Bal des vampires (Le)

Grande-Bretagne (1968)

Genre : Comédie, Fantastique

Écriture cinématographique : Fiction

Archives CAC, Collège au cinéma 2008-2009

Synopsis

Exclu de l’université de Königsberg pour ses travaux anticonformistes sur les vampires, le professeur Abronisius, flanqué d’Alfred, son assitant, se rend en Transylvanie. A l’auberge de Shagal, on nie jusqu’à l’existence du château voisin. Mais l’enlèvement de Sarah, la fille de l’aubergiste, ne laisse aucun doute : Il y a des vampires dans le secteur…

Générique

Titre original : The Fairless Vampire Killers
Réalisation : Roman Polanski
Scénario : Roman Polanski, Gérard Brach
Image : Douglas Slocombe
Montage : Alistair McIntire
Son : George Stephenson
Musique : Krysztof Komeda
Décor : Wilfrid Shingleton
Costume : Sophie Devine
Format : 35 mm, couleurs
Durée : 1h43
Interprétation
Jack Mac Gowran / Professeur Abronisius
Roman Polanski / Alfred
Sharon Tate / Sarah
Alfie Bass / l’aubergiste Yoine Shagal
Ferdy Mayne / Le comte Krolocki

Autour du film

En s’emparant d’un tel thème, Polanski s’inscrit tout naturellement dans la tradition cinématographique du film de vampire (cf. onglet Autour du film). Bien éloigné du métaphysique Nosferatu, 1922, de Murnau quand au ton, Polanski lui emprunte cependant son personnage principal : Hutter. En effet, Alfred (interprété par Polanski) ressemble physiquement à ce jeune homme. Comme Murnau, Polanski n’hésite pas non plus à accélérer la vitesse de défilement de la pellicule (Alfred espionne Koukol dévorant un loup à 19 minutes 15). Mais ce sont surtout les films de la Hammer (cf. onglet Autour du film) qui lui servent de base de travail. Cette compagnie avait connue un certain succès dans les années 50 en mettant en scène à moindre coût des vampires assoiffés du sang de jeunes femmes au décolleté pigeonnant. « Dans le Bal des vampires, j’ai surtout essayé d’imiter un peu les films anglais de la Hammer, mais en le rendant plus beau, plus composé, comme dans les illustrations de contes de fées ; j’ai stylisé un style si vous voulez. » explique le cinéaste. Il aurait été facile de parodier de tels films (ce qui a largement été fait depuis) tant leur sérieux contrastait avec l’importance des moyens de production mis en œuvre. Mais, dans le Bal des vampires, Polanski ne tourne pas les codes du genre en dérision. Il se les réapproprie. Le cinéaste désacralise le genre en injectant une bonne dose d’humour et de second degré au scénario. Visuellement, il renonce à la gravité gothique et au solennel du film de vampire pour mettre en scène un conte baroque et truculent qui préservera l’inquiétante étrangeté liée au sujet.

  • Entre conte et bande dessinée, un film très graphique

Comme l’indique la présence d’une voix off (mais aussi : structure narrative linéaire, primauté de l’action, fictivité) qui ouvre et clôt le film de façon grinçante, cette histoire est un conte. Ancrage géographique de l’histoire (l’Europe centrale), lieux de l’action (château, auberge, forêt), éléments des plans (couettes rebondies sur le lits, ventouses sur le dos, bonnets de nuit) : le bal des vampires fera probablement ressurgir des images de lectures enfantines sorties tout droit d’illustrations des contes de Grimm ou de tout autres histoires se passant à une lointaine époque.

On trouve dans ce film, un véritable goût pour le trait et pour la caricature. Dès la séquence de l’auberge, Polanski choisi (comme à son habitude : « Plus vous êtes fantastiques, plus vous devez être réalistes » dit il) de soigner le moindre détail : organisation de l’espace, écuelles en bois, chaudron de cuivre, préparation de la choucroute… Le cinéaste nous immerge dans l’ambiance rustique de cette auberge retirée dans les montagnes Carpates grâce à la galerie de personnages qu’il créée en montant coup sur coup des gros plans de trognes écarlates aussi truculentes les unes que les autres. La forme des visages dont les traits sont accentués, les attributs des personnages (sourcils broussailleux, moustaches en guidon, rouflaquettes, chignon rond de la matrone) mais aussi leurs vêtements (triangles des cols de chemise, costumes anguleux d’Alfred et du Professeur) révèlent un sens aigu du trait. Le professeur Abronisius, composé à mi-chemin entre Einstein, Geppetto et le Professeur Tournesol, écarquille les yeux, hausse exagérément les sourcils, sursaute comme un personnage de bande dessinée ou de dessin animé.

