Argent de poche (L’)

France (1976)

Genre : Comédie dramatique

Écriture cinématographique : Fiction

École et cinéma 2004-2005

Synopsis

Thiers, dans le Puy-de-Dôme. Mlle Petit, institutrice, ne parvient pas à faire réciter Bruno correctement, mais dès qu’elle sort de la classe, il se découvre des talents de tragédien.
N’ayant pas de mère et vivant avec son père paralytique, Patrick se perd dans ses rêveries et tombe amoureux de la mère de son copain Laurent, Mme Riffle. Quand il lui offre des fleurs, elle lui demande de remercier son père.
Dans une cité HLM, une jeune mère laisse son bébé, Grégory, seul dans l’appartement. Jouant avec le chat, l’enfant tombe du troisième étage… et se retrouve en bas, indemne.
Patrick sympathise avec Julien Leclou, un enfant solitaire et peu communicatif. Ensemble, ils vont au cinéma, et profitent d’une combine de Julien pour entrer sans payer.
Le commissaire de police et sa femme vont au restaurant, après avoir enfermé leur fille Sylvie dans l’appartement. Elle se saisit du porte-voix de son père et ameute tout l’immeuble en disant qu’elle a faim. A l’aide de cordes, les voisins lui procurent à manger.
Un autre jour, la gendarmerie déloge d’un taudis deux femmes en haillons: ce sont la mère et la grand-mère de Julien. On comprend alors d’où viennent les ecchymoses sur son corps.
Le dernier jour de l’année scolaire, l’instituteur, Mr Richet, dont la femme vient d’accoucher, explique à ses jeunes élèves ce qui se passe pour Julien. Il leur adresse un message d’espoir.
Au mois de juillet, en colonie de vacances, Patrick tombe amoureux d’une fille de son âge, Martine. Il quitte le monde de l’enfance pour entrer dans celui de l’adolescence.

Générique

Titre primitif : Abel et calins
Réalisation : François Truffaut
Scénario original : François Truffaut et Suzanne Schiffman
Scripte : Christine Pellé
Image : Pierre-William Glenn
Son : Michel Laurent
Décors : Jean-Pierre Kohut-Svelko
Costumes : Monique Dury
Montage : Yann Dedet
Musique : Maurice Jaubert
Chanson : Les Enfants s’ennuient le dimanche, Charles Trenet
Orchestre : Patrice Mestral
Conseiller musical : François Porcile
Production : Les Films du Carrosse et les Artistes associés
Producteur exécutif : Richard Hashimoto
Film 35 mm
Couleurs
Format : 1/1,66
Durée : 1h43
Distribution : AAA Distribution
N° de Visa : 43 719
Tournage : Juillet / août 1975, à Thiers
Sortie en France : 17 mars 1976
Interprétation
J.F. Richet, l’instituteur / Jean-François Stevenin
Lydie Richet, sa femme / Virginie Thévenet
Mlle Petit / Chantal Mercier
Nico / Nico Félix
Mme Riffle / Tania Torrens
M. Riffle / Francis Devlaeminck
Le Commissaire, père de Sylvie / Jean-Marie Carayon
Sa femme / Kathy Carayon
Patrick Desmouceaux / Grégory Desmouceaux
Bruno Rouillard / Bruno Staab
Julien Leclou Philippe Goldmann
Corinne / Corinne Boucart
Patricia / Eva Truffaut
Sylvie / Sylvie Grézel
Laurent Riffle / Laurent Devlaeminck
Madeleine Doinel / Laura Truffaut
Martine / Pascale Bruchon

Autour du film

Représenter l’enfance

Malgré le titre du film, ce n’est sûrement pas le rapport des enfants à l’argent de poche qui peut servir de piste pour appréhender la signification globale de la démarche de Truffaut.

Qu’il fasse référence aux Mistons, dans tous ses commentaires sur ce film, dépasse largement l’anecdote, à savoir une analogie de sujet. Dix-huit ans après, cinéaste reconnu et déjà une sorte d’institution dans le cinéma français, il est très vraisemblable que Truffaut souhaite faire le point sur ses rapports à l’enfance d’une part, sur la façon dont on peut la représenter au cinéma d’autre part.

Dans cette affaire, la vénération qu’il voue à l’enfance lui joue à la fois de bons et de mauvais tours. En ce qui concerne les bons tours, on pourrait les résumer en deux mots: échange, dialogue avec les enfants qui lui rendaient bien l’amour et l’intérêt qu’il leur portait. La complicité qu’il a su obtenir des gosses, l’attente émue des moments où ils peuvent se révéler de merveilleux comédiens, tout cela  » passe à l’écran « .

