Synopsis
C’est une histoire d’après-guerre, et d’avant l’invention de la télévision : située quelque part entre 1945 et 1955 au Japon. Pour se rapprocher de leur mère, en convalescence dans une maison de repos à la campagne, deux petites filles, Satsuki, quatre ans, et Mei, son aînée, s’installent avec leur père, sous le soleil de l’été, dans une maison en pleine nature au milieu des rizières. Le père part travailler la journée, et les fillettes découvrent un nouvel univers. La voisine : une vieille dame ; les « noiraudes » : à la fois esprits de la maison, insectes et illusions d’optique ; un garçon de leur âge : Kanta. Un soir sous la pluie, en attendant longuement leur père à un arrêt d’autobus perdu dans la nuit et au milieu des arbres, la grande sœur voit et communique avec un totoro qui grogne gentiment, un être qu’elle pensait imaginaire parce que sa cadette l’avait découvert avant elle, endormi au fond d’un labyrinthe végétal, sous un camphrier géant. Il s’agit d’un être fabuleux, un « fantôme de transition » qui ne ressemble qu’à lui-même et dont le mythe commence quand on voit ce film. C’est Totoro et le chat-autobus, invisibles aux adultes, qui guériront les fillettes de l’absence de leur mère et des douleurs qui s’ensuivent : une fugue, les désespoirs et consolations provisoires des enfants. Le grand totoro les aura aussi initiés à l’érection magique des végétaux, et aura rappelé au spectateur le bonheur d’entendre tomber la pluie sur sa tête.
Générique
Titre original : Tonari no Totoro
Réalisation : Hayao Miyazaki
Scénario : Hayao Miyazaki
Image : Hisao Shirai
Décor : Kazuo Oga
Directeur de l’animation : Yashiharu Sato
Chef coloriste : Michiyo Yasuda
Musique : Joe Hisaishi
Paroles : Rieko Nakagawa
Production : Tokuma Publishing, Studi Ghibli ; Nibariki Tokuma Shotten
Distribution : Gaumont Buena Vista International (GBVI)
Couleur
Durée : 1 h 26
Sortie en France : 8 décembre 1999
Autour du film
Les beautés formelles, scénaristiques, décoratives, gestuelles, les manifestations spectaculaires d’indépendance d’esprit et de production, bref toutes les qualités immenses d’Hayao Miyazaki ne sont rien face à sa capacité à faire basculer une histoire vraisemblable, aussi réaliste que rationnelle, dans le merveilleux d’une radicale affabulation. C’est le propre des grands fabulistes. En ce sens, Mon voisin Totoro, quoique apparemment dépassé en qualité technique et en énormité par les longs métrages qu’il a réalisés depuis (notamment les trois dernières fresques : Princesse Mononoké en 1997, Le voyage de Chihiro en 2001 et Le château ambulant, en 2004) est son film le plus achevé. Le comble de l’impossible réside sans doute dans la balade en chat-bus à travers les bois : elle est pourtant cela même qui permet de « s’y retrouver » (retrouver l’enfant égaré, retrouver la mère éloignée). La spécificité de la culture japonaise, bouddhiste comme shintoïste, qui entretient une familiarité avec diverses divinités tutélaires, aide à considérer naturel le surnaturel. Mais le tempo qui préside à l’installation indubitable de la fable, à partir de la chute carrollienne sur le ventre du gros totoro endormi, est propre à Miyazaki. C’est ce qui s’appelle « voisiner » avec l’extraordinaire.
Cet élément spécifique à la mise en scène miyazakienne est stylistique, mais pas pour autant intemporel; sa force vient au fond d’une assise historique, comme le révèle élégamment Miyazaki dans un entretien, lorsqu’il nomme ses êtres fabuleux des « fantômes » historiquement déterminés : « Prenons l’exemple du chat-bus. Il arrive comme un coup de vent. Mais, inversement, un coup de vent ne signifie pas forcément l’arrivée du chat-bus, ce ne serait plus japonais. Au Japon, nous n’avons pas de divinité du vent, mais nous en avons une qui souffle le vent, elle est représentée avec un grand sac à air porté sur son dos. Alors, si on définit le chat-bus comme un esprit du vent, ce n’est plus japonais. Le Japon se modernise. Totoro et ses amis sont des fantômes de transition qui représentent ce Japon qui balance entre tradition et modernité. »
A la manière de la petite Mei, la plus jeune des deux sœurs, qui se met à sauter de place en place comme une grenouille lorsqu’elle découvre les traces des premiers « totoros », le film tout entier procède par bonds successifs. Il n’est ni strictement linéaire, ni classiquement fondé sur des péripéties aventureuses, fussent-elles minimes, mais il est fait d’une suite de petits événements de la vie quotidienne de deux enfants. Cette trame fait l’essentiel du récit. (Hayao Miyazaki : « Mon film est fait de tous ses incidents, il n’y a pas d’histoire. J’ai voulu un film de 90 minutes et si je devais le rallonger, ce ne sont pas les scènes avec Totoro que j’ajouterais mais celles de la vie quotidienne de Satsuki et Mei »). Parmi ces bonds, certains sont simplement des bonds dans l’imaginaire (traités cependant avec le même réalisme de dessin et de mouvement que les autres : mouvements du corps des animaux, croissance des plantes, nuances des couleurs de la nature, etc.), et c’est ainsi que les petites filles découvrent et apprennent à connaître les « fantômes » naturels qui les entourent, campagnards et rassurants malgré leur première apparence monstrueuse. Cela revient à dire qu’elles apprennent à découvrir le milieu qui les entoure. Le spectateur est lui-même embarqué dans cette observation minutieuse de la réalité, réalité dont le rêve, comme dans la vie, fait partie intégrante.
