Biographie
Présenter Kiyoshi Kurosawa équivaut d »ord à manier une formule : cet auteur est parvenu à se faire un prénom ! Effectivement, quand on porte le même nom que celui qui, avec Ozu et Mitzoguchi, résume, pendant des décennies, le cinéma japonais pour les occidentaux, il n’est pas aisé de faire oublier qu’on ne s’appelle pas Akira et qu’aucun lien de parenté ne vous lie à cette redoutable figure.
Né à Kobé en 1955, l’auteur de Kaïro présente sa jeunesse comme un lieu d’accès privilégié à toute une cinéphilie dite de genre, » films de monstres « , « ord ’97 « . Ce que je voyais dans les films de monstres, c’étaient toujours les scènes de destruction totale de la ville, surtout de Tokyo, qui avaient réellement eu lieu pendant la guerre et qui restaient dans la mémoire de ceux qui réalisaient de tels films » (« A l’école des genres – Entretien avec Kiyoshi Kurosawa, dans Les Cahiers du cinéma n°540, novembre 1999, p.79) ’97, films d’action pure ensuite ’97 » Les films que j’ai gardés en mémoire sont ceux de Don Siegel, de Sam Peckinpah, de Richard Fleisher » (ibidem) ’97. Avant, pendant et après des études de sociologie qu’il dit avoir trouvé très ennuyeuses, Kurosawa tourne et monte des films en super-8, s’inscrivant déjà dans les cadres du polar ou de l’épouvante : néanmoins, cette formation de spectateur-artisan pouvant le rapprocher de Tarantino (qui, bien évidemment, aime ses films) se nuance d’une rencontre plus universitaire lorsqu’il suit les cours de Shighéhiko Hasumi (président de l’Université de Tokyo spécialiste de littérature française et auteur, entre autres, d’un essai sur Ozu, aux Cahiers du Cinéma) qui l’initie à ce que l’on nomme le cinéma d’auteur (Ozu, mais aussi Bergman et Antonioni). C’est pourtant, suite à ses nombreuses participations en tant qu’assistant sur les tournages, notamment ceux de Somai Shinji (réalisateur-culte dont on ne conna’eet malheureusement que peu d’œuvres), un film pornographique à faible budget, Kandagawa Wars, qui marque son entrée dans la réalisation. Suivront quelques autres œuvres dans le même registre et dans celui du film de yakuzas (variante nipponne du » film de gangsters « ) commandées par les studios, puis initiés par de jeunes producteurs, dont Atsuyuki Shomoda (un des chefs de file du renouveau du cinéma du soleil levant). Beaucoup de ces films sont destinés directement au marché de la vidéo, ce qui n’empêche pas le cinéaste de les envisager comme de vrais films (« Je les ai toujours tournés en 16 ou 35 mm. Ils ont donc toujours été conçus pour le cinéma « , explique le cinéaste (ibid).
Il convient de revenir sur ces œuvres (dont on a pu voir une petite quantité lors de la rétrospective consacrée au cinéaste par la Cinémathèque Française et les Cahiers du cinéma) pour comprendre une donnée assez incompatible avec notre cinéma national. On ne peut prendre acte de l’originalité de certains auteurs japonais contemporains (Takeshi Kitano, Takeshi Miiké, Shinya Tsukamoto, Hideo Nakata) si, semblables à certains artisans de la dite série b américaine (Richard Fleisher, Bud Boetticher ou André De Toth), voire de la série A (Sam Peckinpah, John Sturges ou Richard Brooks), on les envisage hors d’un circuit économique prévoyant, comme principe fondamental, la mise en circulation de produits sur des rails considérés potentiellement comme fédérateurs, et envisageant, comme seuls principes, une efficacité maximale (deux semaines d’écriture, deux semaines de tournage, une de montage, ce qui permet de réaliser plusieurs films en un an). Il ne s’agit nullement de faire l’apologie d’un cinéma-industrie, mais de rappeler que l’apprentissage de telles conditions impose une inventivité de tous les instants à ceux qui souhaitent s’imposer « Pour des raisons économiques, je suis obligé de multiplier les plans séquences. Avec une prise ou deux pour un plan assez long, je m’efforce d’innover « (ibid.)