En ce qui concerne les mauvais tours, on pourrait en faire l’inventaire suivant: une structure narrative trop éclatée, un  » filmage  » dont l’unité n’apparaît pas toujours, un attendrissement parfois benêt devant les rires d’un nourrisson. Gide disait :  » Ce n’est pas avec de bons sentiments qu’on fait de la bonne littérature « . Cette assertion, aussi juste qu’abrupte, s’applique évidemment à toute forme d’art. Ceci, non pour dire que L’Argent de poche est un mauvais film, mais pour signifier qu’il souffre parfois d’une absence de distance sans laquelle une œuvre reste à l’état d’ébauche.

On ne peut réaliser un film sans prendre le pouvoir à un moment donné. Le réalisateur est à sa manière un voleur : le chef-opérateur, le cadreur, le scénariste, les comédiens, tous lui apportent quelque chose qu’il s’approprie pour faire son film. C’est la règle du jeu. Dans L’Argent de poche, Truffaut qui, pourtant, est loin de manquer de poigne et de détermination, laisse un peu voguer la galère. C’est le charme du film. C’est peut-être aussi sa limite.
Alain Carbonnier

Autres points de vue

Truffaut filme de vrais enfants

 » Il y a une sorte de grâce aussi chez Truffaut. Il n’use jamais du pittoresque dans les farces et les mots d’enfants, dans le drame ou dans la comédie. Il filme non de petits cabots apprivoisés par la caméra, mais de vrais enfants, jusqu’aux portes de l’adolescence, en train d’inventer la vie. Il les prend au sérieux, sans s’agenouiller pour se mettre à leur hauteur. C’est un film de regards attentifs sur des comportements. « 
Jacques Siclier, le Monde, 20 mars 1976.

Par touches pointillistes…

 » Procédant par touches pointillistes, le réalisateur, plutôt que de restituer une tranche de vie, commence par de petites scènes de la vie scolaire. Et peu à peu les personnages se définissent… Différentes histoires se superposent, se mêlent, se regroupent, jusqu’à former cette trame compacte, cette évocation de l’enfance… « 
François Forestier, L’Express, 15 mars 1976.

Menue monnaie…

 » Si François Truffaut est toujours sincère, il n’est pas toujours convaincant […] On sent ce qu’a voulu exprimer le réalisateur, on ne le ressent pas. Du film intransigeant et poétique qu’on pouvait attendre sur l’enfance – et sur les adultes – cet Argent de poche est la menue monnaie. « 
Jean-Paul Grousset, Le Canard enchaîné, 24 mars 1976.

Vidéos

La chute du petit Grégory

Catégorie :

« Grégory a fait boum ! » par Alain Bergala

Pistes de travail

  • Le discours de l’instituteur
    Le discours de Richet, l’instituteur, peut devenir une bonne base de discussion. Il constitue un outil pédagogique précieux et peut être à l’origine d’un débat général, quel que soit l’âge des participants.
  • Une préoccupation actuelle
    Parmi les sujets dits de société, apparaît une question : comment préserver (et inventer) les droits de l’enfant ? Peut-il avoir son libre-arbitre ? Sous quelle forme ? Faut-il moduler selon les âges ?
  • L’argent de poche
    Même si l’argent n’est pas l’élément moteur du film, il est toujours possible d’interroger les élèves sur leur rapport à l’argent de poche. Comment vivent-ils ce rapport, dans le réel et dans le symbolique ?
  • L’enfance au cinéma
    Différence entre tourner avec des enfants et des adultes, des comédiens professionnels et non professionnels. Sont-Ils satisfaits de la représentation de l’enfance au cinéma ? Quels films les ont marqués ? Pourquoi ? Si on leur suggérait de tourner dans un film, accepteraient-ils ? Pourquoi ?
  • Une séquence unique
    La dernière séquence (le baiser de Patrick et Martine) est construite comme un magnifique mouvement d’horlogerie. Mais c’est vraiment la seule du film. Éviter donc de la prendre comme modèle de la mise en scène globale. En revanche, il est possible de  » l’opposer « , d’une certaine manière, à la plupart des séquences.
  • La spontanéité des enfants
    Aborder le problème de l’improvisation: dialogues, cadrages… Une construction rigoureuse est-elle incompatible avec la spontanéité des enfants-acteurs ?Mise à jour: 18-06-04

Expériences

Quand le regard du cinéma rejoint celui de l’enfance

Pour ne remonter qu’aux premières années du cinéma parlant, c’est certainement Zéro de conduite (Jean Vigo, 1933) qui constitue le film phare, la référence ultime et incontestable pour ce qui touche à l’enfance.

