Synopsis
La grande ville, ce sont des gens qui voyagent sans quitter les murs de chez eux, ce sont des transports en commun sans communauté, ce sont des espaces où la parole ne s’entend plus. Dans un tramway, le théâtre des regards et des silences donne sa pièce du jour : une vieille femme agresse verbalement un jeune noir. Les stations défilent, le temps s’éternise, la parole raciste ne tarit pas, les témoins se murent dans leur absence, et le jeune homme cherche à garder son calme. Jusqu’où le tramway va-t-il aller ? Le film est-il un drame… ou une comédie ?
Générique
Programme : Six courts métrage Collège
Réalisation Pepe Danquart
Scénario Pepe Danquart
Image Ciro Cappellari
Musique Michael Seigner
Interprétation
Paul Outlaw
Senta Muoira
Production : Transfilm (Allemagne)
Film : N. & B. (35mm)
Format : Large (1/1,85)
Durée : 12’
Année : 1992
N° de visa :
Distribution : Agence du court métrage
Autour du film
Risquons une hypothèse de départ : le court métrage, par définition est inabouti. Il est un monde en gestation, un univers qui se montre, mais qui avoue se chercher encore. En ce sens il est certainement – pour un jeune spectateur – la meilleure façon de rentrer dans le monde de l’analyse du cinéma. Une œuvre inaboutie est une œuvre qui a besoin d’un regard extérieur pour s’achever. C’est une œuvre qui invite à l’analyse, qui laisse la place à l’imagination critique et qui stimule l’invention analytique.
Le court métrage, c’est toujours le début du “ pourquoi ? ” Pourquoi ce plan ? Pourquoi ce raccord ? Pourquoi cette musique ? Pourquoi le réalisateur a-t-il choisi ceci plutôt que cela ? Pourquoi ?
L’anonymat des réalisateurs autorise toutes les hypothèses, aucune n’étant a priori inepte, permet toutes les audaces, aucune n’étant a priori interdite. Dans l’univers des courts métrages, il n’y a pas d’appareil critique préexistant, pas de lectures à tirer derrière soi, pas de spécialistes sur la question. Il n’y a guère qu’une chose : la liberté d’inventer un sens au film que l’on découvre, un questionnement, une critique. La première.
Voici donc six films. Six films très différents : un film belge d’animation, un film burkinabé documentaire, un film allemand comique, trois films français plus réalistes… six films qui ne se ressemblent pas, et qui pourtant posent une même question : qui est l’autre ? Ou encore : qui suis-je, moi qui demande qui est l’autre ? Six films qui interrogent l’altérité, et que nous avons la plus grande liberté de pouvoir interroger, à notre tour… nous les premiers de devant ces films.
Stéphane Malandrin Un film à chute
Le hasard veut que deux autres courts métrages racontent exactement la même anecdote que Le Voyageur noir : La Dame dans le tram, de Jean-Pierre Laroche (Belgique 1993) et Y’a bon ticket de Laurence Barrau (France, 1994). On peut voir dans ce curieux hasard, le goût immodéré des réalisateurs de courts métrages pour l’idée de chute. Devant une telle anecdote (sans doute véridique), on comprend que trois réalisateurs (au moins), aient été tentés par l’adaptation. Le piège de la chute est qu’elle donne le sentiment du brio, de l’intelligence, alors qu’elle n’est le plus souvent qu’une cabriole scénaristique soigneusement préparée pour contrer l’angoisse d’une mise en scène à inventer. Les meilleurs films à chutes ne tirent jamais leur valeur du scénario.
Stéphane Malandrin
Pistes de travail
Expériences
Au sortir de la Première Guerre mondiale, les “ majors ” françaises sont plus enclines à développer des productions sans risque, souvent inspirées des grands textes littéraires, et à étendre leurs réseaux de distribution que de favoriser la création.
Les Avant-gardes (1915-1931)
De jeunes croitiques, poètes, peintres, musiciens s’emparent alors du court métrage et trouvent dans ce parent pauvre de la production commerciale le moyen d’exprimer une inspiration nouvelle. D’orgines très diverses, inspirés des mouvements dadaïstes, futuristes, puis surréalistes, ils auront en commun un même refus de la “ représentation romanesque ” et désigneront le théâtre comme l’ennemi absolu. Ils seront les fers de lance de ce qu’on appellera les Avant-gardes.
Abel Gance, l’un des premiers, tente de retrouver avec d’extraordinaires déformations d’images La Folie du Dr Tube, en 1915. Louis Delluc, l’un des théoriciens du mouvement, bouleverse l’organisation du récit avec Le Silence (1920). À partir de 1924, on note une radicalisation de la tendance : refus de rendre compte du réel, recherche d’une “ musique de la lumière ” (Le Ballet mécanique de Fernand Léger) pour aboutir à l’idée d’un “ cinéma pur ”, et à la réalisation de films abstraits (Jeux de reflets et de vitesse d’Henri Chomette, 1923-1925).
