Ali Zaoua prince de la rue

France, Maroc (2001)

Genre : Drame

Écriture cinématographique : Fiction

Archives CAC, Collège au cinéma 2002-2003

Synopsis

Parti vivre dans les rues de Casablanca parce que, dit-il, sa mère voulait vendre ses yeux, Ali Zaoua, 15 ans, rêve de devenir marin et de rejoindre son “île aux deux soleils’€. Malheureusement, l’adolescent est tué au cours d’un affrontement avec la bande de Dib. Ses trois camarades, Kwita, Omar et Boubker, qui avaient également rompu avec Dib pour aller vivre avec lui sur le port décident alors de l’enterrer dignement.

Après avoir transporté le corps de leur ami jusqu’à  leur repaire et l’avoir caché dans un trou, chacun essaie à  sa manière de réunir les conditions nécessaires aux funérailles. Kwita vole le portefeuille d’une lycéenne dont il tombe amoureux et tente de trouver un cimetière. Omar fait la connaissance de Mme Zaoua, la mère d’Ali, qui le renvoie de chez elle quand elle découvre qu’il lui a dérobé de l’argent.

Par ailleurs, les difficultés s’amoncellent. Les trois gamins sont harcelés par Dib (et sa bande) qui viole le petit Boubker. L’argent, déjà  insuffisant, est dilapidé par Omar et Boubker qui préfèrent acheter de la colle et “sniffer”. Enfin, un sardinier du nom d’Hamid fait montre d’un peu trop d’inquiétude quant à  la disparition de celui qui devait bientôt embarquer comme mousse sur son bateau.

Cependant, Kwita redouble d’efforts : il déniche une civière pour en faire un “mahmel’€ et tente d’acheter un uniforme de matelot pour Ali. Il ira même courageusement reprendre ses amis Omar et Boubker ainsi que la précieuse boussole d’Ali des mains de Dib.

Pendant ce temps, Omar se rapproche de Mme Zaoua qui le traite comme son propre fils puis le rejette à  l’annonce de la mort d’Ali. Mais le temps presse. Le corps d’Ali menace de se décomposer. Heureusement, Hamid le pêcheur décide de venir en aide aux trois gamins : il commence par fabriquer un cercueil avec Kwita, puis déplace le corps du défunt pour le protéger.

L’heure des obsèques arrive enfin. Après avoir retrouvé Mme Zaoua pour la conduire une dernière fois auprès de son fils, les trois gamins embarquent avec Hamid pour “l’île aux deux soleils’€, l’ultime demeure d’Ali.

Distribution

Kwita



Confident d’Ali, il devient le récipiendaire de la boussole qui l’aide symboliquement à s’orienter dans l’itinéraire moral à emprunter. Son sens pratique le pousse rapidement à essayer de trouver une sépulture pour son ami défunt. Chef par défaut du trio, il fait preuve de lâcheté (fuites fréquentes) et ne remplit pas sa fonction protectrice quand Dib viole Boubker. Il est parallèlement préoccupé par ses premiers émois sensuels. Aussi est-il celui dont la psychologie est la plus propice à évoluer. Au contact d’Hamid, il fait preuve de responsabilité et mène sa mission à terme en fabriquant avec lui l’embarcation-cercueil d’Ali. Il acquiert aussi une certaine assurance qui lui permet d’affronter Dib et de le battre. Enfin, sous les effets ou non de la colle qu’il sniffe, il est sujet à des hallucinations oniriques prolongeant ainsi le rêve d’Ali qu’il fait peu à peu sien.



Omar



Âgé de 12 ans, il est le plus instable des trois gamins. Sa fascination mêlée de crainte pour Dib et sa bande l’amène à douter de la pertinence de leur départ pour le port à la suite d’Ali. Mais, Omar est surtout un écorché vif en quête d’une “mère” qu’il trouve en Mme Zaoua. Dès lors qu’elle le rejette ou qu’il se sent exclu du cercle de ses amis, il n’hésite pas à se venger (acte de revendication de son existence). Courageux naturellement, il conteste les décisions de Kwita, se bat avec lui, provoque la bande de Dib et vole au secours de Boubker pour éviter qu’il ne soit violé collectivement.