D’autres œuvres ont certes plus ou moins marquées la mémoire cinéphilique, citons en vrac Les Disparus de Saint-Agil (Christian-Jaque, 1938), Visages d’enfants (1923-25) et Crainquebille (1922-23), tous deux de Jacques Feyder, Nous les gosses (Louis Daquin, 1941)… Mais aucun de ceux- là n’a laissé une empreinte aussi forte que l’a fait le film de Vigo. Pourquoi ? Sans doute parce qu’il est admirable, mais au-delà de la beauté de l’œuvre, parce qu’il propose une vision de l’enfance qui va nourrir les meilleurs films français consacrés à ce sujet : l’univers de l’enfance est porteur de rêves, l’imaginaire des gosses, parce qu’il est brimé par les institutions dont les adultes sont les gardiens, ne peut survivre que dans une opposition plus ou moins forte, voire une révolte contre ces institutions (d’ailleurs, tout au long du film, le monde des adultes et celui des enfants se côtoient sans jamais se comprendre, sans jamais fusionner). En ce sens les enfants jouent en quelque sorte un rôle de révélateur: ils mettent en lumière les mensonges et les faux-semblants de la société. La poésie, le souffle lyrique de Zéro de conduite font oublier en quoi un tel point de vue relève peut-être d’une idéalisation exagérée, ce n’est hélas pas le cas de tous les films.

Quoi qu’il en soit, cette image d’une enfance plus ou moins révoltée, voulant préserver la beauté de ses rêves, demeure une constante de la majorité des films sur l’enfance. En filigrane se profile l’idée rousseauiste d’une enfance innocente et pure, donc capable d’une vision non aliénée, authentique sur le monde. Or, une telle vision n’est-t-elle pas ce vers quoi tend tout artiste et parmi eux, celui qui a le plus à faire au regard, le cinéaste? Et ce qu’il recherche par le biais des enfants n’est rien d’autre que la possibilité (le mythe ?) d’un regard neuf. La chose est d’ailleurs dite ouvertement, aussi bien par les critiques que par les réalisateurs. Dans son livre sur  » L’image de l’enfant au cinéma » , François Vallet écrit :  » Chez l’enfant, l’œil prime sur l’intellect. Et rien n’est plus semblable à un regard d’enfant que le regard d’une caméra…Le regard du cinéma rejoint celui de l’enfant « . L’Argent de poche (et les commentaires de Truffaut sur son film) s’inscrit parfaitement dans cette problématique qui n’est au demeurant, pas spécifique au cinéma français, à meilleure preuve, et pour ne prendre comme exemple Wenders:  » Les enfants représentent une sorte de vue idéale et cela a beaucoup à faire avec les films parce que les films cherchent à avoir cette attitude « . En fin de compte, et pour être lapidaire, on pourrait dire que le cinéma ressource son propre mythe à celui de l’enfance.

Outils

Bibliographie

L'argent de poche, François Truffaut, Cinéroman, Flammarion, 1977.
Le plaisir des yeux, François Truffaut, Ed. de l'Etoile, 1987.
Le cinéma selon François Truffaut, Anne Gillain, Flammarion, 1988.
François Truffaut, Antoine de Baecque et Serge Toubiana, Gallimard, collection "Biographies", 1996.
François Truffaut, Jean Collet, Lherminier, 1985.
François Truffaut, le secret perdu, Anne Gillain, Hatier, 1991.
François Truffaut, le cinéma est-il magique?, Annette Insdorf, Gallimard, collection "Découvertes", 1996.
François Truffaut, Carol LeBerre, Ed. de l'Etoile, 1993.

Films

Naissance de la Nouvelle Vague ou l'Evidence retrouvée de Claude-Jean Philippe
Jacques Rivette, le veilleur de Claire Denis
Antoine Duhamel de Jean-Pierre Sougy
Pierre Braunberger, producteur de films de Pierre-André Boutang
Du cinéma à la télévision, propos d'un passeur, Serge Daney de Philippe Roger
Georges Delerue de Jean-Louis Comolli
Hitchcock et la Nouvelle Vague de Jean-Jacques Bernard
François Truffaut, une autobiographie de Anne Andreu