Biographie
Bertrand Tavernier est né à Lyon le 25 avril 1941. Son père est l’écrivain René Tavernier, fondateur, sous l’occupation, de la revue Confluences, qui publie Aragon, Elsa Triolet, Éluard, Michaux, Giraudoux, Georges Sadoul… Cinq ans pensionnaire au collège oratorien de Pontoise, le jeune Tavernier se passionne pour le cinéma dès l’âge de douze ans, collectionne les photos et les génériques de films, fréquente les salles de quartier, décide à quatorze qu’il sera cinéaste. Au lycée Henri IV, il a un condisciple aussi cinéphile que lui, Volker Schlöndorf.
Cinéaste, mais toujours cinéphile
Après propédeutique, il s’inscrit en droit, mais fréquente surtout la salle de la Cinémathèque Française de la rue d’Ulm. En 1961, il fonde avec quelques amis le ciné-club Nickel Odeon, dont les présidents d’honneur symboliques sont King Vidor et Delmer Daves. Parallèlement, depuis 1960, Bertrand Tavernier développe une grande activité critique et collabore, en un temps où règne une guerre des revues impitoyable et souvent sectaire, aux journaux les plus opposés : Télérama, Cinéma 60, Positif, les Cahiers du cinéma ou Présence du cinéma (ainsi qu’à Combat, aux Lettres Françaises’85). Il défend aussi bien le » cinéma-bis » (péplums, films de cape et d’épée, mélodrames de Cottafavi, Riccardo Freda, Hugo Fregonese’85), des cinéastes de série B négligés (Delmer Daves, Robert Parrish, Budd Boetticher, Edgar G. Ulmer, Jacques Tourneur’85), des auteurs reconnus (Ford, Walsh’85) que des cinéastes qu’il faut alors encore imposer de haute lutte, comme Joseph Losey ou le Fritz Lang américain. Il s’attache tout particulièrement aux cinéastes et scénaristes victimes du Maccarthysme, comme Dalton Trumbo, Abraham Polonski ou Herbert Biberman.
Parce qu’il a interviewé Jean-Pierre Melville (et Claude Sautet) pour une éphémère revue étudiante, il est son assistant sur Léon Morin, prêtre. Melville le recommande à Georges de Beauregard, un des principaux producteurs de la Nouvelle Vague, qui le prend comme attaché de presse. Beauregard lui permet aussi de réaliser deux sketches en 1962 et 1963, le Baiser de Judas et le Jeu de la chance, mais lui-même ne s’estime pas mûr pour exprimer un propos personnel et poursuit une carrière d’attaché de presse indépendant en équipe avec Pierre Rissient, jusqu’en 1972, ne faisant la promotion que de films qu’ils aiment, de Claude Sautet à Med Hondo, de John Ford à Herbert Biberman ou Dalton Trumbo, sans oublier Joseph Losey ou Samuel Fuller. Cette même passion qui l’amène à écrire en 1961 avec Jean-Pierre Coursodon et Yves Boisset Vingt ans de cinéma américain, ouvrage de référence plusieurs fois réédité. Président de l’Institut Lumière à Lyon, dirigé par Bernard Chardère (fondateur de Positif), il participe à l’édition, avec Thierry Frémaux, d’une collection de livres de cinéma co-éditée par l’Institut Lumière et Actes-Sud. Président de la Société des Réalisateurs de Films ou vice-président de la Société des Auteurs et Compositeurs Dramatiques, il lutte pour le droit d’auteur, le droit du cinéaste sur l’intégrité de son œuvre et contre la colorisation des films ou les coupes publicitaires à la télévision. Il a fondé en 1972 sa maison de production » Teddy Bear « , qui, outre ses propres films, a produit ou co-produit des films de Vittorio Cottafavi et Riccardo Freda, ainsi que la Question et les Mois d’avril sont meurtriers, de son ancien assistant Laurent Heynemann, la Trace, de Bernard Favre, Veillée d’armes, de Marcel Oph’fcls…
Un traditionaliste moderne
On a très diversement qualifié l’œuvre de Bertrand Tavernier : cinéaste inclassable, cinéaste réaliste, cinéaste de l’émotion, traditionaliste (voire académique) ou ennemi des conventions, cinématographiques comme morales et politiques… Il n’est aucun film de Tavernier qui n’ait été un défi, une gageure, que ce soit sur le plan du récit, du genre, de la façon d »order l’Histoire, le présent, les sentiments, la nostalgie, le pouvoir, les rapports de classe, la justice, la mort, la politique, les médias, la technique…
Les films historiques de Tavernier ne visent pas seulement à l’exploration du passé, mais l’utilisent pour parler des problèmes d’aujourd’hui. Que la fête commence (1975) décrit l’époque quelque peu décadente de la Régence, mais évoque aussi implicitement la décomposition morale de la société française sous la Ve République » libérale » de Giscard d’Estaing. De même, c’est moins l’aspect anecdotique de cet assassin qui parcourt la France à la fin du siècle denier, qui l’intéresse dans Le Juge et l’assassin, mais, outre une nouvelle histoire de deux hommes qui s’opposent et se fascinent à la fois, la mise en évidence des abus de pouvoir d’un juge, la peine de mort, la justice, les aberrations de la médecine, de la presse, de l’Église, qui renvoient nécessairement à la France de 1976.
