Hiver de Léon (L’)

France (2007)

Genre : Comédie dramatique

Écriture cinématographique : Court-métrage

École et cinéma 2009-2010

Synopsis

L’hiver s’abat sur le royaume et l’ogre des montagnes enlève la belle princesse Mélie Pain d’Epice.
Léon, un jeune ours adopté par un couple d’apiculteurs, fugue et tombe entre les mains de Boniface, le faiseur d’histoires.
Léon sauvera –t-il la princesse des griffes de l’ogre ?

Générique

Durée : 28’’’
Production : Folimage
Distribution : Folimage
Réalisation: Pierre-Luc Granjon et Pascal Le Nôtre
Scénario: Antoine Lanciaux
Animation volume

Autour du film

Le Moyen Age : un monde déformé

Le graphisme de l’Hiver de Léon reprend les codes esthétiques de l’époque médiévale. Il nous plonge ainsi dans un univers étrange et difforme. Difformité qui est liée en partie à l’irrespect des règles de la perspective. La perspective se base sur la géométrie comme forme de représentation. Le principal problème qui se pose est le changement d’échelle. Il s’agit d’agrandir ou de réduire une figure tout en gardant les bonnes proportions. Considérations desquelles découlent un souci de réalisme visuel en ce qui concerne la peinture.

Le Moyen Age ne respectait pas les règles de perspectives qui ont ensuite été instaurées par les artistes de la Renaissance. Les peintres, jusqu’au 15ème siècle ont préféré privilégier les qualités narratives de l’image, au détriment d’un traitement réaliste. L’espace pictural est clos. À l’intérieur de cet espace, l’artiste met en scène des personnages qui sont placés et figurés selon des rapports symboliques. L’unité de temps et l’unité d’espace n’ont plus d’importance. Un même personnage peut apparaître plusieurs fois dans un même tableau. La taille de celui-ci est déterminée par sa position dans la hiérarchie sociale ou religieuse.

La représentation hiérarchique des personnages permet de distinguer les personnages principaux de l’histoire.
Dès le début du film, un personnage surplombe tous les autres. Il s’agit du conteur, Boniface. Il focalise l’attention des villageois. Il est représenté tel un géant. Sa taille peut être liée à l’impact qu’il a sur les gens. Il peut symboliser le pouvoir de la narration, du conte. Il sait raconter une histoire et captiver un auditoire. Il détient donc un pouvoir sur les gens et peut donc être placé en haut de la hiérarchie.
Les réalisateurs utilisent ces disproportions comme métaphores. En effet, les personnages n’arrêtent pas de changer de taille. Le conteur retrouve sa taille originelle (il est en fait de la même taille que les villageois) plusieurs fois dans la séquence d’ouverture, ce qui permet d’envisager sa taille gigantesque comme un symbole de ce qu’il représente.

Le roi : un monarque peureux

Le gigantisme d’un personnage peut aussi être ironique. Prenons le roi. Il assiste à la déclamation du conteur du haut de son château. Sa tête est monumentale. Sa taille peut donc rendre compte de son rang monarchique. Il est en effet au sommet de la société. Cependant, le personnage est en définitive très peureux. La taille de sa tête dans cette séquence peut donc symboliser le fait qu’il est le premier à être terrifié par ce que dit le conteur (il menace le village de la venue d’un ogre). Il croit tout ce qu’a dit Boniface et se précipite pour cacher son trésor. Il craint aussi pour sa fiche qu’il ne veut pas voir finir dévorée par l’ogre. Sa fille est beaucoup plus sage. Elle prend le numéro du conteur pour ce qu’il est. Ce n’est qu’une histoire.

