Biographie
(1896-1954)
Dziga Vertov de son vrai nom Denis Arkadievitch Kaufman, est né à Bialystok (partie polonaise de la Russie tsariste) le 2 janvier 1896. Fils de libraires russes (il aura deux frères plus jeunes que lui : Mikhaà¯l et Boris. Ce dernier sera l' »opérateur image » de Jean Vigo pour A propos de Nice en 1930), il écrit ses premiers poèmes au lycée, suit des cours de musique au conservatoire et très tôt (1915-1916), se revendique du futurisme. Ce mouvement littéraire et artistique du début du XXe siècle, qui rejette la tradition esthétique et exalte le monde moderne, en particulier la civilisation urbaine, les machines et la vitesse lui inspire la prise du pseudonyme de Dziga Vertov (qui signifie en ukrainien » Toupie qui tourne « ), pseudonyme qu’il adoptera et gardera officiellement tout au long de son existence.
Il étudie la médecine à Saint-Pétersbourg.
Très jeune, Dziga Vertov se passionne pour la musique et pour le montage de notes sténographiques, d’enregistrements pour gramophones. Tout particulièrement, il recherche les possibilités d’enregistrement de sons documentaires et note au moyen de mots, de lettres, le fracas d’une cascade, les sons d’une scierie, de machines diverses… En 1916, il crée son » laboratoire de l’ouà¯e « . Puis, ce sont les années d’apprentissage de celui dont l’ambition première est de » devenir un ciné-écrivain des actualités « .
En 1918, il rejoint la Révolution. Il est engagé par le Comité du cinéma de Moscou comme secrétaire et devient rédacteur en chef (jusqu’à la fin de 1919) du Kinonedelija (Ciné-Semaine, le premier journal d’actualités cinématographiques soviétique). Il organise le travail des opérateurs sur les fronts de la guerre civile et monte leurs matériaux. Entre 1920 et 1922, il réalise plusieurs documentaires militants, voyage avec les trains de propagande (Révolution d’Octobre) et Lénine et dirige le Ciné-Calendrier de l’Etat, magazine filmé qui comptera 55 numéros (1923 – 1925).
Sur le front du Sud-ouest et à chaque arrêt projette son film L’Anniversaire de la Révolution (montage de ses films d’actualité) ; en même temps il filme le voyage. Il réalisera des documentaires sur divers sujets (procès, guerre civile, voyages). » C’est un chasseur. Un chasseur de ciné-séquences. De séquences de vérité. C’est un éclaireur. Un observateur. Et aussi un poète. Il fond les parcelles de vérité réelle en chants de vérité. » (Extrait du Journal de Dziga Vertov).
Participant lui-même aux prises de vues, il fonde le Kino-Pravda (1922-1925), magazine de reportage dont le titre doit être traduit par » Ciné-Pravda » plutôt que par » Cinéma-Vérité « .
» Un film consacré à l’anniversaire de la Révolution d’octobre fut le point de départ de ma nouvelle activité à la Kino-pravda. La Kino-pravda est faite avec le matériau comme la maison est faite de briques. C’est de la manière dont nous allons laisser la vie pénétrer dans l’objectif que dépendent la qualité technique, la valeur sociale et historique du matériau et ultérieurement la qualité de tout film. Mes contempteurs ne pouvaient se passer, par la force de la tradition, de textes de liaison entre les sujets. » (Conférence des Kinoks, 9 juin 1924).
A la fin de 1922, Dziga Vertov constitue, avec son frère Mikhaà¯l Kaufman et sa femme Elizavieta Vertova-Svilova (1900-1975), le » Conseil des Trois « , qui lance, à destination des cinéastes soviétiques, non sans outrance provocatrice, proclamations, résolutions et ordres du jour, un » Appel au commencement » qui sera publié dans LEF, la revue des futuristes-communistes (dirigée par Vladimir Maà¯akovski). Vertov y rédige son manifeste théorique Kinoki. Naît ainsi le groupe des » Kinoki » ( » Ciné-Yeux) » ou adeptes du » Ciné-oeil » (Kino-Glaz), dont le premier film La Vie à l’improviste (59 min.), est réalisé en 1924.
