Hopptornet

Suède (2016)

Genre : Expérimental

Écriture cinématographique : Court-métrage, Fiction

Lycéens et apprentis au cinéma 2021-2022

Synopsis

Un plongeoir de dix mètres de hauteur. Les gens montent : sauter ou descendre ? La situation met en évidence un dilemme : endurer la peur instinctive de faire le pas ou l’humiliation d’avoir à descendre. «Hopptornet» se présente comme une étude divertissante sur l’humain en position de vulnérabilité.

Générique

Réalisation : Axel Danielson et Maximilien Van Aertryck
Scénario, Image, Montage : Axel Danielson et Maximilien Van Aertryck
Son : Gustaf Berger
Production : Plattform Produktion
Co production : Sveriges Television et Film Väst
Durée : 15 min.

Autour du film

La dramaturgie dans le documentaire

De son « minimalisme » naît une dramaturgie particulière. Au sens classique les œuvres dramatiques représentent un conflit humain, basé sur la confrontation de deux forces opposées, qui doit être résolue par des actions menées par le protagoniste. Une fois que c’est réglé, l’histoire est terminée. Les deux forces qui s’opposent ici pourraient être la volonté de, et la peur de. Ce sont les protagonistes qui illustrent la dramaturgie toute entière. Tiraillés entre l’absurdité et l’aspect très concret de cette peur.
Au cinéma, de nombreux réalisateurs sont aussi des dramaturges. Dans le documentaire la mise en scène existe, car le documentaire n’est pas la simple captation de la réalité, c’est l’œil du réalisateur qui vient proposer sa réalité. Dans Hopptornet cela est moins flagrant. De par le minimalisme du dispositif, on aurait tendance à croire que tout émane des personnages qui réagissent spontanément, or le choix des personnages (au montage) le son qui établit une réelle proximité contribue à cette mise en scène et nous livre ce film spécifique qui est à son issue à la fois dramatique et comique.
Le plongeoir de cette piscine devient une véritable scène de théâtre le temps du film.

Sur le plongeoir, sur un pied d’égalité

Situation très simple, ces personnes sont perchées sur un plongeoir de 10 mètres de haut. Au début, le spectateur n’en a pas tout à fait conscience. Rien n’est fait pour qu’il se rende compte de l’ampleur du saut jusqu’à la moitié du film. Et pourtant de par leurs réactions face au vide et face au choix de l’action la peur devient contagieuse. Au moment où l’écran se divise révélant un diptyque et la hauteur véritable ; nous sommes déjà convaincus en tant que spectateur que ce n’est pas une tâche facile.
La trame narrative explore des questions universelles : Vais-je sauter ou non ? Et quels sont les frayeurs qui me reviennent ? Sont-elles insensées ou humaines ? Face à ce saut une certaine égalité règne entre les différents protagonistes. Nous ne pouvons-nous empêcher de remarquer l’hétéroclisme des personnages du films : Des femmes, des hommes, plus ou moins âgé.e.s, plus ou moins fièr.e.s dans leur geste. Les a priori sont déjoués par l’absence de marqueurs sociaux et l’uniforme du maillot de bain.. Nous sommes surpris lorsque la femme agée décide finalement de sauter et inversement lorsque le jeune homme au maillot jaune redscend par l’échelle. Le sujet du plongeoir ici est donc un prétexte permettant aux auteurs de parler de quelque chose à la fois d’universel et d’intime : L’Homme mis à nu face à la peur.

Plan moyen – fixe

Un va et vient entre plan fixe, plan divisé – split screen et le panoramique vertical.
Plan Moyen : On y découvre un ou plusieurs personnages de la tête aux pieds ainsi que divers éléments du décor.
Plan fixe: « Je pense très clairement que le mouvement est dans la réalité, pas dans la caméra » dit Pedro costa sur son utilisation du plan fixe.
Dans la majorité des plans l’humain est au centre et occupe tout le cadre : plans moyens. L’Homme sur le plongeoir délimite le cadre.
L’utilisation du plan moyen implique qu’on ne voit pas la hauteur du plongeoir. C’est par les réactions des protagonistes que le spectateur comprend le lieu. Tout est dans la communication verbale et non verbale.
En plus d’être un plan moyen c’est un plan fixe : il n’y a pas de mouvement de caméra : les personnages y rentrent et en sortent comme sur un scène de théâtre. Cela rejoint cette impression très théâtrale et la métaphore de ce plongeoir comme scène de théâtre.
Ces plans fixes accordent du temps aux personnages. Les réalisateurs vont donner la priorité à la prise de décision. Le fait que la caméra reste fixe et s’attarde autant sur les personnages donne au spectateur le droit d’être hypnotisé par l’émotion des personnages, et d’y établir sa lecture.

Tenk

Vidéos

Pistes de travail

Le documentaire comique

Le cinéma du réel serait moins drôle que la fiction ? Un documentaire, c’est forcément sérieux ? Hoppternet déjoue ces préjugés en adoptant une forme à la fois documentaire et comique…
« Notre intérêt réside dans le potentiel de l’image en mouvement et notre ambition est que les images que nous produisons aient une approche critique et humoristique du flot d’images qui nous entoure. » Axel Danielson et Maximilien Van Aertryck
Une des intentions des deux réalisateurs est donc de constuire et donner à montrer l’humour dans des images. Qu’est-ce qui construit un humour contagieux dans ce fim?
Le spectateur rit face aux réactions et aux émotions car il s’identifie. Ce plan quasiment tout le temps fixe créer l’effet d’un miroir émotionnel et donne place à l’empathie. C’est un comique de situation, un comique de geste, comique de répétition. On est nerveux d’être à leur place mais en même temps les réactions que l’on capte grâce au dispositif minimal sont si spontanées que l’on peut s’identifier et donc rire avec eux.