Boubker



Benjamin du trio des “chemkaras”, Boubker n’a que 8 ans. Comme Omar, il porte déjà sur le visage les stigmates d’une enfance douloureuse. Son jeune âge, sa petite taille et sa crédulité le rendent vulnérable aux assauts de Dib qui le viole. Malgré tout, il est de nature joyeuse. Amateur de football, il aime la musique, chante et danse. Analphabète comme tous les autres gosses des rues, on le voit apprendre une sourate (chapitre du Coran) pour les funérailles d’Ali envers qui il voue une franche admiration. Signe d’un désir de normalité, il a tracé à la craie sur le sol de leur repaire les plans d’une maison imaginaire (rappel ironique de la marelle) et évoque souvent la lointaine présence d’un oncle. Ses peurs enfantines lui font craindre la menace de la sorcière Aïcha Kandicha (sorcière aux pieds de chameau, elle est un personnage fabuleux, une sorte de femme-vampire, héroïne de contes populaires marocains).



Ali



Placée au début du film, la mort d’Ali, 15 ans, préside à son propre anoblissement. Évidemment peu présent à l’écran, il a néanmoins le temps de formuler un rêve (devenir marin pour rejoindre une île imaginaire à deux soleils) et d’ébaucher sa légende en racontant ses exploits (“Ali, mâchoires d’acier” qui tirait une voiture avec ses dents). Il dit s’être enfui de chez lui parce que sa mère voulait vendre ses yeux. Sorte de clin d’œil à l’Antoine Doinel des 400 coups de Truffaut, il déclare enfin que ses parents sont morts.



Hamid



Il exerce la profession de sardinier. Particulièrement bienveillant, il a offert un poste de mousse à Ali sur son embarcation et lui a confié une boussole. Soucieux de sa disparition, il se rapproche des enfants et finit par découvrir le drame. C’est lui qui déplace le cadavre pour le protéger de la corruption et qui décide de ne pas l’enterrer. Aussi entreprend-il avec Kwita de concrétiser le rêve d’Ali en fabriquant une petite embarcation (funéraire) qui emportera le défunt au large. Éminemment protecteur, il passe pour une figure paternelle auprès des trois gamins.



Madame Zaoua



Madame Zaoua est la mère indigne d’Ali. La prostitution qu’elle pratique à domicile est le motif véritable du départ de son fils qui ne supportait plus de l’entendre travailler (la radiocassette d’Ali servait à couvrir les bruits indiscrets). Si elle en veut à Ali de l’avoir diffamée, sa mort la bouleverse évidemment. D’une grande générosité, elle reporte son affection maternelle sur Omar.



Dib (“loup” en arabe) :

Sourd-muet, analphabète et violent, Dib a le crâne couturé de cicatrices comme les signes glorieux d’antiques batailles. Plus grand et plus âgé que les autres sur lesquels il exerce une protection un peu trop chaleureuse, il est nanti d’une sorte de sceptre dérisoire à l’extrémité duquel est fixée une poupée.

Générique

Titre original : Ali Zaoua, prince de la rue

Réalisation : Nabil Ayouch

Scénario et dialogues : Nabil Ayouch et Nathalie Saugeon

Image : Vincent Mathias

Son : François Guillaume

Casting : Faical Bougrine

Décor : Said Rais

Costumes : Nezha Dakil

Maquillage : Malika Bouizergarne

Régie : Frantz Richard

Musique : Krishna Levy

Montage : Jean-Robert Thomanin

Mixage : Philippe Baudhuin

Production : Jean Cottin (Playtime), TF1, Ali n’productions (Maroc)

Couleurs

Format : CinémaScope (1/2,35)

Durée : 1 h 40

N° de visa : 96 299

Sortie en France : 26 mars 2001

Interprétation :

