Central do Brasil

Brésil (1998)

Genre : Comédie dramatique

Écriture cinématographique : Fiction

Archives CAC, Collège au cinéma 2000-2001

Synopsis

Institutrice à la retraite et écrivain public, Dora occupe ses journées dans la gare centrale de Rio à écrire des lettres qu’elle n’envoie pas. Un jour, une femme accompagnée de son jeune fils Josué lui en dicte une qu’elle souhaite adresser à son mari disparu. En sortant de la gare, la mère de l’enfant est renversée par un autobus et meurt sur le coup. Dora, indifférente à l’accident, refuse d’aider le gamin quand il le lui demande.

Peu après, un vigile de la gare propose à Dora de gagner la confiance de l’enfant pour pouvoir le vendre à un réseau prétendument chargé de replacer les orphelins dans de riches familles occidentales. L’ignoble opération est un succès pour Dora qui peut s’offrir une nouvelle télévision. Mais, suite aux cris horrifiés de sa seule amie Irène la mettant en garde contre les trafics d’organes, Dora délivre le gamin. Contrainte de fuir, elle décide de partir avec lui à la recherche de son père.

La route en bus vers le Sertão est émaillée de disputes entre les deux compagnons de voyage. Après avoir perdu leur argent, un camionneur les délivre de la faim et du découragement. Puis, au cours d’une procession religieuse, Dora est victime d’un malaise après s’être une dernière fois querellée avec Josué.

Le lendemain, les deux voyageurs se réconcilient après une séance lucrative d’écriture de lettres qui leur permet de repartir. Malheureusement, leur quête tourne court : le père de Josué n’habite plus à l’adresse indiquée et tout porte à croire qu’il a disparu. Au moment de quitter la région, Dora est abordée par celui qui se révèle être le demi-frère de Josué. Il vit avec Moisés, son frère cadet. Après une soirée passée à la lecture d’une lettre du père, Dora quitte la maison des trois garçons réunis dans un petit matin prometteur.

Distribution

Dora
Ancienne institutrice à la retraite, Dora est une femme d’une soixantaine d’années qui boucle ses fins de mois assise derrière un pupitre d’écrivain public dans la gare centrale de Rio. Ses clients : de pauvres analphabètes qu’elle arnaque en ne postant pas les lettres qu’ils lui dictent. Ses tarifs : 1 réal la lettre + 2 pour (ne pas) l’expédier. Son parfait cynisme est représentatif d’un petit peuple prêt à tout pour survivre en même temps que du climat d’impunité qui règne dans le pays. Elle vit déprimée dans un petit appartement de banlieue, n’a ni mari, ni enfant. Son unique lien amical avec les autres est son amie d’enfance Irène qui lui sert de contrepoids moral.
Son périple avec Josué est à la fois un voyage à la rencontre d’elle-même qui lui permet de se réapproprier un visage humain et un exutoire dans la mesure où il l’oblige à se confier (le souvenir douloureux d’un père coureur et alcoolique, une mère ruinée par le chagrin, sa solitude pesante). D’abord sévère et impatiente avec l’enfant – Josué – qu’elle n’a jamais eu, elle parvient peu à peu à établir une relation de complicité avec lui. Sa transformation est à la fois morale et physique. À la fin, elle n’écrit plus pour les autres, elle écrit pour elle-même comme une façon de dire qu’elle prend son destin en main.

Josué
Ce petit bout d’homme d’une dizaine d’années se caractérise par une grande détermination, une franchise et une exigence qui force l’action. C’est lui qui pousse sa mère à écrire à un père qu’il n’a jamais vu et qu’il désire connaître. C’est lui aussi qui place Dora face à son ignominie avec ses questions dérangeantes. Seul après la mort de sa mère, il ne sombre pas dans la délinquance. Au contraire, son personnage fonctionne comme un refus obstiné à la fatalité. Ses regards intenses, son désir d’écrire à son père, son rejet même de Dora sont comme des coups de boutoirs à l’immobilisme ambiant. Sa revendication de paternité – celle d’un père lointain, imaginaire et hypothétique – traduit un besoin de structure familiale stable passant par la restauration des valeurs traditionnelles scandées tout au long du voyage. Il incarne enfin l’espoir d’un lendemain humain et meilleur.