Aussi, lorsqu’en 1997, sort Cure, réalisée dans de meilleurs conditions (le double de celles précitées), l’accueil enthousiaste qu’il suscite dans des festivals (Toronto, San Francisco, Sydney, Paris) et sa distribution en France donnent à révéler un réalisateur qui en est déjà à son 17ème film et dont le Festival américain indépendant de Sundance a déjà récompensé le travail en lui offrant, en 1992, une bourse et une résidence d’écriture qui lui permettra d’écrire Charisma. Polar très noir, l’œuvre s’inscrit dans le sillage de Seven et du Silence des agneaux en flirtant ouvertement avec le surnaturel. Car c’est bien là le véritable domaine de Kurosawa, l’intrusion dans un cadre très réaliste de phénomènes liés au merveilleux maléfique (l’arbre hanté de Charisma, la méduse vénéneuse de Bright Future) ) ou au fantastique classique (le fantôme de Séance, les jumeaux de Doppelganger) dont Kaïro représente, sans doute, l’aboutissement, puisqu’il l’étend à l’échelle de Tokyo, puis du monde entier, avec ses ectoplasmes revenant, via Internet, exhorter les vivants à les rejoindre. Régulièrement sélectionnés dans les festivals (Licence to live à Berlin, Charisma à » La Quinzaine des réalisateurs » à Cannes, Vaine illusion à Venise, Kaïro à » Un certain regard » à Cannes), ses films témoignent du nouveau souffle d’une cinématographie nationale qui impose une vision passionnée du cinéma hors des chapelles (genre /auteur) qui gangrènent encore le regard européen. Pour autant, il ne faudrait pas noyer Kurosawa dans ce flot : il est un véritable auteur à l’univers marqué, principalement, par l’obsession du vide (dans et entre ses plans) et proposant une vision du monde absolument désespérée, le plus excitant restant quand même qu’au rythme où il tourne (car la reconnaissance internationale a à peine, ralenti sa cadence), son œuvre est encore en plein devenir.
Filmographie
- 1978 School days (super-8)
- 1980 Shigarami Shigarami gakuen (super-8)
- 1983 Kandaqwa wars
- 1985 The excitement of the DO-RE-MI-FA-Girl
- 1989 They are back
- 1989 Sweet home
- 1992 The wordholic prisonner (tv)
- 1992 The guard from the underground
- 1992 Suit yourself or shoot yourself 1,2
- 1996 Door 3
- 1996 Suit yourself or shoot yourself 3,4, 5 et 6
- 1997 The Revenge 1 et 2 (A visit from fate et The scar that never fade)
- 1997 Cure (Kyuya)
- 1998 Serpent's path (Hebi no michi)
- 1998 The eyes of the spider (Kumo no hitomi)
- 1998 Licence to live (Ningen gokaku)
- 1999 Kodama (cm)
- 1999 Charisma (Kyarisuma)
- 1999 Vaine illusion (Oinaru genei)
- 2000 Kore'ef (tv)
- 2001 Ka'efro (Kairo)
- 2002 Séance (Korei)
- 2002 Bright Future (Akarui Mirai)
- 2004 Doppelganger
- 2006 Loft
- 2007 Rétribution (Sakebi)
- 2008 Tokyo Sonata
- 2012 Shokuzai 1 et 2
- 2013 Real (Riaru: Kanzen naru kubinagaryû no hi)
Mise à jour le 24 octobre 2014
Outils
- BibliographieLe cinéma asiatique : Chine, Corée, Japon, Honk-Kong, Ta'efwan, Coppola Antoine, L'Harmattan (coll. " Images plurielles "), 2004(ouvrage remarquable où Kurosawa est introduit par rapport à tout le renouveau cinéma de genre par l'Asie).
Cinéma et spiritualité de l'Orient-extrême, Schneider Roland, L'Harmattan (coll. " Champs visuels "), 2003
(vision personnelle d'une culture et d'un art auquel appartient le cinéaste).
Le cinéma japonais, Ritchie Donald, Editions du Rocher (coll. " Documents "), 2005
(le plus récent panorama consacré au cinéma japonais où figure Kurosawa).
A l'école des genres - Entretien avec Kiyoshi Kurosawa, JousseThierry, dans Les Cahiers du cinéma n°540, novembre 1999, p.79
(à l'occasion de la rétrospective de son œuvre à Paris, entretien sur le parcours et le rapport aux " films de genre " du réalisateur).