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[de 65’ 03, ch. 7, à 67’ 27, durée 2’ 24]
Après avoir mis ses jouets dans un sac, en vue de les donner à la fillette Hae-yeon, en échange contre son lapin en peluche, Sang-woo se regarde dans une glace. Mécontent de sa coupe de cheveux (une frange rebelle sur le front le contrarie), il demande à la grand-mère d’arranger cela. Après avoir joué avec elle, en réfléchissant les rayons de soleil sur son visage avec le miroir, l’enfant lui explique ce qu’il veut. Elle lui coupe les cheveux mais l’enfant, très mécontent du résultat, part en colère, laissant à la grand-mère le soin de ramasser ses affaires qu’il a jetées par terre.
On sait très tôt dans Jiburo que Sang-woo est un enfant violent, agressif, égoïste, ingrat, voire odieux. On le voit par la suite changer de comportement, évoluer, mais l’un des mérites du film est de ne pas montrer l’enfant basculer soudainement et totalement dans une bonté absolue et irréversible. Pour preuve, cette brève scène où il se montre ingrat, caractériel et malpoli. Et pourtant, il s’agit d’une séquence où on voit l’enfant rire et jouer avec la grand-mère. Chose exceptionnelle. On y passe par conséquent d’une extrémité à l’autre. Cette séquence peut se décomposer en quatre ensembles. Le prologue se déroule à l’intérieur de la maison et on y voit seulement l’enfant. Les trois autres ensembles se passent à l’extérieur de la maison, et sont consacrés à la coupe de cheveux, décomposée en trois temps, avec sa préparation, son exécution puis son résultat.
Dans la première partie, en guise de prologue, on voit l’enfant seul dans la maison, filmé en gros plan, en train de se regarder dans une glace. Il veut être beau avant de voir la fillette. La frange sur le front ne lui plait pas, il tente de la corriger en se coiffant autrement mais comme il n’a pas de gel, la seule solution sera de la couper. D’où le recours à la grand-mère. Cet ensemble est composé de deux plans du visage de l’enfant de face. Dans le premier, on voit son reflet dans le miroir (image moins nette, plan subjectif, à la place de l’enfant) et dans le second, l’emplacement de la caméra se substitue au miroir. La réflexion de l’enfant (« j’ai même pas de gel ») lance la musique et le mouvement suivant.
La seconde partie, ou préparation de la coupe, toujours sur fond de musique légère et entraînante, se décompose en deux temps. La partie jeu (deux plans), avec le reflet du soleil sur le visage de la grand-mère, le rire en off de l’enfant, et le contrechamp sur le visage de l’enfant souriant, tenant près de son visage la glace qui capte les rayons du soleil. Les préparatifs s’ouvrent sur un plan moyen où on voit l’enfant assis de face, miroir dans la main, la grand-mère qui couvre ses épaules d’un linge, sur fond de paysage de montagne. Suivent trois plans où l’enfant, avec ses doigts, signifie à la grand-mère de couper juste un peu. Elle mime le geste (doigts collés à son front) puis on le revoit à nouveau. Il y a en trois plans un accord-raccord gestuel entre la grand-mère et l’enfant.
La troisième partie, celle de la coupe de cheveux, comprend quatre plans, composés d’inserts qui fragmentent le visage de l’enfant (on voit seulement, à la faveur d’un recadrage, le visage de la grand-mère en entier). Le premier plan est un insert sur la nuque, avec les ciseaux en amorce et en reflet dans le miroir le visage de l’enfant, tout joyeux. Le second cadre le sommet de crâne, où les ciseaux de la grand-mère sévissent. On voit ensuite les cheveux coupés sur les épaules de l’enfant puis un insert sur le dos du miroir dans les mains de l’enfant. Quand il le baisse, cesse de le regarder (de se voir par conséquent), la musique s’assombrit et le soleil se reflète à nouveau. Le mécontentement de l’enfant, dépité par la coupe de cheveux, avant d’être clairement exprimé (4ème partie), est déjà annoncé par le miroir posé sur ses genoux et la musique. En même temps, ce geste est nécessaire au récit. Il faut que l’enfant cesse de voir ce que la grand-mère lui fait pour capter sa déception, quand il se regarde sitôt la coupe terminée.
La quatrième partie ou réaction à la coupe de cheveux, en trois plans, commence avec le visage de l’enfant, yeux fermés et cheveux coupés. La caméra recule et découvre la grand-mère lui caresser les cheveux. La coupe est finie, l’enfant se regarde dans le miroir et se met à geindre, très mécontent (« c’est affreux ! »). Le plan suivant sur la grand-mère reproduisant le geste veut lui faire comprendre qu’elle a coupé ce qu’il a demandé. Le troisième plan, où tous les deux font le même geste (de la coupe souhaitée), devient l’expression d’un malentendu, alors qu’ils croyaient s’être compris (cf. fin 2ème partie). Le dernier plan, en plongée, a valeur d’épilogue. De colère, l’enfant jette le tissu qui couvrait ses épaules et sort du cadre à droite. La grand-mère se baisse pour le ramasser, prend le miroir à terre et sort par la gauche. Le plan reste quelques instants sur la chaise au centre du décor vide.
Le plan final en forme d’épilogue, par son cadrage, nous prive volontairement du beau paysage de montagne, celui qu’on voyait au début de la coupe quand la grand-mère enroulait le linge sur les épaules de l’enfant assis, se regardant dans la glace. En partant chacun dans leur direction, le fossé se creuse, ils s’éloignent, se tournent le dos et la caméra insiste sur le vide de cette provisoire séparation. En revanche, le plan avec le paysage de montagne, juste après leur complicité ludique (le soleil sur le visage de la grand-mère), témoigne d’une harmonie, d’une unité, d’une sérénité. La fin redonnera cela quand, entre l’enfant et la vieille femme, il y aura des mots échangés. L’enfant ne tiendra plus le miroir, mais la grand-mère tiendra les cartes postales dans ses mains avec les mots écrits et les dessins au dos. Les ciseaux ne servent pas seulement à couper, ils brisent l’unité. Plans en insert, morcellement du corps, ils préfigurent la rupture. L’autre objet est le miroir. Dans le prologue, l’enfant se suffit à lui-même et le contrechamp ferme l’espace, puisqu’on est à la place de l’enfant en train de le voir se regarder puis à la place du miroir, en train de le regarder se voir. Puis le miroir devient l’expression d’une complicité entre la grand-mère et l’enfant, d’une ouverture à la vie, sur l’extérieur (la nature) et sur l’autre (la vieille femme). Il reflète le soleil, il provoque la joie et le rire de l’enfant. Au début, l’enfant n’aime pas sa tête, à cause du miroir (la frange qui dépasse) puis encore moins après la coupe. Cette blessure narcissique en deux temps dont la grand-mère fait les frais (comme une domestique, elle se baisse pour ramasser ses affaires), est liée à la transformation de l’enfant, soucieux de plaire à la fillette, d’être vu au mieux, à son avantage. A la place du miroir, c’est à la fillette que pense Sang-woo. Ils sont idéalement ses yeux.
L’autre aspect est celui du malentendu, de l’incompréhension par le langage des gestes. L’enfant pense que la grand-mère a compris ce qu’il voulait et, à la fin, quand ils refont tous les deux le même geste, le désaccord est là, chacun ayant interprété à sa manière.