Irène
Elle est l’amie d’enfance de Dora. Sans mari et sans enfant (à son grand malheur) comme elle, Irène participe à contrecœur à la relecture des lettres de Dora et refuse d’entrer dans le monde imaginaire de la télévision. Sa sensibilité, son enthousiasme et son sourire constituent une alternative au comportement détestable de Dora et permet à l’histoire de ne pas sombrer dans un manichéisme géographique (ville versus campagne) par trop appuyé. Elle est aussi le support éthique et diviseur de Dora, sa mauvaise conscience incarnée qui la force à ne pas aller trop loin dans son ignominie. Sa gentillesse et son étourderie font aussi d’elle un personnage fragile dans la violence ambiante.

Cesar
Cesar est un camionneur pacifique, soucieux du respect d’autrui. Evangéliste, il affiche sa grande foi partout sur son véhicule. Il apparaît sur la pénible route des deux pèlerins que sont Dora et Josué comme un bienfaiteur qui leur redonne courage et force. Toutefois, sa fuite ou sa peur (son mutisme gêné face aux avances discrètes de Dora) apparaît plus comme une incapacité à se déterminer qu’un véritable refus de s’engager.

Pedrão
Chargé de la surveillance des petits commerces de la gare, Pedrão est l’exact opposé de Cesar. Il correspond à la face chaotique d’un pays capable des pires vilenies comme l’exécution sommaire d’un jeune voleur à l’étalage ou la vente d’un enfant à un réseau mafieux de trafics d’enfants et d’organes. Pour preuve de son autorité suspecte, on le voit recevoir une somme d’argent en échange de la sécurité du pupitre de Dora durant la nuit.

Générique

Titre original : Central do Brasil
Scénario João Emmanuel Carneiro et Marcos Berstein
Réalisation Walter Salles
Image Walter Carvalho
Son Jean-Claude Brisson, François Groult et Bruno Tarrière
Décors Cassio Amarante et Carla Caffé
Montage Isabelle Rathery
Musique Antonio Pinto et Jacques Morlembaum
Interprétation
Isadora Teixeira, dit “ Dora ” / Fernanda Montenegro
Irène)Marilia Pêra
Josué Fontenele de Paiva / Vinicius de Oliveira
Ana Fontenele, mère de Josué / Sola Lira

Production : Videofilmes/MACT et Canal+
Film Couleurs (35mm)
Format : CinémaScope (1/2,35)
Durée : 1h46
N° de visa : 90 691
Distribution : Mars Films
Sortie (France) : 2 décembre 1998
Prix : Ours d’or et Prix de la meilleure actrice pour Fernanda Montenegro (Festival de Berlin 1998)

Autour du film

Epicentre du premier volet narratif, la gare est à la fois l’espace du délabrement d’une infra population mais aussi le lieu de croisement d’une foule de 400 000 cariocas (habitants de Rio) qui passent par là quotidiennement. Mais que l’on ne se trompe pas sur le sens de cette agitation fébrile, Central do Brasil est le microcosme brésilien de l’indifférence, le cache-misère actif d’un État immobiliste responsable d’un chaos socio-économique où 20 millions de personnes sont sous-employées ou au chômage. En un mot, le terminus de tous les espoirs.

Pour autant, si Walter Salles ne s’attache pas à peindre la misère, il n’en choisit pas moins d’en extirper quelques spécimens, histoire de donner un visage à ceux que l’on a trop souvent l’habitude de nommer rapidement les “ sacrifiés ” du miracle économique brésilien. Ce bref défilé/métaphore de l’identité brésilienne permet d’esquisser non seulement les contours d’une carte du Tendre à visage humain mais aussi de rendre l’espace d’un instant la voix à une population muette (parce qu’absente des médias), de lui laisser la parole le temps de dire sa détresse et de revendiquer son existence.

Le voyage qui emmène ensuite les personnages de Rio à Vila do João en passant par Cruzeiro do Norte part en terre élue du Cinema Novo. Façon pour Walter Salles de partir en quête de ses racines esthétiques, d’assurer une filiation idéologique entre les pères du Cinema Novo – le seul courant qui a permis une existence cinématographique aux paysans du Nordeste en allant tourner là-bas- et le nouveau cinéma brésilien dont Salles est l’un des représentants les plus prometteurs.