Les disproportions comme zooms magiques

Les réalisateurs utilisent aussi les disproportions afin de focaliser l’attention sur des détails importants. Un objet peut aussi être surdimensionné. Lorsque le roi cache la clé de son coffre à trésor dans le pot de miel de la princesse Mélie, il tombe malencontreusement par la fenêtre. Un plan d’ensemble nous montre ensuite le village minuscule, bordé par la rivière et des collines. Nous apercevons les deux têtes énormes du roi et de la princesse qui regardent le pot de miel être emporté par le courant de la rivière. Le pot de miel aussi est gigantesque. Le non-respect des proportions permet aux réalisateurs de créer des effets inédits. Ils peuvent signifier des choses normalement invisibles à l’œil nu dans un plan d’ensemble.
On retrouve le même procédé de composition du plan lorsque Léon, Boniface et l’éléphant rejoignent le village en barque.

Changement de statut d’un personnage

Léon a comme devoir de faire peur aux villageois. Un homme en armure veut le ridiculiser et vient se moquer de lui. Il est filmé en contre-plongée et pointe du doigt Léon en l’appelant « Tête d’ours ». Il est montré comme dominateur et gigantesque. Ce surnom blesse Léon qui décide de montrer à cet homme qu’il est plus que ça. Dans le plan suivant, nous le voyons donc sauter sur le chevalier. Il est plus petit que lui, mais le chevalier a une taille d’adulte normale. Son agressivité soudaine terrifie l’homme en armure. Il porte un casque, nous ne voyons donc pas les expressions de son visage. Sa peur est rendue perceptible par le plan suivant. Léon est toujours dans la même position mais l’homme est désormais beaucoup plus petit que lui. Les réalisateurs se servent du changement de proportion afin d’exprimer l’évolution des sentiments d’un personnage. Personnage qui change ainsi de statut. L’homme à l’armure passe d’une stature de géant, de chevalier, à celui de jouet.

Un film enluminé

Un livre illustré

De multiples cadres sont utilisés. Des cadres qui transforment les plans d’ensemble du village, de la maison de la famille de Léon, etc., en tableaux. Tableaux qui semblent signifier la fin d’un chapitre de l’histoire. Cette utilisation replace le film dans le contexte féérique du conte. On retrouve l’esthétique propre au livre pour enfant. Ce cadre nous rappelle que c’est une histoire qui nous est racontée.
Ces cadres sont liés aux livres illustrés qui ont été créés au Moyen Age. C’est en effet à cette époque qu’a été imaginé le procédé qui mêle texte et image. Le livre avait été inventé par le très Haut Moyen Age du 5ème siècle. Il était alors appelé « codex ». Le livre a permis de remplacer le rouleau de texte qui était utilisé dans l’Antiquité.

L’enluminure : faire du livre un trésor

Les enluminures dans les livres médiévaux avaient pour vocation d’accompagner la narration, mais aussi de décorer les ouvrages. Les images de l’Hiver de Léon se veulent être aussi précieuses qu’une enluminure. On définit cette technique artistique comme l’art de décorer et d’illustrer les livres, les manuscrits, etc. Cette technique concernait surtout les lettres majuscules (« lettrines ») qui débutaient un paragraphe (on peut voir ce genre d’ouvrages dans Le Nom de la Rose de Jean Jacques Annaud).
On pourrait penser que l’enluminure tire son origine du mot « miniature » (minus), en partie parce qu’elles sont presque toujours de petite taille. Caractéristique due à la complexité de cette technique. Cependant le mot « enluminure » tire plutôt son origine du mot latin « illuminare » qui signifie mettre en lumière, rendre lumineux. Ces images étaient très précieuses. En effet, posséder un livre était l’un des signes les plus éclatants du pouvoir médiéval. Il pouvait être brandi pour impressionner les foules ou conservé comme un trésor. Il avait la même valeur qu’un bijou précieux. Préciosité qui était la caractéristique même de l’enluminure.

