Citizen Kane

États-Unis (1941)

Genre : Drame

Écriture cinématographique : Fiction

Lycéens et apprentis au cinéma 2023-2024

Synopsis

Le milliardaire Charles Foster Kanes (Orson Welles), magnat de la presse, vient de mourir dans sa fabuleuse propriété en prononçant un denier mot :  » Rosebud « … A partir de cet énigmatique indice, le reporter Thompson va tenter de reconstituer la vie de ce personnage si étrange. Pour parvenir à ses fins, il rencontre avec détermination toutes les personnes qui ont pu approcher Kane de près ou de loin. Au fil de l’enquête, il découvre la vraie personnalité de ce milliardaire hors du commun…

Distribution

Orson Welles : Charles Foster Kane
Buddy Swan : Charlie Kane à 8 ans
Joseph Cotten : Jedediah Leland
Dorothy Comingore : Susan Alexander, seconde épouse de Kane
Agnes Moorehead : Mary, la mère de Kane
Ruth Warrick : Emily Monroe Norton, première épouse de Kane
Ray Collins : James W. Gettys
Erskine Sanford : Herbert Carter
Everett Sloane : Mr. Bernstein
William Alland : Jerry Thompson
Paul Stewart : Raymond, le majordome de Kane
George Coulouris : Walter Parks Thatcher, le tuteur de Charlie Kane
Fortunio Bonanova : Matiste
Gus Schilling : le maître d’hôtel
Philip Van Zandt : Mr. Rawlston
Georgia Backus : Miss Anderson
Harry Shannon : le père de Kane, aubergiste dans le Colorado
Sonny Bupp : le fils de Kane
Arthur Yeoman : voix du speaker de News on the March

Générique

Réalisation : Orson Welles
Assistant de réalisation : LLoyd Richards
Scénario : Herman J. Mankiewicz et Orson Welles
Musique : Bernard Herrmann
Photographie : Gregg Toland et Harry J. Wild (scènes additionnelles, non crédité)
Montage : Mark Robson et Robert Wise
Son : Bailey Fesler et James G. Stewart
Direction artistique : Van Nest Polglase et Perry Ferguson
Décors de plateau : Darrell Silvera (non crédité)
Costumes : Edward Stevenson
Effets spéciaux : Vernon L. Walker
Affiche : William Rose

Autour du film

Un film qui ne laisse personne indifférent

Le film « Citizen Kane » mélange les genres, les procédés cinématographiques, alternant le grand et le détail, proposant une sorte de ballet moderne, réaliste, expressionniste et poétique, composé de quatre récits, parfois contradictoires, sur la vie de Charles Foster Kane.

Une histoire romancée, mais qui fait écho à la vie d’un vrai magnat de la presse, William Randolph Hearst, très mécontent de se voir caricaturer dans une fiction. Le scandale est inévitable. Film d’une grande force, au scénario complexe, à la violence satirique, au montage ciselé, il est considéré comme l’un des meilleurs films de l’histoire du cinéma.

« Citizen Kane » débute avec la mort de Charles Foster Kane. Dans un dernier râle, le moribond prononce le mot « Rosebud », ce qui intrigue son entourage et la presse. Un journaliste reporter, Jerry Thompson, est chargé par son rédacteur en chef, directeur des actualités cinématographiques, de trouver la signification de ce dernier mot du milliardaire excentrique, mort seul dans son manoir de Xanadu.

Le journaliste enquête et rencontre ceux qui ont connu Charles Foster Kane. Ainsi, le film se construit à coup de flashbacks levant petit à petit le mystère de la vie de cet homme.

L’histoire de « Citizen Kane » tient sur un script de 51 pages. C’est tout. 51 pages pour devenir un des films les plus révolutionnaires de l’histoire du cinéma. Une révolution que l’on doit, en grande partie du moins, à Orson Welles, à la fois le réalisateur et le comédien qui incarne le personnage de Charles Foster Kane.

Le génie d’Orson Welles

Orson Welles est une grande gueule, talentueux, coureur de femmes, redoutable buveur, gros mangeur, sujet à des accès de mélancolie autant qu’à de grandes envolées lyriques et à des colères effroyables. On le connaît excessif, cabotin, génial, ne tenant pas en place, multipliant les projets.