Une nouvelle image du Nordeste
Or, ce qu’il est intéressant de remarquer, c’est que Central do Brasil va à contre-courant de ce fameux Cinema Novo qui, lui, montrait la souffrance des paysans du Nordeste et les mouvements migratoires vers les zones urbaines du Sud ou du littoral (Cf. Autour du film). Une bonne trentaine d’années plus tard, les esprits ont changé et les espoirs de fortune sont venus s’échouer sur les brisées d’un réalisme économique sauvage. Toutefois, si le sort des Nordestins n’est guère plus enviable aujourd’hui, le fait est qu’ils ont su se préserver de l’égarement identitaire qui frappe une majorité de citadins comme nous le répète à l’envie le film de Salles.

Cependant, des scènes comme la procession ne doivent pas faire écran à la misère de ce coin du pays. Bien au contraire. Cette immense ferveur est inversement proportionnelle à l’état de dénuement dans lequel vivent les habitants du Sertão. Elle est aussi leur ultime bouée de sauvetage et fait d’eux des humbles souvent illettrés qui ont appris à se résigner et à se réfugier dans des croyances religieuses faute de certitudes politiques.

L’image du Sertão que nous propose toutefois Central do brasil est très différente de celle de ses aînés du Cinema Novo. L’âpreté de la terre y est ici gommée au profit d’un regard qui souligne en permanence la beauté et l’immensité des paysages sauvages (on pense à l’Ouest américain) en décalage avec ce qu’ils recèlent de redoutable. Les espaces grandioses de Central do Brasil laissent s’inscrire dans les crevasses du sol aride les espoirs d’une renaissance de l’Homme à lui-même. Le combat virulent d’autrefois a cédé la place à un regard humaniste plus tendre, virant au sentimentalisme larmoyant dans les dernières images du film. Face à l’immobilisme de la situation, Walter Salles suggère la compréhension et la solidarité entre les gens comme ligne de front, invite à résister contre cet état pérenne de fait en ouvrant un débat de fond entre le Sud indifférent et le Nord “ honnête ” du pays.

Pour un monde plus juste et plus solidaire
L’enfant du film représente l’espoir de la génération montante, destiné à inscrire sa propre histoire sur les terres rases et ancestrales du Sertão et à recouvrir à la manière d’un palimpseste les erreurs et les souffrances du passé incarnées par Dora. Il est l’ange-transformateur de la fatalité, exigeant des adultes qu’ils prennent leurs responsabilités. Dans le même temps, Dora, contrainte à une introspection, finit par porter son regard sur les valeurs traditionnelles et les qualités humaines et redécouvre un humanisme et une éthique de vie oubliés.

Le voyage de Josué vers un père nordestin est à la fois emblématique d’un nouveau cinéma brésilien en mal de père spirituel, d’un héritage recyclé et revendiqué – le Cinema Novo – par Walter Salles lui-même. Cette quête du père prend alors en charge le désir d’identité d’un metteur en scène en attente d’un changement national. Et comme figure tendue de l’exil et de l’abandon d’un présent odieux (le Rio du début), cette fuite en avant cherche à définir une nouvelle loi. Une loi – naturelle et authentique – qui serait alors pétrie du trésor des sentiments des paysans du Nordeste.

C’est alors que Central do Brasil laisse peu à peu émerger l’idée d’un Eden des sentiments bâti sur l’espoir de la restauration de valeurs humaines dans lesquelles un homme originel, symbole d’un futur enfin palpable, deviendrait le modèle d’un peuple égaré d’orphelins. Cette figure du père intemporel et universel – l’Adam futur – garantirait l’avènement d’un monde nouveau, solidaire et plus juste. Un monde dans lequel l’action aurait enfin pris le pas sur l’apathie, la solidarité sur l’individualité, la confiance sur le mépris.
Philippe Leclercq

Autres points de vue

Un road-movie brésilien
“ À travers ce drôle de couple en quête d’identité […], Walter Salles filme une sorte de road-movie qui nous emmène de la gare de Rio, vibrant d’une population toujours en mouvement, jusqu’à des villages reculés où le temps semble s’être arrêté. Un long parcours en car, en stop et à pied, durant lequel le réalisateur tente de rapprocher ces deux êtres qui, au départ, n’ont rien en commun, sinon leur solitude. Pavé de bonnes intentions, parfois même un peu larmoyant (mais jamais misérabiliste), le film contient néanmoins une authentique charge émotionnelle, qui doit beaucoup à la qualité de son interprétation. ”
Christophe d’Yvoire, Studio, décembre 1998.

