Synopsis
Gaspard prétend qu’il ne lui arrive jamais rien. De fait, ses vacances sont plutôt mal engagées. Installé à Dinard avec sa guitare, dans une chambre prêtée par un ami de fac, il attend la venue hypothétique de Léna, dont il se dit amoureux. Pour tromper le temps, il passe ses après-midi en longues balades avec Margot, étudiante elle aussi, mais occasionnellement serveuse dans une crêperie. D’emblée, leurs relations se placent sur le plan de la stricte amitié. Elle a le don de le faire parler et Gaspard finit par lui promettre de lui dédier la chanson qu’il est en train de composer. Mais dans une discothèque où l’entraîne Margot, il rencontre Solène, brune pulpeuse qui ne lui cache pas sa convoitise. Gaspard lui fait don de la chanson et accepte d’aller avec elle terminer ses vacances à Ouessant…
Générique
Contes des quatre saisons
Réalisation : Eric Rohmer
Scénario : Eric Rohmer
Image : Diane Baratier
Musique : Philippe Eidel, Sebastien Erms
Montage : Mary Stephen
Son : Pascal Ribier
Production : Les Films du losange en coproduction avec La Sept cinéma
Distribution : Les Films du losange
Sortie en France : 5 juin 1996
Couleur
Durée : 1h53
Interprétation
Melvil Poupaud / Gaspard
Amanda Langlet / Margot
Aurélia Nolin / Léna
Gwennaëlle Simon / Solène
Aimé Lefèvre / Terre -Neuvien
Alain Guelaff / Oncle Alain
Evelyne Lahana / Tante Maiwen
Autour du film
(…) Curieusement, Margot et Gaspard ressemblent à deux autres personnages de Rohmer, ceux de Ma nuit chez Maud. En apparence, rien de commun, c’est vrai. Maud (Françoise Fabian) et le Narrateur (Jean-Louis Trintignant) sont plus âgés. Et puis, ils ne bougent jamais lui, dans un fauteuil, elle, dans son lit , tandis que Gaspard et Margot ne cessent de se mouvoir à l’air libre. D’avancer, sans arrêt. Mais leurs caractères se ressemblent et la nature du lien qui se crée entre eux est identique. Gaspard, comme le Narrateur de Ma nuit chez Maud, est un rigoriste. Et un indécis qui masque constamment son indécision sous l’apparence de résolutions qu’il veut croire définitives. Margot, comme Maud, contemple avec une ironie amusée ce dadais charmant qui s’empêtre dans ses contradictions. Parfois, lorsque les dadais dépassent la mesure, les deux femmes s’emportent : « J’aime bien les gens qui savent ce qu’ils veulent », lance Maud au Narrateur. Ce que Margot traduit à sa façon : « Les garçons sont cons, mais qu’ils sont cons ! Les filles ont beau être nulles, débiles, demeurées, ça ne descend jamais à ce niveau-là ! » C’est que, comme Maud, Margot, en dépit de son jeune âge, vit déjà à contretemps de la vie. Elle s’est éprise d’un Français alors qu’elle vivait à l’étranger. Et d’un mec qui travaille aux antipodes depuis qu’elle est revenue en Bretagne. Et Maud pourrait faire sienne cette réplique que Margot lance à Gaspard : « Tu trouveras une femme que tu aimeras et qui t’aimera. Mais pas tout de suite. C’est pour ça qu’on n’a pas envie de s’attacher à toi. On a envie d’attendre… »
En fait, voilà, ce film, troisième volet des « Contes des quatre saisons », est l’alliance parfaite de la gravité des « Contes moraux » et de la légèreté des « Comédies et proverbes ». L’éblouissement vient, surtout, de la mise en scène. Ces plans fixes, presque heurtés, qui montrent l’arrivée de Gaspard à Dinard. Ces travellings fluides, lancinants et de plus en plus sensuels, qui suivent ou précèdent les promenades de Gaspard et Margot. Avec, parfois, de brusques arrêts. Lorsque la caméra se fixe, Gaspard, tout à son discours, continue de bouger : il passe et repasse devant Margot, sans la voir vraiment. Elle, elle se contente, lors d’une halte, de faire reposer au premier plan sa jambe sur un rocher. Le genou de Margot vaut bien celui de Claire, même si ce nigaud de Gaspard ne s’en aperçoit pas vraiment… Enfin si, il s’en aperçoit. Mais il a Léna en tête. Alors Margot le repousse. Et le pousse dans les bras de Solène, histoire de voir. Et ça marche : Gaspard dédie même à Solène une chanson de marin qu’il a composée… Seulement voilà : on a la vie de son caractère. Gaspard devient donc victime de son indécision. Bien avant l’été, il a proposé à Léna un voyage à Ouessant. Sans qu’il le lui ait vraiment proposé, Solène s’est mis en tête d’y aller avec lui. Quant à Margot, elle n’a fait que souhaiter secrètement que Gaspard l’invite, elle, même si Gaspard n’y a vu que du feu. N’y a vu qu’un jeu. Et voilà comment Ouessant, un simple voyage à Ouessant, devient, grâce à la grâce de Rohmer, le prétexte autour duquel sa comédie se noue et se joue. La clé d’un marivaudage sentimental entre un garçon et trois filles, qui tournerait presque mal si le destin ne sauvait Gaspard. A moins qu’il ne le perde, en fait. Sait-on bien s’il nous est favorable ou contraire, alors même qu’on lui obéit ?
