Biographie
(1903-1963)
Né le 12 décembre 1903 à Tokyo d’une famille de commerçants (marchand d’engrais), Yasujiro Ozu passe son enfance à Matsusaka, près de la grande ville de Nagoya où il découvre le cinéma à travers les films occidentaux comme Quo Vadis ? (E. Guazzoni, 1912), Civilisation (Thomas Harper Ince, 1916), ou ceux de David Wark Griffith, Chaplin, F. W. Murnau, Josef von Sternberg et surtout Ernst Lubitsch, ainsi que les films d’acteurs et s’actrices comme William S. Hart, Pearl White, Lilian Gish.
Une des premières » stars » du cinéma japonais, Matsunosuke Onoe, déclencha son intérêt pour le cinéma, mais il pouvait à peine se souvenir de trois films japonais à l’âge de vingt ans. Pendant la Seconde Guerre mondiale, il put voir Citizen Kane (O. Welles), le film qui l’impressionna le plus, Les Raisins de la colère, Stagecoach, Qu’elle était verte ma vallée, La Route du tabac (J. Ford), Rebecca (A. Hitchcock), Le Grand Passage (K. Vidor) et les films de William Wyler qui enthousiasmait alors une part de la critique française. Se justifie ainsi pleinement le jugement du critique américain David Bordwell qui fait d’Ozu » le plus cinéphile des grands cinéastes avant la Nouvelle Vague « , alors qu’il est considéré dans son pays comme » le plus japonais des cinéastes japonais « . C’est oublier que Yasujiro Ozu est né dans la trentième année de l’ère Meiji, période d’ouverture et de modernisation du Japon, et que la jeunesse intellectuelle japonaise trouve cette modernité en particulier dans la culture occidentale.
Après avoir échoué à l’examen d’entrée à l’école de commerce de Kobé, Ozu entre en 1923, contre la volonté de son père mais sur la recommandation d’un oncle compréhensif, à la toute jeune compagnie Shochiku à Tokyo. Il choisit de travailler particulièrement avec Tadamoto Ookubo, réalisateur prolifique spécialisé dans les comédies de » non sense » inspirées par le burlesque américain. Nous connaissons peu en France une grande part de l’œuvre muette d’Ozu, en majeure partie disparue, et négligeons l’aspect burlesque de son cinéma. Burlesque et tragique, dérision et componction, vivacité et hiératisme, trivialité et spiritualité sont toujours pour Ozu les deux faces d’un même phénomène ; et la trivialité, souvent au cœur des situations les plus tragiques.
Ozu débute dans un genre tenu pour plus facile, en 1927, avec un film historique, que la taxinomie du cinéma japonais qualifie de » jidai-geki » (film historique portant sur une période antérieure à l’ère Meiji), Le Sabre de pénitence. Il y rencontre celui qui sera son principal scénariste, Kogo Noda. La section des » jidai-geki » transférée à Kyoto, Ozu préfère rester à Tokyo (et près de sa mère), Il devient un spécialiste du » gendai-geki » (films dont le sujet concerne la période contemporaine), et surtout du » shomin-geki « , mettant en scène le » petit peuple « , particulièrement l’univers des employés de bureau.
à partir de ce moment, la vie de Yasojiru Ozu se confond avec son œuvre. Seule la mort de son père en 1934 semble jouer un rôle affectif, mais celui-ci travailla longtemps dans la lointaine capitale qu’Ozu n’a rejoint qu’en 1923. Il vécut essentiellement auprès de sa mère jusqu’à la mort de celle-ci en 1962. On ne lui conna’eet aucune relation féminine, malgré une brève liaison avec une geisha et une demande en mariage adressée à une actrice… Il travaillera par ailleurs pratiquement toute sa vie (à l’exception de trois films dans sa dernière période) pour le même studio, l’idée de changer d’employeur ne l’ayant apparemment jamais effleuré. Sa seule caractéristique, d’ailleurs partagée par son scénariste Noda, est un net penchant pour l’alcool. En date du dernier jour d’écriture du scénario de Voyage à Tokyo, son journal porte cette mention : » Terminé. 103 jours ; 43 bouteilles de saké. »
Après avoir été un réalisateur de comédies diverses, surtout burlesques, c’est à la fin des années 20 qu’il peut tourner des films qu’il considère comme plus personnels (J’ai été diplômé, mais… et La Vie d’un employé de bureau), plus proche de ses aspirations et du » shomin-geki « , face sombre de ses comédies antérieures.
La crise économique mondiale lui permet, avec son scénariste Noda, de pousser dans ce sens avec des films tels que Le Choeur de Tokyo (1931) et Gosses de Tokyo (1931), descriptions ironiques de situations pénibles (chômage, soumission au patron). C’est à cette période que se systématise une des caractéristiques stylistiques du cinéma d’Ozu, la position basse de la caméra ( » à hauteur de tatami « , a-t-on coutume de dire).
Après avoir longtemps résisté au cinéma parlant, Ozu réalise Un fils unique (1936), un de ses films les plus sombres : incompréhension totale entre une mère et son fils. Son œuvre se teinte de plus en plus de cette tonalité connue dans la tradition culturelle japonaise comme le » mono no aware « , issu du bouddhisme zen, qui signifie à la fois la célébration et le renoncement aux choses du monde, une sorte de sentiment de tristesse sereine. Après un séjour de deux ans à l’armée en Chine, sous là¯fet de la censure, Ozu réalise des films conformes à l’idéologie d’unité nationale sans glisser dans la propagande, comme Il était un père.(1942). Après la guerre et six années d’inactivité, c’est, après 1949, avec des films comme Printemps tardif (1949) ou àté précoce (1951) qu’il retrouve sa notoriété et son scénariste Noda. Il devient alors un cinéaste confirmé dans son pays et couvert de prix. Il est en 1959 le premier réalisateur de films à entrer à l’Académie Nationale des Beaux-Arts. Cette situation lui vaut alors d’être considéré par la jeune génération du cinéma japonais comme un cinéaste académique, conformiste et réactionnaire.
Au début de l’année 1963, quelques mois après avoir terminé son cinquante-troisième film, Le Goà»t du saké, Yasujiro Ozu ressent les premières attaques d’un cancer du poumon qui l’emportera le 12 décembre, jour de son soixantième anniversaire. Sur sa tombe figure simplement le caractère japonais » mu « , que l’on peut traduire par » vide « , » vacuité » ou » néant « .
Filmographie
Mise à jour le 19 mai 2009
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dans le catalogue Images de la culture
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Le Cinéma, une histoire de plans de Alain Bergala
Métro Lumière - Hou Hsiao-hsien à la rencontre de Yasujiro Ozu de Harold Manning