Lorsqu’il adapte un roman noir de Jim Thompson dans Coup de torchon (1981), il ne l’actualise pas comme l’auraient fait nombre de cinéastes, mais le situe dans l’Afrique coloniale des années 1930, évoquant ainsi à la fois le passé colonial si longtemps ignoré par le cinéma français et une période de transition où sïfondrent les idéaux des » civilisateurs « . Colonisation ici, croisades du XIVe siècle dans La Passion Béatrice (1987), font échos à la crise de civilisation et la fameuse » faillite des idéologies » des années 80.
Guerre, violence et civilisation
La guerre est un thème obsédant dans le cinéma de Tavernier. Il retrace moins les péripéties spectaculaires que les conséquences ou les absurdités. Le documentaire La Guerre sans nom (1992) décrit une » guerre » longtemps occultée – pas seulement au cinéma -, la Guerre d’Algérie, du point de vue des appelés. Dans La Vie et rien d’autre (1989), Tavernier prend la Grande Guerre deux ans après l’armistice, pour évoquer les millions de pertes humaines et surtout les traces que ce cataclysme a laissé dans les esprits et les sensibilités. C’est encore en marge de cette guerre, que Capitaine Conan (1996) dessine les portraits de deux victimes de cette barbarie, dans les Balkans après l’armistice : celui que la peur élimine de l’espace social et celui qui ne peut envisager la vie autrement que comme une guerre sans fin.
La violence contemporaine est l’objet de deux films. L. 627 (1992) décrit avec une précision quasi documentaire la vie d’une brigade de police et les moyens dérisoires dont dispose le héros pour lutter contre le trafic de drogue. Inspiré d’un fait divers sanglant, l’Appât (1995) choisit le point de vue de jeunes voleurs et assassins qu’aucune valeur morale nïfleure plus, fascinés par la violence abstraite et la réussite facile que diffuse un certain cinéma, surtout américain.
Ce souci de la culture et de la civilisation a amené Tavernier à proposer des personnages d’enseignants. Si la professeur de collège prise de doute devant la passivité et le refus de ses élèves d’Une semaine de vacances (1980) aborde pour la première fois à l’écran la crise de l’enseignement, l’instituteur de ‘c7a commence aujourd’hui (1999) déploie une énergie tous azimuts pour déboucher sur une vision volontairement utopique d’une école réconciliant enfants, enseignants, parents et voisins… Réalisé en partie avec son fils Niels Tavernier, le documentaire De l’autre côté du périph’ (1998) proposait déjà de son côté une description plus rose que les reportages télévisés habituels des relations des habitants d’une cité réputée » difficile » de la banlieue parisienne (les Grands Pêchers à Montreuil). Un certain schématisme marque souvent lkes films contemporains et quelque peu militants de Bertrand Tavernier, comme Des enfants gâtés (1977), où une association de locataires est en conflit avec des promoteurs immobiliers.
On peut leur préférer le Tavernier tendre et quelque peu nostalgique d’Un dimanche à la campagne (1984) et de Daddy Nostalgie (1990), centrés sur la famille et les retrouvailles d’un père avec sa fille, films pudiques, sensibles, d’une grande beauté plastique, surtout pour le premier, dont le héros est un peintre en marge de l’impressionnisme.
Filmographie
- 1963 Le Baiser de Judas; court métrage, sketch du film Les Baisers. Autres réalisateurs : Bernard Toublanc-Michel, Jean-François Hauduroy, Claude Berri, Charles Bitsch
- 1964 Le Jeu de la chance, court métrage, sketch du film La Chance et l'amour. Autres réalisateurs : Éric Schlumberger, Charles Bitsch, Claude Berri
- 1973 L'Horloger de Saint-Paul
- 1975 Que la fête commence
- 1976 Le Juge et l'assassin
- 1977 Des enfants gâtés
- 1979 La Mort en direct
- 1980 Une semaine de vacances
- 1981 Coup de torchon
- 1982 Philippe Soupault (doc.)
- 1983 Mississipi Blues
- 1983 Ciné citron (doc)
- 1983 La Huitième génération (doc)
- 1984 Un dimanche à la campagne
- 1986 Autour de minuit
- 1987 La Passion Béatrice
- 1988 Lyon, regard intérieur (doc.)
- 1989 La Vie et rien d'autre
- 1990 Daddy Nostalgie
- 1991 Contre l'oubli : Aung San Suu Kyi (Myanmar)Court métrage (Amnesty International)
- 1992 Guerre sans nom (doc.)
L. 627 - 1994 La Fille de d'Artagnan
- 1995 L'Appât
- 1996 Capitaine Conan
- 1997 La Lettre (TV)
- 1998 De l'autre côté du périph' (TV)
- 1999 Ça commence aujourd'hui
- 2000 Histoires de vies brisées: les 'double peine' de Lyon
- 2001 Les enfants de Thiès (TV)
- 2002 Laissez-passer
- 2004 Holy Lola
- 2008 Dans la brume électrique
- 2010 La princesse de Montpensier
- 2012 Quai d'Orsay
Mise à jour le27 octobre 2014