Synopsis
Pendant quinze ans, sans aucune arme, Timothy Treadwell a vécu régulièrement au milieu des redoutables grizzlys sauvages d’Alaska. Les cinq dernières années, il a même filmé tout ce qu’il vivait, réunissant ainsi des images exceptionnelles. En octobre 2003, il a été retrouvé avec sa compagne, à demi dévoré par ceux qu’il avait juré de protéger. Le célèbre cinéaste Werner Herzog se penche sur les mystères de cette incroyable aventure…
Générique
Titre original : Grizzly man
Réalisation : Werner Herzog
Image : Peter Zeitlinger
Son : Spencer Palermo, Ken King
Musique : Richard Thompson
Montage : Joe Bini
Production : Discovery Docs, U.S.A.
Distribution : Metropolitan FilmExport
Sortie du film : 7 décembre 2005
Durée : 1h43
Format : 35 mm, couleur
avec Werner Herzog / le marrateur, Timothy Treadwell, Amie Huguenard, Franc G. Fallico
Autour du film
Documentaire ou documenteur ?
Grizzly man dérange car il pousse le spectateur à reconsidérer constamment le statut du film : fiction ou documentaire ? Comment ne pas s’étonner devant la démesure de Timothy Treadwell et des autres personnes interviewées ? Comment ne pas être surpris par la qualité des images filmées par Timothy Treadwell et exploitées par Herzog (Treadwell va jusqu’à filmer en bi-caméra) ? Comment, enfin, ne pas être soupçonneux face à la banale forme télévisuelle choisie pour ce documentaire de cinéma ? Grizzly man sort sur les écrans français en 2005, soit après que la vague de faux documentaires (ou documenteurs) produits pour le cinéma par Woody Allen (Zélig, 1983), Peter Jackson (Forgotten Silver, 1995) ou encore William Karel (Opération lune, 2002) ait définitivement enterré toute possibilité de foi en la forme télévisuelle : voix off, interviews, titrages des noms et fonctions, images d’archives ne seront plus jamais garants d’une quelconque authenticité. La remise en question de la véritable nature de Grizzly man ne prend réellement fin qu’à l’apparition du générique de fin : pas d’équivalence acteur/personnage, aucun avertissement particulier. Grizzly man n’est certes pas un canular mais tout simplement un documentaire de Werner Herzog.
Avec Grizzly man, le cinéaste dissout une fois de plus la frontière réalité/fiction qui ne sont dans son cinéma que les deux faces d’une même pièce. Simples échantillons d’une œuvre dense, Aguirre la colère de Dieu, 1972 ou Fitzcarraldo, 1982 sont hantés par les conditions folles de leur tournage en pleine forêt amazonienne : altercations spectaculaires avec Klaus Kinski son acteur fétiche, construction d’une poulie géante pour hisser un bateau à vapeur au delà d’une colline péruvienne, gestion épique de centaines de figurants autochtones avec le budget d’un film intimiste. Dans L’énigme de Kaspar Hauser (1974), il fera endosser le rôle d’un personnage coupé de la civilisation jusqu’à l’âge adulte par Bruno.S, acteur amateur lui même tenu à l’écart du monde pendant 25 ans. Pour Coeurs de verre (1976), il hypnotise ses interprètes. Chacun des films d’Herzog constituent des aventures humaines, des expériences uniques qui trouvent leur cohérence dans la démesure et le spectaculaire qui sont d’ordinaire l’apanage de la fiction. Pour Herzog, le cinéma constitue avant tout le dernier moyen de partir à l’aventure sur une planète où tout a désormais été exploré.
« Je hais le cinéma-vérité, tous ces films qui prétendent enregistrer la réalité avec des manières de comptable. La vérité que je recherche au cinéma est d’ordre poétique, extatique.»
Werner Herzog
Treadwell, personnage herzoguien
L’outrance de la tâche que s’est donné Treadwell (assurer la protection de Grizzlys de 300 kg en vivant parmi eux – une espèce qui, on l’apprendra dans le film, est hors de danger dans le secteur en question), son acharnement à la mener (vivre pendant 13 étés parmi ces animaux sauvages), sa fin tragique (il meurt sous les dents et les griffes de ses protégés) font de Timothy Treadwell un personnage taillé sur mesure pour le cinéaste. Car Herzog retrouve non seulement en lui la marginalité de ses propres personnages (Treadwell désire s’exclure de la civilisation) mais aussi un rapport ambiguë à la mise en scène et à la fiction. Des 100 heures de rushes filmés par Treadwell à partir desquels il construit son film, Herzog conserve les moments « off », c’est à dire les passages de préparation, les « loupés » que Timothy aurait coupés au montage (« on refait la prise, j’ai merdé la dernière », chapitre 10, 00’36’30). Werner Herzog ne travaille pas seulement à retracer l’aventure extraordinaire de Treadwell, il poursuit aussi sa quête métaphysique sur la nature humaine. Dans Grizzly man, il étudie un phénomène de fictionalisation de soi-même, autrement dit la transformation d’un homme en personnage de fiction grâce à un objet magique : la caméra. Tout au long du film, on verra Treadwell adopter différentes postures qui feront tour à tour de lui un personnage de talk show (chao. 10 : 00’39’58 ; chap.11 : 43 min 40), un journaliste de terrain dans le feu de l’action (chap.14 : 00’55’15), un aventurier (chap. 10: 38’09) ou encore un activiste héroïque (chap.19). Timothy cherche non seulement son image à travers ces prototypes télévisuels mais Herzog nous apprend qu’il réinvente aussi sa propre histoire : Treadwell est un nom d’emprunt et il prétendait être un orphelin d’origine australienne. Comme on le ferait pour un personnage de fiction, il s’est construit une identité de toute pièce.