Kwita / Mounïm Kbab

Omar / Mustapha Hansali

Boubker / Hicham Moussoune

Ali Zaoua / Abdelhak Zhayra

Dib / Saïd Taghmaoui

Madame Zaoua / Amal Ayouch

Le pêcheur / Maohamed Majd

Le marin / Hicham Ibrahimi

Khalid / Khalil Essaadi

Noureddine / Abdessamad Tourab Seddam

Enfant du marabout / Karim Merzak

La vieille femme / Halima Frizi

La lycéenne / Nadia Hould Hajjaj

La patronne du Motel / Huguette Bonfils


Autour du film

Il était une fois un petit prince de la rue



Avec la mort d’Ali, les trois gamins désœuvrés d’Ali Zaoua, prince de la rue trouvent une vraie raison d’être : faire de leur compagnon de rue un petit prince en lui offrant des funérailles dignes de ce nom. Outre qu’elles représentent la promesse de retour vers une sorte de paradis perdu de l’enfance, le voyage en mer pour rejoindre “l’île aux deux soleils” cristallise un désir de stabilité comme dans les westerns où le héros, las d’errer à la recherche de lui-même, aspire au repos. Sans sacrifier à une vision simpliste ou manichéenne de la misère, Nabil Ayouch opte pour l’imaginaire qu’il met au service d’une démonstration selon laquelle les gosses des rues aussi défoncés soient-ils rêvent encore !



Une mise en scène morale



Le mode “docu-vérité” par lequel débute le film a de quoi surprendre. Cadre serré sur de jeunes visages déjà marqués par la vie, témoignage “en direct” d’une enfance brisée par une marâtre, compassion discrète de la journaliste, effet mélodramatique du zoom avant sur le regard farouche d’Ali. Le procédé de mise en scène est trop grossier pour être pris pour argent comptant.



En passant par l’objectif d’une caméra de journaliste, Nabil Ayouch fait d’une pierre deux coups. Il se dédouane à la fois de tout sentimentalisme (il montre exactement ce qu’il ne faut pas faire) et plonge d’emblée le spectateur dans une réalité sordide. Façon d’annoncer que c’est elle qui va nourrir la fiction, mais que l’histoire qu’il va nous donner à voir évitera soigneusement d’en accentuer la noirceur (au risque de la minorer). Ni politique ni social, son geste est avant tout poétique et s’éloigne, de fait, de l’approche vériste du documentariste. Peut-être au moment de penser son esthétique de mise en scène, Nabil Ayouch s’est-il souvenu de cette phrase de Jean-Luc Godard qui souligne la différence d’identification entre un documentaire et une fiction : “Le documentaire, c’est ce qui arrive aux autres, la fiction, c’est ce qui m’arrive.”



L’important pour le réalisateur ne fut pas que ça fasse vrai, mais que ce soit vraisemblable. C’est-à-dire que le film n’ait d’autre enjeu dramatique que de nous procurer une impression de réalisme. Dans ces conditions, il ne s’agit évidemment pas d’associer les émotions à une mise en scène ostentatoire pour donner une idée de leur véracité. De même, il n’est pas question de s’appesantir sur la mort d’Ali. Le coup mortel qu’il reçoit à la tête est découpé en deux plans furtifs et son cadavre, vite escamoté, disparaît à la vue du spectateur. Concernant la mort d’un enfant, c’était la moindre des choses que de dédramatiser l’action pour éviter le mélodrame.



Loin du projet de Luis Buñuel dans Los olvidados, Nabil Ayouch cherche plus à nous donner l’illusion de la réalité qu’à en rendre compte dans un style réaliste. C’est également pour cette raison qu’il tait le côté documentaire de la photo en inscrivant son histoire dans une géographie aux stigmates discrètement présents. Quelques plans larges sans insistance sur le délabrement ou le désordre ambiant de Casablanca (on est ici très loin de la réalité) suffisent à dire l’indigence des plus démunis. C’est ici un terrain vague sur les hauteurs de la ville (au reste, intégralement construit pour les besoins de la mise en scène), quelques bouts de rue ou pans d’immeuble, une cimenterie, une carcasse de bus ou un bidonville aperçu au fond d’un plan panoramique.