Un réel tempéré par la couleur
“ Le regard documentariste de Walter Salles voit le pays comme il est, sans doute, débarrassé (privé) de la violence baroque, de la folie expressionniste et magique de Rocha ou de Diegues au temps du Cinema Novo. Salles est plus proche d’un néo-réalisme minutieux, d’un rendu immédiat du réel tempéré par la couleur. ”
Jean-Pierre Jeancolas, Positif, décembre 1998.

Le “ mélo novo ” est arrivé
“ On sent que la misère sociale et affective va être passée au crible, au propre comme au figuré. Mais, très vite, Walter Salles quitte ce réalisme froid pour jouer la carte du mélo lacrymal, en suivant Dora et Josué sur les routes du Brésil, à la recherche du père perdu. ”
Marine Landrot, Télérama, 2 décembre 1998.

Voyage au bout de l’espoir
“ [Entre la femme et l’enfant], insensiblement, comme une ombre, une complicité affective va apparaître dans le sillage de l’entente obligée. Et c’est là que l’intelligence du metteur en scène acquiert une dimension rarement atteinte. Il risquait de tomber dans le mélo. Mais il ne fait que suggérer la métamorphose des choses au fil de cent péripéties qui jalonnent le voyage. Simplement parce que les gestes deviennent moins brusques, les regards plus confiants. L’art de Salles est fondamentalement impressionniste ; il enchaîne les accords, les dissonances, les allusions troubles ou fluides, les arpèges brisés. L’effet est bouleversant. ”
Le Figaro, 3 décembre 1998

Pistes de travail

  • La mise en scène de la réalité brésilienne
    – Faire le tri entre les images documentaires et celles relevant de la fiction pure. Montrer comment l’aspect documentaire s’intègre dans le continuum narratif et dire ce que le film gagne en réalisme. Identifier les différents moyens techniques et narratifs servant à caractériser les deux univers urbain et nordestin. Souligner l’importance du montage d’une part (début du film par exemple) et l’art de la mise en scène comme circulation des corps d’autre part. Pour cela, montrer à partir de certaines scènes précises comment le metteur en scène fond dans l’image les détails de vie volés au réel et les personnages appartenant à l’histoire (la “ construction ” de l’espace de la gare, décors naturels, mélange des acteurs professionnels et de la population). Après une définition du genre documentaire, essayer de confronter le genre avec le documentaire-fiction et dire en quoi ce dernier diffère du film de Walter Salles.
    – Montrer qu’au-delà du manichéisme apparent (ville/campagne) se cache une autre réalité qui est celle d’une société en mal de repères. Dire en quoi la quête du père de Josué avec ce qu’elle comporte de symbolique est le reflet du malaise de la société brésilienne. Définir, à partir des films de Walter Salles, le regard que le metteur en scène porte sur la société brésilienne. Concernant Central do Brasil, on peut reprendre les différents indices dans le film et pointer quelques-uns des maux de la société brésilienne : le rôle vampirisant de la télévision, le trafic d’enfants et d’organes, l’importance de la religion, l’analphabétisme, la violence, les favelas… Étendre ensuite cette réflexion aux multiples enjeux (sociaux, politiques, éthiques, historiques, esthétiques…) en s’appuyant sur d’autres films traitant d’abord des problèmes nordestins (fictions ou documentaires) et, dans une plus vaste mesure, de la société brésilienne tout entière.
  • Une réalité revisitée
    S’il reprend certains thèmes propres au Cinema Novo, Central do Brasil opère de grandes différences de lecture de la géographie physique et humaine du Sertão. Dire lesquelles et montrer ce que son regard contient d’original par rapport à ses aînés. Mettre en avant le discours humaniste du film et dire en quoi il constitue une alternative profondément optimiste au regard des “ cinemanovistes ” des années 60. Ne pas oublier, toutefois, de souligner ce que les images de cette région présentes dans le film contiennent de menaces (constructions médiocres, absence de culture et d’industrie, donc de travail…).
  • Problème de genre
    Central do Brasil est un road-movie. Retracer les différentes étapes de l’histoire, dresser le portrait éminemment évolutif des différents personnages-voyageurs, définir le rôle des opposants et adjuvants, cerner les enjeux dramatiques du genre. Confronter le film à d’autres du même genre (constantes et nuances). Prolonger cette étude vers d’autres domaines (littéraire par exemple avec l’épopée, le roman picaresque ou le conte) qui, s’ils développent chacun des différences de traitement, laissent aussi voir des similitudes.

