Synopsis
Après une soirée à l’Opéra, Nobile invite ses amis à souper. À leur arrivée, les domestiques fuient — ou ont déjà fui — la luxueuse demeure, sans motif apparent. Bientôt, hôtes et convives s’aperçoivent qu’ils ne peuvent plus sortir du salon, sans que pourtant rien n’y fasse obstacle. La vie en communauté s’organise et les relations se dégradent progressivement. Un jour, s’apercevant que les invités ont quasiment repris les mêmes places qu’au soir de leur arrivée, Leticia propose de conjurer le maléfice en leur faisant répéter les mêmes faits et gestes. La répétition rompt le maléfice, mais la même situation se reproduit dans la cathédrale.
Générique
Réalisation : Luis Buñuel
Scénario : Luis Buñuel, Luis Alcoriza
Image : Gabriel Figueroa
Montage : Carlos Savage, Luis Buñuel
Décors : Jesus Bracho
Costumes : Georgette Somohano
Son : José B. Carles
Assistant réalisateur : Ignacio Villareal
Musique : Raul Lavista
Durée : 1 h 33
Sortie Paris, Biarritz : mai 1963
Interprétation
Leticia / Silvia Pinal
Edmundo Nobile / Enrique Rambal
Alicia de Roc / Jacqueline Andere
Leandro Gomez José / Baviera
doctor Carlos Conde / Augusto Benedicto
Christian Ugalde / Luis Beristain
Autour du film
Comme le disait Buñuel lui-même, L’Ange exterminateur n’offre pas de sens univoque et ne peut se réduire à une explication rationnelle. Les diverses interprétations dont il a été l’objet ne sauraient l’épuiser, pas plus qu’elles ne sauraient rendre compte de sa singularité irréductible. Gags (le domestique qui trébuche avec son plateau), images insolites (mouton avec les yeux bandés, pattes de poulet…) énoncés énigmatiques, situations inexpliquées (l’émeute finale) se mêlent au réalisme féroce des codes de la mondanité et de leur dégradation progressive, et au réalisme dérangeant de l’univers pulsionnel (fantasmes, obsessions, délires…), conférant au film sa fantaisie, son humour décapant et son mystère.
Buñuel s’est toujours plu à répéter qu’il ne mettait jamais de symboles dans ses films. Ce qui peut sembler paradoxal, dans la mesure où les exégètes n’ont cessé d’en trouver. Outre la roublardise de Buñuel avec laquelle il faut toujours compter, le paradoxe peut s’expliquer par le fait que leur présence est rarement calculée, mais découle d’une intuition créatrice particulièrement aiguisée : l’acte créateur, chez Buñuel, précède le sens, évitant à ses films toute lourdeur dogmatique.
L’Ange exterminateur triompha à Cannes. Le public des festivals a fini par savoir que Luis Buñuel est l’un des plus grands cinéastes vivants. Il y a dix ans, son film El avait été accueilli de toute autre façon. (…) La projection fut souvent troublée par les cris d’horreur. Quant aux critiques, ils n’étaient pas nombreux et la plupart trouvèrent fort médiocre un film qui ne figura pas au palmarès. El avait pourtant enthousiasmé quelques-uns, dont notre pauvre ami André Bazin. Si j’ai parlé d’El , l’un des plus beaux Buñuel, c’est que ce film ressemble par plusieurs côtés à L’Ange exterminateur. Il est de la même famille : celle de L’Age d’or, où était donnée aussi une grande réception pendant laquelle un tombereau chargé d’ouvriers traversait les salons, et où l’on refermait discrètement des placards sur des soubrettes qui venaient de prendre feu… Le thème commun à ces trois films est une attaque métaphorique contre un monde dont “ le café fout le camp ” et qui se dit “ Après moi le déluge ”. (…) Ce film est profondément de notre temps, où les rats, sentant venir le naufrage, constatent aussi leur impossibilité de quitter le navire, sinon pour s’embarquer sur un Radeau de la Méduse… Et l’on sait que Géricault, prenant le sujet de son tableau dans un dramatique fait divers, fit scandale en se trouvant (à son insu) prédire la fin d’un régime, celui de la Restauration.
Georges Sadoul, Les Lettres françaises, mai 1963
Pistes de travail
de la fonction des objets; des composantes sonores (voix, bruits, musique) et de son interaction avec l’image.
Mise à jour: 18-06-04
Expériences
L’Ange exterminateur (1962) se situe, dans la carrière cinématographique de Bunuel, à la charnière de deux périodes : sa période mexicaine (1946-1961) et sa période française (1961-1977). Il s’agit de son dernier film mexicain, tourné après Viridiana (1961), lequel signe son retour en Europe. La liberté que lui donne le producteur lui permet de retrouver le ton et l’audace qui étaient ceux de ses premiers films. La fantaisie et l’humour surréalistes, mais aussi l’exploration sans complaisance de l’inconscient humain se mêle à la férocité lucide de l’observation sociale. Rappelant par bien des aspects L’Age d’or (1930), il annonce également Le charme discret de la bourgeoisie (1972). Méconnu du grand public, rarement projeté sur les écrans français, le film passe aujourd’hui, auprès des connaisseurs, pour l’une des plus grandes réussites de Bunuel.
Civilisation et histoire
L’Ange exterminateur a suscité de nombreuses interprétations. On peut y voir une satire de la classe bourgeoise, ankylosée dans ses préjugés et son conformisme bien-pensant, mise à nu dans ses pulsions primaires, ses fantasmes et ses obsessions, par la situation de promiscuité qu’engendre l’enfermement. On peut également y lire une parabole religieuse – de sens, bien sûr, ironique – à laquelle convient les allusions bibliques (l’Exode, l’Ange exterminateur, l’agneau pascal…). La lecture psychanalytique est induite par la présence des manies, des hallucinations visuelles et auditives, des excréments et des déchets. Les névroses apparaissent, l’agressivité se libère, la sexualité se réalise sur le mode morbide, les mythes se substituent à l’histoire, emprisonnant les convives dans un temps aliénant. Mais cette façon d’enfermer ses personnages, c’est aussi un acte de maîtrise, accompli par le metteur en scène démiurge, qui a foi dans l’art profane qui est le sien.
Outils
Bibliographie
L'ange exterminateur, L'Avant-scène cinéma n° 27/28, 1963.
L'esprit d'Ubu roi, Philippe Durand, Etudes cinématographiques n° 22/23, 1963.
Le huis clos de la condition humaine, Michel Estève, Etudes cinématographiques n° 22/23, 1963.
Bunuel et l'Ange Exterminateur, Ado Kyrou, Positif n° 50/51/52, 1963.
Les cahiers du cinéma n°145, 1963.
Le surréalisme, Ado Kyrou, Arcanes, 1953.
Luis Bunuel, architecte du rêve, Maurice Drouzy, Lherminier, 1978.
Don Luis Bunuel, Marcel Oms, Les Editions du Cerf, 1985.
Conversations avec Luis Bunuel, Tomas Pérez Turrrent, José de la Colina, Cahiers d cinéma, 1993.
Luis Bunuel, Manuel Rodriguez Blanco, Bibliothèque du film/ Durante, 2000.
Luis Bunuel, Charles Tesson, Ed. des Cahiers du cinéma, collection "Auteurs", 1995.
Films
dans le catalogue Images de la culture
Un Bunuel mexicain de Emilio Maillé
Dada, surréalisme et cinéma de Claude-Jean Philippe
Pierre Braunberger, producteur de films de Pierre-André Boutang