La séquence de la course poursuite en ski dans la neige (chap. 10 à partir de 00’35’28’) pendant laquelle les personnages apparaissent en silhouette à contre jour, est également très représentative. Le cinéaste (par ailleurs un grand amateur de ce sport) prend un réel plaisir à filmer les belles courbes tracées par les skieurs dans la neige vierge : 3 plans larges semblent laisser la main se déployer sur sa feuille de papier blanc.

Mais un plan affirmait déjà à lui seul la parenté du film avec le dessin et l’illustration. Il s’agit du tout premier qui, dans un immense zoom arrière, unit dans un même plan la fin du générique dessiné (la lune) à la première scène réalisée avec de véritables acteurs (le traîneau glissant dans la nuit noire). Dès le début, le cinéaste affirme donc sa volonté de dédramatiser le film de vampire : pas d’épouvante ici mais plutôt un climat de douce frayeur comme dans les contes légendaires de notre enfance.

  • Un humour en rouge et noir

A 30 minutes 18 du début du film, deux ombres plantent violemment un pieu acéré dans le cœur de la victime. Cet usage de l’ombre est une récurrence des films expressionnistes allemands, contexte artistique dans lequel est né le premier vampire cinématographique : Nosferatu, de Murnau. Terence Fisher, dans ces films pour la Hammer utilise lui aussi l’ombre comme un double obscur du personnage. Mais dans le bal des vampires, il suffit d’un plan, le suivant, pour désacraliser le geste : c’est un oreiller bouffi qu’Alfred et le professeur Abronisius viennent maladroitement de transpercer. Et à 32 minutes, le sang qui jaillit se révèle être du vin sorti d’une barrique percée. Ainsi, va l’humour macabre de Polanski. Quand la servante brandi un crucifix pour se protéger de Shagal le vampire juif, il lui répond, insensible « tu te trompes de vampire mon petit ». Vampire juif, vampire jeune, vieux, vampire homosexuel : la société des vampires est pensée symétriquement à celle des vivants, les crocs en plus …).

Fidèle à ses premiers amours pour le muet (voir ses premiers courts-métrages), Roman Polanski met en scène plusieurs moments sans paroles (Shagal cloue la porte de sa fille, Alfred fait un bonhomme de neige, arrivée du bossu : plus de 3 minutes 30 sans presque un seul mot !). Les courses poursuites (entre Alfred et Herbert en circuit fermé, avec Shagal dans la cave…), le duo basé sur une forte opposition physique (le vieux professeur fantasque et son jeune assistant, rêveur et ballot), les accélérations ponctuelles du rythme de défilement (voir aussi à 1 heure 25 min 30 s. : scène du canon), les mimes (Dracula mimant la chauve souris, Alfred mimant les dents de Dracula pendant l’enlèvement de Sarah), les chutes (35 min 44), la précision des gags ( à 1h31 lorsque les personnages principaux assomment deux invités pour leur subtiliser leur costume, à 1h36 lorsque Professeur Abronsius, Alfred et Sarah se retrouvent face au miroir) … Tout est là : le registre humoristique est celui du cinéma burlesque.

Enfin, on relèvera d’autres gags de mise en scène qui prouvent la pleine maîtrise du réalisateur : l’analogie visuelle entre le cœur que trace Alfred sur la buée de la fenêtre et les fesses du Professeur qui lui apparaissent alors coincée dans une tour du château ; la déclaration d’amour façon télégraphique, hachée par le menuet auquel se prête Alfred et Sarah ; la réponse naïve d’Alfred qui croit s’adresser au Professeur quand, hors-champ, Dracula regrette : « Vous n’auriez jamais dû venir ! » « Mais alors pourquoi sommes nous venus ? » (01’22’00)…

Vidéos

Le Bal des vampires

Catégorie :

  • Analyse de séquence : l’enlèvement de Sarah

Par sa mise en scène, Polanski fait vivre au spectateur une rencontre et un enlèvement voluptueux. Chap 7 (de 00’22’00 à 00’24’40)

Au début de la séquence, les ronflements réguliers du Professeurs Abronisius sont interrompus par le bruit de quelqu’un frappant à la porte. A peine Alfred ouvre t il la porte que nous reconnaissons cette personne avant même de l’avoir vue. En effet, le thème musical qui accompagne Sarah à chacune de ses apparitions se fait à nouveau entendre. Cette musique, candide et voluptueuse, participe pleinement à construction du personnage.