Le Son

Au delà d’un langage corporel et d’une communication non-verbale,
Le dispositif sonore crée du suspens et transmet au spectateur la peur qu’éprouvent les personnages. C’est ce qui permet la mise à nu de l’humain face a sa peur. Le sonore est un objet discret et fragile qui nourrit la mise en scène sans que nous nous en rendions forcément compte.
Les 4 micros visibles, qui entourent les personnages révèlent l’importance que ce dispositif a pour les deux réalisateurs. Il crée un réel effet de spatialisation du son. Grâce a cette méthode de captation sonore, nous sommes au milieu du plongeoir avec les protagnistes. Nous sommes au cœur de l’action.
Le son est synchrone, c’est à dire que le son et l’image ont la même source et sont simultanés à l’action. La simplicité du dispositif est encore rappelée : pas de voix off, pas de musique dramatique, Tout comme ces personnages à qui l’on accorde leurs silences comme leurs moments d’engouement, c’est un son mis à nu.
À cela s’ajoute l’ambiance sonore de la piscine – On parle de son d’ambiance pour faire référence aux bruits produits par les éléments naturels, ou par la présence des comédiens (mouvements, bruits de pas…).
Le son est donc un élément indispensable dans ce film. De par la présence des micros, nous avons accès à l’intimité de leurs réflexions ; le moindre chuchotement, la phrase que l’on se dit tout bas ou discrètement à l’ami est captée, les soufflements, les respirations pour se donner du courage ; tout cela est essentiel au film. L’image nous tient à distance, nous permet de voir le tableau dans sa globalité, d’analyser le langage corporel qui raconte déjà beaucoup. Le son, lui, permet au spectateur de s’approcher.

Pan divisé – Split Screen

L’écran divisé aussi appelé split screen permet une double temporalité et met en parallèle les différentes attitudes des différents personnages qui vont faire partie de l’expérience.
Ce type de procédé va nous permettre à quelques moments du film de sortir du cadre fixe, délimité par le plongeoir et de prendre conscience de sa hauteur : avec le saut (06’01) et la redescente de l’échelle (14’40). Le spectateur prend alors conscience de l’enjeu du saut.

Panoramique vertical

Un panoramique : la caméra pivote sur son pied, alors que ce dernier reste fixe.
Quelques panoramiques verticaux sont utilisés et mis au ralenti. La caméra suit le personnage. Le spectateur vit la chute, et est invité à être témoin de l’émotion que provoque ce saut.
Le film se termine sur un plan très différent des autres, avec un saut qui rejoint une performance sportive de haut niveau. Est-ce vers cela que nous allons en osant faire ce premier saut ? La possibilité de se dépasser ? Hopptornet offre cette ligne d’égalité entre tous : hommes, femmes, enfants, séniors.

Tenk

Expériences

La scénographie est épurée au maximum : un plongeoir de dix mètres, quatre micros, deux caméras. Dans leur costume de bain, des corps tombent (ou pas…) dans la piscine très loin tout en bas. C’est à partir de ce dispositif presque schématique et par le recours au split-screen et au ralenti que le film va opérer une diffraction du regard. Isolés de tout contexte social et placés devant une peur ancestrale, les corps apparaissent dans le plus grand dénuement. Les masques tombent et on se délecte, hilares, de chacune de ces formidables saynètes. Petit trésor de mise en scène documentaire, «Hopptornet» convainc sans retenu et obtient l’an passé à Clermont le Prix du Public et le Prix Spécial du Jury.
Pascal Catheland, réalisateur

Les deux cinéastes présentent un court-métrage pour le moins original : le spectateur voit l’hésitation des personnes sur le point de sauter ou non. Les réalisateurs ont choisi pour leur film un panel de personnalités : des hommes, des femmes, des personnes âgées, des jeunes, ceux qui sautent en duo ou seuls, permettant au spectateur de s’identifier facilement aux personnes filmées. Les réactions sont diverses, une enfant d’une dizaine d’années prend par exemple moins de temps de réflexion qu’un homme mûr qui décide de redescendre par l’échelle, ce qui ajoute une touche d’humour à ce documentaire expérimental.

Cette peur de sauter est décryptée par les deux cinéastes qui observent patiemment les réactions et les corps hésitants. On retrouve ce regard au montage lors de l’utilisation des ralentis lorsque les personnes filmées s’élancent dans le vide : l’acte de sauter déforme les visages et crispe les corps.

Le dispositif filmique fait durer cette hésitation et cette peur en utilisant des plans longs. Les réalisateurs ont utilisé plusieurs caméras : la première en face des personnes filmées, la deuxième de côté qui nous permet d’observer la distance entre le plongeoir et l’eau, et la dernière dans le bassin pour capter la pénétration des corps dans l’eau.

De plus, la visibilité du dispositif de mise en scène permet au spectateur de se frotter à la « réalité brute » du documentaire, comme par exemple, en voyant les micros servant à la prise de son, situés sur le rebord du plongeoir.

Le documentaire plonge le spectateur dans un lieu public, la piscine, qui est peu filmé par les cinéastes contemporains. Le court-métrage propose une idée originale et drôle, qui confronte chaque personne à sa peur du vide. Le film secoue, impressionne et surtout fait rire le public, par sa mise en scène frontale et le naturel des personnalités filmées. Cette expérience anthropologique pousse à se questionner sur les nouvelles formes du documentaire expérimental. Le corps humain reste un élément très important dans le cinéma actuel, ici il est accentué par la musique de Beethoven à la fin du court-métrage, dans une volonté de le sublimer et souligner l’absurdité de la situation filmée.

Lila Toupart