Biographie
Celui qui se dit nomade et n’être « personne, venu de nulle part » selon la formule du magazine Time, est né le 24 novembre 1954 à Sarajevo. Serbo-bosniaque d’origine musulmane, Emir Kusturica rêve très tôt de quitter la Yougoslavie placée sous la férule de Tito. Il réside à Prague de 1973 à 1977 afin d’étudier la mise en scène à la FAMU, l’équivalent de la FEMIS dont sont également sortis Goran Paskaljevic et Milos Forman. De retour à Belgrade, il réalise Te souviens-tu de Dolly Bell ? en 1981, une tragi-comédie partiellement autobiographique sur fond de musique rock et de libération sexuelle sous le régime de Tito des années 60. S’y affirment déjà le ton typiquement débridé de l’auteur, son goà»t du mystère et de la magie (le héros tente d’hypnotiser des lapins !) à côté d’une volonté politique de souligner le pluralisme culturel de la Yougoslavie avec des acteurs dotés d’un puissant accent régional.
En 1985, Kusturica tourne l’émouvant Papa est en voyage d’affaires. L’œuvre traite de la déportation politique sous l’ère titiste. Le film adopte le point de vue poétique du jeune Malik qui observe le monde absurde et dérisoire des adultes soumis à la mesquinerie des hommes au pouvoir.
C’est encore au niveau d’un enfant que le cinéaste aborde Le Temps des Gitans en 1988. Après la relative sobriété du précédent, ce nouvel opus se caractérise par un style foisonnant qui sera désormais la marque de fabrique de son cinéma. C’est là un hommage, mieux une déclaration d’amour, que Kusturica adresse à une communauté méprisée de tous. Cet intérêt du cinéaste pour les exclus ou les marginaux s’affirmera bientôt comme un leitmotiv thématique.
Fort de ses précédents succès, Kusturica se rend aux àtats-Unis pour réaliser autour d’un casting de gloires anciennes (Faye Dunaway, Jerry Lewis) et nouvelles (Johnny Depp, Vincent Gallo), Arizona Dream qui puise à la source du conte.
Du cinéma de guerre et de la guerre du cinéma, il en sera question trois ans plus tard avec Underground. Parce qu’elle aborde le problème complexe et sensible de la guerre en Bosnie (seulement un tiers du film), cette parabole idéologico-politique sur cinquante ans d’histoire yougoslave déclenche une violente dispute. Oiseuse ou non, la querelle aura permis de révéler la difficulté d’inscrire une vision personnelle sur un conflit en cours dans une fiction de cinéma. Au final, Kusturica a le sentiment cruel d’avoir échoué, de ne pas s’être fait comprendre. Le flop du film fait le reste. Il décide alors d »andonner le cinéma… pour y revenir plus tard par la voie de la comédie burlesque. Ce sera l’étourdissant Chat noir, chat blanc, en 1998.
Une voie poussée jusqu’à la démesure parfois brutale et reprise avec bonheur dans la Vie est un miracle (2004). Ce huitième film nous conte l’histoire d’un ingénieur serbe qui, obnubilé par la construction d’une ligne de chemin de fer, se retrouve seul après le départ de sa femme et de son fils quand la guerre éclate en Bosnie (nous sommes en 1992). L’homme s’éprend ensuite d’une jeune infirmière que les Serbes lui confient et qui doit être échangée contre son propre fils retenu en otage par la troupe adverse. Le miracle du film ici, c’est l’amour, la fête, la musique, l’alcool, le mouvement (même les lits volent), en somme tout l’arsenal kusturicien placé au centre de cet acte de résistance contre la guerre.
Fana de rock, celui qui fait de la musique l’un des principes narratifs et esthétiques de ses films joue aussi de la guitare rythmique avec le « No Smoking Orchestra » dont on peut apprécier l’éclectisme sur la bande originale de Chat noir, chat blanc. Depuis sa création en 1980, le groupe, sorte de rock balkanique, a non seulement écumé les salles de concert d’Europe (avec passage à l’Olympia en 2000) mais a su également trouver son public. Le documentaire Super 8 stories, réalisé en 2001 par le cinéaste lui-même, relate les principaux moments d’une de leurs tournées européennes.
Se reporter à : http://www.emirkusturica-nosmoking.com.
Enfin, dernière corde à son arc, le travail d’acteur que Kusturica pratique en pointillé dans ses propres films et plus sérieusement comme en 2000 dans la Veuve de Saint-Pierre de Patrice Leconte où il incarne un condamné à mort en sursis d’exécution.
Filmographie
Outre quelques figurations, Emir Kusturica a joué en tant qu'acteur sous la direction de Patrice Leconte (La Veuve de Saint-Pierre, 2000), de Neil Jordan (L'Homme de la Riviera, 2001), de Giovanni Robbiano (Hermano, 2002).
Fiche réalisée par Philippe Leclercq
Mise à jour le 13 mai 2009