Vidéos
Des tétards aux Totoros
Catégorie : Extraits
par Hervé Joubert-Laurencin
Pistes de travail
Civilisation japonaise
Mon voisin Totoro situe discrètement l’action, à travers son riche décor réaliste, dans le Japon rural traditionnel et religieux. Les deux traditions principales du Japon sont le Bouddhisme issu du continent, et le Shintoïsme, qui regroupe un ensemble de croyances autochtones pré-bouddhistes. Une petite niche votive shinto accueille la famille au tout début du film. Un torii est, un peu plus tard, visible à l’entrée du bois qui borde la maison. L’arbre géant est ceinturé par une cordelette rituelle, une shimenawa, visible au moment où le père amène ses filles près du grand arbre, et avant de remercier, un peu par jeu, « l’esprit de la forêt », qu’il voit à la fois sous l’avatar de l’arbre et sous celui du grand totoro. Surprises par la pluie, les deux petites filles s’abritent sous un petit sanctuaire jizô. Dans la scène de l’autobus, la petite Mei s’approche d’une statue dédiée à une divinité des céréales, Inari, représentée par un renard aux traits effilés auquel on attache un foulard rouge autour du cou. Les rites de fertilité sont évoqués comiquement lors de la danse rituelle nocturne des totoros avec les deux sœurs, et l’épi de maïs offert à la mère pour accélérer sa guérison en est une suite laïque et naïve.
Mon voisin Totoro n’est cependant pas une fiction religieuse, car sa force consiste précisément à construire sa propre mythologie, à commencer par « totoro ».
Fiche réalisée par Hervé Joubert-Laurencin
Septembre 2005
Expériences
« To-to-ro » et « To-ro-ru »: importance du nom des héros
Si le « totoro » est un « fantôme de transition », c’est-à-dire un esprit moderne, inventé, comme le chat-autobus, en croisant esprit des forêts traditionnel et modernité, son nom est aussi un néologisme enfantin. Il naît d’un défaut de prononciation de la petite Mei. La première fois qu’elle cherche à nommer l’apparition à sa grande sœur, elle évoque le troll de son livre d’images (livre visible un instant sur un des dessins fixes du générique de fin) : en japonais, « troll » se dit « tororu », et elle prononce « totoro » par erreur.
L’invention nominale est toujours importante chez Miyazaki : voir la disparition des noms de Sen/Chihiro et de son compagnon Haku dans Le voyage de Chihiro(1). Dans Mon voisin Totoro, inscrire le prénom de la petite sœur « Mei » au fronton du chat-bus suffit à filer droit où elle se trouve ; les deux fillettes en un sens ne font qu’une (à un stade du scénario, il n’y avait qu’une petite fille), et porte le nom d’un des mois de la renaissance végétale : « Satsuki » est le nom du mois de « mai » en japonais ancien, tandis que « Mei » se prononce comme le mois de mai en anglais ; enfin le film se clôt sur un signe d’amour des deux fillettes pour leur mère, sous la forme de quelques idéogrammes (kanjis) gravés sur un épi de maïs : « pour maman », comme si la nature elle-même avait magiquement inscrit son nom dans le film avant le mot « fin ».
(1) Voir le Cahier de notes sur Le voyage de Chihiro, par Hervé Joubert-Laurencin
Outils
Bibliographie
The Art of Totoro, album imagé, édition japonaise, Tokuma Shoten, 1988
Tonari no Totoro Ekonte-shuu, Story-board de Mon voisin Totoro, édition japonaise, Tokuma Shoten, 2001
(Ouvrages tirés du film et importés du Japon, en langue anglaise)
Mon voisin Totoro, d’Hayao Miyazaki, Gébéka Films / Canal / Tonkam, 1999
(Le seul ouvrage tiré du film édité en France est un « roman album » épuisé)
Il n’existe pas d’ouvrage de référence sur le cinéma d’animation japonais, en français.
Voir cependant, en plus des articles des revues de cinéma classiques sur Mon voisin Totoro (sortie française le 8 décembre 1999
Animeland, hors série n°3 sur Isao Takahata, Hayao Miyazaki et le studio Ghibli, Paris, janvier 2000.
Aux sources de l’animation japonaise des années 20 aux années 50, Catalogue de la rétrospective Maison de la Culture du Japon à Paris, novembre 2002
(texte de synthèse par Watanabe Yasuchi)
Gauche le violoncelliste, Cahier de notes sur par Ilan Nguyên et Xavier Kawa-Topor
(repères chronologiques de l’animation japonaise, historique du studio Ghibli et du compagnonnage de Miyazaki et Takahata)
Vidéographie
Mon voisin Totoro, (cassette VHS, 1999). DVD annoncé (Buena Vista sept. 2005)
Web
Miyazaki, site nausicaa.net, sur Miyazaki et le studio ghibli, en anglais
Mon voisin Totoro, site nausicaa.net, sur le film, en anglais
buta-connection.net, site en français, un travail de repérage très agréable à consulter sur les citations visuelles des films Ghibli dans la BD occidentale
oomu.org, site en français
Mon voisin Totoro, pour trouver des images du film