Cadres et motifs des enluminures dans l’univers de Léon

Les cadres utilisés dans les enluminures sont employés dans le film. Ils reprennent généralement des motifs floraux qui enserrent les personnages ou la scène. Dans l’Hiver de Léon, ils permettent de mettre en valeur un personnage. Lors de la scène d’ouverture, la princesse Mélie est distinguée de la foule qui écoute le conteur grâce à un de ces cadres. Il vient en complément du gros plan, dont l’impact est décuplé. Son visage est comme enchâssé dans un écrin. Un effet graphique s’ajoute donc à l’effet cinématographique, permettant ainsi de mettre en valeur la princesse. Le spectateur ne peut plus la considérer comme figurante. Elle a un rôle à jouer dans l’histoire.

Ce cadre peut également remplacer le zoom pour pointer un détail important : par exemple la clé du coffre à trésor ou la pomme magique. Il peut aussi servir d’ellipses.

Dans l’imagerie médiévale, ce n’est que tardivement que le ciel a été représenté. En règle générale on utilisait des fonds de couleurs ou des motifs particuliers. On retrouve cette esthétique dans certaines scènes du film. Par exemple au début, lorsque le conteur se donne en spectacle. Un damier mauve avec des motifs dorés sert de fond. On le retrouve plus loin dans le film lorsque Léon se fait agressé par un homme en armure. Ce même fond peut également faire penser à un rideau de théâtre.

Un espace théâtral

Un monde vu de face

La notion d’espace au Moyen Age n’est pas une réalité naturelle mais une construction sociale, un véritable produit de la société médiévale. La construction de l’espace pictural est donc assez schématique afin d’être plus facilement assimilable. Il y a un rapport frontal à la narration. On retrouve ce travail de construction frontale de l’espace dans l’Hiver de Léon. Notamment en ce qui concerne l’intérieur du château de Balthazar Ville ou de la tour de l’ogre. Les pièces sont montrées de face. L’espace peut être fractionné par des colonnes (la chambre de Mélie) ou pareillement à un retable (les divers étages du château).


Les réalisateurs jouent avec cette frontalité, notamment dans la séquence où l’on aperçoit une vue en coupe de l’intérieur du château. Il est fractionné en multiples cellules de différentes couleurs. Cet espace est telle une maison de poupée (on retrouve le même traitement du décor dans Le Tombeur de ses dames/ Ladies’Man de Jerry Lewis).

Le roi souhaite cacher son trésor qu’il porte dans un gros baluchon. Son évolution à travers les cases est totalement incohérente. Il passe d’une extrémité à une autre du château, sans qu’il y ait de passage visible. On peut imaginer que le roi souhaite brouiller les pistes afin de cacher son trésor en lieu sûr. Il empreinte donc un chemin labyrinthique. Cependant, cette scène nous étant montrée frontalement et en deux dimensions, le seul moyen de figurer ce dédale de trajectoires est de faire évoluer le roi de case en case de façon aléatoire.

Ce jeu avec l’espace peut être mis en rapport avec le splitscreen cinématographique. En effet, cette séquence nous permet de suivre deux actions : le parcours du roi mais également celui de la princesse qui arpente un autre chemin.

Des décors mobiles

À plusieurs reprises, les décors semblent glisser devant ou derrière les personnages. Ils peuvent s’écarter, marquant ain si l’entrée d’un protagoniste. Par exemple la femme qui donne Léon à ses parents adoptifs. Les arbres se retirent soudainement pour la laisser apparaître. Ils se referment de la même manière lorsqu’elle s’en va.

Ce mouvement des décors permet également de donner du rythme à l’histoire. En effet, ce procédé peut également être utilisé comme ellipse ou transition. Par exemple lorsque le roi décide d’aller cacher son or, les murs du donjon où il se trouve s’écartent. Ils laissent place à un autre décor : la chambre de Mélie. Le roi y discute avec sa fille.

Le plus impressionnant s’effectue dans la scène de rencontre entre Léon et le hérisson. Il est perturbant car seuls les décors bougent, les personnages gardent la même posture. Les objets se retirent ou s’ajoutent. Nous voyageons ainsi instantanément du lac gelé à la maison de Léon. Ce glissement des décors met en valeur le coté artisanal des spectacles de marionnettes. La magie imprègne les rouages mécaniques de la mise en scène. Ils peuvent également faire penser aux livres pour enfant, dont les décors se déploient une fois qu’ils sont ouverts.

