Bouche cousue (La)

France (1998)

Genre : Comédie dramatique

Écriture cinématographique : Court-métrage

École et cinéma 2009-2010

Synopsis

Un personnage au regard triste et « perdu » monte dans un bus avec une pizza dans les mains.
Il est presque assis lorsque le chauffeur freine brutalement.
Sa pizza vole et tombe.

Générique

Durée : 3’30’’
Production : Folimage
Distribution : Folimage
Animation de marionnettes

Autour du film

Un point de vue angoissant

Une société uniforme et sinistre

Ce film est construit autour d’un point de vue unique sur un événement. Nous sommes quasiment dans la tête du personnage principal. Le monde nous est montré comme lui le voit. C’est-à-dire triste et frustrant.
Les réalisateurs ont utilisé des teintes sombres, aussi bien pour les décors que pour les personnages. Tout est uniforme. Les maisons et les arbres qui bordent la route sont presque identiques. Seule leur taille diffère. Ces deux éléments sont sinistres. Les maisons sont grises et ne comportent ni portes ni fenêtres. Les arbres sont petits et très élagués. Des détails rendant l’atmosphère très mortifère. Seuls les voitures et le bus bougent. Nous ne voyons aucun piéton marcher sur les trottoirs. Lorsque l’homme à la pizza monte dans le bus, il est seul. Quand le narrateur descend, il est seul. L’unique rapport humain réel est la dispute entre le chauffeur du bus et un conducteur de voiture. Sinon, chaque contact est fantasmé par le narrateur.

Un monde de morts-vivants

Les personnages sont réalisés en papier mâché. Un volume qui donne un aspect très brut aux protagonistes. Ce court-métrage est la première co-réalisation de Jean-Luc Gréco et Catherine Buffat. Tous deux anciens élèves des Beaux-Arts, ils se sont spécialisés dans l’animation en volume. On retrouve notamment des personnages tout aussi difformes dans La sacoche perdue qu’ils ont réalisé en 2006. Le travail en volume permet de nourrir la difformité. Dans ce court-métrage, ils jouent sur la raideur du bois, matière qui donne une lourdeur et une certaine gaucherie aux déplacements des personnages. On retrouve dans le visage du héros les traits biscornus (presque cubistes ) qui font aussi la singularité de ceux des protagonistes de La Bouche cousue.

Dans la Bouche cousue, il n’y a aucune douceur ronde dans leurs traits. Tous ces visages sont comme cassés, tordus. La teinte de leur peau est cadavérique (entre le vert pâle et le gris). Tous les passagers du bus regardent dans le vague. Personne ne sourit ou ne discute. Ils sont tels des zombis. On retrouve d’ailleurs la représentation similaire d’une société aliénée dans la comédie horrifique Shaun of the Dead réalisée par Edgar Wright (2005). Shaun, le personnage principal, se rend dans le métro après le travail et tout le monde a l’air hagard, sans vie. Une séquence qui annonce l’apparition de morts vivants dans sa ville.


Quête d’identité

Un voyageur marginalisé

L’homme à la pizza est isolé de la masse dès son apparition. Il y a un insert sur sa main lorsqu’il appelle le bus. Un cadrage qui crée l’envie de le découvrir dans son intégralité. D’autant plus que le commentaire du narrateur se focalise sur l’entrée en scène de ce personnage atypique. Il détaille chacun de ses gestes. Cet individu est encore distingué des autres dans le bus. Il marmonne avant de s’asseoir. Il y a des rangées de sièges vides autour de lui. Il se détache ainsi du reste des passagers. Il focalise notre attention.

Fantasme de la marginalisation

Le narrateur a besoin de se distinguer de la masse. De s’affirmer face à l’uniformité ambiante. C’est peut-être pour se différencier que le personnage s’imagine finalement défendre l’homme qui a fait tomber la pizza. Cette envie de se distinguer de la masse, de s’affirmer est exprimée par la composition du plan lorsqu’il prend la défense de l’homme à la pizza. Tout le reste des voyageurs est entassé sur la droite du cadre. Ils forment une entité, à plusieurs têtes (on ne distingue pas vraiment leurs corps). Ils sont tous serrés les uns contre les autres. Sur la gauche du cadre, l’homme à la pizza est isolé. Le plan suivant reprend la même opposition grâce à une séparation verticale du cadre en deux. Au fond du bus, nous retrouvons le personnage principal qui a rejoint l’homme étrange et les autres passagers agglutinés sur la droite. Nous voyons les deux protagonistes entièrement. Les sièges vides et l’espace du bus les isolent complètement des autres. Nous pouvons ajouter, que lorsqu’il imagine les voyageurs réagir à ce qu’il leur dit, ils hochent tous de la tête en même temps (de même lorsqu’il les fait parler).

