Synopsis
Ils viennent d’arriver en France. Ils sont Irlandais, Serbes, Brésiliens, Tunisiens, Chinois ou Sénégalais… Pendant un an, Julie Bertuccelli a filmé les échanges, les conflits et les joies de ce groupe de collégiens âgés de 11 à 15 ans, réunis dans une même classe d’accueil pour apprendre le français. Dans ce petit théâtre du monde s’expriment l’innocence, l’énergie et les contradictions de ces adolescents qui, animés par le même désir de changer de vie, remettent en cause beaucoup d’idées reçues sur la jeunesse et l’intégration et nous font espérer en l’avenir…
Distribution
Les élèves :
Abir Gares
Agnieszka Zych
Alassane Couattara
Andréa Drazic
Andromeda Havrincea
Daniel Alin Szasz
Daniil Kliashkou
Djenabou Conde
Eduardo Ribeiro Lobato
Felipe Arellano Santibanez
Kessa Keita
Luca Da Silva
Marko Jovanovic
Maryam Aboagila
Miguel Angel Cegarra Monsalve
Mihajlo Sustran
Naminata Kaba Diakite
Nethmal Mampitiya Arachchige
Oksana Denys
Ramatoulaye Ly
Thathsarani Mampitiya Arachchige
Xin Li
Yong Xia
Youssef Ezzangaoui
La professeure de français :
Brigitte Cervoni
Générique
Durée : 1h29
Image et Réalisation : Julie Bertuccelli
Son : Stephan Bauer, Benjamin Bober, Graciela Barrault, Greg le Maitre, Frédéric Dabo
Montage : Josiane Zardoya
Étalonnage : Isabelle Laclau
Mixage : Olivier Goinard
Musique Originale : Olivier Daviaud
Autour du film
Article « À Voir À Lire » du 13 mars 2014 :
Une adolescente écrit son nom au tableau. Elle précise qu’elle s’appelle Maryam, qu’elle vient de Lybie et qu’elle habite à Paris. Une voix douce, celle d’une enseignante, lui fait remarquer qu’elle a fait une petite faute d’orthographe. D’autres adolescents lui succèdent au tableau et écrivent les mêmes informations dans leurs langues natales : l’arabe, l’ukrainien, le chinois, le sri-lankais, le wolof… Ils disent « bonjour » dans la langue du pays qu’ils viennent de quitter. Il y a bien ici quelque chose de Babel…
Nous sommes en fait dans une « classe d’accueil » d’élèves nouvellement arrivés en France, implantée au collège de la Grange-aux-Belles, dans le 10e arrondissement de Paris. À deux pas du pittoresque et historique canal Saint-Martin. C’est dans cette classe que la cinéaste Julie Bertuccelli et son équipe ont posé caméra et matériel vidéo pendant l’année scolaire 2011-2012.
L’enseignante, Brigitte Cervoni, qui exerce depuis plusieurs années dans ce type de classes, les a bien volontiers accueillis, ainsi que la direction du collège. Avec l’accord du responsable du Centre académique de scolarisation des élèves nouvellement arrivés et des enfants du voyage (Casnav).
C’est après une rencontre avec Brigitte Cervoni lors d’un festival de cinéma scolaire, que la réalisatrice Julie Bertuccelli, qui alterne films documentaires et de fiction, a eu le souhait de réaliser un documentaire sur le dispositif des classes d’accueil – tellement elle l’avait trouvé « génial ». Apparemment, elle n’a pas été déçue par l’année passée avec ces enfants venus des quatre coins du monde. La cinéaste a préféré finalement se mobiliser sur une seule classe d’accueil plutôt que d’aller en filmer plusieurs. Il faut dire que cette classe de la Grange-aux-Belles avait la particularité de regrouper au sein d’un groupe de vingt-quatre élèves rien moins que… vingt-deux nationalités ! Ce sont donc des adolescents, de 11 à 15 ans, chinois, roumains, irlandais, sénégalais, chilien, marocain…, qui se sont exprimés sous les regards vigilants et bienveillants de la réalisatrice et de l’enseignante – et ceci à raison de deux fois par semaine pendant toute l’année scolaire.
