Synopsis
Il était écrivain. Il pensait écrire de la science-fiction, mais il écrivait sur le passé. Dans son roman, un mystérieux train partait de temps en temps pour 2046. Tous ceux qui allaient là-bas étaient mus par la même intention, retrouver leurs souvenirs perdus. Certains affirmaient qu’en 2046 les choses étaient immuables. Personne ne pouvait en être sûr. En tout cas, nul n’en était jamais revenu. Sauf lui. Il voulait changer.
Générique
Titre original : 2046
Réalisation : Wong Kar-wai
Scénario : Wong Kar-wai
Image Christopher Doyle, Lai Yiu-fai, Kwan Pun-leung
Son : Claude Letessier, Tu Duu-chih
Musique : Peer Raben, Shigeru Umebayashi
Décor : William Chang Suk-Ping
Montage : William Chang Suk-Ping
Production : Paradis Films, Orly Films, Block 2 Pictures, Shanghai Film Group avec Eric Heumann, Ren Zhonglun, Zhu Yongde
Distribution : Ocean Films
Sortie en France : 20 octobre 2004
Couleur
Durée : 2 h 05
Interprétation
Tony Leung Chiu-wai / Chow Mo-wan
Gong Li / Su Li-zhen
Kimura Takuya / Tak
Faye Wong / Wang Jing-wen / wjw1967
Zhang Ziyi / Bai Ling
Carina Lau Ka-ling / Lulu / Mimi
Chang Chen / cc1966
Wang Sum / M. Wang, le chef de train
Siu Ping-Iam / Ah Ping
et la participation de Maggie Cheung , Tchongchai et de Dong Jie
Autour du film
La longue route qui nous aura mené vers ce 2046, de péripéties en effets d’annonce ineptes (la traditionnelle frigidité des réactions cannoises), n’aura pas été vaine : arrivé à bon port, aujourd’hui en salles, le plus beau film de l’année scintille déjà paisiblement. En son centre, sans surprise, le diamant In the mood for love, qui semble battre comme une sorte de cœur enfui. La vraie surprise ? Que l’idée d’un engluement du cinéaste dans son précédent film soit si radicalement invalidée par 2046. Il y a là, au contraire, une forme d’éloignement qui, dans son mouvement de deuil vis-à-vis du premier film, renverse complètement la donne : à l’intensité d’In the mood for love, lave en ébullition, 2046 oppose une froideur diffuse et flottante que les résidus apparemment intacts de son prédécesseur peinent à dissimuler -voile désuet des décors, repris au motif prêt, musiques vieillottes ou chatoyantes, absence fantomatique des valses et fragrances tourbillonnantes de Michael Galasso. Wong est passé de l’autre côté du miroir : d’un instantané du désir amoureux à une vision en retrait, ballade peuplée de spectres et d’androïdes sublimes et glaciales.
L’intrigue, loin du charivari démodulé annoncé, est une cathédrale à l’incroyable précision. Suivant le désir vagabond de Chow, le film se divise en trois grandes parties : passions diverses, charnelle, cérébrale ou romantique, sur lesquelles planent divers fantômes et souvenirs qui tous trouvent refuge dans un espace-temps inconnu -un mystérieux voyage en train prenant le nom de 2046. Le labyrinthe apparent s’ouvre vite en ligne droite cristalline. Trappes de velours, chambres closes, boîtes à fantasmes multicolores, arrêts et relance du mouvement, de désirs rentrés en étreintes, apparaissent comme autant de paliers faussement décisifs franchis par petits bonds ou enchâssements gracieux. Chow apparaît ainsi toujours au-dessus des événements (les ruptures sans un dernier regard), serein sous la gravité des deuils amoureux successifs, comme travaillé en creux par un mal si profond qu’il empêche le film d’adhérer complètement à ses diverses strates, avançant sans se retourner, comme trop pressé de perdre ailleurs un peu du temps qu’il lui reste. La profondeur est partout -chaque histoire s’imprime avec force en à peine quelques séquences-, mais elle s’évanouit en une multitude d’effets de distanciation : roman dont Chow tisse les multiples fils, discrètes trouées comiques ou triviales, design artificiel et futuriste de 2046.