L’espace théâtrale est clairement figuré dans une séquence se déroulant dans la tour de l’ogre. Léon se retrouve sur une surface qui s’apparente à une scène. Des rideaux sont tirés. Il entend une discussion en train de se dérouler derrière. Il surprend le pacte entre l’ogre et Boniface. Léon assiste à ce qui se passe « derrière le rideau » en coulisse. Métaphore illustrant l’envers du décor d’une mise en scène.

Représentation des personnages

De drôles de têtes

L’animation en volume permet aux réalisateurs de jouer avec l’aspect des personnages. Ils ont été créés avec du latex, matériau élastique dont un moulage recouvre des fils d’aluminium qui servent de structure aux protagonistes (voir onglet « Autour du film »). Un jeu avec la matière qui donne vie de façon singulière aux héros de l’Hiver de Léon.
Certains personnages ont un visage très anguleux, en particulier Boniface. Cette mise en forme permet aux réalisateurs de donner une dimension plastique aux multiples facettes psychologiques du conteur. Un aspect physique également humoristique. L’effet comique concerne surtout le regard des protagonistes. Tous les personnages ont des yeux qui semblent leur sortir de la tête. Ils peuvent êtres symétriques ou non.

Un peuple de jouets

Le peuple est semblable à une horde de moutons ou de jouets (souvent en rangées symétriques). Ils réagissent tous de la même façon aux rebondissements de l’histoire narrée par le conteur (par exemple lorsqu’ils ferment leurs volets). Ils n’ont aucune distance par rapport à l’histoire. Ils ont l’uniformité d’un public captivé et passif. On peut constater cette caractéristique dans la scène finale du film. Ils répètent les mêmes mots à l’unisson, tel un public de jeu télévisé (« la clé, la clé ! »). Ils disent tous la même chose au même moment. Ils sont comme aliénés par l’histoire.

Un monstre trop grand pour l’histoire

La description de l’ogre par Boniface est tellement impressionnante et démesurée que l’on ne peut pas vraiment le concevoir réellement. De plus, tout le monde se l’imagine mais personne ne l’a vu. C’est peut-être pourquoi les réalisateurs ne nous montre jamais sa tête. Ils jouent avec ce mystère, ils frustrent délibérément le spectateur, en particulier dans la scène où l’ogre chute à cause des petits pois. Il se retrouve donc entièrement dans le cadre. Cependant, il se retrouve avec la marmite de petit pois sur la tête. Procédé narratif qui joue sur le pouvoir de suggestion. En effet, le spectateur a davantage peur si il ne le voit pas, si le mystère demeure (on retrouve ce type de procédé dans des films fantastiques comme La Féline de Jacques Tourneur, La Maison du Diable de Robert Wise ou plus récemment Cloverfield de Matt Reeves, film dans lequel on ne voit que des fragments du monstre).

Vidéos

Hiver de Léon (L’)

Catégorie :

L’analyse commence après que le hérisson ait rejeté Léon.


Un personnage dans le brouillard

L’atmosphère de cette scène est poétique grâce à un agencement méticuleux de détails graphiques et sonores. Les éléments naturels traduisent et/ou accroissent la confusion de Léon. Est-t-il un animal ou un être humain ? Quelle est sa place ?Une légère nappe de brume flotte au-dessus de l’eau. Les trois plans montrant Léon assis sur la berge jouent avec la notion de champ infini. En effet, la brume blanche permet aux réalisateurs de créer un espace infini et mystérieux. Elle s’engouffre entre les arbres. On ne parvient plus vraiment à distinguer une frontière précise entre l’eau et la forêt.

