Biographie
Devenue indépendante en 1991, la république du Kirghizistan, (ex-république soviétique, limitrophe de la Chine) en Asie centrale, abrite une cinématographie en devenir dont Abdan Abdykalykov, né en 1957 à Kontouou, village de la région de Sakoulou, est un des plus sûrs représentants. Pour autant, cet auteur, qui revendique son ancrage rural (J’habite dans un village et je reste un campagnard, alors que le cinéma est un produit de la ville, Libération10.02.1999), n’ignore pas combien il est difficile, dans le contexte global où éclôt son œuvre exigeante, de réaliser des films : » La situation économique est difficile. Depuis sept ans que nous sommes indépendants, c’est la première fois qu’un film kirghize voit le jour avec l’argent de l’Etat (et celui du fonds économique du CNC français). Beaucoup de gens en Kirghizie ont des aspirations artistiques… J’ai peut-être eu plus de chance que les autres. » (Les Inrockuptibles10 février 1999).
Peintre par goût (passant par l’Institut d’art du Kirghizistan, à Bichkek, de 1976 à 1980), décorateur de cinéma (aux studios Kirghiz-Film dès 1981), Abdykalykov revendique son héritage pictural dans ses propos : » J’ai commencé par le dessin et la peinture ; mais les arts décoratifs sont trop statiques. J’avais envie d’aller au-delà. » « Je suis peintre décorateur de formation. J’accorde donc une grande attention à l’image et à la dramaturgie de la couleur.(Les Inrockuptibles« ) ; » Par essence c’est un art de synthèse. J’ai alors décidé que mes tableaux seraient, en quelque sorte, peints à l’écran« (Les Cahiers du cinémajanvier 2002). La singularité de cette approche est que ses préoccupations esthétiques vont de pair avec le souci revendiqué de puiser dans la nature comme source d’inspiration et ce, sans aucune référence à la modernité. Cette volonté primitive (« Compte-tenu que j’habite en Kirghizie et que je n’ai pas de formation sur le plan cinématographique, j’ai vu peu de choses. C’est devenu une habitude : je n’ai pas envie de voir, parce que j’ai l’impression de perdre mon temps. Je ne sais pas si j’ai raison, mais c’est comme cela. Je préfère voir la vie s’écouler. Si j’ai envie d’écouter de la musique, par exemple, je l’écoute dehors, j’écoute les gens chanter, ou les oiseaux« , Les Inrockuptibles) explique que son incursion dans le cinéma commence par le documentaire : Un chien courait, en 1990, sur divers canidés (errants, de combat, de marchés), et les hommes qui les croisent, inaugure un regard tourné vers sa propre communauté. Il ne le quittera pas, pas plus qu’il ne s’affranchira du monde de l’enfance : son premier long-métrage, Où est ta maison escargot ?, est une commande du Oskino (comité d’état pour le cinéma) destinée à un jeune public, sa trilogie (La balançoire, Le fils adoptif, Le singe) mettant son fils (Mirlan) en scène dans le rôle d’un enfant que l’on suit de ses 9 ans (le premier film, un court-métrage) à ses 17 (le dernier), affirme un style d’une grande poésie qui s’enracine dans la question des origines (avec un nette tendance à l’autobiographie puisque Abdykalykov est lui-aussi un enfant adopté comme son héros).
Ainsi, à l’étude des premiers émois et tourments, se rajoute une peinture des traditions et rites d’une communauté longtemps censurée par le colonialisme soviétique : » Les rites sont très traditionnels, mais je n’ai aucunement recherché quelque chose d’archaïque. […]Ce qui est certain, c’est que je n’ai jamais pensé que je filmais tout ça pour un spectateur occidental. Les boules malaxées par les grands mères sont du fumier de vache : elles servent ensuite au chauffage. Je voulais cette image des grands mères qui, à partir de la merde, font quelque chose de bon et d’utile« (Les Inrockuptibles). Ce double ancrage (les origines d’un homme et d’une culture) esquisse un cinéaste atypique qui conçoit le tournage d’un film comme une recherche permanente d’émotions et un combat : Tant que la situation économique et politique ne sera pas meilleure, les gens auront d’autres soucis en tête que le cinéma. Cette situation ne me décourage pas, au contraire. On se sent plus agressif, dans le bon sens du terme. ». Sans doute, est-ce cette urgence qui donne l’impression, devant Le fils adoptif, de redécouvrir le cinéma.
Filmographie
1990 Un chien courait (Bejala Sobaka)
1992 Où est ta maison, escargot ? (Gde tvoi dom ulitka?)
1993 La balançoire (Selkintchek)
1995 Arrêt d'autobus (Beket) (sorti en 2001)
1997 Assan-oussen
1998 Le fils adoptif (Beshkempir)
2001 Le singe (Maïmyl)
Outils
Bibliographie
Portrait-entretien avec Aktan Abdykalykov, Chauvin Jean-Sébastien, Les cahiers du cinéma n°564, janvier 2002, Editions de l'Etoile.
Entretien centré sur des questions de mise en scène.
Le cinéma d'Asie centrale sociétique, Radvanyl Jean, Centre Georges Pompidou, 1991
Un volume passionnant sur le contexte national du film, même si, bien évidemment, sa date de parution est antérieure à sa sortie, ce qui limite, dans un strict cadre de recherche, son intérêt
Fiche réalisée par Philippe Ortoli.