Le flux compact de passion d’In the mood for love trouvait en deux lieux l’occasion de briser le fil du récit : couloirs étroits de l’auberge où le moindre frôlement recelait une intensité foudroyante ; décor grandiose d’Angkor où le film parvenait in fine à exploser dans un espace à la mesure de ses circulations souterraines. Dans 2046, au contraire, les couloirs de l’hôtel s’évident tristement, lieu de regards cachés et de bruits entendus à distance, de mesquineries et d’affronts, de jalousies et de craintes. Le train de 2046 est quand à lui le symétrique inverse des beautés à ciel ouvert d’Angkor : non plus un espace où se libérer de la charge des passions, mais celui où s’y perdre à jamais comme en une inquiétante toile d’araignée. Trois plans s’extraient alors de l’ensemble, scènes répétées, en noir et blanc et silence assourdissant, qui montrent Chow à l’arrière d’un taxi endormi sur l’épaule de chacune de ses conquêtes. Le gouffre qui semble alors séparer Chow de chacune d’entre elles (lui ivre ou assoupi, elles étonnamment absentes) révèle peut-être la clé de 2046 : à jamais post-In the mood for love, dans une consommation mécanique et désenchantée de la passion (le petit commerce ludique entre Chow et Bai-Ling, les androïdes à émotions différées). Le diamant In the mood for love s’est cassé, et avec lui tout effet de sidération. Qu’importe : ses morceaux éparpillés, comme autant de petites bombes à retardement, ouvrent un abîme dont la tristesse et la beauté n’ont pas fini de nous hanter.
Vincent Malausa / Chronicart 20 octobre 2004
Rares sont les films à provoquer une impression physique aussi manifeste : frisson jubilatoire, intense sourire intérieur, heureuse empathie avec la beauté à l’œuvre sur l’écran. En vrac et en majesté, l’apprentissage du japonais par une jeune femme (adorable Faye Wong), saisi à travers un élégant jeu de jambes. L’érotisme juvénile, et moqueur, d’une amoureuse courtisane (Zhang Ziyi, dont le visage de porcelaine s’anime enfin). Des corps, des visages, des étoffes. Plus obstinément, la fine moustache désabusée de M. Chow, ce viveur triste, traversant les couloirs de l’Oriental Hotel au milieu des années 1960, les salles de restaurant enfumées, les ruelles pluvieuses.
Wong Kar-wai a l’art de filmer comme aucun autre un Hongkong stylisé et chatoyant, une certaine idée de l’Orient et du désir. Il manie en maître les couleurs du songe ou du souvenir (ici ocre et émeraude), et jamais ce maniérisme ne fait obstacle à l’ivresse des yeux – et des oreilles, le cinéaste n’étant pas sourd aux BO. langoureuses. Il explore avec entêtement son sujet de prédilection, le temps qui passe et les amours qui filent. On le sait depuis In the mood for love, dont 2046 est… quoi, au juste ? la suite officieuse ? le dérivé officiel ? la version « upgradée », comme on dit d’un logiciel qu’il est « mis à jour » ? Peu importe, puisque le spleen enjoué de son héros, ce paumé magnifique, est à jamais, par ricochet, le nôtre.
Aurélien Ferenczi / Télérama 25 avril 2009
Outils
Bibliographie
2046 dossier Lycéens au cinéma, CNC à télécharger
2046 de Wong Kar-wai, collection 128, Armand Colin
Wong Kar Wai, par Yann Tobin, Positif, Broché, 2008
Wong Kar-Wai, de Thierry Jousse, Broché, 2006
Wong Kar-wai, la modernité d'un cinéaste asiatique, par Bamchade Pourvali, Broché, 2007
Cahier des Ailes du Désir 15 :
Analyse de 2046 de Wong Kar Wai:
- Wong Kar Wai, thèmes et obsessions - Bamchade Pourvali
- 2046 Déroutes - Gilles Tinayres
- " Les existences qui ne sont pas ensemble" De la coïncidence au décalage de In the mood for love - Clara Charak
- "Pars avec moi" Histoire d'une structure - Anne Mortal
- Sous le cadre il y a encore une image - Patrick Perrotte
- Analyse de séquence plurielle de 2046 : chapitre 5 du DVD - Jacques Lubzanski, Suzanne Dena, Isabelle Breil-Boin