Synopsis
Juliette, une fille de paysans de l’Oise jamais sortie de son village, épouse Jean, un jeune marinier patron de l’Atalante. L’équipage se compose d’un mousse et d’un second, le père Jules, qui cohabitent dans une cabine pleine de » bazar « . Très vite, la jeune femme s’ennuie à bord. Sur les conseils d’un camelot, elle finit par fuir pour se rendre à la Ville, mais son mari, blessé dans son amour-propre, donne l’ordre de repartir sans l’attendre. À Paris, outre les vitrines, Juliette découvre le chômage, tandis que sur la péniche, Jean, malheureux, n’assure plus son rôle de patron. Inquiet du sort de l’Atalante, Jules va rechercher la patronne à Paris et la ramène à bord. Les amants se retrouvent avec émotion sur la péniche.
Générique
Réalisation Jean Vigo
Scénario : Jean Guinée (Roger de Guichen)
Adaptation et dialogues : Jean Vigo, Albert Riéra
Image : Boris Kaufman
Décors et maquettes : Francis Jourdain (studio des Buttes-Chaumont, GFFA)
Assistant décorateur : Max Douy
Son : Marcel Royné, Lucien Baujard
Musique : Maurice Jaubert
Producteur d’origine : Gaumont Franco Film Aubert
Distributeur d’origine : Gaumont Franco Film Aubert
Détenteur des droits actuel : Gaumont
Distributeur actuel : Gaumont
Première sortie : septembre 1934
Sortie d’une version restaurée en1990
Film : 35 mm
Noir et blanc
Durée (version restaurée) : 1 h 27
Interprétation
le Père Jules / Michel Simon
Juliette / Dita Parlo
Jean / Jean Dasté
le camelot / Gilles Margaritis
le gosse/ Louis Lefebvre
Autour du film
L’Atalante, pourtant film de commande au départ, a permis à Vigo d’injecter des préoccupations déjà visibles dans son œuvre naissante : relation de parenté avec Zéro de conduite (l’enfance dans un cas, l’enfance prolongée dans l’autre, un goût commun pour la blague, la farce, l’irrévérence, la rébellion, la liberté de parole et de mouvement ; goût pour les lieux clos, de la promenade des Anglais (À propos de Nice) à la péniche de L’Atalante, de la piscine de Taris (La Natation) à l’internat de Zéro de conduite.
Mais surtout, L’Atalante a permis à Jean Vigo de dépasser son propre monde pour accéder à une maturité nouvelle : pour la première fois, Vigo aborde la question de la fiction pure (et du long métrage) : L’Atalante, ce n’est plus le documentaire comme À propos de Nice ou La Natation, ni même la fiction documentaire, c’est-à-dire autobiographique, comme Zéro de conduite. Conséquence logique, il affronte aussi pour la première fois vraiment les questions de l’acteur, de Dita Parlo à Michel Simon, et du personnage. On sait qu’entre le scénario d’origine et l’adaptation, même entre l’adaptation et le tournage (voir, par exemple, l’évolution du rôle du camelot), les personnages ont tous été revisités, revus de fond en comble, recréés. Ainsi, Vigo invente non seulement des personnages inoubliables, mais aussi, fait nouveau pour lui, des personnages individués, identifiables.
Combien de fois ai-je vu L’Atalante ?… Dix fois, quinze fois ou plus ?… Peu importe le chiffre. Ce film m’accompagne depuis toujours. Je devais avoir seize, dix-sept ans lorsque pour la première fois je me suis trouvé témoin de la scène où Michel Simon montre à Dita Parlo son torse tatoué et où il se coupe la chair à la racine du pouce pour faire valoir le tranchant de sa navaja. Quelle conscience avais-je pris ce jour-là, à travers le regard effrayé de la jeune femme, de ce qui se jouait réellement entre eux ? Entre le vieux marinier et la blonde “ patronne ” de la péniche… Je crois bien avoir été bouleversé, mais poétiquement il me semble, autant que sensuellement, par la sanglante et souveraine surprise du désir, par cette blessure qu’il ouvre en nous, à fleur d’être, en rendant aux lèvres leur forme véritable qui est celle d’une cicatrice. Vivante cicatrice pour une blessure fraîche : les lèvres de Dita Parlo, fascinée par le geste de Michel Simon, s’émeuvent dans l’hypnose de l’instant et se mettent à aspirer un sang imaginaire. C’est vrai qu’il y a des moments où la beauté ne peut être que convulsive.
Claude-Jean Philippe, Le Matin de Paris, 23 septembre 1977
Pistes de travail
- Les effets d’accordéon
Le film avance sur le mode de la dilatation/contraction, des changements de rythme que Vigo a visiblement plaisir à enregistrer. La scène de l’écluse, par exemple, marque une accélération par rapport à l’avancée lente et monotone de la péniche. - Les angles de prise de vue
En extérieurs, les rudes conditions climatiques et les goûts esthétiques de Vigo ont favorisé nombre de plans en plongée et en contre-plongée. Ainsi, le ciel et les nuages surgissent-ils parfois de façon massive dans le cadre.