Nabil Ayouch ne souhaitait pas qu’Ali Zaoua, prince de la rue soit un plaidoyer sur les enfants de la rue, mais un conte urbain avec séquences oniriques inscrites dans le canevas général. Pour ce faire, les mouvements amples et lents de la caméra (nombreux travellings, mouvements de grue…) instillent une fluidité à la mise en scène, laquelle fait contrepoids à la noirceur du propos. Seul le découpage rythmé répond à l’urgence du propos. Ce choix formel sert parfaitement une architecture où se côtoient rêve et réalité et permet d’en rehausser le lyrisme. La souplesse de la mise en scène consiste enfin à redonner noblesse et dignité à une enfance souillée, chaque plan s’attachant à lui insuffler une âme, plutôt que d’en faire l’espace du désordre moral.



Au cinéma comme ailleurs, la distance est une question de morale. L’argument initial de l’histoire était déjà suffisamment triste pour forcer exagérément le trait. Alors, pour garder la bonne distance, Nabil Ayouch a choisi de ne pas aborder son sujet de l’extérieur. Le point de vue adopté par la mise en scène est celui des enfants. Une stratégie qui autorise toutes les fantaisies, y compris un onirisme débridé (contestable dans sa répétition) en guise de bouffées d’oxygène dans l’univers confiné des personnages.



Réel et imaginaire sont étroitement mêlés sans qu’aucune frontière ne les sépare. Les deux registres narratifs coexistent littéralement et l’on passe de l’un à l’autre sans quitter le même espace ni la même temporalité. Comme le reste de la mise en scène, le mélange rêve/réalité vient en contrepoint de l’ancrage réaliste du film et travaille activement à en dynamiter le pathos. Chaque “trouée onirique” constitue un répit dans la narration et permet de s’évader un instant. Aussi ces séquences de rêves éveillés manifestent-elles visuellement la puissance impérialiste du fantasme sur la réalité au point de la déformer. Le bluff de la mise en scène fait être ce qui n’existe pas et rend par conséquent l’imaginaire visible, comme si la vie à ce point absurde de ces gosses les forçait à sortir d’eux-mêmes.

Philippe Leclercq, in Dossier “Collège au cinéma” n° 121





De la réalité au conte

“Il se cache toujours deux films dans le cinéma de Nabil Ayouch. Dans Ali Zaoua prince de la rue le processus commence en embrassant la réalité du Maroc dans ce qu’elle a de plus profond, de plus ingrat et inavouable -l’errance et l’abandon des gamins livrés à eux-mêmes dans la rue, accrochés à leur colle-, pour, à mi-chemin, leur proposer une fuite assumée vers les volutes de l’onirisme oriental qui surprendra ceux qui ne sont pas habitués aux rêveries propres aux contes arabes.”

Philippe Azoury, in Libération, 21 mars 2001.




Excès de symbolisme

“Les efforts désordonnés des trois gamins sont filmés avec un mélange de compassion et d’humour qui tiennent soigneusement le film à l’écart de l’émotion facile. De même, la misère morale et intellectuelle de ces enfants qui n’ont pas mis les pieds à l’école depuis des années est dépeinte sans complaisance. En face d’eux, le monde des adultes est montré avec un bonheur inégal. Madame Zaoua n’a jamais voulu vendre les yeux de son fils, mais elle vit de ses charmes. Cette variation sur le thème de la putain au grand cœur est en tout cas plus convaincante que le personnage du vieux marin. Cette figure stéréotypée de père-ange gardien tout comme la répétition ad nauseam du rêve poétique d’Ali montre bien que Nabil Ayouch n’est pas à l’abri de la facilité. C’est sans doute la rançon d’une invention trop riche. Lorsque celle-ci trouve sa juste mesure, en général en restant au ras des trottoirs, en conservant le point de vue des enfants, Ali Zaoua parvient à l’invention poétique, comme par inadvertance.”

Thomas Sotinel, in Le Monde, 21 mars 2001.