Julie Bertuccelli a privilégié des moments forts de l’année. Et d’emblée, bien sûr, le premier accueil de ces adolescents par Brigitte Cervoni et l’art et la manière des élèves de faire connaissance entre eux. On assiste ainsi à des séquences saisissantes où les élèves parlent de la façon dont ils ont vécu leur dernier jour dans le pays qu’ils ont quitté, des raisons pour lesquelles ils sont partis. Des raisons très diverses : un danger encouru, des motifs économiques, ou la mutation de parents venant travailler dans une ambassade. Ils sont à la fois « heureux et tristes », comme dit Eduardo, le jeune brésilien. Beaucoup ont mis tout leur espoir dans l’accomplissement d’études en France, pays où ils se sentent bien et qui leur permet de suivre une scolarité de bon niveau. Comme le jeune serbe, Marko, de religion juive, persécuté ainsi que ses parents par des groupes néo-nazis, ou la jeune guinéenne, Djenabou, qui a fui son pays avec la complicité d’une tante pour ne pas avoir à subir l’excision.
Mais Julie Bertuccelli a réalisé un documentaire qui évite la galerie de portraits. La Cour de Babel est au contraire un film « choral », sans aucun entretien individuel. Les séquences avec les parents ou leurs représentants interviennent uniquement dans le huis clos de la classe du collège, en présence des enfants. Notamment lorsqu’ils sont invités par Brigitte Cervoni pour la remise des bulletins du premier trimestre ou en fin d’année. Ce qui nous donne alors d’émouvants moments de vérité. Plus on avance dans l’année scolaire et plus nous constatons la fusion du groupe. On assiste d’ailleurs à un petit drame lorsque Maryam doit quitter la classe, parce que ses parents libyens, demandeurs d’asile, sont amenés à aller vivre à Verdun à la demande de l’office français de l’immigration et de l’intégration.
Au fil de l’année, les élèves s’expriment de mieux en mieux en français, ils s’accrochent et ont une grande envie d’apprendre et de réussir. L’enseignante n’hésite pas à aborder avec eux des sujets graves comme ceux qui concernent la religion et la laïcité. Ce qui nous donne une conversation animée autour du Coran, de la Bible. Et la discussion de déboucher sur Dieu et le big bang – ainsi que sur la question de l’existence de Dieu et de l’enfer… L’année se termine par le passage, à la Maison des examens d’Arcueil, du Delf (Diplôme d’études de langue française), un premier diplôme qui sanctionne leur niveau en français. Mais aussi par un voyage à Chartres, où les élèves ont concouru au festival scolaire Ciné clap avec un film sur « La Différence », réalisé tout au long de l’année. Ils sont fous de joie lorsqu’ils apprennent qu’ils ont obtenu un prix !
La réalisatrice a souhaité filmer ces jeunes presque exclusivement dans le microcosme de la classe. Du collège, en effet, seulement quelques images en plongée de la cour de récréation. Nous ne savons donc pas comment ils se sont intégrés dans l’établissement, s’ils ont noué des relations avec les élèves des classes dites « normales », quels ont été leurs contacts avec d’éventuels intervenants extérieurs. Nous respectons ce choix tout en le regrettant quelque peu. Il n’en reste pas moins que La Cour de Babel est un beau documentaire, fort utile, qui met en lumière un exceptionnel dispositif d’accueil des élèves étrangers et une enseignante remarquable – qui prend une place de plus en plus importante au fur et à mesure où l’on avance dans le film. Remarquable comme le sont sans aucun doute les enseignant-e-s de ces classes d’accueil, qui ont un sens aigu à la fois de leur mission de service public et de la citoyenneté universelle.
Une fois entrés dans le tourbillon de cette cour de Babel, nous sommes vite de plain-pied avec ces adolescents que nous voyons construire, sous nos yeux, leur identité dans la diversité. Et la fin est particulièrement émouvante lorsque les enfants se quittent et disent au revoir à leur « deuxième maman », Brigitte Cervoni. L’enseignante leur confie qu’elle sera l’année prochaine inspectrice et qu’elle n’oubliera pas « [s]es derniers élèves ». Nous aussi, nous avons du mal à quitter cette Cour de Babel.