Entre 1924 et 1930, se développent des courts métrages d’inspiration surréaliste : L’Étoile de mer de Man Ray, et surtout Le Chien andalou de Dali et Buñuel et L’Âge d’or de Buñuel.
Parallèlement, pour un autre courant, le “ réalisme ” sera le plus court chemin vers la poésie. Plus sensibles aux problèmes sociaux et politiques, ces cinéastes réaliseront quelques œuvres marquantes : Rien que les heures d’Alberto Cavalcanti (1926), La Zone de Georges Lacombe (1928) et, surtout, À propos de Nice de Jean Vigo (1930).
Les Premières parties (1931-1940)
Le court métrage se réduit à cette époque à des premières parties, avant l’entracte, qui participent davantage d’un comique troupier volontiers égrillard que de l’art cinématographque. Des exceptions, cependant, comme l’admirable court métrage de Jean Renoir : Une Partie de campagne (1936).
Le Renouveau (1940-1953)
De nouvelles lois et le développement des réseaux de ciné-clubs vont favoriser un retour aux recherches des années 20 : films esthétiques (Images pour Debussy ou Pacific 231 de Jean Mitry), films “ engagés ” (Aubervilliers de Eli Lotar, Hôtel des Invalides de Georges Franju), des films d’art (Guernica de Alain Resnais, Les Charmes de l’existence de Jean Grémillon)… C’est en 1950 que Jean Genet réalise son unique film, interdit pendant près de 25 ans : Chant d’amour.
Les Nouvelles vagues (1953-1963)
La prime à la qualité est substituée à l’aide automatique. Il s’ensuit un nouvel élan, avec en particulier la création du “ Groupe des trente ” qui va se révéler être l’une des premières manifestations de ce qui sera le mouvement de la “ Nouvelle Vague ”. Le court métrage sera l’instrument de leurs premières passes d’armes : Nuit et brouillard (Alain Resnais, 1955), Du côté de la côte (Agnès Varda, 1958), Blue Jeans (Jacques Rozier, 1958), Charlotte et son Jules (Jean-Luc Godard, 1958), La Jetée (Chris Marker, 1962), La Boulangère de Monceau (Eric Rohmer, 1963), Paris vu par… (Jean Douchet, Jean Rouch, Jean-Daniel Pollet, Eric Rohmer, Jean-Luc Godard et Claude Chabrol, 1963).
Pour un cinéma différent (1960-1980)
Dans la riche mouvance des années 60/70, le court métrage est l’occasion pour certains cinéastes d’exprimer une sensibilité originale et souvent passionnante : Carlos Vilardebo (La Petite Cuillère, 1960), Marcel Hanoun (Egosum, 1963), Robert Lapoujade (Mise à nu, 1965), Martial Raysse (Jésus-Cola ou l’hygiène de la vision), Jean Eustache et son admirable Une sale histoire (1978).
Jacques Petat
Aujourd’hui
Au fil des années, le monde du court métrage s’est organisé, a trouvé ses propres réseaux de diffusion, ses propres réseaux de production, ses propres tics de narration, son propre public, si bien que le court a fait de son immaturité et de son professionnalisme incertain une caractéristique nouvelle — et assumée — de son système.
Il y a au moins trois raisons à cela :
– L’économie, d’abord. Le court métrage a cette caractéristique d’être et de n’être pas — en même temps — inscrit dans l’économie. La plupart du temps, réalisateur, scénariste, techniciens et acteurs ne sont pas payés lorsqu’ils travaillent sur un court. Une, voire deux semaines de travail sans rémunération sont nécessaires à la réalisation d’un film, sans compter les journées de préparation et d’écriture. Les quatre cents courts métrages produits chaque année constituent une masse d’heures de travail non rémunérées étonnante, dans un espace économique où les sommes investies deviennent souvent colossales.
– Deuxième spécificité : sa diffusion. Le court métrage est lié à son espace de diffusion — le festival —, comme le film long est attaché à la salle de cinéma. Les festivals de courts métrages se greffent à la fois sur l’identité non-économique du court (des bénévoles), et sur son identité : le public y est jeune, en apprentissage, et souvent lui-même hors du circuit économique. On dénombre environ quarante festivals de courts métrages en France, répartis sur toute l’année, de Brest (films européens) à Toulouse (films d’Écoles de cinéma du monde), en passant par Clermont-Ferrand (le fief du court), Poitiers, ou Meudon. Une culture spécifique qui suppose et engendre une attitude différente face aux films.
– Troisième et dernière spécificité : l’identification du cinéma de court métrage se fait au niveau du film (c’est l’histoire de…) et non au niveau de son auteur (c’est un film de…). À tel point que bon nombre de courts métrages sont davantage faits pour être racontés (les courts “ à chute ”) que pour partager un regard sur le monde.
Dans le monde du court métrage, la production, la diffusion, et le public sont strictement différents du monde du long métrage. Ils définissent les critères d’une forme singulière de l’acte cinématographique et donnent à penser que, davantage qu’une antichambre, le court métrage est aujourd’hui l’autre visage du cinéma.
Stéphane Malandrin