Les intérieurs, dans l’Atalante, sont des cubes scéniques (guinguette, cabines) que Vigo décide de faire reproduire en studio à l’identique, en respectant l’exiguïté des lieux. Cette contrainte l’oblige à faire preuve d’inventivité dans la disposition des scènes et le choix des angles de prise de vue. - L’Atalante et le cinéma russe
Où l’on retrouve les choix esthétiques opérés par Jean Vigo et son opérateur Boris Kaufman (plongées depuis le pont de la péniche, contre-plongées sur fond de ciel, travellings crépusculaires le long des rives…) qui évoquent les films russes du Ciné-Oeil (Dovjenko, Vertov). Kaufman était le frère cadet de Dziga Vertov. - Le son
Alors que le cinéma parlant en est à ses débuts, Vigo parvient à une alchimie exceptionnelle de l’image et du son, dont le secret, pareil à celui des vitraux, nous dit Henri Langlois, sera perdu après sa mort.En fait, le miracle vient de ce que l’Atalante est à la fois un film muet, un film musical et un film parlant.Fiche mise à jour le 5 octobre 2004
Expériences
L’Atalante demande à être vu avec une attention flottante, afin de mieux distinguer sa structure onirique faite de détails, de répétitions et d’enchaînements, de condensations et de déplacements :
- jeux de mots de tous ordres (exemplairement ceux du camelot), reprises, rimes, écholalies et symétrie des situations ;
- conciliation des contraires selon un principe de confusion des genres (masculin/féminin), ou des espèces (les humains et les chats) ;
- rapprochements suspects, déplacements (l’attirance sexuelle de Juliette et Jules) ;
- enfin, matériau onirique : on retiendra le fameux bocal aux mains coupées, » trouvaille » dans la grande tradition surréaliste, tel le bocal de l’Étoile de mer de Man Ray et Robert Desnos (1929) ou encore la main coupée d’Un chien andalou (Luis Buñuel, 1928, film qui enthousiasma Vigo).L’Atalante, » un des plus pénétrants rêves d’amour du cinéma « , est scandé par deux rêves éveillés, deux expérimentations cinématographiques :
- pour voir celle qu’il aime et qui est partie, Jean a plongé dans la Seine. Les plans sous-marins le montrent ralenti, en apesanteur (rappel du film de Vigo, Taris ou la Natation), tandis que Juliette, blanche volute tournoyante s’inscrit en surimpression sur son visage.
- dans la séquence de l’insomnie des amants, l’homme et la femme, séparés par le montage parallèle, finissent par accorder leurs caresses solitaires. Vigo invente, par un effet de surimpression, l’amour physique virtuel, héritier cinématographique du » rêvé vrai » de Peter Ibbetson.
Outils
Bibliographie
Jean Vigo, une vie engagée dans le cinéma, Luce Vigo, Ed. Cahiers du cinéma/CNDP, 2002.
L'Atalante, un film de Jean Vigo, ouvrage collectif sous la direction de Bernard Benoliel, Nathalie Bourgeois, Stéfani de Loppinot, Cinémathèque française / Pôle Méditerranéen d'Education Cinématographique, 2000.
Jean Vigo, Oeuvre de cinéma, Cinémathèque française/Lherminier, 1985.
Jean Vigo, Positif n° 7, 1953.
Jean Vigo, Paulo Emilio Salès Gomès, Ramsay Poche Cinéma, 1988.
Jean Vigo, Premier plan n° 19, 1961.
Jean Vigo, Etudes cinématographiques n° 51/52, 1966.
A pied d'œuvre, Jean-Claude Biette, Traffic n° 2, 1992.
La projection du monde, Stanley Cavell, Belin, 1999.
Cahier des Ailes du Désir n°10 Essais et analyses:"Le montage parallèle dans L’Atalante par Daniel Serceau"
Vidéographie
L'Intégrale Jean Vigo
Distribution Gaumont (droits réservés au cadre familial)
Films
dans le catalogue Images de la culture
Scène rouge (2 versions) - Voyage organisé (Vol. 4) de Charles Picq
A propos de Nice de Jean Vigo
Années 20 ou le Temps de l'illusion (Les) de Claude-Jean Philippe
Jean Vigo ou la Fièvre de l'instant de Claude-Jean Philippe
Jean Painlevé au fil de ses films (3) de Hélène Hazera
Michel Simon ou l'Innocence du diable de Claude-Jean Philippe
Internet
Le Quai des images - études autour de la musique du film, découpage, biographie
Revues
1895 n°52, p. 215 ("Jean Vigo, un cinéaste singulier" par Pierre Lherminier)
Positif n° 375-376, p. 32, 520, p. 67