Conte d’été est un film de funambule. Apparemment suranné, puisque le héros y parle de son « amoureuse », comme dans le théâtre de Musset. Mais ce n’est pas le vocabulaire des jeunes de 1996 que recherche Rohmer. Il serait bien incapable de le trouver et, en plus, ça ne l’intéresse pas plus que ça. Ce n’est pas tant l’exactitude qu’il cerne, mais la vérité. Témoin cette Solène qui drague sans complexe tous les garçons qui lui plaisent, mais ne couche pas. Pas la première fois, en tout cas, en vertu d’un principe inébranlable. Il y a trente ans, Rohmer filmait La Collectionneuse, où le marivaudage était sexuel, et d’aucuns trouvaient ça exagéré.
Aujourd’hui, il filme Conte d’été, où le marivaudage n’est que verbal, et certains trouveront ça dépassé. Ce sont les « d’aucuns » et les « certains » qui ont tort. Rohmer, faut-il dire heureusement ou hélas, a toujours raison, même si les apparences lui sont contraires. Mais les apparences, il s’en moque. C’est la vérité qu’il vise, on l’a dit, sous des masques divers, et qu’il atteint. Parfois un peu moins bien. Parfois magnifiquement. Comme dans ce Conte d’été, précisément.
Pierre Murat / Télérama 8 juin 1996
Troisième volet de la série des Contes des quatre saisons (après les épisodes printanier et hivernal), Conte d’été se présente d’emblée comme une sorte de «Gaspard et les filles» à la plage (en l’occurrence à Dinard) à la façon d’Eric Rohmer. Soit une manière de roman-photo intelligent, l’histoire des amours hésitantes de postados en vacance(s). «Il ne se passe rien, ce sont des gens qui se baladent et parlent au bord de la mer», résumait Rohmer à la sortie de Conte d’été (in Cahiers du Cinéma n°503).
Pas de narrateur dans ce film ligne claire (ce qui, comme pour la BD du même type, n’exclut pas les raccords audacieux) mais un personnage au centre, du récit comme des plans, où il est successivement rejoint par chacune des trois filles: la belle et sérieuse Lena (en réalité plutôt volage), l’allumeuse de night-club Solène (pourtant la plus susceptible de s’engager) et la bonne copine Margot (qui n’est bien sûr pas que ça), cette dernière interprétée par l’impeccable Amanda Langlet, ex-Pauline de retour à la plage.
Au centre, donc, Gaspard (Melvil Poupaud, très classe), tout de passivité bavarde (en bon égotiste timide) et d’indécision chronique, qui, face aux trois filles, change constamment d’avis, sauf qu’il n’a pas d’avis, car pas de désir. Et c’est justement en cela qu’il se distingue de la plupart des personnages de Rohmer, qui sont généralement à la recherche de quelque chose, quitte à s’apercevoir, au bout du chemin et le hasard aidant, qu’il y avait erreur sur le désir ou les moyens de le satisfaire.
Rien de tel dans Conte d’été: Gaspard reste en position d’attente, ne s’avance qu’avec circonspection, toujours un peu forcé et prêt à se dérober, pour, finalement, mis au pied du mur, c’est-à-dire dans l’obligation de choisir, décider de prendre la fuite, donc de s’extraire définitivement d’une situation et d’un rôle (de séducteur) qu’il n’avait jamais voulus. Rohmer offre alors à son film une fin joliment ouverte bien que prenant la forme d’un départ: l’histoire s’achève mais la vie continue.
Higuinen Erwan / Libération 28 juin 1997
Vidéos
Un art de l’équilibre
Catégorie : Analyses de séquence
L’un des clichés les plus persistants sur le cinéma de Rohmer est que les acteurs y joueraient faux, y auraient un parler artificiel. On peut ressentir une éventuelle gêne devant le jeu des acteurs rohmeriens et mettre du temps pour s’y adapter : ce temps est différent selon les films ou les cycles, mais surtout il fait partie intégrante du processus proposé par le film pour parvenir, à travers l’artifice, à toucher au plus vrai dans la façon qu’ont les gens de se parler. Car il y a là une « langue », un « parlé » tellement singulier que les acteurs rohmeriens sont souvent catalogués ensuite comme tels.
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Cette vidéo peut être visionnée en complément du texte « Acteur » en page 3 du livret enseignant Lycéens et apprentis au cinéma.
Texte et réalisation : Gaël Lépingle, Centre Images.
Plans à deux
Catégorie : Analyses de séquence
Conte d’été propose un fascinant répertoire de scènes à deux, « une exploration de toutes les façons d’être deux dans un plan, et de ne pouvoir y échapper » (Burdeau – Cahiers du cinéma n° 502, mai 1996).
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Cette vidéo peut être visionnée en complément du texte « Mise en scène » en page 10 du livret enseignant Lycéens et apprentis au cinéma.
Texte et réalisation : Gaël Lépingle, Centre Images.