De la simplicité avant tout

“Il y a dans Ali Zaoua… une tension entre une vérité âpre d’ordre documentaire qui tient essentiellement aux corps et aux visages des jeunes acteurs, et une sauce fictionnelle plus mièvre et plus banale. Le réalisateur justifie son choix de la forme du conte par une volonté d’éviter le misérabilisme, ce qu’on comprend très bien, mais il nous semble que filmer ces enfants sans ornements suffisait à éviter cet écueil. Car, à notre avis, c’est quand il se contente de regarder avec simplicité et attention sa formidable matière humaine que Nabil Ayouch fait mouche et rejoint par éclairs les plus beaux film sur l’enfance nue.”

Serge Kaganski, in Les Inrockuptibles, 20 mars 2001.




Regard lyrique sur une enfance démunie

“Il y avait sûrement mieux à inventer que ce « truc » faiblard des graffitis enfantins s’animant ici et là, au détour d’une séquence, pour figurer le monde imaginaire de l’enfance. Greffer de la simili-poésie naïve sur du réalisme abrupt, c’est risquer le court-circuit. Nabil Ayouch fait beaucoup mieux pendant les deux tiers d’un film qui porte clairement en filigrane l’histoire de son tournage. A chaque plan, on pense aux prodiges qu’il a fallu déployer pour tamiser une telle énergie brute, la canaliser vers l’expression la plus juste, sans l’entamer. De fait, Ali Zaoua est traversé par la même tension qui tient en vie ces gamins, faite d’ironie cinglante face au malheur et d’une rage, aussi, qui leur arrache quelques larmes, jamais de plaintes. Ce sont de vrais héros de cinéma.”

Jean-Claude Loiseau, in Télérama, 21 mars 2001.

Pistes de travail

  • L’image de la réalité



    – La représentation au cinéma n’est jamais qu’une proposition de lecture de la réalité. Elle passe par le regard subjectif du metteur en scène qui nous donne à voir une “certaine” image du monde. D’où distance entre celle qu’il en a et celle que nous nous en faisons. À la lueur de la première séquence, montrer les procédés de “mise en image” utilisés par les reporters de la télévision. Souligner les effets dramatisants qui déforment la réalité et expliquer sur quel registre émotionnel ils reposent et dans quels buts.



    – Apprendre aux élèves à se méfier des images sensationnelles auxquelles ils sont particulièrement sensibles. Réfléchir au problème moral de leur banalisation ou de leur médiatisation fallacieuse. S’appuyer sur le mensonge d’Ali concernant sa fuite pour dire que l’image (pas plus que les mots) n’est en aucun cas “la” vérité. Il est possible d’étendre l’exposé aux images de propagande. Enfin, dire en quoi ces images contribuent à “déformer” leur perception de la réalité, en quoi elles viennent faire écran à leur vision du monde qui les entoure. Autant de réflexions qui peuvent les amener à réviser leur jugement sinon les connaissances qu’ils en ont.



  • De la réalité au conte



    – A contrario de ce fragment de vie initial qui sert de caution réaliste à la fiction, mettre en évidence les procédés de mise en scène destinés à atténuer la violence des faits sur lesquels s’appuie la narration et souligner combien elle s’écarte des lieux communs sur la misère. Étudier par exemple la typologie des décors et expliquer pourquoi leur discrétion permet de hisser l’histoire au rang de l’universel.



    – S’arrêter, d’autre part, sur les scènes d’animation et autres références oniriques (la lycéenne, l’île, le plan de la maison tracé à la craie…). Justifier leurs impacts sur l’action et dire en quoi elles la déréalisent et lui prêtent une tonalité poétique propre au conte. Expliquer l’expression “conte urbain” en s’appuyant sur le schéma du genre : situation initiale / forces perturbatrices / déséquilibre / action réparatrice / état final.



    Ali Zaoua, prince de la rue repose sur la figure minimale et récurrente du duel où les personnages se jaugent du regard (comme dans les westerns). Après la mise en évidence de quelques-uns d’entre eux (Kwita et le fils du marabout, Kwita et Dib, Omar et Kwita, Omar et Mme Zaoua…), révéler leur mécanisme et leurs enjeux dramaturgiques. Dire en particulier comment ils font progresser l’action. Étudier également la valeur symbolique des objets et leur circulation dans les différents espaces de la géographie du film (boussole, civière, photographie…).



