LYNCH David

Réalisateur, Reporter, Scénariste

Biographie

C’est à  Missoula, dans le Montana, que David Lynch est né le 20 janvier 1946. Son père, chercheur au ministère de l’Agriculture, est souvent muté d’un endroit à  un autre et la famille Lynch a pendant de nombreuses années un mode de vie nomade, de la Caroline du Nord à  l’Idaho. La jeunesse heureuse de David Lynch ressemble aux instantanés idylliques d’un livre pour enfants et le cinéaste gardera toujours une nostalgie idéalisée des années cinquante passées dans des petites villes de campagne. Sa vision du monde sera d’ailleurs totalement bouleversée par différents voyages à  Brooklyn pour rendre visite à  ses grands-parents. Le métro de New York, l’agitation de la ville et l’insécurité du quartier le frappent. « J’ai appris que, juste sous la surface, il y avait un autre monde, et encore d’autres mondes si on creusait plus profond, confia-t-il plus tard. Il y a de la bonté dans les ciels bleus et les fleurs, mais une autre force – une douleur folle et une pourriture – accompagne toute chose dans le même temps« . Comment ne pas songer, en entendant ces impressions d’enfance, aux représentations des petites bourgades idylliques en apparence qui peuplent les films de Lynch, de Blue Velvet à  Une histoire vraie, en passant par Sailor et Lula et Twin Peaks ?

Pour affronter et faire quelque chose de son angoisse grandissante du monde, le jeune David découvre et se lance à  cœur perdu dans la peinture, abandonnant ses études pour se consacrer à  « la vie d’artiste ». C’est d »ord aux Beaux-Arts de Boston, puis de Philadelphie (nommée Academy of Fine Arts) qu’il se passionne pour Bosch, Bacon, Hopper et le Douanier Rousseau. A l’occasion d’un concours de sculpture, il filme une boucle d’une minute sur des morceaux de corps (Six Men Getting Sick, soit Six hommes tombant malade ou Six hommes en train de vomir, tout un programme !) considérée comme son premier contact avec la caméra. C’est en solitaire qu’à  partir de 1965, il passe vraiment de la pratique de la peinture, qu’il n »andonne pas, à  la réalisation de petits films animés. Dans son premier court métrage, The Alphabet, l’acte même d’apprendre est considéré comme un empoisonnement. Ce premier opus, qui décrit l’enfer d’un individu qui ne peut ni ne veut parler, exprime déjà  la frustration de Lynch devant la nécessité d’en venir au langage articulé. Son deuxième court métrage, The Grandmother, bénéficiant d’une bourse de l’American Film Institute (AFI) (prestigieuse école d’où sont sortis, entre autre, les frères Coen), réduit tout dialogue au statut de pur effet sonore et fait déjà  du langage une simple texture sensorielle.

Intégrant une école de cinéma à  Beverly Hils, annexe de l’AFI, Lynch y commencera un film d’étude subventionné de 21 minutes qu’il finira par étendre jusqu’au format du long métrage, au prix d’un tournage et d’un montage de plus de 5 ans (le cinéaste et son équipe, qui exercent tous, par ailleurs, une activité professionnelle, camperont ponctuellement dans une partie des locaux inutilisés de l’école pour mener le projet à  bien). Ce premier essai, Eraserhead, installe un univers étrange et une forme expérimentale proche d’un certain surréalisme. Le refus de Lynch d’interroger les images et les sons s’explique ici non seulement par leur étrangeté mais par la volonté de l’auteur de parler directement par le biais du cinéma à  un spectateur qui voit et entend. Ce refus de la réduction systématique au symbole inaugure une œuvre bâtie sur l’expérience sensorielle : le cinéaste lui-même refusera toujours de livrer les clés, le sens, de ses films. à  un ami qui lui demande ce que représente Sailor et Lula, Lynch répondra, non sans malice : « Une heure quarante-cinq de pellicule, à  peu près« .

Après Eraserhead, Lynch rencontre son ange gardien en la personne de Stuart Cornfeld. à  l’époque, jeune exécutif travaillant pour Mel Brooks, grand cinéaste comique (Frankenstein Junior et Les producteurs) également producteur indépendant, Cornfeld a vu Eraserhead lors de sa première séance de minuit à  Los Angeles. Il contacte Lynch et na’eet ainsi le début d’une grande amitié qui mènera à  Elephant Man.

Bien qu’Eraserhead annonce un talent aussi rare qu’original, il n’est guère d’imaginer comment un tel talent va se développer dans une industrie cinématographique américaine réputée très conservatrice. Mais Cornfeld tient absolument à  ce que David Lynch tourne l’histoire mélodramatique de cet homme né d’une femme « écrasée » par un éléphant. Mel Brooks, convaincu du talent de jeune cinéaste, se bat alors pour l’imposer sur le projet dont il est un des coproducteurs. En 1981, Elephant Man, mélange d’influences de l’expressionnisme allemand et du cinéma de Tod Browning (Freaks), bouleverse le monde entier et propulse Lynch sur le devant de la scène.