Il est né à Kenosha, Wisconsin, le 6 mai 1915. C’est un enfant prodige. Il sait lire à deux ans. A trois ans, il commence à jouer du piano. A cinq ans, il se passionne pour Shakespeare. Il connaît plusieurs pièces par cœur, les met en scène avec des marionnettes. A huit ans, il rencontre Harry Houdini, le célèbre illusionniste qui lui apprend quelques trucs. Il devient magicien. Il apprend à dessiner, se révèle être remarquablement doué pour ça aussi. Il voyage avec ses parents, son père, ingénieur, sa mère pianiste. Elle meurt quand il a dix ans. Ce qui le motive peut-être à écrire une analyse de « Ainsi parlait Zarathoustra » à onze ans.

A treize ans, notre jeune prodige fonde sa première troupe de théâtre. A quinze ans, il monte un condensé des huit pièces historiques de Shakespeare et reçoit un prix de l’association dramatique de Chicago pour sa mise en scène de « Jules César ». Il mesure déjà 1m80, fume des cigares, se coiffe de chapeaux imposants et perd son père. Le voilà orphelin, élevé par un ami de la famille.

A 21 ans, marié et papa, il commence sa carrière radiophonique, proposant des actualités dramatiques en prêtant sa voix aux personnalités vivantes: Négus, Mussolini, Hitler. Pendant une période heureuse, il court les stations de radio, louant une ambulance pour passer plus vite d’une station à l’autre dans les villes déjà étouffées par la circulation. A 23 ans, il fonde le Mercury Theater et crée une véritable panique en adaptant « La Guerre des Mondes » de H. G. Welles.

Nous sommes le 30 octobre 1938, veille d’Halloween. Le texte est saisissant. Quelques auditeurs ne comprennent pas qu’ils ont affaire à une pièce radiophonique. Ils pensent qu’une invasion martienne est réellement en train de se passer et ils paniquent. L’événement est monté en épingle par la presse. Orson Welles est durement critiqué.

« Silence! Un génie au travail »

A la fin de l’année 1939, Orson Welles est prêt à se lancer dans la réalisation de « Citizen Kane ». Jouant l’indifférence à la critique hollywoodienne et au fait qu’il a énervé tout le monde, il convoque John Houseman son vieux complice, et Herman J. Mankiewicz.

Ce dernier est à cette époque un scénariste déchu. Il était connu dans les années trente mais se contente désormais de faire de la critique. Orson Welles, en arrivant à Hollywood, le contacte. Car il sait que Mankiewicz est l’ami de Marion Davies qui n’est autre que la maîtresse du magnat de la presse Randolph Hearst. À ce titre, Mankiewicz a ses entrées dans la demeure des Hearst et peut connaître des détails croustillants qui peuvent alimenter n’importe quelle histoire. Et il semble que ces détails ont bel et bien alimenté l’histoire de « Citizen Kane ».

Les trois hommes, Welles, Houseman et Mankiewicz travaillent plus de trois mois sur un nouveau scénario qui parlera d’un magnat de la presse et de l’histoire de sa vie. Selon les propres mots du réalisateur, le synopsis a pour thème une enquête journalistique présentant des points de vue différents sur le même homme, Charles Foster Kane.

« Selon certains, Kane n’aimait que sa mère, selon d’autres, il n’aimait que son journal, que sa deuxième femme, que lui-même. Peut-être les aimait-il tous, peut-être n’en aimait-il aucun. Le public est seul juge. Kane était la fois égoïste et désintéressé, un idéaliste et un escroc, un très grand homme et un individu médiocre. Tout dépend de celui qui en parle. Il n’est jamais vu à travers l’œil objectif d’un auteur. Le but du film réside d’ailleurs plus dans la présentation du problème que dans sa solution » explique le réalisateur.

Sur le tournage du film "Citizen Kane" sorti en 1941. [Archives du 7eme Art / Photo12 - AFP]
Sur le tournage du film « Citizen Kane » sorti en 1941. [Archives du 7eme Art / Photo12 – AFP]

Le scénario terminé, le premier tour de manivelle de « Citizen Kane » est donné en été 1940. Cela fait exactement un an qu’Orson Welles a débarqué à Hollywood. Dans le Motion Picture Herald, un journal américain, un article commente le fait le lendemain en titrant: « Silence! Un génie au travail ».