    Mise à jour:16-06-04

  • Expériences

    Place dans l’histoire du cinéma brésilien

    Le “ Cinema Novo ” et le Nordeste
    C’est à l’aune du néoréalisme italien que de jeunes cinéastes brésiliens s’engagent au début des années 60 dans une réflexion esthétique et économique visant à renouveler les moyens de production et les contenus d’un cinéma national vieillissant. Leur souhait est de développer une “ thématique brésilienne ” visant à interroger l’homme du peuple pour en montrer sa structure mentale, son langage et sa manière de vivre en général. Deux documentaires – Arraial do Cabo et Aruanda (1959) –, défendus auprès de la critique par Glauber Rocha, l’un des membres fondateurs du mouvement, viendront encore précipiter la révolution en cours. Violemment hostile au cinéma industriel constitué par l’axe Rio/São Paulo et attaché à un cinéma d’auteur à l’européenne, le Cinema Novo se veut avant tout une expression populaire, politique et critique à tonalité documentaire au service du peuple. Rocha résume en une phrase désormais célèbre que le cinéma se fait “ avec une idée dans la tête et une caméra à la main ”.

    Leur esthétique ? À l’image de l’urgence du mouvement, ils délaissent les studios pour des décors naturels généralement pauvres, la figuration assurée par la population locale se mêle aux acteurs professionnels, le filmage se fait caméra à la main pour donner un sentiment de liberté, la lumière n’est plus filtrée pour instiller un sentiment de proximité avec la réalité, le scénario n’est plus strictement défini à l’avance d’où la part de l’improvisation, le noir et blanc est enfin systématiquement utilisé. Aussi est-ce presque naturellement que les jeunes cinéastes du Cinema Novo se tournent vers les terres rudes du Sertão. Cette terre du Nordeste est, en effet, riche en misères et fertile en mythes révolutionnaires.

    Trois films différents et emblématiques de l’alliance Cinema Novo/Nordeste sortent du lot : Sécheresse de Nelson Pereira do Santos, Le Dieu noir et le diable blond de Glauber Rocha et Les Fusils de Ruy Guerra, tous trois de 1963. Le premier nous entraîne à la suite d’une famille qui fuit la région à cause d’une terrible sécheresse. Les plans longs, les dialogues réduits, la musique limitée au bruit strident d’un char à bœufs traduisent la pérennité des gestes, toujours les mêmes, dans cet éternel enfer du Sertão. Le deuxième, le plus ambitieux, synthétise en trois parties distinctes les grands thèmes fondateurs du Sertão : la terre et la misère ; le mysticisme et la religiosité ; le cangaço (banditisme social du Nordeste) et la violence. Le troisième montre la colère d’un camionneur venant au secours de paysans ruinés par une sécheresse. Alors qu’il veut leur donner à manger, il est tué par les soldats.

    Cette trilogie constitue une gradation quasi militante allant du simple constat de la misère vers l’émancipation et la révolte du héros. Ses images affichent l’insatisfaction du présent, les humiliations quotidiennes et la pérennisation de l’aliénation. Fidèle à son esprit populaire, le Cinema Novo répond donc autant à une démarche esthétique qu’à un esprit politique poussant à réagir. Il faut dire qu’en ce début des années 60, sous le gouvernement Kubitschek, l’idéologie du développement prédomine et le Cinema Novo entend bien participer en tant que force subversive à la prise de conscience d’un potentiel de révolte populaire.

    L’après “ Cinema Novo ”
    Dès son arrivée au pouvoir en 1990, le gouvernement Collor supprime les aides à la production et à la distribution, ferme le ministère de la Culture, dissout Embrafilme (l’équivalent de notre CNC) et gèle les dépôts bancaires. De plus, fait unique en Amérique latine, la télévision n’intervient pas dans la production cinématographique nationale. La production tombe à zéro.

    Fin 92 : la mairie de Rio crée la Riofilme, chargée de distribuer les films et d’aider à la production. Une nouvelle loi sur l’audiovisuel est votée pour 10 ans en 1993 permettant aux distributeurs étrangers installés au Brésil et aux entreprises nationales un abattement d’une partie de leurs impôts en coproduisant des films brésiliens. Et TV Globo, via sa filiale cinéma (Globo Filmes), entre en 1999 dans la production cinématographique. Le nombre de films brésiliens distribués atteint une trentaine en 1998.