Grandeur et dérision
Mais Herzog a d’autres raisons de s’intéresser à ce personnage. Il commence son film Grizzly man par saluer la performance de Timothy (vivre 13 étés sur le territoire des grizzlys), loue la beauté de ses images exceptionnelles et lui reconnaît surtout un véritable talent de cinéaste : « J’aimerai aussi prendre sa défense. Pas comme un écologiste mais comme réalisateur. Il a capturé des moments improvisés, si magnifiques. De ceux dont les réalisateurs de studio et leurs équipes ne sauraient même rêver ». La musique que Werner Herzog fait composer pour les rushes de Treadwell transporte avec lyrisme ses images fascinantes de communication avec la faune.
Après avoir dressé le portrait public de cet homme passionné, le cinéaste allemand s’intéresse dans un second temps à percer la personnalité de Timothy Treadwell à travers les témoignages de son entourage proche. On réalise alors que la démesure dont Treadwell fait preuve au fur et à mesure que le film se déroule n’est pas circonscrite à son personnage. En effet, la plupart des intervenants du documentaire possèdent eux aussi leur petit grain de folie. Même une fois la différence culturelle déduite (les américains s’expriment en effet de façon plus expressive que les français), les personnes qui apparaissent dans Grizzly man conservent toute leur extravagance – leur côté « bigger than life » comme disent les anglo-saxons – et le réalisateur n’y est bien sûr pas pour rien.
La mise en scène apparemment lisse que Werner Herzog semble emprunter au banal documentaire télévisé est en fait beaucoup plus retorse qu’elle n’en a l’air. En effet, par les dispositifs qu’il met en place, Herzog révèle la folie douce de chacun, démence qu’il traque caméra à la main depuis le début de sa carrière. Le tragique récit de la mort de Treadwell par un médecin légiste totalement illuminé est à ce titre exemplaire (cf. onglet « séquence/analyse »).
Au chapitre 8, il n’hésite pas à faire endosser un rôle trop grand pour elle, celui de la veuve éplorée, à l’ex-petite amie de Timothy, Jewel Palovak, en mettant en scène la remise de la montre du mort à celle-ci. Le médecin légiste sort la montre restée dans le sac en plastique transparent depuis l’autopsie, il montre que les aiguilles tournent toujours, remet l’objet à Jewel « je veux que vous l’ayez, elle doit vous revenir ». On voit les personnages se prêter au jeu autant qu’ils le peuvent : Jewel, les yeux embués de larmes, le médecin légiste on ne peut plus solennel. L’intention pathétique à l’origine de cette séquence est tellement évidente qu’elle en devient cruellement drôle, au moins autant que celle de la dispersion des cendres au chapitre 20. Le pilote convié à la cérémonie apparaît bien seul au milieu des deux femmes qui répandent religieusement le contenu d’un petit pot de cendres, de poils d’ours et d’herbe mêlées sur les lieux du dernier campement de Timothy où les a conduit le cinéaste.
Au fur et à mesure que se croisent les témoignages, il devient clair que la folie de Timothy est presque à la mesure de la société qu’il tentait de fuir. Au chapitre 15, Herzog filme le relief superbe et tourmenté de l’Alaska qu’il compare à l’âme de Treadwell avant de poser la question suivante en voix off « Qu’est ce qui a amené Timothy ici ? ». La réponse est apportée par le montage : Val et Carol Dexter, les parents de Timothy apparaissent, prenant la pose devant leur rez-de-jardin, drapeau américain à la main. Sur le gros plan d’un ours en miniature trônant sur la table basse familiale, Herzog ajoute en voix off « il a dû éprouver le besoin de quitter cet environnement protégé ». Pourtant, il n’y a pas d’ironie dans la démarche du cinéaste. Seulement la volonté de révéler, sans jugement de valeur, la part grotesque et saugrenue du monde.
