Chaussure à son pied

Grande-Bretagne (1954)

Genre : Comédie, Drame familial

Écriture cinématographique : Fiction

Archives CAC, Collège au cinéma 2022-2023

Synopsis

Henry Hobson (Charles Laughton) tient une boutique de chaussures à Salford au XIXe siècle. Veuf, égoïste et radin, il passe ses journées à s’enivrer avec ses amis au bar du coin pendant que ses filles s’occupent de lui et tiennent la boutique et que ses deux ouvriers fabriquent les chaussures dans le sous-sol.

Ses deux filles les plus jeunes ont des prétendants et veulent se marier. Mais Hobson veut d’abord choisir lui même les époux, puis finit par reculer quand il se rend compte qu’il devra donner une dote. Il se moque également de Maggie (Brenda de Banzie), l’ainée, car elle a déjà trente ans et n’est plus mariable. Maggie décide alors de se révolter et de trouver un époux. Elle n’ira pas bien loin pour trouver le mari idéal.

Distribution

Charles Laughton : Henry Horatio Hobson
John Mills : Willie Mossop
Brenda De Banzie : Maggie Hobson
Daphne Anderson : Alice Hobson
Prunella Scales : Vicky Hobson
Richard Wattis : Albert Prosser
Derek Blomfield : Freddy Beenstock
Helen Haye : Mme Hepworth
Joseph Tomelty : Jim Heeler
Julien Mitchell : Sam Minns

Générique

Titre original : Hobson’s Choice
Titre français : Chaussure à son pied
Réalisation : David Lean
Scénario : Wynyard Browne, David Lean et Norman Spencer, d’après la pièce de Harold Brighouse
Photographie : Jack Hildyard
Montage : Peter Taylor
Musique : Malcolm Arnold
Décors : Wilfred Shingleton
Costumes : John Armstrong

Autour du film

Chaussure à son pied, l’adaptation d’une pièce de Harold Brighouse, sorti en 1954, s’ouvre sur un plan lugubre : en pleine nuit, sous la pluie, une botte se balance dans le vent qui siffle. Celle d’un pendu ? Non, ce n’est que l’enseigne du bottier Hobson dans la rue désertée d’un quartier modeste de Manchester. Ce seul plan, délibérément à contresens du genre du film, la comédie, montre le talent du chef opérateur Jack Hildyard qui collabora à plusieurs films réalisés par David Lean, dont Le Pont de la rivière Kwai qui lui vaudra l’Oscar de la meilleure photographie.

La maîtrise de la mise en scène avec de nombreuses séquences en extérieur, la sureté des mouvements de caméra, la beauté des cadrages, l’intelligence du montage, l’habile reconstitution de l’époque victorienne dans l’atmosphère embrumée par la fumée vomie par les cheminées d’usines qui surgissent des quartiers populaires, à elles seuls, retiennent l’attention.

L’essentiel, dans une comédie, c’est le rythme, et Chaussure à son pied n’en manque pas : en fondant son articulation sur une opposition forte, celle de Maggie, la fille énergique, autoritaire, manipulatrice, et son père, faux tyran rondouillard, le film parvient à un équilibre qui ne se dément pas ; de même l’alternance de séquences enlevées et de respirations, portées surtout par le mari benêt et attendrissant (il faut le voir se préparer à sa nuit de noces pour comprendre), empêche-t-elle la lassitude pendant ces presque deux heures.

Nombre de séquences, et ce dès l’ouverture avec ce travelling sur des enseignes grinçantes, sont menées de main de maître ; Lean a déjà du métier lorsqu’il aborde ce film, et sa rigueur fait merveille : ainsi du plan de l’accord qui révèle la manipulation, fondé sur une impeccable symétrie. La facture classique correspond parfaitement à une intrigue claire, au sens où l’on parle de ligne claire.

Si on sourit souvent en regardant ce métrage charmant, grâce à des situations incongrues et des dialogues soigneusement écrits (« Si la boisson doit me vaincre, je mourrai en combattant », dit le père), ni la cruauté ni l’émotion n’en sont absentes. Du dédain des sœurs envers l’ouvrier à la course émue de ce dernier, c’est tout un panel de sentiments qu’une musique souvent sautillante accompagne plaisamment. Néanmoins, presque en passant, Chaussure à son pied égratigne des conventions, décrit une société pas vraiment brillante (voir les habitués du bar, définis lucidement dans un moment d’ivresse), mais glorifie l’honnêteté et le courage.

Chaussure à son pied donne plus encore : des dialogues qui sonnent juste, avec l’accent du nord, et, surtout, une extraordinaire distribution en tête de laquelle Charles Laughton. Il venait de réendosser dans La Reine vierge (Young Bess, George Sidney, 1953) l’habit de Henry VIII qui lui avait valu l’Oscar de sa carrière pour La Vie privée d’Henry VIII réalisé par Alexander Korda en 1933.

Charles Laughton est particulièrement bien entouré, par John Mills, dans le rôle du cordonnier William Mossop (il décrochera l’Oscar du meilleur second rôle pour La Fille de Ryan), et par les trois actrices tenant le rôle de ses filles, Daphne Anderson dans celui d’Alice la cadette, Prunella Scales, débutante, dans celui de Vicky la benjamine et, surtout, Brenda de Banzie, dans celui de Maggie (on la reverra peu après dans L’Homme qui en savait trop, version 1956 d’Alfred Hitchcock). Suffragette avant l’heure, à jeu égal avec Charles Laughton, elle donne au film sa dimension féministe.

L’accompagnement musical, interprété par le Royal Philharmonic Orchestra, a été composé par Malcolm Arnold qui sera oscarisé en 1958 pour Le Pont de la rivière Kwai.

Pistes de travail

Sous ses airs de comédie rétro guillerette, Hobson’s Choice condense nombre de thématiques majeures de David Lean. Les figures féminines contraintes traversent ainsi la filmographie du réalisateur, subissant ou défiant les entraves sociales et politiques de mondes figés avec la Clélia Johnson de Brève rencontre (1945), Ann Todd dans Madeleine (1950), Katharine Hepburn et Vacances à Venise (1955), Julie Christie pour Docteur Jivago (1965) ou encore Sarah Miles dans La Fille de Ryan (1970). On retrouve cela dans La Route des Indes (1984) où s’ajoute un contexte de clivage de classe et racial. Avant l’emphase des superproductions à venir, ces questionnements s’expriment pour la dernière fois dans un cadre spécifiquement anglais avec Hobson’s Choice.