Cette création de niveaux de décor afin de créer un horizon indiscernable peut faire penser au travail du dessinateur et peintre animateur russe Youri Norstein. On peut particulièrement penser à son court-métrage, Un hérisson dans le brouillard (1975). Ce film raconte l’errance d’un petit hérisson à la recherche de son ami ours. Il traverse des lieux pourtant familiers, mais la brume fait naître un monde onirique, à la fois fascinant (un cheval blanc, un éléphant lui apparaissent) et effrayant (une chauve-souris le fraule).

On peut évidemment penser que le personnage du hérisson dans Léon est un clin d’œil au chef d’œuvre de l’artiste russe. Ce hérisson n’a de cesse d’apparaître et de réapparaître dans l’Hiver de Léon. C’est un personnage étrange qui est lié au monde féérique des contes grâce à un objet magique : la pomme dorée. C’est également sa parole qui provoque le trouble de Léon. C’est lui qui l’entraîne dans cette phase de réflexion sublimée par une esthétique onirique.

Ce film d’animation russe a été réalisé à partir de papiers découpés. Diverses techniques ont été créées et appliquées par l’animateur (et sa femme, l’artiste peintre Franceska Yarbousova) afin que le rendu visuel soit presque d’ordre tactile pour le spectateur. Une sensation que permet l’animation en volume. Les réalisateurs de Folimage ont exploité les diverses possibilités de la prise de vue numérique. Elle leur a permis d’intégrer divers éléments (dessins peints, personnages en latex, effets de brume, décors en carton, etc) dans un même cadre afin de créer une représentation poétique de la vie.

La berge de la rivière est un lieu familier pour Léon (comme le jardin pour le hérisson de Norstein). Pourtant, l’atmosphère donne une autre envergure à cet endroit. Les flocons de neiges sont représentés par de petits ronds dont les contours sont flous. Un choix graphique qui donne un aspect presque surnaturel à cette neige qui tombe sans bruit. Elle semble descendre du ciel sans jamais atteindre le sol. Une immatérialité fantastique qui s’accorde avec celle de la brume.
Le visage de Léon ne se reflète pas sur l’eau mais sur la glace. L’image qu’elle lui renvoi n’est pas nette. Un reflet brumeux laisse juste deviner ses traits. Ce « miroir » un peu flou peut symboliser le trouble qui agite Léon. De même que dans le film de Youri Norstein, la brume révèle les craintes et les incertitudes enfantines.Seuls les flocons sont en mouvement.

Un plan d’ensemble dévoile un décor figé. L’eau est gelée et les arbres gigantesques givrés. L’ampleur et la froideur du décor mettent en avant l’esseulement de Léon, seul être « vivant » au milieu de ce décor glacé. Un calme qui rompt avec l’agitation perpétuelle qui émane du film. La glace fige l’eau qui est généralement représentée en mouvement constant. En effet, la rivière semble dans beaucoup de scène comme agitée par des milliers de petites vaguelettes faisant penser à des poissons plongeant à tour de rôle.

Le blanc frigorifie et participe à l’épure du décor. Décor qui dans presque tout le film est riche de couleurs vives. En particulier les scènes se déroulant à Balthazar Ville. Nous sommes loin de son effervescence, du marché, et des animations improvisées.


Ellipses

Le calme de la nature est propice à l’introspection. Léon est cependant troublé un instant par un groupe d’enfants qui l’interpellent. Leurs réflexions mettent en avant l’étrangeté de Léon. Il n’est pas un enfant comme les autres. Cette différence est figurée par le montage. En effet, les enfants et Léon ne sont jamais montrés dans le même cadre. Nous entendons tout d’abord leurs cris hors-champ, Léon tourne la tête dans la direction des voix. Le plan suivant est plus rapproché, afin que nous puissions mieux observer les réactions de l’ourson. Il ne les regarde plus vraiment, il s’enlève la masse de neige qu’il a reçue dans le cou. Le plan suivant nous dévoile les trois enfants qui rigolent et font des grimaces en le pointant du doigt. Même s’il fait mine de les ignorer les plaisanteries des enfants le touchent. Détail perceptible grâce au son.