[La Vie à l’improviste montre des scènes de la vie de tous les jours, tantôt au village tantôt en ville. Des paysans en état d’ébriété chantent et dansent au son d’un accordéon tandis que des enfants, pionniers du village collent des affiches vantant les mérites des coopératives. Les pionniers Latichev et Kopchouchka vont en ville contrôler le marché. La mère de Kopchouchka après avoir constaté, chez le marchand privé, que la viande est trop chère, repart en reculant jusqu’à la coopérative. Puis on voit (toujours par inversion du sens de déroulement du film) des morceaux de boeuf à l’étalage retourner à l’abattoir et reconstituer le boeuf à la campagne. De même par marche arrière on part d’un pain chez le boulanger et on remonte jusqu’au champ de blé. Les komsomols de la ville arrivent à la campagne pour aider aux travaux des champs et à l’entretien des machines. Les travaux terminés, les jeunes gens repartent en ville et la caméra nous montre alors un asile d’aliénés puis des quartiers pauvres de la ville. Des pionniers distribuent des tracts contre le tabac et l’alcool.]
En 1924, il finalise le premier film d’animation soviétique (La Carte politique de l’Europe en dessins animés), débuté en 1922, suivi d’un autre, Les Jouets soviétiques (1924 ; 13 min.).
[Les Jouets soviétiques raconte le triomphe de l’alliance entre ouvriers et paysans symbolisée par deux personnages liés en Siamois qui enfoncent le ventre d’un bourgeois goinfre et avide pour lui extraire de l’argent.]
Dziga Vertov écrit de nombreux articles ( » Le ciné-oeil « , » Du ciné-oeil au radio-oeil « , etc.)
Les films de Dziga Vertov et ses théories du Ciné-oeil commencent à avoir de l’influence sur les cinéastes d’avant-garde européens (Hans Richter, Jean Lods, Jean Vigo – avec qui travaille son frère Boris Kaufman, etc.).
En 1926, il tourne Soviet en avant ! (55 min.)…
[L’objectif de ce film, commandé à Vertov par l’administration de Moscou, le Mossoviet, en vue des élections, était de montrer le travail du Mossoviet pour reconstruire la capitale : transports, établissements culturels, etc. Mais Vertov décide d’élargir le thème et de montrer comment le peuple russe, avec le parti communiste à sa tête, reconstruit l’économie et la culture du pays et de sa capitale. Il utilise pour cela des images d’archives. L’idée dominante du film est de comparer le présent du pays avec son passé et de montrer la lutte entre le nouveau régime et l’ancien. Vertov alterne des images d’usines reconstruites et en état de marche, de paysans affamés, de Lénine qui appelle les travailleurs à lutter contre la contre-révolution, ou encore de soldats de l’Armée Rouge. Une partie du film est consacrée au travail avec les enfants, à l’ouverture d’écoles, de crèches, de maternités dans les hôpitaux. Un autre épisode est consacré à l’aide aux invalides. Les images sont commentées par des intertitres, plus laconiques que dans les autres films de Vertov, et plus faciles à comprendre pour tout public.]
…ainsi que La Sixième partie du monde (53 min.).
[Le début de La Sixième partie du monde montre le monde du capitalisme et la situation difficile des ouvriers. Puis le spectateur voit comment vivent les différents peuples d’URSS. Le film montre les richesses du pays, qui appartiennent maintenant à tout le monde. Les revenus de l’Etat issus dde l’exportation des fourrures sont utilisées pour l’achat de machines pour les usines. L’ancien, dans l’économie et le quotidien des gens, laisse la place au renouvellement; les produits soviétiques sont vendus à l’étranger et le pays devient un état totalement indépendant des pays capitalistes avec une économie forte. Le film a été conçu comme un œuvre poétique et musicale rythmée, les thèmes qui se répètent en variations, les refrains.]
En 1928, il réalise La Onzième année (46 min.).
[Dziga Vertov consacre son film au onzième anniversaire de la révolution d’Octobre. L’idée du film est de montrer l’Union Soviétique dans sa transformation d’un pays économiquement faible en puissance industrielle. L’exemple pris par Vertov est la construction de la centrale hydroélectrique de Dniepr, qui devrait fournir l’énergie à l’Ukraine. En même temps Vertov inclut dans le film des images des grands chantiers industriels du pays.]