La seule fois que l’on entend les gens c’est quand ils crient lorsque le chauffeur freine d’un coup sec. Nous n’entendons même pas la dispute entre le chauffeur et le conducteur. La seule voix audible est celle du narrateur.

Mise en scène d’un souvenir

Mise en scène théâtrale

Le narrateur ne commente pas seulement l’événement, il fait parler les autres personnes du bus. Il imagine des situations. Il met en scène d’autres passagers qui interpellent l’individu qui a fait tomber sa pizza. Il se met en scène lui-même. Quand il s’imagine faire une réflexion à l’homme à la pizza, la composition du cadre permet de mettre les deux personnages en valeur. Il semble y avoir un point lumineux sur les deux hommes. Ils sont éclairés différemment des autres voyageurs. De plus, le narrateur a les cheveux roux et l’homme à la pizza les cheveux blonds, des couleurs qui tranchent un peu par rapport à la mine très grisonnante des autres passagers. Ils sont également au centre du plan. Nous pouvons clairement déterminer les acteurs principaux et les figurants. Le narrateur est debout, il souligne son propos avec de grands gestes. Les autres voyageurs regardent toujours dans le vague, sans prêter la moindre attention à ce qui est dit.

La mise en scène est à ce point visible que l’action qui se déroule en devient factice. Le spectateur peut ainsi déduire que cette scène est imaginaire. La voix-off permet aussi de faire ressentir l’irréalité de ce moment : « j’avais envie de lui dire… ». Le montage enfin ne laisse aucun doute. Il y a un changement de cadrage soudain. Nous passons sans transition d’une vue d’ensemble, avec le narrateur debout à côté de l’homme à la pizza, à un gros plan sur son visage. Il est toujours assis à sa place dans le bus, avec l’homme étrange placé plus loin derrière lui. Personne n’a bougé.

Profondeur de champ et mise au point

La mise en scène joue sur la profondeur de champ. Le narrateur est placé au premier plan, sur la gauche du cadre et l’étrange passager au second plan, sur la droite. La mise au point de la caméra alterne entre les deux personnages. Le narrateur est net quand on entend ce qu’il ressent, l’homme derrière lui est flou. Chaque fois que l’homme à la pizza est censé s’exprimer (« elle ne l’a même pas scotchée »), la mise au point se fait sur lui. Etant donné que c’est le narrateur qui prête sa voix à l’homme blond, ce jeu avec la mise au point permet de mieux identifier qui est censé parler à ce moment précis. L’identification se fait par l’image et non pas par le son.

Une ouverture trompeuse

Le début du film peut duper le spectateur. Le narrateur nous informe de l’heure qu’il est, de là où il va et de comment et pourquoi il s’y rend. Il est commun aux films policiers et en particuliers aux films noirs de commencer avec une voix off qui nous explique dans quelle situation le personnage se trouve. L’action prend souvent place dans un milieu urbain avec une ambiance mélancolique voir glauque. La voix off appartient généralement à un détective privé (Le Faucon maltais de John Huston), un anti-héros, dans une situation périlleuse (La Griffe du passé, de Jacques Tourneur, Assurance sur la mort de Billy Wilder ou Détour, de Edgar G. Ulmer) ou même à un mort (Les Tueurs de Robert Siodmak ou Sunset Boulevard de Billy Wilder). Les précisions du narrateur et l’atmosphère de La Bouche cousue peuvent nous laisser croire que nous allons assister à quelque chose d’incroyable, peut-être même à un crime. En effet, la musique est mystérieuse. Elle crée même du suspense, notamment lors du traveling sur le narrateur, juste avant l’apparition de l’homme à la pizza. Elle nous prépare à un événement, mais nous ne nous attendons pas à un incident aussi banal. A la fin du court-métrage, nous pouvons réaliser que la musique illustre la tristesse de la société et du personnage. Nous pouvons également imaginer que cette musique peut aussi être le fruit de l’imagination du narrateur.

Un événement anodin

La mise en scène ne nous préparait pas à un événement aussi infime. Elle est liée à l’imagination du narrateur. Il nous raconte une anecdote, en définitive banale, mais force les traits de celle-ci. Il exagère les choses et crée une atmosphère angoissante afin de captiver son auditoire. Des détails nous font douter de la réalité exacte du déroulement des événements. Par exemple, lorsque le chauffeur du bus freine. La mise en scène de cet instant est démesurée. De même lorsqu’il parle d’un passager ayant adressé un « drôle de regard » à l’homme à la pizza (celui-ci garde la tête penchée de longue secondes en direction du fautif). Chaque acte est sursignifié par la mise en scène.
Un décalage comique qui masque un désespoir réel du narrateur.