Sur le plateau, il y a Gregg Toland, un formidable directeur de la photographie. Il vient d’ailleurs d’être oscarisé pour son travail sur « Les Hauts de Hurlevent » de William Wyler. C’est à lui que Welles devra la photographie très contrastée de son « Citizen Kane ». Welles ne veut pas de vedettes hollywoodiennes. Il fait donc appel à ses copains de théâtre et de radio avec à leur tête Joseph Cotten et Everett Sloane.

Pour devenir le citoyen Kane, il s’astreint à un régime lait et bananes pour prendre du poids. Le tournage dure 15 semaines. Sa réalisation est entourée d’un secret impressionnant et l’on connaît l’anecdote du commando de producteurs, qui ayant osé pénétrer sur le plateau pendant le tournage ont trouvé les acteurs en train de jouer au base-ball sur ordre de leur metteur en scène. Le film est livré au montage le 23 octobre 1940. Et c’est là que les choses vont se corser…

Un personnage de fiction ?

A cause de la discrétion et du silence complet entourant le tournage de « Citizen Kane », on commence à jaser. Dans le milieu, des bruits courent sur la nature scandaleuse du scénario.

Louella Parsons, une journaliste connue attachée aux journaux du magnat de la presse William Randolph Hearst et qui avait jusque là soutenu Orson Welles, avise son patron. On prétend que la biographie imaginaire du héros du film de Welles est largement inspirée de la vie de Hearst lui-même, considéré comme le plus grand trusteur de la presse américaine. Haïssant les Japonais et grand soutien du fascisme aux Etats-Unis, c’est un admirateur d’Hitler et de Mussolini.

Dans le film d’Orson Welles, la vie de Kane apparaît sous divers éclairages et facettes: enfant turbulent, héritier ambitieux, journaliste passionné, amant tyrannique, candidat malheureux, mari maussade, businessman romantique, collectionneur aigri, amant égoïste et mécène manqué. Le film se construit comme un puzzle pour tenter de donner du sens aux dernières paroles du milliardaire: « Rosebud ».

Ce Citizen Kane est un personnage de fiction. L’affaire pourrait s’arrêter là, être sans conséquence. Mais c’est sans compter sur Louella Parsons, la journaliste férue de scandales qui répand la nouvelle dans la presse: « Citizen Kane » est une transposition calomnieuse de la vie d’un grand homme américain, son patron, Randolph Hearst. Elle avance comme preuve le nom de Mankiewicz qui a ses entrées dans la maison Hearst. Immédiatement, l’autre journaliste en ragot, principale rivale de Louella Parsons, Hedda Hopper prend le relais et soutient Orson Welles de toute sa plume.

Au milieu de ce combat, il y a la RKO, Orson Welles et Randolph Hearst qui lui se reconnaît dans le Xanadu, le palais délirant de Kane qui ressemble à sa maison. Il se reconnaît dans sa liaison avec Marion Davis dont il essaie de faire une star. Il reconnaît le petit mot qu’il utilise, semble-t-il, dans l’intimité pour qualifier le clitoris de sa maîtresse, « Rosebud ». Bouton de rose. C’en est trop.

William Hearst ne croit rien des dénégations de Welles et de la RKO et il obtient que ses avocats, ainsi que Louella Parsons assistent au visionnage du film en fin de montage. La RKO cède sous la pression. Ça sent mauvais pour Orson Welles.


Orson Welles (en blanc) dans son film « Citizen Kane ». [Archives du 7eme Art / Photo12 – AFP]

Une sortie mouvementée

Le film, tourné pour 800’000 dollars entre le 29 juin et le 23 octobre 1940, est un bijou de virtuosité. L’extraordinaire mise en scène ne passe pas inaperçue. Tant dans la forme que sur le fond, « Citizen Kane » est un chef-d’œuvre, malheureusement pas du goût de tout le monde.

Dans la salle, pour cette première projection test, les avocats et Louella Parsons sont scandalisés par ce qu’ils voient à l’écran. Pour eux, on porte clairement atteinte à l’intimité de Randolph Hearst. Du coup, ce dernier fait pression pour interdire la sortie du film. Purement et simplement.