    Comme leurs aînés du Cinema Novo, les nouveaux cinéastes brésiliens aux styles très différents ont placé le visage de l’homme au centre de leurs préoccupations.

    Certains films se tournent vers la représentation historique de la colonisation (Carlota Joaquina de Carla Camurati, 1994 ; O Quatrilho de Fabio Barreto, 1995), la relecture des années de dictature (La Marca de Silvio rezende, 1994 ; Four Days in September de Bruno Barreto, 1997 ; Ação entre amigos de Beto Brant, 1998) ou encore la mise en scène des années mouvementées du cangaço (Corisco e Dada de Rosemberg Cariry, 1996 ; Baile perfumado de Paul Caldas et Lirio Ferreira, 1997 ; O cangaceiro de Aníbal Massaini, 1997). Toutes ces œuvres ont en commun la volonté de comprendre le sens et la nécessité de l’engagement politique. Ils instaurent souvent un dialogue entre le présent et un passé souvent violent comme Terre lointaine. Une constante se révèle aussi : la fragmentation de la narration où se mêlent fiction et documentaire comme c’est encore le cas avec Terre lointaine, O Sertão das memórias (José Araújo, 1996) ou L’Huître et le vent (Walter Lima Jr, 1997), des longs métrages où le nombre des problèmes dispute la volonté d’en débrouiller la complexité. Certains films utilisent la présence de personnages-conteurs (Corisco e Dadà, O Cangaceiro, Carlota Joaquina) pour souligner la nécessité de raconter et de construire un espace de la mémoire historique afin que s’énonce la souffrance et s’élaborent des éléments de réponses affectives.

    La violence est également présente dans beaucoup de ces nouveaux films. C’est ici les années d’affrontement avec Baile perfumado de Caldas et Lirio Ferreira (1997) ou Os Matadores de Beto Brant (1997) qui explorent un territoire frontalier entre le Brésil et le Paraguay, espace de tueurs où aucune loi n’a cours. La violence encore dans Como nascem os anjos de Murilo Salles (1998), un thriller qui dénonce un pays des extrêmes (opulence/misère) engendrant amertume et frustration.

    Deux raisons majeures expliquent la présence du Nordeste dans le cinéma actuel : la décentralisation de l’axe Rio/São Paulo avec l’émergence simultanée de cinéastes nordestins et l’impact formidable de Central do Brasil sur l’ensemble de la population. Corisco e Dadá souligne, à travers l’histoire pleine de colère d’un homme rebelle poursuivi par des propriétaires terriens, l’interdépendance entre l’homme et la nature dans le Sertão. O Sertão das memorias souligne l’immuabilité de la vie d’un couple de paysans du Sertão (la terre éternelle) que le monde moderne (représenté par des antennes paraboliques et des hommes politiques en campagne) ne peut atteindre. Enfin, A Guerra de canudos de Sérgio Rezende se situe à la croisée des chemins de ces trois grandes thématiques – Histoire, violence et Nordeste – du nouveau cinéma brésilien. Le film traite de la répression sanglante du chef religieux Antonio Conselheiro et de ses adeptes.

    Outils

    Bibliographie

    Le cinéma brésilien, collectif, Ed. Centre Pompidou, 1987.
    Le "cinema novo" brésilien, collectif, Etudes cinématographiques, 1973.
    Cinémas d'Amérique latine, Presses universitaires du Mirail.
    Les cinémas de l'Amérique latine, Paulo Antonio Paranagua, Ed. Pierre Lherminier, 1981.
    Cinéma brésilien 1970-80 : une trajectoire dans le sous-développement, Paulo Antonio Paranagua, Ed. du Festival International du Film de Locarno, 1983.
    "Cinema Novo, le retour, René Naranjo Sotomayor, Cahiers du cinéma n° 526, 1998.
    Le Brésil, Raymond Pebayle, coll. Que sais-je?, Ed. PUF.

    Vidéographie

    Central do Brasil Distributiion ADAV n° 26541
    Pixote, la loi du plus faible, Hector Babenco Distribution ADAV n° 523
    Le cinéma d'Amérique latine, réalisation collective. Images de la culture. Distribution CNC
    Carlos Marighela, Chris Marker. Images de la culture. Distribution CNC