En effet, les moqueries et les rires des enfants résonnent au tout début du plan où Léon est assis par terre dans sa maison. Ce travail du son permet de faire comprendre que Léon pense encore aux remarques du groupe. Sa différence le hante. Le travail sonore sur la voix des enfants (elle devient de moins en moins audible et similaire à la résonance d’un écho) sert aussi d’ellipse. Le son harmonise la transition entre deux lieux différents : la berge et la maison de Léon.
La séquence de la maison repose sur plusieurs ellipses. Léon reste dans la maison, mais il apparaît dans chaque plan à un endroit différent : par terre, vers la table et enfin dans son lit. L’éclairage joue un rôle pour rendre perceptible le temps qui passe. Nous ne sommes plus au même moment de la journée quand la mère vient regarder l’ourson par la fenêtre et quand le père la rejoint. La nuit est tombée. Les changements de cadre et de posture de Léon signifient aussi que le temps passe. La musique permet de créer un lien narratif qui s’accorde au montage. Un thème qui joue sur la répétition d’une même phrase musicale qui nous indique que Léon réfléchit toujours à la même chose.


Minutie sonore

Dans sa maison, Léon s’isole aussi. L’atmosphère est tout aussi glaciale que sur la berge. La disparition de toute chaleur familiale est signifiée par l’absence de feu dans la cheminée. Le craquement et les couleurs chaudes et vives du feu apportaient une douce présence dans la maison (dans la scène où ses parents lui ont offert la canne à pêche). Mais cette fois-ci la pièce est silencieuse.

Cette scène dans la maison joue avec finesse sur de légers détails sonores. Le silence permet de percevoir le petit grincement qui précède l’arrivée de sa mère derrière la porte. C’est ce petit bruit qui attire l’attention de Léon qui tourne la tête une fraction de seconde. On entend à nouveau ce même craquement lorsque son père rejoint sa femme derrière la fenêtre. Même le plus petit des sons apporte des informations à Léon et/ou au spectateur. Par exemple, c’est l’infime soupir de l’ourson qui nous indique que c’est son souffle qui éteint la bougie qui se trouve devant lui sur la table.

Rejet des autres

Léon repousse sa mère en feignant de l’ignorer. Ses parents restent à la porte. Ils sont les spectateurs impuissants du trouble de leur fils. Cette exclusion est signifiée parla composition du cadre. Nous les voyons de l’intérieur. Leur tête est comme cloisonnée par la petite fenêtre. En effet, un grillage et une barre en bois horizontale dans l’encadrement de la fenêtre peuvent symboliser les barrières désormais dressées entre les parents et Léon.
Dans cette séquence, Léon devient un animal en cage. Il est observé de l’extérieur à travers un petit grillage. Un moment qui préfigure son intégration de la petite troupe de Boniface. Travailler pour le conteur lui permet d’appréhender le vrai rôle d’un ours en tant qu’animal. Cependant, il déchantera vite. Il sera maltraité et enfermé dans une petite roulotte par son maître.

Même les abeilles sont bannies par Léon. Elles semblent pourtant assumer le rôle d’anges protecteurs depuis sa naissance. En effet, quand l’ourson était bébé, elles semblaient déjà former une auréole lumineuse au-dessus de sa tête. Il les balaye de la main comme de vulgaires mouches. Ainsi il se libère de tous les êtres qui sont liés à son enfance et à une identité qu’il n’assume plus.
À la fin de la séquence, c’est au tour du spectateur d’être rejeté. Dans son lit, Léon finit par nous tourner le dos.

 

Pistes de travail

Atelier sur les formes de récits antiques :

Vous pouvez mettre le film en rapport avec la tapisserie de Bayeux. C’est une longue broderie racontant la conquête de l’Angleterre par Guillaume Le Conquérant. Dans l’Hiver de Léon, les scènes sont représentées théâtralement. Nous sommes dans un espace clos, nous sommes dans le cadre. Dans la tapisserie de Bayeux, le récit est lui aussi délimité en séquences (définir dans chaque cas comment elles s’enchaînent du point de vue graphique). Essayez de confronter le mode de narration du film et de la tapisserie.