Pistes de travail
Écueils et parti pris
Le dispositif paraît simple : une salle de classe, des élèves, leur professeur et une caméra. Sauf qu’ici, les « apprenants » sont tous allophones, et qu’ils n’ont qu’une connaissance embryonnaire de la langue française. La circulation de la parole promet donc d’être limitée, l’expression de chacun bridée par des craintes légitimes, repliée dans une langue maternelle protectrice. Cependant, la mission de l’enseignante – donner à apprendre – doit pouvoir coïncider avec celle de la réalisatrice – donner à voir. Charge à cette dernière d’éviter le double écueil de l’image raccourcie et de la tentation de faire des élèves des animaux savants. L’acquisition d’une langue et sa restitution requièrent du temps, de la patience, des efforts parfois pénibles. Transmettre la transmission, montrer en images l’acte d’apprendre est un geste à risques car en plus, peu cinégénique – le travail de l’écrit est notamment invisible ici alors que l’année est sanctionnée par l’examen du diplôme d’études de langue française (DELF), passé à la maison des examens à Arcueil et visible quant à lui à la fin du film.
En prenant le parti de faire de son film un huis clos utopique (ou Babel heureuse), Bertuccelli nous prive d’un hors-champ précieux qui nous aurait permis d’apprécier les bénéfices (ou non) du beau travail accompli sous nos yeux durant une heure et demie. Certes, les récents acquis de certains élèves apparaîtront au tournant de l’année comme de fabuleux outils dans la relation de leurs parents maladroits en français avec autrui (la professeur en l’occurrence) ; mais on aurait bien voulu les voir en situation avec d’autres collégiens dans la cour de récréation que le titre du film mentionne pourtant bien. Nous ne saurons rien sur leur intégration à l’extérieur de la classe. C’est là la seule limite du projet de Bertuccelli dont le résultat tient autant du documentaire que de la fiction, entre vérité et trompe-l’œil.
Récit d’une pédagogie exaltante
Première ligne de force de La Cour de Babel : sa chronologie. Le film appuie sa dramaturgie sur la progression annuelle de l’enseignante, permettant ainsi au spectateur de mesurer clairement les progrès des élèves. Les plans sur l’arbre de la cour de récréation rythme le temps scolaire au fil des saisons (procédé filmique déjà utilisé par Nicolas Philibert dans Être et avoir, 2002). Tout commence comme une fiction, par les présentations : « Bonjour. Je m’appelle… J’habite… » Une pléiade de noms et mots étrangers constellent bientôt le tableau de la classe. La Babel du titre est énoncée. Laquelle fonctionnera à l’envers du mythe. De la confuse diversité initiale, où personne n’est en mesure ou peu de s’entendre, il faudra trouver une unité linguistique pour faire groupe, pour se comprendre. Pour que l’échange puisse se produire. Le récit de La Cour de Babel s’organise autour de séances de travail d’égale intensité (pour les élèves comme pour les spectateurs). Que des moments forts, pas de temps morts. Une astuce pédagogique apparaît vite évidente – et efficiente – dans la stratégie d’enseignement de madame Cervoni : faire parler les élèves de ce qu’ils connaissent le mieux, à savoir eux-mêmes. Les faire parler de ce dont ils sont riches, de ce qu’ils ont vécu, de ce qui les touche personnellement, de ce qu’ils pensent sur des sujets qui n’évitent pas toujours la polémique (la religion par exemple). Dans ces cas, l’enseignante s’attache avec métier et bienveillance à éveiller les consciences, à garder les esprits ouverts dans le cadre de limites qu’elle définit ou redéfinit (cf. la mise au point de la professeur sur le racisme). Des mots circulent alors, des idées émergent, une idée laïque et citoyenne de l’école de la République basée sur l’écoute, le respect et la tolérance s’édifie sous nos yeux.