Efficacité narrative
Comme l’exige toute représentation du réel, les éléments de Grizzly man sont organisés afin de former une histoire intelligible. Mais la structure narrative mise en place par Werner Herzog porte en elle des rebondissements et des éléments de fiction dignes d’un film de fiction. La cassette de la mort de Treadwell est l’un d’eux. Herzog excite et débride l’imagination du spectateur en le privant de ce son, pourtant décrit avec force de détails morbides par le médecin, puis écouté par le cinéaste qui apparaît de dos, casque sur les oreilles. A nous de nous figurer la scène fatale à travers un jeu de miroir : Jewel bouleversée par le bouleversement de Herzog, lui même bouleversé par le son de la cassette dont nous sommes privés. Il faudra toute la violence du duel entre les deux ours (chapitre 14) monté successivement pour mener à bien la dramatisation de cet épisode. De même, les rares apparitions de Amy Huguenard dans le film de Treadwell seront exploitées par le cinéaste pour leur part de mystère. Après avoir révélé l’existence d’Amy et des deux uniques plans dans lesquels on l’aperçoit, l’avènement d’un troisième plan de la jeune femme qu’Herzog place à la fin du film fait l’effet d’une apparition fantastique.
Cécile Paturel, juillet 2009
Vidéos
Grizzly man
Catégorie : Analyses de séquence
Pistes de travail
Rushes et montage
Les rushes constituent la totalité des images filmées lors d’un tournage. Ils sont destinés à être triés puis monté en fonction d’un point de vue et d’une histoire. Dans Grizzly Man, c’est Herzog le cinéaste qui organise les rushes de Treadwell, c’est à dire qu’il travaille à partir d’images qui ne sont pas les siennes. Imaginer le film tel que l’aurait réalisé Treadwell : qu’aurait il conservé ? Qu’aurait il coupé au montage ?
Rédiger son commentaire en voix off.
Réaliser un documenteur
Analyser la forme adoptée par un reportage comme on peut en trouver dans Envoyé spécial ou bien dans le journal télévisé par exemple. En reprenant une forme identique, inventer un faux reportage. Le sujet doit être aussi extravagant que la forme sera fidèle aux codes du reportage. Sur quel support de diffusion devez vous le présenter pour mener à bien votre canular ? A quelle heure le programmer ? Sur quelle chaîne? A la télévision? Sur internet ? Quel site choisir ? Evaluez le degré de crédibilité de chacun de ces supports.
Mise en scène et documentaire
Regarder à nouveau la rencontre avec Fulton, au chapite 3, à 10 minutes 20 secondes du début du film. Imaginer le tournage de cette séquence et relever toutes les indications que Herzog a dû donner au pilote pour témoigner du dernier jour de Timothy. Où les personnages se trouvent ils ? Pourquoi ? Comment le montage parvient il à actualiser le moment décrit ?
Reproduire le même travail pour la séquence de remise de la montre à Jewel ou pour la dispersion des cendres. Qui est à l’origine de ces initiatives ? A quel moment Herzog introduit il des photos ou des images tirées des rushes de Timothy ? Pour quelles raisons ?
Une solide structure narrative
Comment Herzog parvient il a raconter une histoire captivante à partir de rushes à teneur documentaire qui ne sont pas les siens ? Dégager la progression narrative du film : y a t-il des personnages principaux ? Quelle est la situation initiale? Y a t il des rebondissements ? Trouvez vous des opposants ? Des adjuvants ?
S’intéresser en particulier aux trois séquences successives qui nous apprennent l’existence d’un enregistrement audio de Timothy (chapitre 13 à 14). En quoi cet épisode est il particulièrement efficace ?
Humour et autodérision
Herzog sourit avec tendresse de ses personnages dans le film. A quels moments ? Comment s’y prend il ? Soyez attentifs :
− aux titrages (nom et fonction des témoins) des personnages,
− aux références à son propre travail (chap.19 : 01’22’30: « L’acteur de ce film a pris le pas sur le cinéaste. J’ai déjà vu cette folie sur un plateau de tournage. Mais Treadwell n’est pas un acteur opposé à son réalisateur. Il combat la civilisation elle-même. »),
− aux choix de montage (en particulier chap. 15: 01’01’55)
Outils
DVD
Grizzly Man, DVD libre de droits pour une utilisation en classe, ADAV, référence: 74243
Ce DVD propose :
- le film
- un documentaire sur la collaboration entre Werner Herzog et le compositeur Richard Thompson (54 mn, VOST)
- filmographie animée de Werner Herzog
- bandes-annonces
Web
Site Hors Champs - Entretien réalisée en 2004 sur la carrière du réalisateur.
Objectif cinéma - Portrait du réalisateur à l'occasion de la sortie de Grizzly Man
revues-de-cinema.net : une bibliographie très riche
Dossier de presse du Centre Pompidou à l'occasion de la rétrospective Herzog : à télécharger
Ouvrages
Werner Herzog, Emmanuel Carrère, éditions Edilig, 1982
Werner Herzog, Sur le chemin des glaces, P.O.L Éditions, 1979
Werner Herzog, Manuel de survie, Hervé Aubron et Emmanuel Burdeau, Editions Capricci éditions / Centre Pompidou, Paris 2008
Revues
Cahiers du cinéma n°607
Positif n°538, 574 (dossier consacré au réalisateur)
Films
Wodaabe, les bergers du soleil de Claude Herviant