A partir des acquis de l’analyse, un travail d’arts plastiques collectif peut être réalisé. Les élèves réaliseraient une grande frise commune. Il s’agirait de répartir les différentes étapes d’un récit entre plusieurs groupes d’élèves, puis d’assembler le tout. Ils pourront ainsi découvrir les bases de la narration. Ce travail permettrait de pouvoir analyser la structure d’un récit.

La dualité des personnages

Approche thématique

Les personnages principaux de l’Hiver de Léon ont presque tous un double visage. Essayez de déterminer en quoi chaque personnage se fait passer à un moment pour ce qu’il n’est pas. Comment est-ce montré dans le film ?

  • Que peut signifier la tunique de loup que porte Boniface? Que représente le loup au Moyen Age ? A l’époque médiévale il fut un animal craint. Il stimulait également l’imaginaire (contes, fables). Pourquoi le conteur est-il comparé à un loup ?
  • Comment la princesse Mélie se fait-elle passer pour une villageoise ? Dans quels contes retrouvent-ont ce genre de situation.
  • Comment Léon se considère-t-il ? Quelle est l’évolution du personnage ?

Approche artistique

Les visages des personnages sont-ils tous sculptés de la même manière ? Pourquoi Boniface a-t-il un visage très anguleux ? Est-ce le cas de Léon ou de Mélie?
Vous pouvez confronter le visage du conteur avec ceux des personnages du tableau les Demoiselles d’Avignon. Picasso a voulu peindre comme s’il s’agissait de masques africains. Nous retrouvons le volume du masque africain dans le visage. Il s’agissait d’apporter au même moment les multiples facettes d’un visage, afin de créer un portrait complet d’un sujet.
A partir de ces questionnements, les élèves peuvent créer des masques sur le thème du portrait ou de l’autoportrait. Acte qui leur permettrait de comprendre que réaliser un portrait n’implique pas uniquement la représentation du réel (aller au-delà de la représentation photographique). Une pratique artistique qui implique observation et imagination.

Travail d’analyse par rapport au cadre frontal

    • La séquence de l’Hiver de Léon montrant le déplacement incohérent du roi dans son château peut être mis en relation avec plusieurs films.
      Avec Le Tombeur de ses dames de Jerry Lewis. Le décor du film, un pensionnat de jeunes filles est vu en coupe comme le château. Les personnages évoluent aussi de case en case. Il y a un traitement similaire du décor qui peut faire penser à une maison de poupée. Essayez de déterminer en quoi et qu’est ce que ça implique du point de vue de la mise en scène.
    • Le côté surréaliste du déplacement du roi peut être mis en parallèle avec la séquence de la « maison qui rend fou » dans le dessin animé Les douze travaux d’Astérix. L’hystérie de la maison influence la mise en scène. Voir en quoi l’état psychologique du roi peut aussi l’influencer.
    • Encore du point de vue du déplacement poétique et farfelu, il est possible de mettre l’extrait en rapport avec une scène de Mon Oncle de Jacques Tati. M. Hulot habite dans une maison particulière. Nous n’en voyons que l’extérieur. Quand il rentre ou sort de chez lui, nous le voyons apparaître d’un bout à l’autre de la maison.

L’univers de Léon et Brancaleone

Toute l’esthétique de l’Hiver de Léon peut être mis en rapport avec le générique du début de l’Armée Brancaleone de Mario Monicelli (1966). Cette comédie italienne raconte les aventures du chevalier Brancaleone (Vittorio Gassman) et de son armée dans l’Italie de l’an mille. Le générique est animé. Il joue sur les disproportions, le non-respect des perspectives. Les décors se retirent et s’ajoutent comme dans un spectacle de marionnettes.

Cynthia Labat – juin 2009-

Outils

Bibliographie
L'hiver de Léon, de Antoine Lanciaux,album Nathan 2008

Web
telerama.fr
Site officiel de Folimage