  • Les références cinématographiques



    – Les références ne sont pas des citations ornementales. Elles permettent par le biais de la comparaison des mises en scène de comprendre les intentions d’un cinéaste, d’en saisir leur profondeur et d’enrichir notre réflexion sur les différents contenus esthétiques, sociologiques, thématiques, économiques de son film. Convoquer Los olvidados de Luis Buñuel et ses “saillies” surréalistes par exemple, c’est comprendre l’absurdité d’une situation sociale obscène, Pixote, la loi du plus faible d’Hector Babenco, c’est avoir une idée plus “éclairée” du destin des gosses de la rue, Les Quatre cents coups de François Truffaut, c’est entrevoir une belle partie de l’intimité des enfants en délicatesse avec le monde adulte.



    – Comparer, c’est enfin comprendre la notion de genre. Pour ce faire, dresser une liste des codes correspondant à celui qui nous occupe : les bandes d’enfants au cinéma. Préciser en quoi ces codes s’appuient sur un système de représentation particulier qui sert de grille de référence à la lecture du spectateur.


    Mise à jour: 18-06-04

  • Expériences

    Les “bandes” à l’écran



    Bandes des pays pauvres



    S’il est vrai que l’écran est dévoreur d’enfants, le phénomène des gosses de la rue réunis en bandes constitue une récurrence sinon un thème au cinéma. Nombreux ont été les cinéastes qui ont tenté d’en montrer les mécanismes. Tout comme Pixote, la loi du plus faible du Brésilien Hector Babenco (1980), Los Olvidados (1950) fait, en la matière, figure de mètre-étalon. À travers l’histoire d’enfants livrés à eux-mêmes dans une banlieue de Mexico, Luis Buñuel dessine la géographie morale et sociale d’une enfance en détresse. Les principaux thèmes sont là : la ville moderne, la misère, la violence, la délinquance, le conflit avec les adultes, le désir de dignité, le tout pétri de tendresse et de cruauté. Point commun avec Ali Zaoua, tous les jeunes acteurs sont des gosses des rues. Question de morale.



    Cri d’amour et de révolte aussi pour l’enfance sacrifiée, Sciuscia de Vittorio De Sica suivait quatre ans plus tôt (1946) le destin malheureux de deux jeunes cireurs de chaussures. Plus mélodramatique, ce film-document du néoréalisme italien réserve une place plus grande à la poésie. Les symboles comme le superbe cheval blanc (on pense à “l’île aux deux soleils”) sont ici orientés vers un espoir qui soutient les personnages contre les rudesses de leur existence, contrairement à Buñuel où il ne reste plus rien à quoi se raccrocher. Chez ce dernier, l’individu soumis à contingence est dissous dans une société qui l’oppresse. Il est abandonné de tout et de tous sauf de la misère, de la délinquance et du désespoir. Le bonheur semble impossible à atteindre et la mort est souvent l’unique issue (fin tragique de Los Olvidados mais aussi de Sciuscia).



    Pour autant, Buñuel ne charge pas ses jeunes personnages, même s’il ne dissimule pas leur cruauté ni celle des adultes. En cela, Ali Zaoua (si l’on excepte la violence de Dib) demeure assez discret. Pour Nabil Ayouch, les enfants sont surtout des victimes (situation que partagent également les gosses de Salaam Bombay ! de Mira Nair, 1988). On rappellera pour mémoire que Sa majesté des mouches de Peter Brook faisait en 1963 une démonstration audacieuse, à partir de la reconstitution d’une société tribale avec adoration de divinités, rites et violence, de la cruauté naturelle et avérée des enfants.



