Catégorie : Extraits
0’00” à 2’37”*
* Le minutage peut varier de quelques secondes selon le mode de lecture, (projection ciné, lecteur DVD, ordinateur…).
Faire un pas vers… qui ?…
– L’ouverture du film donne non seulement le ton, mais les clés pour saisir ce qu’en sera le propos. La fanfare de cérémonie de la police d’Alexandrie débarque à l’aéroport de Tel-Aviv. Personne n’est là pour l’accueillir. Premiers pas en terre inconnue…
– Gare routière ? Station-service ? Parking de supermarché ? La camionnette est au centre de l’image, perpendiculaire à l’axe de la prise de vues. Deux piliers métalliques de part et d’autre du véhicule redécoupent symétriquement l’espace du plan, recentrant le regard sur… rien ! En effet, rien ne bouge pendant cinq secondes. L’absence de mouvement, le vide de l’espace, le manque d’indices géographiques et la fixité du cadre instaurent une situation d’attente chez le spectateur. Puis l’événement se produit : cet homme qui sort de la camionnette pour se diriger vers l’arrière et en extraire un énorme ballon jaune qu’il transporte lentement, tranquillement en sens inverse pour le placer sur le siège arrière et s’asseoir tout aussi tranquillement au volant. 41 secondes pour un acte dérisoire dont la signification nous échappe totalement. Le comique de la scène, qui fait immédiatement songer au Tati de Mon oncle ou de Playtime, tient à la construction graphique soignée, opposant la rondeur du ballon aux lignes droites de l’architecture, la couleur jaune au fond monochrome bleu-gris’tre, à l’absurdité du déplacement du personnage qui tient à notre ignorance de ss intentions.
– Les deux cartons qui suivent confirme cet aspect dérisoire, redondant avec ce qui précède. Pourtant, le départ de la camionnette fait apparaître un groupe de huit hommes en uniforme bleu ciel, lequel tranche radicalement avec cette dérision. Filmés dans le même décor, rendu plus écrasant par le cadre un peu plus large, ils en redoublent la raideur et la sévérité. Mais leur immobilité donne un aspect incongru à cette apparition tout aussi dénuée de logique pour le spectateur que le transport du ballon : étaient-ils là avant ou viennent-ils d’être déposés par le minibus ? Ils donnent le sentiment d’être déplacés dans ce paysage, sans repères, en attente, mais de quoi ? De nouveau l’événement surgit, incongru (1’49”). Ce n’est pas un véhicule qui vient les chercher – d’ailleurs personne ne vient les chercher –, mais une femme transportant une valise sur un chariot de gare ou d’aéroport. Son indifférence tranche ironiquement avec leur attente (et celle du spectateur) : il s’est passé quelque chose, à savoir : rien… Ironie soulignée par le motif musical de l’attente pathétique qui reviendra à plusieurs reprises dans le film.
Le changement d’échelle du plan permet d’apprécier la composition du groupe. Toufik, le chef, et Simon, à son côté, jettent un coup d’œil inquiet, mais qui se voudrait sans impatience, à droite et à gauche. Derrière eux, attendent les six autres musiciens dont le parfait alignement est répété par la rectitude verticale des plots métalliques et des réverbères en diagonale. La rigueur de la composition du plan fait dérisoirement écho à la stricte disposition des hommes dont la sévère apparence n’a d’égale que leur résistance stoïque à la chaleur ambiante.
Une nouvelle réponse à l’attente commune des hommes et du spectateur est proposée par le contrechamp : dans un décor toujours aussi sévèrement composé où le cadre architectural redouble celui de l’image, un homme et deux enfants sortent eux aussi d’une camionnette. Le bouquet de fleurs que porte une fillette évoque un comité d’accueil qui répondrait à l’attente de Toufik et ses hommes. Dans le contrechamp reprenant le groupe en attente, celui-ci avance d’ailleurs d’un pas, descendant du trottoir. Mais il va vite constater sa bévue et effectuer un pas en arrière. Le quiproquo est traduit visuellement par deux axes dont l’homme (et un instant le spectateur) a pu penser qu’ils allaient se rencontrer : celui constitué par le regard de Toufik et son pas vers les inconnus et celui qui est amorcé par le mouvement de la fillette. Visuellement, quoique de grosseur différente, il s’agit de deux mouvements latéraux, gauche-droite pour le premier, droite-gauche pour le second. La répétition du gag déceptif de l’arrivée d’un personnage avec chariot et valise par la droite, substituant son mouvement à celui de Toufik, ajoute à l’aspect mécanique du comportement des militaires. Non seulement ils sont sur des trajectoires différentes, mais ils ne peuvent partager le même espace : Toufik a donné l’image d’un mobile qui rebondit sur le bord gauche du cadre et se trouve renvoyé à sa place initiale. Être ou ne pas être dans le même plan, dans le même espace, tel sera l’enjeu pour les personnages du film comme pour les habitants de la région, Égyptiens et Israéliens.
Retour à la case départ donc pour Toufik (2’22”). Cet immobilisme est souligné par un commentaire tautologique aussi parfaitement inutile que le trajet de l’homme au ballon : « Ce ne sont pas eux. » Immobilisme qui ne pourrait être rompu que par une rencontre, que le chef et son subordonné cherchent en vain en tournant leurs regards vers la droite du cadre, geste suivi de deux contrechamps d’une voie désespérément déserte, bordée de lampadaires réguliers dans des plans d’un gris-bleu froid et uniforme aux perspectives qui se perdent dans le vide… Effet de vide renforcé par l’absence du plan qui aurait dû compléter ce jeu du champ-contrechamp, celui qui aurait montré les regards de Toufik et Simon se tournant vers la gauche du cadre.
La rencontre n’a pas eu lieu et brutalement le film enchaîne sur un plan plus rapproché et moins strictement composé de la troupe en mouvement, de face cette fois. Toufik et ses hommes en sont réduits à faire vers les autres (toujours absents, hypothétiques) le mouvement qu’ils attendaient d’eux. Encore ce mouvement est-il plus mécanique que spontané, puisque ce n’est pas celui des hommes en marche, constate-t-on avec un léger retard, mais celui du tapis roulant qui les porte… Il est vrai que la fanfare ne fait qu’accomplir le programme pour lequel elle s’est engagée… (2’37”).
Photogrammes pour repérage