Welles rétorque que le citoyen Kane n’est pas Randolph Hearst, mais un personnage de composition, imaginaire. Il rajoute même de l’huile sur le feu en annonçant par voie de presse que si on continue à lui échauffer les oreilles avec cette histoire, il mettra en chantier une grande idée de scénario concernant vraiment la vie de Hearst.

C’est alors que le magnat de la presse, l’homme le plus puissant de Californie, décide d’utiliser les grands moyens, ceux à sa disposition. Il impose de retarder la sortie du film. Et ses amis se mettent à l’aider. Louis B. Mayer, le patron de la MGM, fait une offre de 842’000$ au président de la RKO, George Schaefer.

Tout ce que Schaefer a à faire c’est de détruire le négatif. Mais Schaefer ne veut pas. Alors, on mandate le chef de la censure de l’époque, Joe Breen. Et on lui organise une projection privée de « Citizen Kane ». Va-t-il ou ne va-t-il pas prendre la décision de brûler la pellicule? On sait qu’il a touché des pots-de-vin. Orson Welles est dans la salle. Il se souvient:

« Tout le monde disait: inutile de chercher les ennuis, brûlons-le, tout le monde s’en fiche, ils en encaisseront la perte. J’avais un chapelet que j’avais mis dans ma poche et à la fin de la projection sous le nez de Joe Breen, bon catholique irlandais, je l’ai fait tomber par terre en disant: « Oh excusez-moi » et je l’ai remis dans ma poche. Sans ce geste, c’en aurait été fini de ‘Citizen Kane' ».

Le négatif est sauvé. Mais le 8 janvier 1941, les vingt-huit journaux, les treize magazines et les huit stations de radio appartenant au groupe Hearst reçoivent l’ordre de refuser toute publicité du studio RKO. De plus, on menace tous les autres studios de leur livrer une guerre sans merci s’ils continuent de soutenir la RKO. Le studio commence à plier et envisage d’annuler la sortie du film. Orson Welles réplique. Il menace publiquement la RKO d’un procès pour rupture de contrat.

Admiré par la critique mais boudé par le public

Le studio se décide finalement à sortir le film en salle, espérant que l’aura de scandale qui l’a précédé fera venir la foule dans les cinémas. Mais le public boude, trouve le film abscons, compliqué, labyrinthique. Le 6 mai 1941, jour du 26e anniversaire de Welles, le film est projeté à Chicago devant une salle à moitié vide. Tous les amis d’Orson Welles sont là qui chantent: « Joyeux anniversaire Orson, que Hearst crève d’apoplexie en vociférant des insanités. »

Pour la critique, pourtant unanime, le film est un chef-d’œuvre. Ultime. Le Times écrit: « C’est la découverte décisive de nouvelles techniques dans l’art de la réalisation et de la narration »; Newsweek reconnaît Welles comme « le meilleur acteur de l’histoire du cinéma dans le meilleur film qu’on ait jamais vu », et Life ajoute encore: « Hollywood nous a offert peu de films avec une histoire aussi forte, une technique aussi originale et une photographie aussi excitante. »

Tous admirent l’utilisation des flashbacks qui, mêlés à l’écriture du film, lui apportent une fraîcheur d’écriture jamais vue auparavant. On salue également les prises de vue, osées, cadrées, le grand travail sur la lumière, les plans séquence, l’utilisation de fausses actualités cinématographiques, le travail de narration non chronologique, révolutionnaire pour l’époque, ainsi que le son, tout en finesse dans une partition de Bernard Hermann.

« Citizen Kane » gagne un succès d’estime. Mais pas d’argent. « Citizen Kane » est un retentissant échec commercial pour la plus grande joie de Randolph Hearst et des ennemis d’Orson Welles. Et on le sait, à Hollywood, quand un film ne fait pas d’argent, le réalisateur se fait taper sur la caméra.

À Orson Welles, le petit génie, on retire tous ses privilèges. Ce fameux contrat qu’il avait signé en 1939 en arrivant à la RKO et qui lui donnait les pleins pouvoirs est rompu. Le film est sélectionné pour neuf oscars en 1942. Il n’en remporte qu’un, celui du meilleur scénario.