Polanski choisit de filmer l’échange entre les personnages en gros plans|73. Le visage de poupée de Sharon Tate resplendi tandis que le montage des plans serrés érotise un dialogue lourd de sous-entendus. Le spectateur (la caméra) se retrouve alors serré entre les deux jeunes gens et peut donc éprouver tout le trouble d’Alfred face à cette jeune fille en fleur (et en chemise de nuit légère et décolletée).

L’intrusion d’un plan de Dracula arrivant à tout allure (le panoramique débute comme une claque) sur son traîneau produit une rupture franche qui tranche avec la douceur de la scène précédente. En effet, les nuances orangées de l’éclairage à la bougie sont balayées par le bleu glacial de la nuit et par le thème musical fantomatique et menaçant qui va désormais occuper la bande son de l’auberge jusqu’à la fin de la séquence. Par ailleurs, le montage alterné qui mêle les plans de l’intérieur et de l’extérieur rend désormais le drame inévitable. Le point de vue du spectateur, qui surplombe alors la scène, l’implique intensément : nous savons ce qui se trame et assistons, impuissants, à l’enlèvement de Sarah. L’intensité musicale est à son plus haut niveau, le rythme des plans s’accélère : le vampire passe à l’acte. L’inévitable métaphore sexuelle associée à la morsure vampirique est conservée par Polanski. Il insère plusieurs plans suggestifs dans la séquence : gros plan de l’eau giclant sur la porte, gros plan sur le visage extasié de la jeune femme et, enfin plan moyen au centre duquel éclate une tâche de sang maculant la mousse vierge du bain.

La mystérieuse voix off 

A l’ouverture du film, une voix off nous présente les personnages progressant à l’image sur un traîneau. Cette voix ne réapparaîtra qu’à la fin du film : « Grâce à lui, ce fléau allait enfin pouvoir envahir tout l’univers ». Les personnages principaux sont alors à nouveau sur un traîneau mais sur la route du retour cette fois-ci. Qui parle ? Le ton, le timbre (la couleur) de la voix sont des indices importants. Etre attentif au vocabulaire employé et au choix des mots (« grâce à » et non « à cause de »). Qu’implique cette instance narrative ?

Analyse comparative

Le bal des vampires de Roman Polanski et Le cauchemar de Dracula, 1957 un film de Terence Fisher produit par la Hammer offrent tous deux une séquence identique en terme de contenu. Arrivé à l’auberge, le personnage principal se heurte au mutisme de ces tenanciers alors qu’il tente de comprendre naïvement la présence massive de tresses d’ail dans les lieux. La mise en regard de ces deux séquences permet de mettre en évidence la notion de ton et de mise en scène : grave chez Fisher, truculente et riante chez Polanski. En voici les repères : Le bal des vampires de 06 minutes 53 à 07 minutes 54. Le cauchemar de Dracula, de 24 minutes à 25 minutes 15.

Désacralisation du film de vampires

Quels éléments participent à la désacralisation du film de vampire ? Etudier les personnages (apparence et comportement : sont ils des héros ?), les répliques, les situations.

Le conte

Certains plans sont composés et organisés exactement comme des illustrations de contes pour enfant. A partir de la vidéo, isoler les photogrammes (images fixes) dont la ressemblance est la plus frappante (ex. 19 minutes 48 : le professeur ronfle sur son bureau, à 13 minutes : le réveil, à 10 minutes : les ventouses, etc…)

Cécile Paturel, le 25 août 2008

Pistes de travail

La mystérieuse voix off 

A l’ouverture du film, une voix off nous présente les personnages progressant à l’image sur un traîneau. Cette voix ne réapparaîtra qu’à la fin du film : « Grâce à lui, ce fléau allait enfin pouvoir envahir tout l’univers ». Les personnages principaux sont alors à nouveau sur un traîneau mais sur la route du retour cette fois-ci. Qui parle ? Le ton, le timbre (la couleur) de la voix sont des indices importants. Etre attentif au vocabulaire employé et au choix des mots (« grâce à » et non « à cause de »). Qu’implique cette instance narrative ?

Analyse comparative

Le bal des vampires de Roman Polanski et Le cauchemar de Dracula, 1957 un film de Terence Fisher produit par la Hammer offrent tous deux une séquence identique en terme de contenu. Arrivé à l’auberge, le personnage principal se heurte au mutisme de ces tenanciers alors qu’il tente de comprendre naïvement la présence massive de tresses d’ail dans les lieux. La mise en regard de ces deux séquences permet de mettre en évidence la notion de ton et de mise en scène : grave chez Fisher, truculente et riante chez Polanski. En voici les repères : Le bal des vampires de 06 minutes 53 à 07 minutes 54. Le cauchemar de Dracula, de 24 minutes à 25 minutes 15.