L’aventure de Dune, trois ans plus tard, est moins heureuse. Tiré du Best-seller culte de science-fiction de Frank Herbert qui a vu Alexandro Jodorowski (avec Dali en décorateur) et Ridley Scott se succéder dans des tentatives d’adaptation avortées, le projet est entre les mains du grand producteur Dino De Laurentiis qui décide, sur les conseils de sa fille, de le confier à  l’homme de l’émouvant Elephant Man. Le moins que l’on puisse dire est que les admirateurs du cinéaste sont désorientés lorsqu’ils le voient écrasé par l’énorme machine de cinéma à  grand spectacle : cette commande constitue une déception, y compris pour les admirateurs de la série littéraire. Plus jamais Lynch n »andonnera son droit au final cut. Comme l’observe Mary Sweeney, productrice et monteuse de Lynch – notamment d’Une histoire vraie : « Il craint à  juste titre les gros budgets à  cause de Dune, mais aussi parce qu’il est fondamentalement modeste. Il préfère sentir qu’il reste libre artistiquement et ne pas être dépendant de producteurs qui auraient trop investi sur lui« .

Le retour vers son univers personnel sà¯fectue en 1986 avec Blue Velvet qui réussit la greffe de l’étrangeté expérimentale et du film de genre (une intrigue policière menée par des teen-agers), bénéficiant de la production de De Laurentiis qui laisse au réalisateur une entière liberté artistique. Pendant le tournage du film, on lui présente le compositeur Angelo Badalamenti qui deviendra un membre indispensable de son équipe de fidèles collaborateurs. Badalamenti, auteur de toutes ses musiques, contribuera largement à  l’imagerie du cinéma de Lynch, grâce à  son don pour les airs étranges, mélodieux et mélancoliques.

Après une période de calme consacrée à  la peinture et à  la fabrication d’objets conceptuels étranges, David Lynch fait son retour à  la caméra à  la fin des années quatre-vingt par le biais de la télévision, d »ord par un film conçu pour la collection française Les français vus par’85 (les autres cinéastes seront Godard, Herzog, Wajda et Comencini), Le cowboy et le frenchman, puis par un « soap-opéra » qui va devenir un feuilleton-culte. L’histoire des 29 épisodes de Twin Peaks permet à  Lynch d’explorer de nouveau la folie secrète d’une petite ville proche du Lumberton de Blue Velvet (avec qui il partage Kyle MacLaclan comme héros) prenant comme fil rouge une intrigue meurtrière pouvant se résumer par : Qui a tué Laura Palmer (le titre du  » pilote « )? La première saison de la série est un énorme succès dans le monde entier qui engendre un fan-club et divers produits dérivés (dont un ouvrage écrit par la fille de Lynch). Après le déclin de la deuxième saison, David Lynch prolongera, en 1991, sa série télévisée par un long métrage pour le cinéma, qui en racontera les débuts. Malgré la présence de David Bowie et de Chris Isaak, le film sera un échec public et critique.

Retour en 1990 qui est, pour le cinéaste, l’année de tous les succès : après le triomphe de Twin Peaks, Sailor et Lula, relecture maniériste des films de blousons noirs où Nicolas Cage reprend la veste en peau de serpent du Marlon Brando de L’homme à  la peau de serpent (Lumet, 1957), remporte la Palme d’Or au festival de Cannes. Adaptation très libre d’un roman de Barry Gifford, le film, par ailleurs extrêmement cru dans sa représentation de la violence et du sexe, désarçonne le public américain mais ravit les spectateurs européens.

Après ce brà»lot inscrit dans la perspective d’un cinéma de genre en pleine crise identitaire (Impitoyable dêstwood et Reservoir Dogs de Tarantino lui succèderont en1992), Lynch, au début des années 90, s’occupe de plus en plus de séries télévisées. De On the Air qui se passe en 1957 dans une station de télévision à  Hotel Room, une trilogie située dans une chambre d’hôtel de New York, ces séries uniques et originales sont toutes autant de petits chefs-d’œuvre de télévision libre et moderne. Lynch y explore les sensations de panique et de menaces diffuses, préfigurant ainsi ce que sera son film suivant : Lost Highway, co-scénarisé encore par Barry Gifford. Sorte de portrait étrange en mouvement, obsédée par les trajets et la route, cet opus est hanté par toutes sortes d’images mystérieuses et effrayantes, le metteur en scène retravaillant à  sa façon l’univers aliénant et étouffant des grands expressionnistes du cinéma et l’hyperréalisme de la composition d’un des peintres qu’il admire le plus, Edward Hopper. ‘8cuvre sombre et opaque, Lost Highway renoue avec les ambitions d’Eraserhead, d’un cinéma dont le sens échappe à  son spectateur et où il est difficile de mettre des mots sur les sensations produites. Il génèrera quantité d’études universitaires et critiques qui consacreront définitivement Lynch comme un cinéaste-culte.