Dziga Vertov élabore alors » la ciné-écriture des faits » qu’il énonce, dans un même temps, dans une série de manifestes fracassants et provocateurs. Un » ciné-langage « , qui est aussi un contenu qui, lui-même, engendre une forme. A l’opposé de tout système littéraire ou théâtral, le fondement du cinéma, pour Dziga Vertov, est » la vie comme elle est « . Une matière irrévocable, à partir de laquelle le créateur construit son œuvre, en choisissant, en ordonnant. Une conception dont l’élément essentiel est le montage déterminé par une notion propre à Dziga Vertov, la notion d’intervalles. Elle exige que le film soit bâti, » sur le mouvement entre les images. Sur la corrélation visuelle des images les unes par rapport aux autres. Sur les transitions d’une impulsion visuelle à la suivante « . Plus que le mouvement, c’est la mise en rapport d’images proches ou lointaines, d’images écartelées, seules perceptibles à ce » ciné-oeil « , auquel Dziga Vertov confère le pouvoir d’un démiurge. » Je suis le ciné-oeil. Je suis l’oeil mécanique. Moi, machine, je vous montre le monde comme seule je peux le voir. Libéré de l’impératif des 16-17 images par seconde, libéré des cadres du temps et de l’espace, je juxtapose tous les points de l’univers où je les aie fixés. Ma voie mène à la création d’une perception neuve du monde… «
En 1927 et 1928, il écrit le scénario de L’Homme à la caméra.
En 1929 sort L’Homme à la caméra, film muet sans intertitres : un travail de montage, de mouvement et de rythme, où les effets (ralentis, accélérés, surimpression, découpage de l’écran…) ont toute leur place. Le film reprend le principe, en l’intégrant à un propos plus large (le » ciné-oeil » contre le » ciné-drame « ), de filmer une grande ville d’un matin au soir. C’est le dernier film que Dziga Vertov fait avec son frère (Mikhaà¯l), en raison des dissensions nées au sujet de ce travail. Le film est projeté à Paris, au Studio 28, en juillet 1929.
L’Homme à la caméra, est l’une de ses œuvres les plus audacieuses et les plus achevées. L’accueil fut réservé. La virtuosité de ce film, manifeste du » ciné-oeil « , qui en contient aussi la critique, lui vaut de sévères reproches. Difficile d’y lire » le déchiffrement communiste du monde réel « . » Broutilles formalistes et astuces gratuites de la caméra « , dira Eisenstein. En 2000, The Cinematic Orchestra compose une bande son pour ce film.
L’Homme à la caméra / Человек с киноаппаратом (1929) et Enthousiasme, la Symphonie du Donbass / Симфония Донбаса (1930) ont été tournés en Ukraine, respectivement à Odessa et dans le Donbass, ce qui incitera certains historiens du cinéma à citer le nom de Dziga Vertov dans leur histoire du cinéma ukrainien. L’étau stalinien se resserre, tout est sous contrôle, les artistes de l’avant-garde sont de plus en plus mal perçus. L’art se doit de se soumettre aux normes du réalisme socialiste. Maà¯akovski se suicide.
En 1931, Dziga Vertov et sa femme voyagent en Europe ; ils présentent L’Homme à la Caméra et Enthousiasme, la symphonie du Donbass (67 min.), documentaire sonore considéré comme l’un des tous premiers longs métrages soviétiques à utiliser le son. Charles Chaplin est admiratif devant le travail de sonorisation effectué sur ce dernier film.
[Premier film sonore de Dziga Vertov. Il s’agit d’un documentaire sur les mineurs du Donbass dans lequel Dziga Vertov fait un usage recherché et original des sons industriels. Charlie Chaplin a écrit à Dziga Vertov pour le féliciter et lui dire qu’il n’avait pas imaginé qu’on puisse obtenir un résultat aussi beau par usage de bruits d’usines. Chaplin a également dit qu’il considérait que c’était le meilleur film de l’année. Le film connut un très grand succès en Europe mais fut peu apprécié en Union Soviétique.]