Désacralisation du film de vampires

Quels éléments participent à la désacralisation du film de vampire ? Etudier les personnages (apparence et comportement : sont ils des héros ?), les répliques, les situations.

Le conte

Certains plans sont composés et organisés exactement comme des illustrations de contes pour enfant. A partir de la vidéo, isoler les photogrammes (images fixes) dont la ressemblance est la plus frappante (ex. 19 minutes 48 : le professeur ronfle sur son bureau, à 13 minutes : le réveil, à 10 minutes : les ventouses, etc…)

Cécile Paturel, le 25 août 2008

Expériences

  • Le cinéma fantastique et les films de la Hammer

Le cinéma fantastique est un genre cinématographique à part entière dans lequel le réel est peu à peu miné par des éléments extraordinaires. Les réalisateurs de films fantastiques travaillent souvent à partir d’histoires déjà connues du public comme des légendes populaires, des mythes, des légendes urbaines… Au fil des interprétations cinématographiques et littéraires, les créatures monstrueuses ont souvent donné une forme aux tourments les plus souterrains de la société à un moment donné.

En Angleterre, une société s’est spécialisée dans le genre dans les années 50. La Hammer est emblématique d’un cinéma de série B à petit budget qui doit faire preuve de beaucoup d’inventivité pour palier ses manques de moyens : recyclage des décors, effets spéciaux de bouts de ficelle, tournages courts … Parmi les réalisateurs phares de ce studio, Terence Fisher rencontre un grand succès populaire en 1957 avec le film Frankenstein s’est échappé puis en 1958, avec Le cauchemar de Dracula. Son style mêle ambiance gothique et tension érotique. Il tournera d’autres adaptation de la légende de Dracula en restant fidèle à ses deux interprètes Peter Cushing et Christopher Lee.

  • Les films de vampires

Publié en 1897 (deux ans après la naissance du cinéma), Dracula, le roman de Bram Stoker n’a jamais cessé d’inspirer les cinéastes de toutes époque : de Nosferatu de F. W. Murnau (1922), figure fondatrice du film de Vampire, à Dracula de Francis Ford Coppola en 1992 ; de Vampyr tourné par Dreyer en 1932 à Une nuit en enfer de Robert Rodriguez et Quentin Tarantino. Pourquoi les vampires n’ont-ils jamais cessé de hanter le cinéma ? Quand Dreyer y cherchait un moyen de filmer l’invisible, Murnau, lui, filmait (véritable ode au cinéma), la victoire de la lumière sur l’obscurité. Le vampire fournit aussi l’occasion à d’autres cinéastes d’attiser le voyeurisme du spectateur en choisissant une mise en scène des scènes de morsures plus ou moins suggestive.

Voici une liste non exhaustive de quelques films pour vampirologue en devenir :
Nosferatu, 1922 de Murnau
Dracula, 1931 Tod Browning
Vampyr , 1932, Dreyer
La marque du vampire, 1934, Tod Browning
Le fils de Dracula, 1943, Robert Siodmak
Le cauchemar de Dracula, 1957, Terence Fisher
Le frisson des vampires, 1970, Jean Rollin
Nosferatu, fantôme de la nuit, 1978, Werner Herzog
Les prédateurs, 1983, Tony Scott
Vampire, vous avez dit vampire ?, 1985, de Tom Holland
Génération perdue, 1986, de Joel Schumacher
Dracula de Francis Ford Coppola en 1992
Une nuit en enfer, 1996, Robert Rodriguez
Vampires, 1998, John Carpenter

Outils

Revues

Cahiers du cinéma, n°208, janvier 1969, Paris
Entretiens, in Midi-minuit fantastique, n°20, octobre 1968, Paris

Livres

Roman par Polanski, Polanski Roman, éditions Robert Lafont, 1984
Roman Polanski, Belmans Jacques, Ed. Seghers, coll. « Cinéma d'aujourd'hui », 1971
Dracula, les vampires au cinéma, Pattisson Barrie, Éditions Marc Minoustchine, 1976
Dracula (1897-1997), Pozzuoli Alain, Ed. Hermé, 1996.

Sites internet

http://www.sceren.fr/tice/teledoc/dossiers/dossier_vampire.htm - Analyse du film sur le site du Scéren
http://www.roman-polanski.net/ - Un site pédagogique très riche consacré au cinéaste, portail vers de nombreux autres sites.