Après « Citizen Kane », Orson Welles se lance dans un nouvel échec commercial « La splendeur des Amberson », amputé par des producteurs peu scrupuleux, puis dans « Voyage au pays de la peur », remonté aussi par les producteurs.

C’en est trop. C’est la rupture avec Hollywood. Welles se décide en 1945 à vendre les droits de « Citizen Kane » pour 20’000 dollars. Mal lui en prend. En 1951, à la mort de Randolph Hearst, le film ressort sur les écrans et connaît enfin un succès important. Orson Welles ne touche pas un centime.

Comme il ne touchera jamais un centime de tous les passages en salles, de toutes les diffusions télé, ni même qu’il ne bénéficiera de l’aura de ce film culte. Le film certainement le plus étudié, le plus vu et le plus analysé de toute l’histoire du cinéma.

Catherine Fattebert
rts.ch

Pistes de travail

Analyse de séquence

Dès le début du film, le cinéaste américain invite ouvertement les spectateurs grâce à des jeux de caméras à transgresser un interdit : celui de la limite de propriété du palais énigmatique de Charles Foster Kane, grand magnat de la presse…

Citizen Kane du point de vue de l’Histoire

Le parcours de Kane (qui meurt en 1941) peut être envisagé comme un reflet de l’histoire de l’Amérique, amplement représentée dans le film. Le personnage lui-même ne cesse d’ailleurs de répéter : « I am, have been and will be only one thing – an American ». Soupçonné tantôt de communisme, tantôt de fascisme, il est avant tout l’emblème de la société capitaliste américaine telle qu’elle se développe au début du XXe siècle. La séquence sans doute la plus exemplaire à cet égard est celle qui met en scène, après la défaite électorale de Kane, cette réplique de son « ami » Leland, qui s’adresse à lui comme à une incarnation de l’Amérique capitaliste :

« Tu parles des gens comme s’ils t’appartenaient. Tu parles toujours de leur donner des droits, comme si tu pouvais leur offrir la liberté en récompense de leurs services. Or sais-tu ce que font les travailleurs à présent ? Ils s’organisent. Ca ne va pas te faire plaisir lorsque tu découvriras que tes travailleurs revendiquent, non pas tes récompenses, mais leurs droits. »

Citizen Kane du point de vue de la narratologie

Il ne s’agit pas d’un récit linéaire (qui raconterait, comme dans la séquence d’actualités, la vie de Kane chronologiquement) ; au contraire, on commence par la mort du héros et c’est par le truchement des avancées et hasards de l’enquête que les fragments épars de la vie de Kane pourront être assemblés, comme les pièces d’un puzzle (motif essentiel du film). En effet, chaque protagoniste rencontré par l’enquêteur donne lieu à un flashback qui révèle une partie du parcours de Kane. Le film fonctionne donc sur une succession de récits enchâssés où chaque narrateur délégué révèle un fragment de la personnalité et de la vie de Kane. La temporalité ainsi retravaillée montre les personnages vieux avant d’être jeunes ; occasionne des répétitions, des ellipses, des recoupements, etc. Au final, c’est au spectateur de reconstruire l’ordre de l’histoire.

Le but de l’enquête est de percer, à travers le mystère de « Rosebud », le mystère du personnage : ses pensées, regrets, sentiments… tout ce qui puisse permettre d’« expliquer le personnage ». Ainsi l’accès à l’intériorité du héros (qui, au cinéma, est bien souvent offert au spectateur par des procédés tels que la voix over) est l’enjeu même du film. Cela est exploré par un traitement complexe de la focalisation, avec des flashbacks qui passent pour être en focalisation interne multiple, un héros et un enquêteur qui semblent répondre à une focalisation externe, etc.

Citizen Kane du point de vue de l’esthétique

L’élaboration formelle de Citizen Kane est tout à fait particulière. Le directeur de la photographie Gregg Toland, par la combinaison inédite de différents procédés techniques (lampe à arc de forte intensité, pellicule Eastman ultra-sensible, objectif grand-angulaire très diaphragmé) et parfois par le biais de trucages, y a perfectionné son expérimentation de la grande profondeur de champ. C’est-à-dire que chaque portion d’espace de l’image est nette, et que la mise en scène peut occuper toute la profondeur, s’échelonner de l’avant jusqu’à l’arrière-plan.