oublier que si la Warner, dont la stratégie économique est très comparable, s’engage sur la voie du parlant, la Fox poursuit des objectifs similaires et parviendra au demeurant à prendre une position pionnière dans le domaine des actualités cinématographiques parlantes. Du côté des films de fiction, la firme se met à produire à partir de 1925 des films adaptés de grands succès de Broadway, « les géants spéciaux Fox ». Comme le notent Douglas Gomery et Robert Allen (cf. bibliographie), « en s’appuyant sur des pièces connues, [Fox] tablait sur un facteur de reconnaissance assuré (un intertexte saillant, autrement dit) auprès de la critique et sur un élément attractif pour le public destiné à compenser le manque de « stars » dans les rangs des comédiens du studio. » Et les auteurs de citer le succès critique et public de L’Heure suprême, de Frank Borzage, en mai 1927, alors même que L’Aurore est en cours de montage.

Dès le tournage, la presse corporative insista sur le caractère hors norme de la production, en prenant soin de souligner le coût occasionné par la construction des décors et les caprices de Murnau. Variety, en février 1927, chiffrait déjà la dépense à 1 200 000 dollars ! Mais malgré le caractère exceptionnel des moyens mis en œuvre, L’Aurore ne rencontra pas le succès escompté : ni du point de vue de la critique, qui reprocha au film son style par trop sophistiqué et artificiel, ni du point de vue du public, qui réserva cet automne là un accueil triomphal au… Chanteur de jazz ! Le chef d’œuvre de Murnau perdit ainsi la bataille du box-office, ce qui ne l’empêcha pas, comme on peut aujourd’hui le constater mais comme on aurait été bien incapable de le prévoir à l’époque de sa sortie, de gagner sa place dans l’histoire du cinéma.

Outils

Biliographie

L'Avant-Scène du cinéma, n°148, 1974. Ce cahier comprend le découpage après montage par Jean-Claude Biette et le script original de L'Aurore dû à Carl Mayer et annoté par Murnau.
F.W. Murnau, Lotte Eisner, Ed. Le Terrain vague, 1964
Autour de L'Aurore, CRAC, Scène Nationale, Françoise Calvez (dir.), Repérages 1999, Valence 1999.

Cahier des Ailes du Désir n°14:

Analyse : L'Aurore de Friedrich Wilhelm Murnau:
- L'Aurore - Daniel Serceau
- Découpage séquenciel du film - Edmond Grandgeorge
- L'Aurore de Murnau : les traversées de l'image - Vincent Deville
- Carl Meyer - Andrée Tourbès
- La place de la parole dans L'Aurore de Murnau - Jean Albert Bron
- Ce cinéma parlant qui ne parle pas - François Leclercq

On lira avec profit le chapitre consacré par Robert Allen et Douglas Gomery à L'Aurore dans Faire l'histoire du cinéma, les modèles américains, Nathan Université, 1995 (pp. 113-128).
L'Aurore, Lycéens au cinéma en Rhône Alpes, coordonné par Jacques Gerstenkorn (Université Lumière - Lyon 2) 2004-2005. Ce livret est repris sur le cd-rom édité par la région Rhône-Alpes en 2005-2006.
L'Aurore, Lycéens au cinéma au plan national en 2005-2006, coordonné par Hervé Aubron.

Vidéographie

L'Aurore, DVD Carlotta films , 2003
L'Aurore (1927) de Friedrich Wilhelm Murnau, avec Traversées. Genèse de l'Aurore (2005) de Bernard Eisenschitz, Murnau ou qu'est-ce qu'un cinéaste ? de Jean Douchet (2003), DVD l'Eden cinéma, Sceren, CNDP 2005

Webographie

Un site internet dédié à L'Aurore (inscrit au programme du baccalauréat des « options cinéma » en 2005-2006) est en chantier sur le site « Le Quai des images », L'Aurore

Sur le site de Centre Images:
Une lecture du film à partir d'un détail
Une analyse des travellings dans le film

Films

dans le catalogue Images de la culture
Allemagne 1925-1932 : objectifs d'avant la nuit de Noël Burch