    On peut se souvenir, à l’évocation de ces enfants “réprouvés”, le poème de Jacques Prévert :

    […]

    Los olvidados

    petites plantes errantes

    des faubourgs de Mexico-City

    prématurément arrachées

    au ventre de leur mère

    au ventre de la terre

    et de la misère

    Los olvidados

    enfants trop tôt adolescents

    enfants oubliés

    relégués

    pas souhaités

    Los olvidados

    La vie n’a pas eu le temps de les caresser

    Alors ils en veulent à la vie

    et vivent avec elle à couteaux tirés

    Les couteaux

    que le monde adulte et manufacturé

    leur a très vite enfoncés

    dans un cœur

    qui fastueusement généreusement et

    heureusement

    battait

    Et ces couteaux

    ils les arrachent eux-mêmes de leur

    poitrine trop tôt glacée

    et ils frappent au hasard

    au petit malheur

    entre eux

    à tort et à travers

    pour se réchauffer un peu

    Et ils tombent

    publiquement

    en plein soleil

    mortellement frappés

    Los olvidados

    enfants aimants et mal aimés

    assassins adolescents

    assassinés

    […]

    (Jacques Prévert, Spectacles, Gallimard, 1951)



    Bandes des pays riches



    Partout où il y a des villes, il y a des jeunes qui s’ennuient (on pense naturellement aux 400 coups de François Truffaut, 1959). Le nouveau cinéma français s’est intéressé comme beaucoup aux problèmes de délinquance, de chômage et d’insertion à travers des histoires situées dans des cités de banlieue. Comme à Marseille avec Bye-bye de Karim Dridi (1985) et Krim d’Ahmed Bouchala ou à Paris avec De bruit et de fureur de Jean-Claude Brisseau (1988), La Haine de Mathieu Kassovitz (1995), Ma 6T va crack-er de Jean-François Richet (1997) ou encore Petits Frères de Jacques Doillon (1999). Autant de films qui dressent un état des lieux alarmiste des banlieues et des adolescents qui essaient d’y vivre.



    Si les jeunes de la rue se regroupent, c’est pour résister à l’hostilité de la ville et des bandes qui y sévissent. Un phénomène où l’action constitue l’unique moteur dramaturgique ne pouvait échapper à Hollywood qui en exploita le filon. Ainsi La Fureur de vivre (Nicholas Ray, 1955), The Outsiders et Rusty James, le diptyque de Francis Ford Coppola (1983) dont le second volet est un hommage direct à la légende de James Dean, West side story (Robert Wise, 1961) et ses célèbres combats de rue chorégraphiés, la Loi de la rue (John Singleton, 1991), ou Kids (Larry Clarke, 1995) montrent une jeunesse américaine plus désorientée que défavorisée. Une jeunesse en rupture et en quête de nouveaux repères.



    On signalera enfin le récent Sweet Sixteen de Ken Loach (2002). Le film suit le parcours d’un adolescent qui, en mal de famille (absence du père, démission de la mère), intègre progressivement une bande de trafiquants de drogue pour, pense-t-il, s’en sortir socialement.


    Outils

    Bibliographie

    Ali Zaoua, prince de la rue, Nathalie Saugeon, Ed. Milan,collection Tranche de vie, 2001.
    Les cinéma d'Afrique, dictionnaire Ed. Karthala et ATM, 2000.
    Le cinéma africain des origines à 1973, Paulin soumanou Vieyra, Ed. Présence africaine, 1975.
    Dictionnaire des cinéastes maghrébins, collectif, Ed. ATM, 1996.
    Les cinémas arabes, Mouny Berrah, Jacques Levy et Claude-Michel Cluny, Cinémaction n°43, 1987.
    Cinéma du Maghreb, Mouny Berrah, Victor Bachy, Mohand Ben Salama et Férid Boughedir, Cinémaction n°14, 1980.
    Kids, 50 films autour de l'enfance, Jacques Chevallier, Ed. CNDP, 1986.
    L'Image de l'enfant au cinéma, François Vallet, Ed. de Cerf, 1991.


    Vidéographie

    Ali Zaoua, prince de la rue
    VHS n° 36914 - DVD n° 36945
    Distribution ADAV
    Pixote, la loi du plus faible, Hector Babenco, 1980
    VHS n° 523
    Distribution ADAV
    Salaam Bombay!, Mira Nair, 1987
    VHS n° 22779
    Distribution ADAV
    Sciuscia, Vittorio de Sica, 1946
    VHS n° 3287
    Distribution ADAV