Vidéos

Bouche cousue (La)

Catégorie :

Analyse de la scène d’ouverture de 0 à environ 1mn

Un retour sur un événement passé

Le film nous parle d’un événement qui s’est déjà déroulé. Le spectateur peut s’en rendre compte dès les premières secondes du film, grâce au son et à la façon de filmer. Une voix off nous parle à la première personne et au passé. Le détail le plus troublant et qui précède l’arrivée de la voix du personnage est le premier mouvement de caméra. Le film s’ouvre avec un plan fixe sur le titre qui figure sur un mur. Puis, après quelques secondes, la caméra effectue un travelling sur la gauche. Il est assez lent, nous suivons le mur qui mène à une route. Il est assez rare qu’un film commence avec un travelling vers la gauche. Ce mouvement semble signifier que nous effectuons un retour dans le passé. Le cinéma nous habitue à des codes de narration. Le travelling vers la droite qui correspond au sens de lecture occidental, signifie que nous allons de l’avant. Il est donc plus habituel de commencer une histoire en commençant avec un mouvement de la caméra vers la droite (par exemple le début de History of Violence de David Cronenberg).


Identification du narrateur

Il y a de la circulation. Des voitures et un bus. Le spectateur sait que le personnage se trouve dans le bus grâce au rythme du travelling, qui s’accorde à la vitesse du bus. Les voitures vont plus vite ou plus lentement (certaines prennent une autre direction). Autre indice, le début de la narration sonore coïncide avec l’apparition du bus. Nous pouvons également remarquer que le bus se démarque grâce à sa teinte jaune/ocre (toutes les voitures sont marron).Nous nous retrouvons ensuite à l’intérieur du bus. Nous ne voyons qu’une petite partie de ses occupants. Un travelling avant nous permet de découvrir le narrateur. Il ne dit rien, n’a pas de signe distinctif, mais il nous est clairement désigné par le mouvement de caméra, qui s’arrête sur cet homme et le cadre en gros plan.


Un personnage mystérieux

L’identification de l’homme à la pizza est différente. En effet, cet individu ne nous est pas dévoilé tout de suite. Afin de créer une attente, les réalisateurs jouent sur le montage et le cadrage. Notre curiosité est attisée par le regard du narrateur qui semble intrigué par quelque chose. Il regarde par la fenêtre en penchant la tête. Le plan suivant ne dévoile qu’une partie de ce que voit le protagoniste. Nous ne découvrons que la main d’un individu filmée en gros plan. Il semble appeler le bus. Le spectateur ne voit donc qu’une toute petite fraction de cet homme. Nous sommes trop prêt. Le plan suivant joue sur l’opposition de cadrage. C’est un plan d’ensemble. Nous découvrons, de loin, le bus qui arrive à la portée de l’homme mystérieux qui attend. Cependant nous n’apercevons que sa silhouette, qui est très vite cachée par le bus qui s’arrête. Un dernier plan de transition avant la découverte du personnage nous fait encore patienter. Nous sommes dans le bus et nous voyons la main du chauffeur éditer un ticket de transport en gros plan. Le montage est assez rapide, ce qui rompt avec la lenteur des travellings précédents. La mise en scène permet de créer un mystère autour de cet homme qui va troubler le narrateur. La musique participe aussi au suspense car elle monte crescendo lorsque le narrateur regarde par la vitre et s’arrête avant l’apparition progressive de l’homme à la pizza.

Pistes de travail

Mise en rapport avec un autre film

Le court métrage peut être mis en relation avec le Roman d’un tricheur de Sacha Guitry (1936). Tout le film est construit autour du point de vue d’un personnage.
Vous pouvez présenter l’extrait proposé ci-dessous (il se situe vers le début du film). Il revient sur son enfance. Analysez comment la mise en scène nous montre le point de vue du narrateur. Faites remarquer le rythme et la tonalité de la voix off (par exemple lorsqu’il compte le nombre de ses frères et sœurs autour de la table ronde). Comment s’accorde le filmage avec la voix off? Quel rôle joue la musique? Que penser du jeu de l’acteur qui le joue lui enfant. Comment l’exagération est-elle traduite par la mise en scène? Par le dialogue (« tout le village était chez nous »)? Comment nous fait-il partager sa vision des autres ? Quelle tonalité donne-t-il aux événements qu’il raconte ?

Quelques questions sur la Bouche cousue:

• Qui est-ce qu’on entend ? Est-ce qu’on voit le personnage parler ? Comment comprenons-nous qui parle ?
• Quelles sont les scènes imaginées par le narrateur ? Comment s’aperçoit-on qu’elles sont issues de son imagination ?
• Essayez d’analyser le titre du court-métrage avec les élèves. Est-ce que le sens du titre est clairement figuré à certains moments ? Le narrateur se met en effet à plusieurs reprises la main devant la bouche. Quand le fait-il exactement ?
• Qu’est-ce que les élèves pensent de la fin ? Pourquoi le personnage est-il vu de plus en plus haut (filmé en plongée). La musique est identique au début et à la fin. Pourquoi ?