Avec Une histoire vraie, en 1999, Lynch prend tout le monde à  contre-pied. Loin des ténèbres et de la confusion, des galeries de créatures obsédées et bizarres, il y raconte l’histoire simple du trajet d’Alvin Straight qui, pour voir son frère malade, traverse 500 kilomètres sur sa tondeuse à  gazon. On y retrouve ainsi, sur un mode totalement nouveau chez lui, l’imaginaire de la route, du trajet géographique et intérieur au beau milieu de l’Amérique profonde : l’ombre de Ford qui plane sur le film (dont la vedette, Richard Farnsworth, est une des plus fameuses doublures de l’histoire du western décédée peu après la sortie du seul film qui l’a vu en vedette) ne l’empêche nullement de baigner dans une étrangeté caractéristique.

En 2001, Mulholland Drive, au départ  » pilote  » d’une série télévisée qui ne voit pas le jour et coproduit par Les Films Alain Sarde, renoue avec le Lynch mystérieux et sensuel de Blue Velvet et Lost Highway. Nouvelle histoire de double, son dernier film en date demeure surtout une œuvre nouvelle et moderne dont le sujet secret, le cinéma, traduit bien la conception qu’a le cinéaste du monde des images dans lequel nous évoluons chaque jour : l’image n’a plus le pouvoir de traduire la vérité et de représenter le monde comme avant – « la vérité 24 fois par seconde », disait Godard. L’image, façonnée par Hollywood et ses mythes, n’est plus qu’une surface brillante et sensuelle, qui donne moins à  voir qu’elle ne contamine l’oeil de celui qui la regarde. Elle ne renvoie plus que sur elle-même, objet gratuit, lisse et mensonger.

Rarement une œuvre n’a provoqué autant de discussions, de forums, d’interprétations que celle-ci : Lynch qui, dans ses entretiens, son site Internet (payant) et ses aventureuses expériences musicales (un album et une tournée française en 2003) sait soigner, comme la plus charismatique des rock-stars, sa légende d’auteur perfectionniste et baroque, redonne au cinéma sa fonction de dépaysement mental sans jamais sombrer dans le sensationnalisme. Cette position singulière le fait entrer de plain-pied dans la tradition des grands auteurs du cinéma américain qui, de Hitchcock à  Scorsese, ont toujours su allier la recherche esthétique et le cinéma populaire.

Filmographie

  • 1966 Six Figures Getting Sick (cm)
  • 1968 The Alphabet (cm)
  • 1970 The Grandmother (cm)
  • 1974 The Amputee
  • 1977 Labyrinth Man (Eraserhead)
  • 1980 Elephant Man (The Elephant Man)
  • 1984 Dune (id)
  • 1986 Blue Velvet (id)
  • 1988 Le cow-boy et le frenchman (The Cowboy and the Frenchman) (cm TV, dans la série Les français vus par...)
  • 1990 Mystères à Twin Peaks, Qui a tué Laura Palmer ? (Twin Peaks, pilote de la série tv)
  • 1990 Twin Peaks (série tv en 29 épisodes ; Lynch co-producteur, co-créateur Mark Frost, réalisateur des épisodes 1, 2, 8, 9, 14, 29)
  • 1990 Sailor et Lula (Wild at Heart)
  • 1990 American Chronicles (série tv)
  • 1990 Industrial Symphony n° 1 : The Dream of the Broken Hearted (tv)
  • 1992 Twin Peaks (Twin Peaks : Fire Walk with Me)
  • 1992 On the Air (série tv en 7 épisodes, co-produit, co-créée avec Mark Frost ; réalisation de l'épisode 1)
  • 1993 Hotel Room (série tv en 3 épisodes, co-créée avec Monty Montgomey, réalisation des épisodes 1 et 3)
  • 1995 Lumière et compagnie
  • 1997 Lost Highway (id)
  • 1999 Une histoire vraie (The Straight Story)
  • 2001 Mulholland Drive (id)
  • 2002 Darkened Room (cm)
  • 2007 Inland Empire
  • 2007 Chacun son cinéma (épisode : absurda)Mise à jour le 14 mai 2009

Outils

  • Bibliographie
    David Lynch, Chion Michel, Cahiers du cinéma, 1998 (dernière édition)
    (ouvrage rempli d'informations mais relativement superficiel quant à ses analyses esthétiques).
    Le purgatoire des sens, Lost Highway de David Lynch, Astic, Guy, Dreamland, 2000
    (brillant essai qui, autour du film, propose une véritable réflexion sur l'esthétique contemporaine).
    Eclipses spécial Lynch, Collectif, revue 2002
    (somme passionnante d'articles sur divers aspects de l'œuvre).
    Lynchland 1 : périgrinations autour de Lynch, Kermarec Roland, Objectif Cinéma (collection "Lynchland"), 2004.
    L'invention du rêveur : à propos de Mulholland Drive, Katzarov Georgy, Inventaire (coll "Ellipses"), 2004.
    Twin Peaks : les laboratoires de David Lynch, Astic Guy, Rouge profond (coll. : "Raccords").
  • Webographie
    David Lynch,
    (site officiel payant, anglais).
  • Films
    dans le catalogue Images de la cultureDavid Lynch de Guy Girard.