» Formalisme « , » excentrisme « , les attaques se précisent. Il lui faudra attendre trois années, avec leur poids d’angoisse et d’espoirs déçus, avant de réaliser la » grande Kino-Pravda » : en 1934, Dziga Vertov réalise Trois chants sur Lénine (60 min.), film tourné à travers toute l’Union soviétique (jusqu’en Asie centrale). Cette célébration des 10 ans de la mort de Lénine est montée à partir de témoignages populaires et d’images d’archives.
[Dès 1934, avec Les Trois chants sur Lénine, Vertov avait, consciemment ou non, su prendre le tournant et amorcer le » culte de la personnalité » de Staline. L’hommage rendu à Lénine sentait lui-même quelque peu le soufre de l’idéalisme perdu, mais dix ans écoulés depuis la mort du premier chef de l’état soviétique diminuaient, du moins en apparence, l’aspect religieux, métaphysique de ce rituel commémoratif, combiné d’ailleurs avec d’admirables et bouleversantes images arrachées au réel vécu populaire. Le montage retenant les représentations de Staline (images lumineuses, etc.) signifiait bien à l’inverse que le culte du chef était entré dans la pratique active, dans la politique délibérée de l’Union des Républiques Socialistes Soviétiques. Et, sous l’autorité politique, morale (ou amorale) du chef en question. » [in Albert Cervoni, Le Cinéma russe et soviétique, Coéditions Centre Georges Pompidou/L’Equerre, Collection Cinéma/Pluriel, Paris, 1982].
Dziga Vertov continue de tourner, principalement des actualités au service du régime. C’est ainsi qu’entre 1947 et 1954, il tourne 32 numéros du ciné-journal Les Nouvelles du jour.
Il meurt le 12 février 1954, à Moscou, d’un cancer de la gorge.
Ce texte est la synthèse d’informations glanées sur :
http://www.premiere.fr/Star/Dziga-VERTOV ;
http://www.cineclubdecaen.com/materiel/ctfilms.htm;
http://fr.wikipedia.org/wiki/Dziga_Vertov.
Filmographie
* Ne sont pas mentionnés certains filmés montés par le cinéaste, ainsi que ceux qui n'ont pas été terminés.
Mise à jour le 26 août 2009
Outils
Ouvrages
- Annette Michelson, Dziga Vertov, kino eye: the writings of Dziga Vertov, Editions Annette Michelson, Berkeley Editions, 1984.
- Dziga Vertov, Articles, journaux, projets. Editions Christian Bourgeois, Collection 10/18, Paris, 1972.
- Nikolaï Pavlovitch Abramov, Dziga Vertov, Editions de l'Académie des Sciences, Moscou, 1962. [L'essentiel de cet ouvrage est proposé dans la revue Premier Plan n° 35, janvier 1965 - textes traduits et adapté par Bathélémy Amengual].
- Jean-Pierre Esquénazi (s/d), Vertov. L'invention du réel !, Editions L'Harmattan, Collection « Champs visuels », Paris, 1997.
- Georges Sadoul, Dziga Vertov, Editions Champ Libres, 1971.
- Jacques Aumont, Alain Bergala, Michel Marie et Marc Vernet, Esthétique du film, Editions Armand Colin, Collection Cinéma, Paris, 2008 (3e éd.).
- Guy Gauthier, Le Documentaire, un autre cinéma, Editions Armand Colin, Collection « fac. Cinéma », Paris, 2008 (3e éd.).
- Laurent Gervereau, Voir, comprendre, analyser les images, Editions La Découverte, Collection Guide repères, Paris, 2004 (4e éd.).
- Raphaël Muller et Thomas Wieder, Cinéma et régimes autoritaires au XXe siècle, Editions Presses Universitaires de France (P.U.F.), Collection Les rencontres de Normale Sup', Paris, 2008.
Internet
Ciné-club de Caen : fiche du cinéaste
Revue Manifeste : biographie du cinéaste
Revue Première : biographie du cinéaste
Wikipédia : biographie du cinéaste
« La machine de guerre du Ciné-Oeil et le mouvement des Kinoks lancés contre le Spectacle », par Maurizio Lazzarato