Groupe heureux, histoires tristes
Des histoires, des anecdotes terribles se racontent aussi. Au passé souvent, comme celle du Juif Marko qui a dû quitter sa Serbie natale avec ses parents suite aux persécutions de groupes néo-nazis, ou celle de la Guinéenne Djenabou, sortie de son pays grâce à une tante pour éviter l’excision à laquelle elle était promise. D’autres dangers, des motifs économiques, un travail ou une mutation dans une ambassade justifient encore la présence de certains jeunes dans la classe. Notre regard sur les étrangers que sont ces élèves pleins de bonne volonté se trouve alors interrogé, soumis à la question de l’altérité vécue parfois douloureusement dans une chair qui a corps sous nos yeux. Notamment quand l’une d’eux se plaint des moqueries de certains Français au sujet de son niveau de langue, quand un autre dit qu’il est à la fois « heureux et triste » d’être en France, et surtout quand l’un des éléments moteurs du groupe, la Libyenne Myriam, doit quitter le groupe après que les services français de l’immigration ont exigé de ses parents, demandeurs d’asile, d’aller vivre à Verdun… L’autre, l’étranger, a soudain un visage, loin des chiffres et statistiques « des reconduites à la frontière ».
Le rôle central de l’enseignante
Pour ces êtres de l’entre-deux – entre deux pays, deux cultures, deux langues –, le déracinement est chose douloureuse, destructrice. Face à cela, le projet commun de l’apprentissage du français est vécu comme un moyen de se reconstruire (vécu comme « une naissance », dit l’une des membres de la classe), comme l’espoir d’un futur prometteur (cf. la scène de fin sur ce qu’ils veulent devenir). Or, il serait naïf de croire que le seul moteur de leur patient et courageux travail est l’horizon lointain de leur avenir, souvent perçu comme vaguement abstrait par les adolescents. C’est entre les murs de la salle de classe, dans le cadre physique des exercices sans cesse renouvelés et surtout un climat approprié – valorisant et stimulant – que les élèves trouvent le goût et la joie sincère d’apprendre et d’être ensemble. À se réinventer ensemble. Poussés en permanence à s’exprimer. Ainsi, le plaisir progressif de l’acquisition de la langue libère la parole. Les mots, de plus en plus nombreux, s’emballent. Les progrès s’avèrent probants à mesure que le groupe fusionne, fait corps autour de projets communs tels que le film sur la différence que les élèves réalisent eux-mêmes et soutiennent victorieusement lors du festival Ciné-clap à Chartres. À rebours de la Babel de la Bible, ils nous enseignent que la différence des langues et des cultures, c’est la richesse du groupe.
Sans que le film cherche à faire de ces élèves des « héros », des caractères (ou personnages) émergent évidemment peu à peu. Toujours légitimés par l’échange et un usage plus aisé de la langue, ce sont eux qui créent l’émulation, font vivre le cours ; le film s’appuie sur eux pour trouver le rythme et le ton (drôle et émouvant) de sa dramaturgie. Combien restent dans le hors-champ du silence et des difficultés ? Face à cela, la dynamique madame Cervoni apparaît parfois bien démunie. Toute sa ressource pédagogique ne peut hélas pas grand-chose contre la situation d’échec de cet élève qui, accablé de responsabilités, ne parvient pas à travailler seul chez lui pour progresser. Sont-ce là les limites d’un système pourtant doté d’une structure d’accueil sérieuse et d’une enseignante remarquable à qui il convient de rendre hommage ? Cheville ouvrière du dispositif filmique, la chaleureuse madame Cervoni, d’abord invisible (audible seulement), sort peu à peu du hors-champ où le film l’a tenue initialement pour occuper l’espace, reprendre peu à peu la place qui est la sienne au centre de son propre dispositif et ainsi montrer la valeur de son travail. Le film nous en tisse aussi en filigrane un beau portrait.
Extrait du dossier pédagogique du réseau Canopé
Outils
Dossier pédagogique du réseau Canopé :
www.direct.eduscol.education.fr/pjrl/films/pjrl-2014/canope-2013-2014/cour-de-babel
Dossier pédagogique sur le site Zerodeconduite.net :
www.zerodeconduite.net/lacourdebabel/dossier_pedagogique.html
Dossier de presse et dossier pédagogique sur le site du distributeur :
www.distrib.pyramidefilms.com/pyramide-distribution-catalogue/la-cour-de-babel.html